Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

20111117

Dossier : T-154-10

Référence : 2011 CF 1316

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2011

En présence de M. le juge Crampton

 

 

ENTRE :

 

ALLERGAN INC., ALLERGAN SALES INC.

et ALLERGAN, INC.

 

 

 

demanderesses

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et SANDOZ CANADA INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses (collectivement désignées sous le nom d’Allergan) sollicitent, en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). DORS/93‑133, une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Sandoz Canada Inc. avant l’expiration des deux brevets dont Allergan est propriétaire, à savoir le brevet canadien no 2,440,764 (le brevet 764) et le brevet canadien no 2,225,626 (le brevet 626).

[2]               S’il est délivré, l’avis de conformité que demande Sandoz lui permettra de commercialiser au Canada une version générique d’un médicament qui associe deux principes actifs : le tartrate de brimonidine (0,2 %) (la brimonidine) et le maléate de timolol (0,5 %) (le timolol), utilisés dans le traitement du glaucome. Allergan commercialise actuellement la version de marque de ce médicament sous le nom de COMBIGAN.

 

[3]               À l’appui de sa demande d’avis de conformité, Sandoz a déposé auprès du ministre une présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle elle comparait son médicament (le médicament générique) à COMBIGAN. Sandoz a ensuite envoyé à Allergan un avis d’allégation dans lequel elle alléguait notamment que :

 

i.         l’invention revendiquée par le brevet 764 était évidente à la date de priorité du 19 avril 2002 (la date de priorité), de sorte que le brevet 764 était invalide;

 

ii.       la monographie de produit du médicament générique n’incitera la contrefaçon d’aucune des revendications du brevet 626;

 

iii.      le médicament générique ne contrefera aucune des revendications du brevet 626;

 

iv.     le brevet 626 est invalide pour cause d’inutilité au motif que :

 

a)   ses revendications visent un objet dépourvu d’utilité;

 

b)   l’utilité de l’objet en question ne pouvait faire l’objet d’une prédiction valable à la date de priorité et à la date du dépôt du brevet 626 au Canada.

 

[4]               Allergan affirme que les allégations de Sandoz ne sont pas fondées au sens du paragraphe 6(2) du Règlement. Cela étant dit, Allergan admet que Sandoz a « mis en jeu » les questions d’invalidité soulevées dans son avis d’allégation de sorte que la présomption de validité du brevet 764 et du brevet 626 a été réfutée (Novo Nordisk Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Inc, 2010 CF 746, aux paragraphes 68 et 69 [Novo Nordisk]; Pfizer Canada Inc c Novopharm Ltd, 2009 CF 638, aux paragraphes 35 et 36 [Pfizer (2009 CF 638)]).

 

[5]               Pour obtenir l’ordonnance d’interdiction qu’elle sollicite par la présente demande, Allergan doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Sandoz ne sont pas fondées en ce qui concerne :

 

i.         la présumée évidence de l’invention revendiquée par le brevet 764;

 

ii.       la totalité des allégations susmentionnées formulées relativement au brevet 626.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan s’est acquittée du fardeau qui lui incombait en ce qui concerne la présumée évidence de l’invention revendiquée par le brevet 764. Je vais donc rendre l’ordonnance d’interdiction réclamée en ce qui concerne le brevet 764.

 

[7]               Compte tenu du fait que le brevet 764 a été délivré plus récemment que le brevet 626, il n’est pas strictement nécessaire, pour trancher la présente demande, d’examiner les allégations formulées par Sandoz relativement au brevet 626. En bref, les conclusions qui peuvent être tirées au sujet de ce dernier brevet ne peuvent avoir d’incidence sur la période de temps pendant laquelle Sandoz ne pourra commercialiser le médicament générique en raison de la conclusion à laquelle je suis arrivé en ce qui concerne le brevet 764.

 

[8]               Néanmoins, pour le cas où il s’avérerait que j’ai commis une erreur en concluant que l’objet du brevet 764 n’était pas évident, j’ai également examiné les questions qui ont été soulevées au sujet du brevet 626. À cet égard, la question de l’incitation à contrefaire est déterminante, étant donné que le brevet 626 visait une utilisation et que Sandoz ne peut contrefaire directement un tel brevet. Je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait sur cette question. En d’autres termes, j’estime fondée l’allégation de Sandoz suivant laquelle elle n’incitera pas à la contrefaçon du brevet 626.

 

[9]               Pour le cas où ma conclusion sur la question de l’incitation serait infirmée, j’ai examiné les diverses autres allégations formulées par Sandoz à l’appui de sa thèse suivant laquelle le médicament générique ne contrefera pas le brevet 626, et suivant laquelle le brevet 626 est invalide. Je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations en question ne sont pas fondées.

 

[10]           En résumé, pour les motifs qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que la présente demande devait être accueillie en ce qui concerne le brevet 764 mais qu’elle devait être rejetée en ce qui concerne le brevet 626.

 

I.          Contexte

            A. Glaucome

[11]           Le glaucome est une maladie chronique du nerf optique qui entraîne une perte de vision progressive irréversible pouvant mener à la cécité.

 

[12]           La cause précise des lésions du nerf optique est mal connue. Toutefois, ces lésions sont souvent, mais pas toujours, associées à une pression accrue de l’humeur aqueuse située dans la partie avant de l’œil. Cet état est habituellement désigné sous le nom de pression intraoculaire (PIO) élevée ou d’hypertension oculaire. Si elle n’est pas traitée, l’hypertension oculaire peut provoquer l’apparition du glaucome. C’est pour cette raison, et le fait que les médicaments qui abaissent la PIO semblent empêcher la maladie de progresser davantage, que la PIO élevée est généralement considérée comme un facteur de risque majeur de glaucome.

 

[13]           Les termes « PIO élevée » et « glaucome » ont déjà été considérés comme des synonymes. Cependant, il est maintenant établi que le glaucome est une maladie complexe qui peut être associée à une PIO élevée, mais qui peut aussi frapper les personnes dont la PIO est statistiquement normale.

 

[14]           Bien qu’il n’existe aucun traitement curatif contre le glaucome, plusieurs types différents de médicaments ont été mis au point pour traiter cette maladie. Depuis plus de 100 ans, les ophtalmologistes utilisent des médicaments cholinergiques pour traiter le glaucome et abaisser la PIO. Les médicaments de cette classe imitent l’action du système nerveux parasympathique et l’amplifient, en plus d’avoir pour effet général de relaxer le tissu musculaire. Ils entraînent toutefois des effets secondaires importants.

 

[15]           La deuxième classe de médicaments utilisée au moins depuis les années 1920 pour traiter le glaucome est celle des agents adrénergiques, comme l’épinéphrine. Depuis l’arrivée, au début des années 1970, des médicaments antiglaucomateux modernes, l’épinéphrine est progressivement devenue moins populaire, principalement en raison de ses effets secondaires importants.

 

[16]           La troisième classe de médicaments utilisée pour abaisser la PIO et traiter le glaucome est celle des antagonistes bêta-adrénergiques, ou bêta (ß)-bloquants. Les bêta-bloquants empêchent l’épinéphrine naturelle d’avoir une activité au niveau des récepteurs ß et auraient donc le même effet d’abaissement de la PIO que l’épinéphrine, mais avec moins d’effets secondaires. De plus, les bêta-bloquants abaissent la PIO en réduisant la production d’humeur aqueuse. Les bêta‑bloquants figurent parmi les principales classes de médicaments utilisées pour traiter le glaucome. Ils comprennent des médicaments tels que le timolol, qui a été commercialisé pour la première fois par Merck Frosst Canada Ltd. vers 1978 sous le nom de marque TIMOPTIC. Depuis, le timolol est devenu l’un des médicaments de référence pour le traitement du glaucome et la réduction de la PIO.

 

[17]           La quatrième classe de médicaments qui abaissent la PIO est celle des médicaments généralement connus sous le nom d’agonistes alpha-2. Ceux‑ci agissent en stimulant les récepteurs alpha-adrénergiques, ce qui a pour effet d’abaisser la PIO. Les médicaments de cette classe sont arrivés sur le marché dans les années 1980. La brimonidine, qui appartient à cette classe, est disponible sous forme de solution ophtalmique depuis 1996 environ, lorsqu’Allergan a mis sur le marché un produit contenant 0,2 % de brimonidine par poids sous le nom de marque ALPHAGAN. Sandoz a lancé une version générique d’ALPHAGAN l’année suivante, après avoir fait parvenir à Allergan un avis d’allégation qui n’a pas été contesté.

 

[18]           Les deux autres classes de médicaments qui abaissent la PIO sont les analogues de la prostaglandine, comme latanoprost, et les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique, comme le dorzolamide et le brinzolamide.

 

[19]           La brimonidine et le timolol peuvent tous deux abaisser la PIO chez certains patients, mais, administrés en monothérapie, ils ne sont pas toujours utiles, que ce soit en raison de leurs effets secondaires indésirables, des contre‑indications médicales de leur usage ou de leur inefficacité dans certains cas. De même, chez certains patients, il est nécessaire d’abaisser la PIO à un niveau plus bas que celui obtenu au moyen de ces médicaments administrés séparément. Par conséquent, les médecins ont commencé à prescrire ces médicaments comme traitement concomitant (ou traitement d’appoint, traitement en série) avant la date de dépôt du brevet 764.

 

            B. Les brevets pertinents

[20]           Conformément à l’article 4 du Règlement, Allergan a inscrit au registre des brevets quatre brevets portant sur COMBIGAN. Allergan a toutefois choisi de ne faire porter la présente demande que sur les allégations formulées par Sandoz au sujet du brevet 764 et du brevet 626.

 

[21]           Le brevet 764 a été déposé le 9 avril 2003, a été publié le 19 octobre 2003 et a été délivré le 25 octobre 2005. La priorité y est revendiquée sur le fondement du brevet américain déposé le 19 avril 2002.

 

[22]           Le brevet 764 renferme des revendications concernant des compositions pharmaceutiques ophtalmiques topiques pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire, entre autres une composition renfermant de la brimonidine (0,2 %), du timolol (0,5 %) et du chlorure de benzalkonium (BAK) (0,001 % à 0,01 %) comme agent de conservation dans un vecteur pharmaceutiquement acceptable. La partie descriptive de ce brevet se termine par la mention que l’association brimonidine-timolol administrée deux fois par jour (b.i.d.) pendant trois mois a une efficacité supérieure à celle de concentrations équivalentes de timolol b.i.d. et de brimonidine administré trois par jour (t.i.d.) sur le plan de la réduction de la PIO chez des patients atteints de glaucome ou présentant une hypertension oculaire. Il est aussi indiqué que l’association [traduction] « administrée b.i.d. a un profil d’innocuité favorable qui est comparable à celui du timolol b.i.d. et supérieur à celui de la brimonidine t.i.d. sur le plan de la fréquence des événements indésirables et de l’interruption du traitement en raison d’événements indésirables ».

 

[23]           Le brevet 626 a été déposé le 17 juin 1996, a été publié le 16 janvier 1997, a été délivré le 3 septembre 2002 et la priorité y est revendiquée sur le fondement du brevet américain déposé le 28 juin 1995.

 

[24]           Le brevet 626 décrit [traduction] « une nouvelle méthode pour protéger le nerf optique et la rétine de l’œil d’un mammifère des lésions causées par le glaucome et d’autres provocations délétères ». Il est indiqué que cette neuroprotection est conférée par une nouvelle utilisation d’une quantité efficace de certains composés, dont la brimonidine, [traduction] « pour inhiber ou prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses […] afin de protéger les cellules nerveuses de la rétine ou du nerf optique d’un mammifère qui subissent ou risquent de subir une action délétère ». Avant la date de priorité, la brimonidine était reconnue comme un médicament efficace pour abaisser la PIO et était largement utilisée à cette fin.

 

 

 

 

C. COMBIGAN

[25]           COMBIGAN est le nom de marque de la composition décrite dans le brevet 764. Il est vendu au Canada conformément aux avis de conformité délivrés à Allergan le 9 décembre 2003 (pour maîtriser la PIO) et le 24 août 2007 (pour réduire les fluctuations à long terme de la PIO). Comme c’est le cas avec le médicament générique, les principes actifs de COMBIGAN sont la brimonidine (0,2 %) et le timolol (0,5 %), et l’agent de conservation est le BAK (0,005 %).

 

II.                Les experts des parties

[26]           Trois personnes ont fourni un témoignage d’expert pour le compte d’Allergan et deux, pour le compte de Sandoz.

 

            A. Les experts d’Allergan

[27]           M. Gary J. Beck est l’un des inventeurs de COMBIGAN identifié dans le brevet 764. De 1995 à 1999, il occupait la fonction de responsable scientifique chez Allergan. En cette qualité, il avait notamment la responsabilité de mettre au point une formulation ophtalmique associant la brimonidine et le timolol. En 1999, il est devenu gestionnaire de projets internationaux et a donc continué à participer de près à la mise au point de l’association médicamenteuse. Il a aussi fait partie de l’équipe qui a préparé la demande d’approbation de COMBIGAN et l’a présentée à la Food and Drug Administration (FDA) des États‑Unis, demande qui a été acceptée. M. Beck a présenté un affidavit et a été contre‑interrogé au sujet de COMBIGAN, plus particulièrement sur sa mise au point, ses effets secondaires réduits par rapport à la monothérapie par la brimonidine et à la monothérapie par le timolol, son efficacité, son succès commercial et ses coûts de développement.

 

[28]           Le Dr Robert Fechtner est professeur d’ophtalmologie et directeur de la Division of the Glaucoma à la New Jersey Medical School de l’Université de médecine et dentisterie du New Jersey. Il est également médecin spécialiste à l’University Hospital de Newark, au New Jersey, et exerce la médecine à la New Jersey Medical School, où il a étudié et traité des patients atteints de glaucome. En plus d’être membre de divers conseils d’administration et comités liés au glaucome, il a fait partie du comité de rédaction de nombreuses publications dans le domaine de l’ophtalmologie. Sa carrière de chercheur est principalement axée sur le traitement du glaucome. Il est l’auteur de nombreux articles, livres et chapitres consacrés au glaucome et à la réduction de la PIO. Le Dr Fechtner a présenté un affidavit concernant l’objet du brevet 764, la personne versée dans l’art à qui s’adresse ce brevet, l’avis d’allégation de Sandoz et la preuve fournie par les experts de Sandoz, particulièrement en ce qui concerne la prétendue évidence de l’objet de certaines des revendications du brevet.

 

[29]           Le Dr Kevin Parkinson est un ophtalmologiste qui exerce sa profession en Colombie‑Britannique. Il possède aussi des privilèges hospitaliers au Coquitlam Cataract Centre et au Ridge Meadows Hospital. Il a été boursier postdoctoral dans le domaine du glaucome, a reçu environ 50 000 patients atteints de cette maladie, et a donné des conférences sur l’ophtalmologie et le glaucome. Il a souscrit deux affidavits, datés du 13 novembre 2010 et du 15 mars 2011, concernant l’objet du brevet 626, la personne versée dans l’art à qui s’adresse ce brevet, les allégations d’absence de contrefaçon de Sandoz et la preuve fournie par les experts de Sandoz.

 

B. Les experts de Sandoz

[30]           Le Dr Henry Jampel est professeur d’ophtalmologie à la School of Medicine de l’Université John Hopkins. Il exerce aussi la médecine et a traité des milliers de patients atteints de glaucome ou d’une maladie oculaire connexe. Il a mené des recherches sur le glaucome, a joué un rôle éditorial dans diverses revues d’ophtalmologie et est l’auteur de nombreux articles et chapitres de livres sur le glaucome et l’élévation de la PIO. Il a présenté un affidavit concernant l’objet des brevets 764 et 626, la personne versée dans l’art à qui s’adressent les brevets, les allégations figurant dans l’avis d’allégation de Sandoz et la preuve fournie par chacun des experts d’Allergan.

 

[31]           M. Ashim Mitra est président de la Division of Pharmaceutical Sciences de l’Université du Missouri. Il a mené des recherches poussées sur diverses techniques de délivrance de médicaments, dont la délivrance oculaire. Il est directeur de la recherche appliquée à la School of Medicine de l’Université. À ce titre, il s’occupe de la sélection de nouvelles technologies issues de la recherche en laboratoire, en particulier dans le domaine de l’ophtalmologie, et coordonne des essais précliniques. Ses recherches sont axées sur la synthèse et la formulation de composés chimiques, y compris des médicaments ophtalmiques, et l’évaluation de leur capacité d’être transportées à travers les membranes du corps. Il a de nombreux ouvrages publiés à son actif dans le domaine des médicaments ophtalmiques et à présenté des centaines d’exposés sur le sujet devant des auditoires variés. Il a présenté un affidavit concernant l’objet du brevet 764, les personnes à qui s’adresse ce brevet, certaines des allégations figurant dans l’avis d’allégation de Sandoz et la preuve fournie par M. Beck.

 

[32]           Allergan a soulevé des doutes sérieux au sujet de la crédibilité de M. Mitra. En résumé, Allergan a cité plusieurs affaires américaines dans lesquelles le témoignage de M. Mitra avait été jugé soit non crédible (y compris les décisions Allergan, Inc c Barr Laboratories, Inc, 2011 US Dist LEXIS 101778, 09333 SLR, aux paragraphes 46 à 52 (D Del) [Barr Laboratories]; Syntex LLC c Apotex, Inc, 2006 WL 1530101, C01-02214 MJJ, au paragraphe 78 (ND Cal)), soit trompeur (Roche Palo Alto et al c Apotex Inc et al, 526 F Supp 2d 985, à la page 994 (ND Cal)). Parmi ces affaires, mentionnons celles dans lesquelles M. Mitra a adopté devant notre Cour une position qui était incompatible – c’est le moins qu’on puisse dire – avec elle qu’il a par la suite défendue devant une juridiction des États-Unis (comparer l’affaire Barr Laboratories, précitée, avec l’affaire Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 1294, au paragraphe 154). Allergan a également appelé l’attention de la Cour sur les déclarations contradictoires faites par M. Mitra au cours de son contre-interrogatoire en l’espèce en ce qui concerne le fait que, dans six des sept procès pour lesquels il a récemment témoigné, il s’était dit d’opinion que le brevet était invalide (dossier des demanderesses, aux pages 940 à 943). Compte tenu de ce qui précède, j’ai de sérieuses réserves au sujet de la crédibilité de M. Mitra. J’ai donc abordé son témoignage avec beaucoup de prudence (Sanofi-Aventis Canada Inc c Ratiopharm Inc, 2010 CF 230, au paragraphe 17 [Sanofi]) et j’ai conclu que, dans l’ensemble, les témoignages des témoins d’Allergan étaient plus crédibles et fiables sur les points où ces témoignages contredisaient celui de M. Mitran.

 

III.       Questions en litige

[33]           Bien que de nombreuses questions aient été soulevées dans l’avis d’allégation de Sandoz ainsi que dans la demande d’Allergan, les questions que les parties continuent à débattre sont les suivantes :

 

1.      L’allégation que le brevet 764 est invalide pour cause d’évidence est-elle fondée?

 

2.      Est-ce que la monographie de produit du médicament générique incitera à la contrefaçon de l’une ou l’autre des revendications du brevet 626?

 

3.      Les allégations d’absence de contrefaçon des revendications du brevet 626 formulées par Sandoz sont-elles fondées?

 

4.      L’allégation de Sandoz suivant laquelle le brevet 626 est invalide pour cause d’inutilité est-elle fondée pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

 

a)      les revendications du brevet 626 visent un objet dépourvu d’utilité;

 

b) l’utilité de l’objet en question ne pouvait faire l’objet d’une prédiction valable à la date de priorité et à la date à laquelle le brevet 626 a été déposé au Canada?

 

IV.       Analyse

            A. L’allégation que le brevet 764 est invalide pour cause d’évidence est-elle fondée?

[34]           Pour répondre à cette question, il est nécessaire d’interpréter d’abord les revendications du brevet et de discerner l’idée originale de ce brevet (Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, au paragraphe 19 [Free World Trust]).

 

[35]           Allergan a invoqué les revendications 1 à 6 et 14 à 25 du brevet 764. La revendication représentative est la revendication 22, qui limite l’association médicamenteuse fixe revendiquée dans la revendication 1 à l’association fixe particulière contenue dans COMBIGAN. La revendication 22 renvoie à la revendication 6, qui renvoie à son tour à la revendication 3, qui elle‑même renvoie à la revendication 1, comme suit :

 

                        [traduction]

Revendication 22 - L’usage topique d’une quantité thérapeutiquement efficace d’une composition conforme à la revendication 6 dans un œil touché pour le traitement du glaucome.

 

Revendication 6 - Une composition conforme à la revendication 3 contenant également de 0,001 % par poids à moins de 0,01 % par poids de chlorure de benzalkonium.

 

Revendication 3 - Une composition conforme à la revendication 1, dans laquelle la quantité de brimonidine est de 0,2 pour cent par poids et la quantité de timolol est de 0,5 pour cent par poids.

 

Revendication 1 - Une composition pharmaceutique ophtalmique topique pour le traitement du glaucome ou de l’hypertension oculaire renfermant une quantité efficace de brimonidine et une quantité efficace de timolol dans un vecteur pharmaceutiquement acceptable de ces composés.

 

[36]           Aucune des parties ne conteste l’interprétation du libellé des revendications 1, 3, 6 et 22 du brevet 764 (les revendications représentatives du brevet 764). Les parties s’entendent généralement pour dire que ces revendications décrivent une association fixe de brimonidine (0,2 %) et de timolol (0,5 %) dans un vecteur pharmaceutiquement acceptable contenant du BAK (0,001 % à 0,01 %) (la composition) et l’utilisation de la composition dans le traitement topique du glaucome et de l’hypertension oculaire.

 

[37]           Le critère de l’évidence comporte les quatre volets suivants :

 

1.      Identifier la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes;

 

2.      Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

 

3.      Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale;

 

4.      Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences (i) constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou (ii) dénotent-elles quelque inventivité (Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, [2008] 3 RCS 265, au paragraphe 67 [Sanofi]).

 

1) Premier volet : la personne versée dans l’art et les connaissances générales courantes pertinentes

[38]           Le Dr Fechtner était d’avis que la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 764 [traduction] « est une personne qui travaille à mettre au point des formulations pharmaceutiques et des méthodes thérapeutiques pour l’œil ou un spécialiste du traitement des maladies de l’œil, par exemple un optométriste ou un ophtalmologiste, qui possède aussi une expérience en mise au point de formulations pharmaceutiques ophtalmiques ou en conception et tenue d’essais cliniques sur de telles formulations ». [Non souligné dans l’original.]

 

[39]           M. Mitra et le Dr Jampel avaient une opinion analogue, soit que le brevet 764 s’adresse à des formulateurs de compositions pharmaceutiques et à des ophtalmologistes. Toutefois, Sandoz s’est par la suite dite d’avis que la personne versée dans l’art est à la fois un ophtalmologiste qui pratique la médecine et un formulateur de compositions pharmaceutiques. Au cours de l’instruction de la présente demande, Sandoz a affirmé que cette différence d’opinions entre le Dr Fechtner et ses propres experts était mineure et n’avait aucun effet réel.

 

[40]           Cela étant dit, à mon avis, la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 764 est soit un formulateur de compositions pharmaceutiques soit un spécialiste du traitement des maladies de l’œil, comme le décrit le Dr Fechtner. Feraient partie de ce groupe des personnes telles que le Dr Jampel (qui a admis en contre‑interrogatoire n’avoir aucune expérience en formulation), le Dr Fechtner, M. Mitra et M. Beck, ce qui est conforme à la position adoptée par Sandoz dans son avis d’allégation.

 

[41]           Le Dr Jampel affirme dans son affidavit que les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à la date de priorité étaient les suivantes :

 

i.         des connaissances approfondies sur l’hypertension oculaire et le glaucome;

 

ii.       des connaissances approfondies sur les médicaments qui abaissent la PIO en usage à cette période, y compris ceux décrits aux paragraphes 14 et 18, ci‑dessus;

 

iii.      le fait de savoir que les médicaments qui abaissent la PIO étaient couramment administrés en combinaison, que ce soit en concomitance ou en association, afin d’obtenir une réduction satisfaisante de la PIO, et que l’utilisation de deux médicaments qui abaissent la PIO entraîne une réduction plus forte de la PIO que ne le fait chaque médicament pris individuellement;

 

iv.     le fait de savoir que tant la brimonidine que le timolol étaient des médicaments reconnus pour abaisser la PIO;

 

v.       le fait de savoir que la brimonidine et le timolol avaient déjà été utilisés en concomitance et que ce traitement avait entraîné une plus grande réduction de la PIO que la brimonidine ou le timolol employés seuls;

 

vi.     le fait de savoir que, dans les associations médicamenteuses offertes sur le marché, l’un des principes actifs était généralement le timolol – par exemple COSOPT (association dorzolamide-timolol en vente aux États‑Unis depuis 1998 et au Canada depuis 1999) ou des associations pilocarpine-timolol ou latanoprost-timolol (Xalacom) commercialisées à l’extérieur des États‑Unis avant 2002;

 

vii.    le fait de savoir que le BAK était un agent de conservation d’usage courant dans les solutions ophtalmiques.

 

[42]           À l’audience, Allergan a déclaré que, bien qu’il pouvait exister [traduction« certaines différences subtiles » entre les témoignages de ses experts et celui de M. Jampel, elle ferait reposer son argumentation sur la thèse susmentionnée de M. Jampel au sujet des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à la date de priorité. Je suis par conséquent disposé à accepter le résumé suivant fourni par M. Jampel aux fins de la présente analyse sous réserve des observations qui suivent.

 

[43]           Premièrement, je suis convaincu que la preuve au dossier démontre que la personne versée dans l’art à la date de priorité aurait aussi été au courant que le produit de brimonidine de deuxième génération d’Allergan, ALPHAGAN P, contenait (i) 0,15 % de brimonidine, plutôt que la concentration de 0,2 % utilisée dans la composition, et que (ii) l’agent de conservation était Purite plutôt que le BAK. Cette personne aurait également su que, lorsque la brimonidine et le timolol étaient administrés en concomitance, l’état de la technique consistait à administrer ces médicaments séparément, à cinq minutes d’intervalle, afin d’éviter l’effet de « sevrage thérapeutique ».

 

[44]           Deuxièmement, le dossier démontre aussi que la personne versée dans l’art aurait été au courant de l’existence du brevet américain no 5,502,052, délivré le 26 mars 1996 (le brevet DeSantis), qui laissait croire que les compositions antiglaucomateuses renfermant une association d’un ou plusieurs bêta‑bloquants (comme le timolol) avec un ou plusieurs agonistes alpha-2 (la brimonidine n’était pas expressément mentionnée) permettaient une plus grande réduction de la PIO que celle qu’il était possible d’obtenir avec la même concentration de l’un ou l’autre type de principe actif employé seul.

 

[45]           Troisièmement, je suis convaincu que la personne versée dans l’art aurait également su que les bienfaits liés à une association fixe de deux principes actifs utilisée dans le traitement topique du glaucome, par rapport au traitement concomitant par ces deux mêmes principes actifs, comprendraient probablement : (i) une moins grande quantité d’agent de conservation administrée aux patients et (ii) une meilleure observance du traitement par le patient avec l’association médicamenteuse.

 

            2)   Deuxième volet : l’idée originale

[46]           Sandoz affirme que, dans tout brevet, [traduction« ce sont les revendications qui définissent l’invention » et que l’idée originale du brevet 764 doit être discernée uniquement à partir du libellé des revendications du brevet.

 

[47]           Il est bien établi en droit que ce sont les revendications du brevet qui définissent les « clôtures » ou les « frontières » qui délimitent la « portée » du monopole conféré par le brevet (Free World Trust, précité, aux paragraphes 14, 33, 51 et 66). Cela étant dit, pour arriver à une « interprétation téléologique », il est permis de tenir compte d’autres éléments du brevet en se plaçant du point de vue de « la personne versée dans l’art à qui il s’adresse » pour résoudre une ambiguïté et pour assurer la souplesse et l’équité lorsqu’il s’agit de différencier les caractéristiques essentielles de l’invention de celles qui ne sont pas essentielles (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067, au paragraphe 48 [Whirlpool]). Compte tenu du fait qu’il n’y a pas de divergence entre les parties en l’espèce au sujet de l’interprétation des revendications, il n’est pas nécessaire d’aller au‑delà du texte des revendications du brevet 764 pour préciser la portée du monopole revendiqué dans ce brevet.

 

[48]           On ne peut en dire autant de l’idée originale des revendications.

 

[49]           De façon générale, les revendications représentatives du brevet 764 revendiquent simplement l’usage topique d’une composition dans un œil touché pour le traitement du glaucome. Sandoz affirme que l’idée originale des revendications en question doit être discernée à partir de cette seule description. Le Dr Jampel abondait dans le même sens.

 

[50]           Je ne suis pas de cet avis. Si tel était le cas, il ne serait pas possible dans la présente espèce et dans des affaires semblables de bien saisir les différences qui existent entre l’état de la technique et l’idée originale de la revendication en vue de procéder à la troisième étape du critère de l’évidence.

 

[51]           Dans les affaires comme la présente où « [i]l n’est pas facile de saisir l’idée originale à partir des seules revendications », il est à la fois nécessaire et permis d’examiner le reste du brevet « pour déterminer l’inventivité de la revendication » (Sanofi, précité, au paragraphe 77). En d’autres termes, pour « définir la nature de l’invention » qui est articulée dans les revendications, et pour bien comprendre la mesure dans laquelle l’invention revendiquée diffère de l’état antérieur de la technique, la Cour peut « examiner l’ensemble du mémoire descriptif » du brevet (Whirlpool, précité, au paragraphe 49g), citant l’arrêt Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, aux pages 520 et 521). Cela étant dit, il vaut la peine de souligner qu’« [o]n ne saurait cependant s’appuyer sur le mémoire descriptif pour interpréter le texte des revendications de façon plus restrictive ou plus extensive » (Sanofi, précité, au paragraphe 77).

 

[52]           Dans l’arrêt Sanofi, précité, aux paragraphes 77 et 78, la Cour suprême est allée au‑delà des revendications en question qui se limitaient à « la seule présence d’une formule chimique » pour saisir l’idée originale des revendications en cause. Une démarche semblable a été suivie dans l’affaire Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2009 CAF 222, aux paragraphes 58 et 59. Cette analyse a été effectuée après que la Cour eut terminé l’interprétation des revendications, étant donné que l’exercice consistant à interpréter les revendications précède l’examen des questions relatives à la validité et à la contrefaçon (Free World Trust, précité, au paragraphe 19; Whirlpool, précité, au paragraphe 43).

 

[53]           Contrairement à ce que prétend Sandoz, l’arrêt Sanofi ne permet pas de penser, suivant l’interprétation que je fais de cet arrêt, que pour définir l’idée originale des revendications d’un brevet, il n’est permis d’aller au‑delà des revendications du brevet que lorsque celles‑ci se limitent à la simple présence d’une formule chimique ou qu’il s’agit d’un brevet de sélection. D’ailleurs, dans cet arrêt, la Cour a expressément fait observer que l’analyse qu’elle faisait de l’antériorité et de l’évidence valait « pour les brevets en général » (Sanofi, précité, au paragraphe 29).

 

[54]           Cette façon de voir est compatible avec le raisonnement suivi dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd, 2010 CAF 197 [Eli Lilly], aux paragraphes 33 et 57, dans lequel la Cour d’appel fédérale a discerné l’idée originale des revendications en consultant la section portant sur la divulgation du brevet après avoir fait l’observation suivante : « Un brevet de sélection n’est pas différent de tout autre brevet. Sa validité peut être contestée suivant les motifs prévus par la Loi ».

 

[55]           Cette façon de voir est également compatible avec la démarche suivie par ma collègue la juge Mactavish dans la décision Novo Nordisk, précitée, au paragraphe 113. Comme la présente espèce, cette affaire portait sur un brevet relatif à un médicament qui contenait des revendications portant sur une utilisation. Après avoir conclu que les présumées propriétés avantageuses du répaglinide ne faisaient pas partie des revendications parce qu’elles n’étaient mentionnées nulle part dans les revendications du brevet, la juge Mactavish a fait observer : « Cela dit, toute propriété avantageuse du répaglinide serait en fait inhérente aux composés décrits dans ces revendications et, par conséquent, devrait être prise en considération lors de l’examen des questions telles que l’antériorité et l’évidence ». La juge Mactavish a ensuite tenu compte des présumées propriétés exposées ailleurs dans le brevet pour conclure que l’idée originale des revendications pertinentes du brevet, qui ne se limitaient pas à la simple présence d’une formule chimique, reposait sur « le répaglinide et ses propriétés pharmacocinétiques surprenantes lorsqu’il est utilisé pour traiter le diabète sucré » (Novo Nordisk, précité, aux paragraphes 186 et 308).

 

[56]           Dans le cas qui nous occupe, Sandoz et le Dr Jampel affirment que l’idée originale des revendications du brevet 764 se limite à la composition elle-même qui sert à traiter le glaucome et l’hypertension oculaire. C’est essentiellement ce que le juge O’Reilly a conclu au sujet du seul autre médicament associant deux principes actifs (le COSOPT) qui avait été approuvé en vue du traitement topique du glaucome en Amérique du Nord (Merck & Co c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CF 1042, au paragraphe 38 [Merck (2010 CF 1042)]). Comme nous l’avons déjà expliqué, la position de Sandoz et du Dr Jampel sur cette question repose sur leur opinion, que je ne partage pas, que l’idée originale des revendications du brevet 764 doit être discernée à partir des revendications elles-mêmes.

 

[57]           Allergan soutient que la stabilité chimique de la composition était un aspect distinct de l’idée novatrice du brevet 764. Dans la section portant sur le contexte, au début du brevet, les inventeurs affirment qu’il existe un besoin reconnu de disposer d’une composition à base de brimonidine et de timolol ayant notamment une stabilité accrue. Cependant, comme l’a noté le Dr Jampel et l’a concédé le Dr Fechtner, aucune preuve de cette stabilité accrue n’a été divulguée dans le brevet, ni par les experts d’Allergan. Quant à la question de savoir si la stabilité chimique elle‑même fait partie de l’idée novatrice du brevet, M. Beck a admis qu’un produit pharmaceutique doit être assez stable pour ne pas se dégrader avant sa date de péremption. Par conséquent, je préfère définir cet aspect de l’idée novatrice comme une association de brimonidine (0,2 %), de timolol (0,5 %) et de BAK (0,005 %) dans une solution unique stable avec un vecteur pharmaceutiquement acceptable.

 

[58]           Je suis convaincu que l’idée originale des revendications du brevet 764 comprend également (i) le meilleur profil d’innocuité de la composition, (ii) l’administration b.i.d. sans réduction de l’efficacité en après-midi et (iii) la réduction de la quantité quotidienne d’agent de conservation administrée aux patients qui utilisent à la fois la brimonidine et le timolol. Même si Allergan soutenait que l’idée originale des revendications comprenait également [traduction] « une réduction de la PIO plus importante avec l’association qu’avec la monothérapie par les agents individuels », il s’agit là d’une assertion mal fondée qui n’a pas été reprise dans les observations écrites ou orales ultérieures d’Allergan. Par conséquent, je n’en traiterai plus.

 

[59]           En ce qui concerne le meilleur profil d’innocuité, on peut lire ceci dans la section portant sur le contexte, au début du brevet 764 : [traduction] « il est nécessaire d’accroître l’efficacité de nombreux agents ophtalmiques topiques sans augmenter la concentration de ces agents dans l’organisme entier, car il est bien connu que bon nombre des agents ophtalmiques à usage topique provoquent des effets secondaires généraux, par exemple de la somnolence, des effets sur le cœur et autres ». Il est ensuite indiqué dans le brevet que [traduction] « nous avons découvert sans nous y attendre que la brimonidine en association avec le timolol répondait à ces critères ».

 

[60]           Après avoir signalé, dans la section portant sur la divulgation du brevet, les résultats d’une étude majeure comparant le profil d’effets secondaires de la brimonidine en monothérapie, du timolol en monothérapie et de l’association médicamenteuse fixe revendiquée dans le brevet, les auteurs concluent que :

 

L’association administrée b.i.d. a un profil d’innocuité favorable qui est comparable à celui du timolol b.i.d. et supérieur à celui de la brimonidine t.i.d. sur le plan de la fréquence des événements indésirables et de l’interruption du traitement en raison d’événements indésirables.

 

[61]           Je souscris à l’opinion du Dr Fechtner selon laquelle [traduction] « la personne versée dans l’art aurait considéré que le meilleur profil d’innocuité [de l’association médicamenteuse fixe], y compris la réduction de la fréquence des événements indésirables et de l’interruption du traitement en raison d’événements indésirables, faisait partie de l’invention revendiquée dans le brevet 764 ». Autrement dit, j’accepte son point de vue selon lequel le meilleur profil d’innocuité fait partie de l’idée originale du brevet 764.

 

[62]           En ce qui concerne l’administration b.i.d. sans réduction de l’efficacité en après‑midi, le Dr Fechtner a indiqué dans son affidavit que la FDA des États‑Unis n’a approuvé que l’administration t.i.d. d’ALPHAGAN en raison de préoccupations concernant une efficacité réduite en après‑midi de la brimonidine lorsqu’elle est administrée deux fois par jour. Entre autres, l’essai clinique décrit dans le brevet 764 évaluait la réduction de la PIO par la composition à 0, 2, 7 et 9 heures. Le Dr Fechtner a expliqué que la mesure à 9 heures était importante parce que c’est à ce moment-là que les patients qui avaient reçu la brimonidine t.i.d. devaient présenter une réduction accrue de la PIO à cause de l’effet de la deuxième dose quotidienne de brimonidine (prise environ une heure avant la mesure à 9 heures). Le Dr Fechtner a ensuite souligné que :

 

[traductionMalgré cela, les inventeurs ont indiqué [dans la section du brevet 764 portant sur la divulgation] que l’association médicamenteuse fixe n’avait pas une efficacité réduite en après‑midi comparativement à ALPHAGAN t.i.d. Étonnamment, les inventeurs ont signalé que les patients qui avaient reçu l’association médicamenteuse fixe (b.i.d.) affichaient une PIO moyenne significativement plus basse sur le plan statistique à 9 heures que les patients qui recevaient ALPHAGAN (t.i.d.) depuis 6 semaines et depuis 3 mois […] Le fait que les patients qui recevaient ALPHAGAN t.i.d. n’avaient pas une PIO plus basse à 9 heures montre que les inventeurs avaient mis au point une formulation qui éliminait la réduction de la PIO en après‑midi malgré l’administration b.i.d.

 

[63]           En ce qui a trait à la réduction de la dose quotidienne d’agent de conservation administrée aux patients prenant à la fois de la brimonidine et du timolol, M. Beck a mentionné dans son affidavit que son équipe chez Allergan s’attendait à ce qu’une réduction de la concentration de BAK entraîne peut-être une baisse d’efficacité de la composition. Cependant, vu les effets secondaires du BAK, son équipe a mené des expériences pour déterminer s’il serait possible d’utiliser une quantité plus faible de BAK comme agent de conservation dans la composition. Par suite de ses travaux, l’équipe a découvert qu’une association de brimonidine et de timolol [traduction] « pouvait être protégée de la contamination microbienne par du BAK à une concentration de 0,005 % seulement, ce qui représente la moitié de la quantité de BAK utilisée par Merck dans sa formulation [COSOPT] et une réduction de 70 % par rapport à la quantité à laquelle l’œil est exposé quand les deux médicaments sont employés conjointement en monothérapie ». Encore une fois, cette découverte est décrite dans la section portant sur la divulgation du brevet 764.

 

3)   Troisième volet : les différences entre l’état de la technique et l’idée originale

[64]           Les différences entre l’état antérieur de la technique décrit aux paragraphes 41 à 45 et l’idée novatrice des revendications du brevet 764 sont les suivantes : (i) la composition associe de la brimonidine et du timolol dans une seule formulation chimiquement stable – cette association n’avait jamais été fabriquée auparavant ni n’avait été signalée dans les antériorités, (ii) la composition a un profil d’innocuité supérieur à celui de la brimonidine t.i.d., (iii) la composition permet une administration b.i.d. sans réduction de l’efficacité en après‑midi par rapport au traitement par la brimonidine t.i.d. et (iv) chez les patients traités par la composition, la quantité de BAK administrée chaque jour est réduite de façon importante par rapport au traitement concomitant par la brimonidine et le timolol.

 

[65]           En ce qui concerne l’administration b.i.d. sans réduction de l’efficacité en après‑midi, le brevet 764 indique entre autres que, dans l’essai clinique mentionné juste au‑dessus, la baisse enregistrée 9 heures après le début des tests quotidiens par rapport à la PIO diurne de référence [traduction] « était plus importante à tous les rendez‑vous de suivi dans le groupe recevant l’association que dans le groupe recevant la brimonidine, même si les différences n’étaient pas statistiquement significatives (p ≥ 0,104) ». Selon la preuve non contestée de M. Beck, [traduction] « la fréquence d’administration approuvée pour une formulation a une incidence significative sur son utilisation et son utilité à cause des malaises, de la difficulté, du caractère désagréable et du risque d’infection associé à l’instillation de gouttes oculaires ». Pour ces raisons, M. Beck a affirmé qu’une formulation approuvée pour une administration b.i.d. [traduction] « est, toutes les autres choses étant égales, de beaucoup préférable à un médicament qui doit être administré trois fois par jour ». Encore là, cette opinion n’a pas été contestée. Pour ce qui est de la composition elle‑même, elle ne nécessite que deux administrations distinctes par jour, par rapport aux cinq administrations qui demeurent nécessaires aux États‑Unis chez les patients qui reçoivent de la brimonidine (t.i.d.) et du timolol (b.i.d.) en concomitance, et aux quatre administrations distinctes requises ailleurs pour ce traitement concomitant. Pour cette raison, M. Beck a soutenu en contre‑interrogatoire que [traduction] « une association médicamenteuse administrée deux fois par jour serait considérée comme plus avantageuse, sur le plan de l’observance du traitement, que les monothérapies » administrées quatre ou cinq fois par jour. Cette opinion n’a pas été contestée non plus.

 

[66]           En ce qui concerne maintenant le profil d’innocuité supérieur de la composition, le brevet 764 indique notamment que, dans l’essai clinique dont il est question au deuxième exemple du mémoire descriptif, les événements indésirables qui ont mené à l’interruption du traitement ne sont survenus que chez 3,6 % (7/193) des patients ayant reçu la composition, contre 14,3 % (28/196) des patients qui ont reçu de la brimonidine seule. De plus, le brevet fait état d’une réduction de 50 % des événements indésirables graves avec l’association par rapport à la monothérapie par la brimonidine ou le timolol. Il est aussi mentionné que le profil d’allergies de la composition était significativement plus favorable sur le plan statistique (p ≤ 0,034) que celui de la brimonidine en monothérapie.

 

[67]           Sandoz a fait valoir que différents articles cités en référence par le Dr Jampel dans son affidavit (ci‑joints) indiquaient que l’efficacité de la composition n’était pas significativement supérieure sur le plan statistique à celle du traitement concomitant par la brimonidine et le timolol. Cependant, ces articles ont tous été publiés un certain nombre d’années après la date de priorité et ne reflétaient pas les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à cette date. Par ailleurs, ces articles n’étaient pas joints à l’avis d’allégation de Sandoz. Ces faits importants permettent de distinguer cette preuve « de l’art postérieur » des affaires sur lesquelles s’appuie Sandoz. Cette dernière n’a été en mesure de répertorier aucune affaire dans laquelle de tels articles ont été admis ou ont eu un quelconque poids dans une instance portant sur une demande aux termes du Règlement. À mon sens, ces publications sont inadmissibles, car elles ne sont pas « probantes à l’égard d’une question en litige, laquelle est, en l’occurrence, l’état de la technique à l’époque pertinente » (Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2007 CF 455, au paragraphe 339). En bref, les articles n’ont aucune pertinence au moment où je détermine les différences entre l’idée originale du brevet 764 et l’état de la technique tel que la comprenait la personne versée dans l’art à la date de priorité. J’ajouterais par ailleurs que, même si la composition est simplement aussi efficace que la brimonidine et le timolol administrés en concomitance, elle a toujours d’autres avantages établis par rapport au traitement concomitant : (i) deux gouttes par jour suffisent par rapport à cinq aux États‑Unis et à quatre ailleurs et (ii) elle élimine la réduction de la PIO en après‑midi, contrairement à la brimonidine b.i.d. en monothérapie et au traitement concomitant.

 

[68]           En outre, Sandoz soutient que, comme la prétendue invention revendiquée dans le brevet 764 existait une fois que l’association elle‑même a été fabriquée, les bienfaits découverts lors des essais cliniques ultérieurs d’Allergan ne peuvent pas faire partie de l’idée novatrice du brevet. Sandoz a ajouté que, pour que le profil d’innocuité supérieur de la composition soit reconnu, la Cour devrait conclure que l’invention n’existait pas avant que l’essai clinique ait été mené et que ses résultats aient été analysés.

 

[69]           Je ne suis pas de cet avis. La jurisprudence citée par Sandoz sur ce point appuie simplement la proposition qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’utilité d’un brevet pharmaceutique au moyen d’essais cliniques antérieurs chez l’humain (Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, au paragraphe 77; Pfizer (2009 CF 638), précité, aux paragraphes 87 et 88; conf. par 2010 CAF 242). En l’espèce, les données en question sur l’innocuité étaient divulguées dans le brevet 764 et faisaient légitimement partie de l’idée novatrice de ce brevet.

 

            4)   Quatrième volet : les différences entre l’idée originale et l’état de la technique constituent‑elles des étapes évidentes?

 

[70]           Dans l’arrêt Sanofi, précité, aux paragraphes 69 et 70, le juge Rothstein a énuméré un certain nombre de facteurs dont il faut tenir compte lorsqu’il convient de déterminer si l’invention résultait d’un « essai allant de soi ». En l’espèce, Allergan a admis qu’il y avait lieu de procéder à cette analyse parce que la composition est une invention pharmaceutique qui est le fruit de l’expérimentation (Sanofi, précité, au paragraphe 68; Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd, 2010 CAF 188, au paragraphe 42). Je suis du même avis.

 

[71]           Par conséquent, il convient de considérer les facteurs suivants énoncés par le juge Rothstein :

 

•     Est-il plus ou moins évident que l’essai serait fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

•     Quels efforts leur nature et leur ampleur sont requis? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

•     L’état antérieur de la technique fournit-il un motif de rechercher la solution?

 

•     Quelles ont été les mesures concrètes ayant mené à l’invention?

 

a)   Était-il plus ou moins évident que la composition serait efficace? Existait‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

 

[72]           Sandoz a allégué que, dans la mesure où il existait un besoin reconnu d’un produit ayant les avantages prétendus de la composition, la personne versée dans l’art aurait pertinemment su qu’une association médicamenteuse offrirait de tels avantages. Cependant, même si cette personne avait su qu’une association médicamenteuse telle que la composition offrirait des avantages particuliers, il ne s’agit pas là d’une base suffisante pour conclure qu’il était plus ou moins évident que la composition serait efficace ou qu’il existait des solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art pour obtenir la composition. C’est une chose que de croire qu’un éventuel produit aurait ou pourrait avoir certaines propriétés avantageuses, mais c’en est une autre que de réussir à créer ce produit. Et c’est sur ce dernier point que doit reposer l’évaluation (Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8, au paragraphe 29 [Pfizer (2009 CAF 8)]).

 

[73]           Une réponse similaire s’impose en ce qui concerne l’allégation de Sandoz selon laquelle une association fixe d’un agoniste alpha-2 (classe de médicaments dont fait partie la brimonidine) et d’un bêta-bloquant, comme le timolol, avait été décrite dans le brevet DeSantis. Je souscris à l’opinion du Dr Fechtner voulant que la personne versée dans l’art n’aurait pas interprété le brevet DeSantis comme divulguant une association de brimonidine et de timolol. Même si ce brevet indiquait que [traduction] « les agonistes alpha-2 qui peuvent être employés dans les compositions de la présente invention comprennent tous les composés pharmaceutiquement acceptables qui ont une activité agoniste sur les récepteurs alpha-2 et qui réduisent efficacement la pression intraoculaire », j’accepte le point de vue du Dr Fechtner selon lequel la classe de composés décrite est [traduction] « illimitée, indéfinie et inconnaissable ». Comme l’a également souligné le Dr Fechtner, le brevet DeSantis ne renferme aucune donnée expérimentale de quelque type que ce soit pour aider la personne versée dans l’art à comprendre ce qu’englobaient ces termes généraux. Je constate que le Dr Jampel a reconnu ceci en contre‑interrogatoire : (i) [traduction] « il existe un nombre presque incalculable de façons de produire l’association d’un agoniste alpha-2 et d’un bêta-bloquant décrite dans ce brevet »; (ii) le brevet DeSantis ne fournit aucune donnée sur l’efficacité, les effets secondaires ni la stabilité.

 

[74]           Sandoz a souligné que le brevet 764 reconnaissait que la brimonidine et le timolol avaient déjà été administrés en concomitance. Sandoz a soutenu que cette déclaration liait le breveté sur ce qui constituait l’état de la technique et a fait valoir qu’Allergan ne pouvait pas arguer qu’il y ait quoi que ce soit d’original à utiliser la brimonidine et le timolol ensemble pour traiter le glaucome et l’hypertension oculaire. Sandoz a plutôt affirmé que l’invention (qui, selon elle, n’a pas été réalisée par Allergan) se limite à la fabrication d’une association médicamenteuse fixe contenant de la brimonidine et du timolol dans [traduction] « la même bouteille ».

 

[75]           Je ne crois pas qu’Allergan ait jugé d’une quelconque originalité l’utilisation combinée de la brimonidine et du timolol pour traiter le glaucome ou l’hypertension oculaire. Par conséquent, l’évaluation qui suit portera sur la question de savoir si les différences entre l’idée originale et l’état de la technique dont il a été question au troisième volet de la présente analyse étaient évidentes. Dans le contexte précis de l’analyse visant à déterminer si l’invention découle d’un « essai allant de soi », l’accent sera mis sur la question de savoir s’il était plus ou moins évident que la composition serait non seulement efficace, mais présenterait également ces différences, et si les solutions utilisées pour obtenir la composition étaient prévisibles et connues des personnes versées dans l’art.

 

[76]           Dans ce contexte, une série d’articles annexés aux onglets H, I, K et AA de l’affidavit du Dr Jampel ne sont d’aucune aide pour Sandoz parce que, comme l’a admis le Dr Jampel en contre‑interrogatoire, ces articles (i) ne font pas mention d’essais sur l’association brimonidine‑timolol, (ii) n’indiquent pas les concentrations possibles de BAK qui pourraient être employées dans une association médicamenteuse et (iii) ne traitent ni des allergies ni des autres types d’effets secondaires locaux qui pourraient entraîner l’interruption du traitement. En effet, les trois premiers essais se limitaient à l’administration d’une seule goutte, pendant deux jours et pendant trois semaines, respectivement, ce qui était trop court pour évaluer les allergies et d’autres effets indésirables qui prennent souvent beaucoup plus de temps à se manifester. Comme l’a noté M. Beck dans son affidavit, [traduction] « les allergies ne se manifestent généralement pas après un court essai de seulement quelques semaines ou moins ». Cette affirmation n’a pas été contredite.

 

[77]           Une cinquième étude, annexée à l’onglet Z de l’affidavit du Dr Jampel, n’était pas utile elle non plus. Même si elle traitait de l’innocuité, elle n’évaluait que les signes vitaux et les événements indésirables signalés spontanément. Le Dr Jampel n’a pas laissé entendre que cette étude avait fourni des données utiles au sujet de l’innocuité, et l’opinion du Dr Fechtner selon laquelle cet article ne divulguait aucune donnée utile sur l’innocuité n’a pas été contestée.

 

[78]           Sandoz soutient que l’essai clinique dont il est question dans le brevet 764 comparait la composition à la brimonidine t.i.d. et au timolol b.i.d. administrés en monothérapie plutôt que de la comparer à ces principes actifs administrés en concomitance. À ce sujet, elle a souligné que la preuve non contredite était la suivante : (i) l’administration concomitante de deux médicaments antiglaucomateux était pratique courante à la date de priorité et (ii) la brimonidine et le timolol figuraient parmi les médicaments administrés en concomitance à cette date. Allergan a répondu qu’elle n’avait aucune obligation d’élargir ses essais cliniques pour y inclure une comparaison avec l’administration concomitante de ces principes actifs. Autrement dit, même si Allergan reconnaissait avoir le fardeau de démontrer le caractère original de la composition par rapport à l’état de la technique à la date de priorité, elle soutenait n’avoir aucune obligation de créer des données sur le traitement concomitant aux fins de démontrer l’originalité de la composition. Allergan a aussi fait valoir que, selon le témoignage non contredit du Dr Fechtner, l’état de la technique semblait indiquer que le profil d’effets secondaires de la seule autre association médicamenteuse fixe qui avait été approuvée par la FDA des États‑Unis avant la date de priorité (COSOPT) était inférieur (i) au profil d’effets secondaires des deux principes actifs (dorzolamide et timolol) administrés en concomitance sur le plan de la douleur et du malaise au niveau des paupières (abordés dans l’étude de Strohmaier) et (ii) au profil d’effets secondaires du timolol administré en monothérapie (abordé dans l’étude de Clineschmidt).

 

[79]           En ce qui concerne les faits particuliers en l’espèce, je suis d’accord avec la thèse d’Allergan à ce sujet. Sandoz a été incapable de recenser des décisions étayant sa position. À mon sens, en l’absence d’antériorité démontrant que le profil d’innocuité du traitement concomitant était comparable à celui de la composition décrite dans le brevet 764, il convient tout à fait de reconnaître le profil d’innocuité supérieur comme l’une des différences qui distinguent la composition de ce qui existait antérieurement.

 

[80]           Sandoz a mis en avant un argument similaire en ce qui concerne l’absence de comparaison par Allergan de la composition et de la brimonidine b.i.d. À ce sujet, Sandoz a fait valoir que la brimonidine est approuvée à raison de deux fois par jour au Canada et dans des pays autres que les États‑Unis. Selon moi, cet argument ne tient pas compte du fait important qu’une partie de l’idée novatrice de la composition est qu’elle élimine la réduction en après‑midi de l’efficacité de la brimonidine b.i.d. Comme il a été indiqué au paragraphe 62 des présents motifs, selon le Dr Fechtner, dont le témoignage sur ce point n’a pas été contesté, il s’agit d’une préoccupation importante pour la FDA des États‑Unis. En éliminant cette réduction en après‑midi de l’efficacité de la brimonidine b.i.d., la composition est devenue innovatrice, et cela même si le principal avantage commercial de cette innovation a vu le jour aux États‑Unis. En bref, cette découverte, associée à la découverte d’un moyen de combiner la brimonidine et le timolol dans une formule chimiquement stable et à la découverte d’effets surprenants sur le plan de l’innocuité, (i) « a augmenté le bagage de connaissances au sujet de » ces principes actifs et (ii) a fourni une méthode par laquelle ces découvertes peuvent réduire l’incidence de la cécité dans la population grâce à une application pratique (Shell Oil Co c Canada (Commissaire des brevets), [1982] 2 RCS 536, à la page 549; Calgon Carbon Corp c North Bay (Ville), 2005 CAF 410, aux paragraphes 11 à 13).

 

[81]           Sandoz a été incapable de recenser des décisions appuyant sa position, que je n’accepte pas, qu’une innovation ne peut pas être reconnue lors de l’évaluation de l’évidence à moins qu’elle n’ait une utilité au Canada. Sandoz n’a pas non plus étayé sa conclusion que l’innovation n’avait pas d’utilité au Canada, où les médecins qui s’inquiètent de la réduction en après‑midi de l’efficacité de la brimonidine b.i.d. ont maintenant le choix de prescrire COMBIGAN.

 

[82]           Sandoz prétend que la composition était évidente à la lumière de l’état antérieur de la technique parce que (i) la concentration du timolol (0,5 %) et celle de la brimonidine (0,2 %) étaient les mêmes que celles des principes actifs inclus dans d’autres médicaments vendus à l’époque, (ii) la concentration de BAK (0,005 %) était la même que dans le produit ALPHAGAN d’Allergan, qui a été mis sur le marché avant la date de priorité et (iii) les excipients de la composition sont les mêmes que ceux du produit TIMOPTIC de Merck, qui a lui aussi été mis en marché avant la date de priorité. À cet égard, Sandoz a fait remarquer que le Dr Fechtner avait admis en contre‑interrogatoire que la concentration de timolol la plus prescrite aux États‑Unis à la date de priorité était de 0,5 %. Sandoz a soutenu que le brevet 764 ne mentionne nullement qu’un problème s’était posé lors de la formulation de l’association brimonidine‑timolol. Elle a ajouté que [traduction] « le formulateur versé dans l’art pourrait facilement fabriquer une telle association ». Toutefois, Sandoz n’a pas expliqué pourquoi personne ne l’avait jamais fait auparavant (Beloit Canada Ltd c Valmet Oy (1986), 8 CPR (3d) 289, à la page 295; Janssen‑Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 217, au paragraphe 24 [Janssen-Ortho]).

 

[83]           Sandoz a soutenu que M. Beck avait admis en contre‑interrogatoire que la fabrication de l’association médicamenteuse ne présentait aucun problème. Selon moi, il s’agit là d’une interprétation sérieusement inadéquate du témoignage de M. Beck. Dans les passages de son contre‑interrogatoire auxquels Sandoz fait référence, la réponse de M. Beck portait sur la question de savoir ce qu’il considérait comme [traduction] « la combinaison physique des diverses substances actives et inactives ». Il a établi une distinction claire entre [traduction] « la simple préparation de la formule en solution non aqueuse », qui ne posait pas de difficulté selon lui, et les obstacles qu’ont dû surmonter son équipe et lui‑même [traduction] « sur le plan chimique ». Ces obstacles sont décrits aux paragraphes 96 à 103 ci‑après.

 

[84]           Je suis d’accord avec l’affirmation du Dr Fechtner selon laquelle le profil d’innocuité supérieur de la composition est remarquable et n’aurait pas pu être prédit avant la création de la composition et la tenue des expériences menées pour évaluer les résultats. Je constate que, en contre‑interrogatoire, le Dr Jampel a été incapable de faire état d’une quelconque antériorité démontrant que l’administration concomitante de brimonidine et de timolol b.i.d. réduisait les effets secondaires. De plus, il a fini par admettre que la réduction des effets secondaires divulguée dans le brevet 764 était inattendue. Le caractère inattendu du profil d’innocuité supérieur de la composition est corroboré plus avant par le commentaire de M. Beck selon lequel ses collègues et lui‑même n’avaient pas prédit que la composition aurait un profil d’allergies plus favorable et jugeaient surprenants les résultats de l’essai clinique à cet égard.

 

[85]           Je souscris également aux propos du Dr Fechtner lorsqu’il affirme que la personne versée dans l’art aurait su (i) qu’il était possible de rencontrer des problèmes lorsqu’on mélange la brimonidine et le timolol afin d’obtenir une association médicamenteuse fixe et (ii) que [traduction] « les différences sur le plan pharmacocinétique, le caractère additif des effets indésirables de plusieurs médicaments et les possibles interactions médicamenteuses étaient des problèmes difficiles à surmonter lors de la mise au point d’une association médicamenteuse fixe ». Les diverses difficultés imprévues qu’ont rencontrées M. Beck et son équipe sont décrites aux paragraphes 96 à 103 des présents motifs. Le temps et les efforts considérables consacrés par M. Beck et son équipe à la résolution de ces problèmes ajoutent foi aux propos du Dr Fechtner selon lesquels il n’allait pas de soi ni n’était évident pour la personne versée dans l’art qu’une composition chimiquement stable pouvait être obtenue. La conclusion du Dr Fechtner sur ce point est également étayée par le commentaire de M. Beck, que j’estime crédible, selon lequel chaque fois que son équipe et lui‑même commençaient à mettre au point une nouvelle formulation, ils croyaient l’échec possible à n’importe quelle étape du processus.

 

[86]           De plus, les effets indésirables graves du BAK, qui étaient connus, ajoutent foi à l’opinion du Dr Fechtner, avec laquelle je suis d’accord, que la personne versée dans l’art n’aurait pas choisi au départ le BAK comme agent de conservation de la composition.

 

[87]           En réponse à tout ce qui précède, Sandoz a fait valoir que la personne versée dans l’art aurait commencé les tests avec une formulation s’inspirant de TIMOPTIC, notamment du timolol à une concentration de 0,5 % et du BAK comme agent de conservation. Au sujet de ce dernier composant, M. Mitra a affirmé que le BAK est l’agent de conservation utilisé dans la majorité des produits ophtalmiques, y compris ceux qui abaissent la PIO. Il a aussi déclaré que la personne versée dans l’art n’aurait eu aucune raison d’essayer de remplacer le BAK, qui est l’agent de conservation de TIMOPTIC et d’ALPHAGAN, par un autre agent de conservation. Soit dit en tout respect, ces arguments ne tiennent pas compte du fait que le BAK avait des effets cytotoxiques indésirables connus et qu’Allergan l’avait remplacé par Purite dans ALPHAGAN P, son ALPHAGAN de deuxième génération. Pour ces motifs, le Dr Jampel a convenu que, si la personne versée dans l’art avait utilisé ALPHAGAN P comme point de départ, elle aurait abouti à une formulation contenant Purite, plutôt que du BAK. Le Dr Jampel a également admis que, en mars 2001, la personne versée dans l’art aurait su (i) que Purite était l’agent de conservation d’ALPHAGAN P, (ii) que Purite avait un [traduction] « profil d’effets indésirables plus favorables que le BAK » et (iii) qu’ALPHAGAN P contenait 0,15 % de brimonidine, et non pas 0,2 % comme ALPHAGAN.

 

[88]           M. Mitra a aussi fait valoir que le mode d’action de Purite aurait porté à croire qu’il s’agissait d’un agent de conservation inadéquat dans une formulation contenant du timolol. Il a ajouté que la personne versée dans l’art se serait rendu compte que Purite pouvait oxyder la molécule de soufre du timolol. J’accorde peu de valeur à cette affirmation parce que, (i) comme il est indiqué au paragraphe 32, la crédibilité de M. Mitra comme témoin a été sérieusement mise en doute, (ii) je suis d’accord avec l’argument du Dr Fechtner selon lequel l’état antérieur de la technique (nommément ALPHAGAN P) aurait incité les formulateurs à ne pas utiliser le BAK en raison de ses effets indésirables connus et du fait qu’Allergan avait réussi à le remplacer par Purite dans ALPHAGAN P et (iii) j’ai de la difficulté à admettre qu’Allergan aurait consacré temps et argent à tenter de formuler une solution contenant Purite s’il était évident que ce dernier serait incompatible avec le timolol. Cette dernière observation s’applique aussi au temps et aux efforts qu’a consacrés Allergan (i) à formuler un produit contenant d’autres principes actifs, dont Brimo X et Synergel, et (ii) à déterminer la concentration adéquate de BAK à utiliser dans la composition.

 

[89]           M. Mitra a soutenu que la personne versée dans l’art aurait su qu’une association fixe de timolol et de brimonidine pouvait être formulée avec du BAK à une concentration de 0,005 % parce que la brimonidine pouvait avoir une certaine activité antibactérienne, de sorte que la concentration de 0,01 % de BAK utilisée avec le timolol seul pouvait être réduite de 50 %. Néanmoins, en contre‑interrogatoire, il est devenu évident qu’il ne faisait que spéculer sur ce point, car il a déclaré que la brimonidine, [traduction] « étant un principe actif, avait peut-être une activité antibactérienne de telle sorte qu’on n’a pas besoin de ,02 […] ,01; la moitié suffit ». [Non souligné dans l’original.] Il a par la suite reconnu ne pas avoir étudié la question.

 

[90]           Sandoz a également allégué que la personne versée dans l’art n’aurait pas envisagé l’utilisation de Purite parce que cette substance est brevetée par Allergan. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du fait que la personne versée dans l’art est une personne hypothétique qui est capable de prendre en considération tout l’état antérieur de la technique, y compris l’art pouvant être protégé par un brevet (voir par exemple Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CF 320, au paragraphe 50, et Roger T. Hughes, Hughes and Woodley on Patents, 2e éd., feuilles mobiles (Markham, Ont., Lexis Nexis Butterworths, 2005), ch 5 à 166.4).

 

[91]           En résumé, à la lumière de ce qui précède, j’estime (i) qu’il n’aurait pas été plus ou moins évident pour la personne versée dans l’art dépourvue d’esprit inventif que la formulation de la brimonidine et du timolol en une association médicamenteuse fixe chimiquement stable aurait été fructueuse et (ii) qu’il n’existait pas un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art.

 

b)   Quels efforts — leur nature et leur ampleur — ont été requis? Les essais étaient‑ils courants ou l’expérimentation a‑t‑elle été longue et ardue de telle sorte que les essais ne pouvaient être qualifiés de courants?

 

[92]           Comme je l’ai déjà mentionné, Sandoz prétend que le formulateur versé dans l’art aurait facilement pu fabriquer la composition.

 

[93]           Par ailleurs, Sandoz a affirmé que le temps et les efforts consacrés par M. Beck et son équipe à la mise au point de la composition étaient « courants ». À ce sujet, Sandoz a allégué (i) que les critères d’inclusion et les critères d’exclusion de l’essai clinique dont il est question dans le brevet 764 étaient typiques de ceux utilisés dans les essais cliniques de médicaments qui abaissent la PIO, (ii) que les critères d’évaluation étaient typiques, (iii) que les critères d’innocuité seraient inclus dans la plupart des essais cliniques de médicaments visant à traiter le glaucome et l’hypertension oculaire, et peut-être même dans tous ces essais, (iv) que la méthodologie était typique d’un essai clinique de médicament ophtalmique avant la date de priorité, (v) que le plan d’étude était typique et (vi) que le type de données recueillies était typique. Sandoz a soutenu qu’il n’y a [traduction] « rien d’inventif à faire ce qui est courant, même si les résultats sont inattendus ».

 

[94]           Je suis en désaccord avec l’opinion de Sandoz selon laquelle (i) un formulateur versé dans l’art aurait pu facilement fabriquer la composition et (ii) le temps et les efforts consacrés par M. Beck et son équipe à la mise au point de la composition étaient « courants ».

 

[95]           J’estime que M. Beck a décrit de façon directe et crédible un nombre important de difficultés que son équipe et lui‑même ont dû surmonter lors de la mise au point de la composition. D’après cette preuve, et la preuve à l’appui fournie par le Dr Fechtner dont il a été question dans la section précédente, je suis convaincu que le formulateur versé dans l’art n’aurait pas pu fabriquer facilement la composition et que les efforts consacrés par le Dr Beck et son équipe à la mise au point de la composition n’étaient pas « courants ».

 

[96]           M. Beck a expliqué que, au début du projet de mise au point, son équipe avait envisagé d’utiliser des bêta-bloquants en plus du timolol ou autres que le timolol. Ils avaient aussi envisagé d’utiliser différentes formes salines du bêta‑bloquant ainsi qu’une formulation sans agoniste alpha-2 (comme la brimonidine). À cette étape, M. Beck a affirmé qu’il ne savait pas s’il était même possible de formuler une association médicamenteuse contenant 0,5 % de timolol. Même s’il reconnaissait qu’une solution à 0,5 % de timolol était en vente depuis nombre d’années, il a expliqué qu’il ne pouvait savoir d’avance s’il arriverait à fabriquer une formulation sûre, stable et efficace avec cette concentration en association avec un autre principe actif. J’accepte sa déclaration que [traduction] « même si le timolol était commercialisé [avant la date de priorité] à une concentration de 0,5 %, cela n’avait aucune incidence sur ce que je pouvais faire à titre de formulateur essayant de formuler un nouveau produit ».

 

[97]           Après avoir d’abord envisagé plusieurs formulations possibles, M. Beck et son équipe ont commencé leurs travaux avec une formulation de « Brimo X » (ALPHAGAN P) contenant Purite et peut-être de la carboxyméthylcellulose (CMC). Lorsqu’ils se sont vus incapables de poursuivre leurs travaux avec cette formulation, ils sont passés à une autre formulation qu’ils ont appelée Synergel. L’un des avantages qu’ils espéraient obtenir avec Synergel était la libération prolongée du médicament, considérée comme un objectif optimal. Ce n’est qu’après avoir abandonné Synergel qu’ils ont opté pour une formulation renfermant du timolol.

 

[98]           M. Beck et son équipe ont amorcé leurs travaux sur le timolol en utilisant Purite comme agent de conservation plutôt que le BAK, connu pour ses effets cytotoxiques sur les membranes cellulaires. En raison de ces effets secondaires cytotoxiques, Allergan a mis au point et commercialisé ALPHAGAN P, avec Purite, qui a été approuvé par la FDA des États‑Unis en 2001. Cela étant édit, M. Beck et son équipe ont admis qu’il était beaucoup plus difficile de maintenir la stabilité de Purite dans les formulations. Au cours des premières études de stabilité avec le timolol, ils ont aussi envisagé l’utilisation d’autres formes salines, notamment la base libre et une forme heptahydratée du sel.

 

[99]           Environ deux mois après le début des travaux avec une formulation contenant Purite et du timolol, il est devenu clair que le timolol dans la formulation se dégradait plus vite que ce à quoi l’équipe s’était attendue (à cause de son interaction avec Purite) et que les exigences d’efficacité d’au moins 24 mois de l’agent de conservation ne pourraient être satisfaites. Par conséquent, l’équipe est passée à une formulation contenant du BAK, avec un tampon phosphate similaire à celui utilisé dans le produit TIMOPTIC de Merck.

 

[100]       Lors de ses tentatives de formuler un produit contenant du BAK, l’équipe a mené des études de titrage avec des concentrations de BAK allant de 0,01 % à 0,002 %. Même si le BAK était utilisé à une concentration de 0,005 % dans ALPHAGAN, l’équipe ne savait pas quelle concentration minimale serait sûre et efficace dans la composition. Après s’être rendu compte que la formulation satisfaisait aux exigences d’efficacité de l’agent de conservation avec une concentration de BAK de 0,002 %, l’équipe a mis en balance son objectif d’avoir une marge de sécurité et son objectif de réduire au minimum la concentration de BAK dans sa formulation et a finalement opté pour une concentration de 0,005 % pour la composition.

 

[101]       Cependant, deux mois après le début des études de stabilité de cette formulation, l’équipe s’est encore une fois aperçue qu’il y avait dégradation. M. Beck a affirmé que cette dégradation était nouvelle et totalement inattendue et que l’équipe ne savait pas si elle aurait un effet toxique ou serait dangereuse pour l’humain. La dégradation s’est finalement avérée sans danger. Cependant, il s’agit là d’un autre « obstacle » inattendu survenu pendant l’essai qui a fait en sorte qu’Allergan a dû consacrer encore plus de temps et d’argent à la formulation de la composition.

 

[102]       Par ailleurs, M. Beck a expliqué que la brimonidine et le timolol ont un pH optimal très différent : ALPHAGAN (brimonidine) a une stabilité maximale à un pH d’environ 6,3 et le timolol, à un pH d’environ 6,9. Selon son témoignage non contesté, que j’admets, son équipe et lui‑même ne pouvaient pas savoir d’avance si ces deux principes actifs seraient stables ou non à un quelconque pH.

 

[103]       En résumé, avant d’en arriver à la composition finale, M. Beck et son équipe :

 

i.         ont envisagé l’utilisation d’autres principes actifs;

 

ii.       ont subi des échecs avec leurs formulations de Brimo X et de Synergel;

 

iii.      ont subi un échec avec l’agent de conservation qu’ils jugeaient supérieur au BAK et qu’ils avaient utilisé dans ALPHAGAN P (produit approuvé par la FDA des États‑Unis peu avant la date de priorité);

iv.     ont constaté une dégradation nouvelle lorsque la brimonidine et le timolol étaient combinés au BAK.

 

[104]       D’après ce qui précède, j’estime que M. Beck et son équipe (i) ont effectué beaucoup de travail difficile et non courant et ont surmonté plusieurs obstacles imprévus pour mettre au point la composition et (ii) n’ont pas consacré beaucoup de temps et d’efforts à travailler à de possibles formulations qui n’auraient pas été envisagées par la personne versée dans l’art.

 

[105]       Pour étayer sa position que le temps et les efforts consacrés par M. Beck et son équipe à la mise au point la composition étaient « courants », Sandoz s’est appuyée sur la décision Novo Nordisk, précitée, aux paragraphes 308 à 319. J’estime toutefois que les deux causes se distinguent l’une de l’autre. Dans Novo Nordisk, l’idée originale reposait sur le répaglinide et ses [traduction] « propriétés pharmacocinétiques surprenantes » lorsqu’il est utilisé pour traiter le diabète sucré. Dans cette affaire, il existait notamment des éléments démontrant qu’il « était plus ou moins évident que les propriétés pharmacocinétiques du répaglinide pouvaient être fort différentes de celles de [l’autre énantiomère du composé racémique] ». De plus, la juge Mactavish a estimé que « d’après leur ampleur, leur nature et leur intensité, les travaux requis pour produire du répaglinide n’avaient été ni très longs ni fastidieux et que les méthodes et procédés utilisés pour évaluer les propriétés pharmacocinétiques de ce composé étaient couramment employés ». De plus, « les deux parties ont convenu qu’il existait à l’époque une vive concurrence dans le domaine des antidiabétiques et une forte demande de médicaments antidiabétiques améliorés ne présentant pas certains inconvénients des traitements classiques aux SFU ». Par ailleurs, il a été noté que « le mouvement vers l’adoption imminente d’exigences réglementaires de plus en plus rigoureuses ajoutait une motivation supplémentaire à la séparation et à la mise sous essais des énantiomères ». La juge Mactavish a souligné que, durant la période pertinente, « la motivation poussant à trouver un meilleur antidiabétique était intense, compte tenu de la vive concurrence qui régnait dans le domaine ». Elle a conclu en disant qu’il « allait de soi que la personne versée dans l’art effectuerait des essais sur les propriétés pharmacocinétiques des énantiomères » et (ii) qu’il existait un élément de preuve établissant que « les essais relatifs aux propriétés pharmacocinétiques des énantiomères faisaient couramment partie de la pratique pharmaceutique à la date pertinente et qu’ils n’étaient pas une étape inventive issue de l’équipe de développement de médicaments [de la demanderesse] ». (Novo Nordisk, précité, aux paragraphes 308 à 322).

 

[106]       Par contre, en l’espèce, j’estime qu’il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art que la formulation de la brimonidine et du timolol en une association médicamenteuse fixe chimiquement stable aurait été fructueuse. Même si l’état antérieur de la technique avait très bien pu laisser croire à la personne versée dans l’art qu’un tel médicament « valait la peine » d’être exploré, il n’y a pas là motif suffisant pour conclure que la composition était évidente (Pfizer (2009 CAF 8), précité, au paragraphe 45). De plus, rien ne permet de conclure non plus que la personne versée dans l’art aurait eu quelque motif que ce soit de croire que la composition (i) aurait un profil d’innocuité supérieur à celui de la brimonidine t.i.d. ou (ii) qu’elle pourrait être administrée deux fois par jour sans réduction de l’efficacité en après‑midi par rapport au traitement par la brimonidine t.i.d. Ces découvertes n’ont été faites qu’après la conclusion d’un vaste essai clinique mené auprès de 586 sujets, qui a débuté comme une étude de trois mois et a été élargi de façon à comprendre une étape d’extension en insu de neuf mois. Le Dr Fechtner a dit des données recueillies pendant cet essai qu’elles étaient [traduction] « de grande valeur pour un essai clinique ». De plus, rien en l’espèce ne laissait croire à l’existence d’une concurrence, encore moins vive, pour la mise au point d’une association médicamenteuse fixe comprenant de la brimonidine et du timolol. Rien n’indique non plus que le type d’essai mené par M. Beck et son équipe pour mettre au point la composition était devenu pratique courante dans l’industrie à la date de priorité. De plus, comme il en sera question plus loin, j’ai déterminé que l’état antérieur de la technique ne fournissait aucun motif puissant de mettre au point une solution telle que la composition. Enfin, je suis convaincu que les efforts — leur nature et leur ampleur — requis par M. Beck et son équipe pour mettre au point la composition, décrits précédemment, ont été longs et ardus. Je constate qu’une conclusion similaire a été tirée dans la cause entendue aux États‑Unis entre les parties au sujet de COMBIGAN (Allergan, Inc c Sandoz, 2:09-cv-00097 TJW, au paragraphe 122 (ED Tex 2011)), bien que je reconnaisse qu’il existe des différences majeures dans (i) le droit applicable dans ce domaine au Canada et aux États‑Unis et (ii) les dossiers de la preuve dans cette affaire et dans l’affaire dont je suis saisi.

 

[107]       À l’appui de sa thèse suivant laquelle les essais effectués par M. Beck et son équipe n’étaient que des essais courants, Sandoz a fait observer que M. Beck avait reconnu lors de son contre-interrogatoire que les coûts engendrés par la mise au point d’une nouvelle entité chimique pouvaient dépasser 100 millions de dollars. Sandoz a affirmé que les 26,4 millions de dollars que M. Beck affirmait que Allergan avait dépensés pour mettre au point la composition étaient une somme peu élevée en comparaison, laissant entendre que les travaux requis pour mettre au point la composition n’avaient été ni longs ni ardus.

 

[108]       Je ne suis pas de cet avis. Dans le contexte de l’analyse de l’évidence et du cadre factuel particulier de la présente affaire, le fait qu’il peut en coûter plus de 100 millions de dollars pour mettre au point une entité chimique entièrement nouvelle ne constitue pas un renseignement très utile pour déterminer si les 26,4 millions de dollars qu’Allergan a dépensés pour mettre au point la composition permettent de penser qu’il s’agissait de travaux courants, par opposition à des travaux longs et ardus. Sandoz a été incapable de recenser des décisions étayant la proposition selon laquelle un montant d’environ 26,4 millions de dollars tend à indiquer qu’on est en présence de travaux courants.

 

[109]       Une des lacunes fondamentales que comporte ce chiffre repère de 100 millions de dollars est le fait qu’il n’offre aucun moyen concret de déterminer ce qu’on pourrait considérer comme des travaux suffisamment courants pour pouvoir conclure que l’invention de la composition résultait d’un essai qui allait de soi. Ce chiffre donne simplement une idée de ce dont on aurait habituellement besoin pour inventer une entité chimique entièrement nouvelle. Qui plus est, à défaut de renseignements supplémentaires, l’utilité d’une somme d’argent repère déterminée risque souvent d’être limitée. Par exemple, des dépenses dont l’ampleur peut indiquer qu’on a affaire à des travaux courants chez des chercheurs hautement motivés pourraient tout aussi bien indiquer que ces mêmes travaux ne sont pas courants chez d’autres chercheurs qui n’ont pas le même degré de motivation.

 

[110]       En réponse à ma demande de jurisprudence plus utile pour distinguer entre des efforts courants et des efforts longs et ardus au sens de l’arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 69, Sandoz a cité Schering-Plough Canada Inc c Pharmascience Inc, 2009 CF 1128 [Schering-Plough]. Dans cette décision, ma collègue la juge Snider a conclu que les mesures prises par la demanderesse pour mettre au point un nouveau médicament n’avaient pas été « très ardues ou complexes » mais qu’elles semblaient plutôt avoir consisté en des « expériences de préformulation courantes ». La juge a par conséquent conclu que « ce facteur ferait plutôt pencher la balance en faveur de l’évidence, mais pas fortement » [Non souligné dans l’original.] (Schering-Plough, précité, au paragraphe 209).

 

[111]       Dans cette affaire, l’idée originale du brevet en question consistait à éviter le lactose et d’autres excipients acides comme véhicule et à utiliser un sel basique pour stabiliser la composition (Schering-Plough, précité, au paragraphe 200). Dans sa conclusion concernant la nature courante de l’expérimentation menée par les demanderesses, la juge Snider dit que l’étape de détermination de l’incompatibilité entre le principe actif (descarboéthoxyloratadine (DCL)) et le lactose « allait de soi » (au paragraphe 204). En ce qui concerne l’utilisation d’un sel basique, elle était sceptique quant à la position des défenderesses que le résultat pouvait « aller de soi » (au paragraphe 206), mais elle a ensuite tiré sa conclusion concernant la nature courante de l’expérimentation en question, après avoir pris en considération certains éléments de preuve (au paragraphe 208). Entre autres, la preuve ne renfermait rien d’analogue (i) aux échecs obtenus par M. Beck et son équipe avec leurs formulations de Brimo X et de Synergel ni (ii) à leur échec avec Purite. Par conséquent, j’estime qu’on peut établir une distinction entre Schering-Plough et la présente affaire. Aucun élément de preuve ne laissait croire non plus qu’un essai avait été mené auprès de plus de 500 sujets, sans compter les deux autres essais que M. Beck a indiqué avoir menés.

 

[112]       Au cours de son argumentation concernant la prétendue nature « courante » des travaux entrepris par M. Beck et son équipe, Sandoz a suggéré que je tire une conclusion défavorable du fait qu’Allergan a omis de présenter davantage d’éléments de preuve concernant les étapes suivies pour la mise au point de la composition. À cet égard, Sandoz a fait valoir qu’Allergan aurait dû déposer les cahiers de laboratoire, les rapports et les présentations produites concernant le problème de dégradation de Purite, les documents traitant des tests de stabilité accélérés qui ont été menés ainsi que d’autres documents concernant les essais effectués. Sandoz a avancé que ces documents avaient été [traduction] « cachés » à la Cour.

 

[113]       Je comprends jusqu’à un certain point la thèse que défend Sandoz sur ce point. Néanmoins, si Sandoz croyait véritablement qu’on pouvait trouver dans les documents en question des éléments qui lui auraient permis d’appuyer son allégation d’évidence, elle aurait dû se prévaloir de la possibilité qui lui était ainsi offerte de faire signifier à M. Beck, conformément à l’article 91 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, une assignation à comparaître l’obligeant également à produire les documents en question pour examen. Elle aurait pu également simplement demander à l’avocat d’Allergan de lui soumettre les documents en question. Comme Sandoz n’a rien fait de tout cela, je refuse de tirer la conclusion défavorable qu’elle réclame.

 

c)    L’état antérieur de la technique fournissait-il un motif de combiner la brimonidine et le timolol pour obtenir une association fixe?

 

[114]       Sandoz soutient que l’état antérieur de la technique fournissait un motif de mettre au point la composition, car on savait que l’observance du traitement par le patient serait probablement meilleure s’il fallait administrer moins de gouttes par jour dans l’œil et que la quantité quotidienne d’agent de conservation délivrée au patient serait moindre avec une association médicamenteuse fixe. Cependant, la remarque figurant dans l’affidavit du Dr Jampel selon laquelle il ne se rappelait pas avoir jamais entendu dire qu’il [traduction] « existait depuis longtemps un besoin de disposer d’une composition pharmaceutique ophtalmique sûre et efficace contenant de la brimonidine et du timolol » comme celle décrite dans le brevet 764 vient porter atteinte à la position de Sandoz. En contre‑interrogatoire, le Dr Jampel a pour ainsi dire nié la position de Sandoz sur ce point lorsqu’il a affirmé ne pas être au courant d’un quelconque motif parmi les personnes versées dans l’art de combiner la brimonidine et le timolol, bien qu’il ait spéculé que les entreprises pharmaceutiques pouvaient avoir un tel motif.

 

[115]       La preuve non contestée du Dr Fechtner sur ce point, que j’admets, est la suivante :

 

(i)      la difficulté connue de faire approuver par la FDA des États‑Unis une association médicamenteuse fixe utilisée dans le traitement du glaucome dissuadait fortement la personne versée dans l’art de mettre au point un tel médicament, et la personne versée dans l’art n’aurait pas eu de motif de mettre au point une association médicamenteuse fixe contenant du timolol et la brimonidine;

(ii)    le temps, les efforts et les ressources requis pour mener les essais cliniques décrits dans l’affidavit de M. Beck auraient eu comme effet de dissuader la personne versée dans l’art de procéder à la mise au point de la composition;

(iii)    le coût des travaux requis pour mettre au point un tel médicament aurait dissuadé encore davantage la personne versée dans l’art de mener ces travaux.

 

[116]       Une autre observation du Dr Fechtner qui est pertinente à ce sujet est que la personne versée dans l’art aurait su que la combinaison de deux médicaments en une association fixe pouvait entraîner une suradministration ou une sous‑administration de l’un des principes actifs, ce qui semble avoir été le cas avec l’association pilocarpine-épinéphrine.

 

 

d)    Résumé de l’évaluation de la question de « l’essai allant de soi »

[117]       Il découle des conclusions tirées aux rubriques a) à c) ci‑dessus que la combinaison de la brimonidine et du timolol en une association médicamenteuse fixe n’ « allait pas de soi » pour la personne versée dans l’art. En bref, (i) il n’était pas plus ou moins évident que les étapes suivies pour obtenir une formulation chimiquement stable de la composition seraient fructueuses, (ii) les essais menés pour obtenir cette formulation n’étaient pas courants, (iii) Allergan n’avait pas de motif puissant de mener ces essais et (iv) les mesures concrètes prises pour obtenir la composition ne laissent pas croire que la composition était évidente.

 

[118]       Sandoz a allégué que les faits en l’espèce sont similaires à ceux de l’affaire Merck (2010 CF 1042), précitée, dans laquelle le juge O’Reilly a conclu que la seule autre association médicamenteuse fixe contre le glaucome approuvée au Canada (COSOPT) aurait été évidente à formuler pour la personne versée dans l’art.

 

[119]       Je ne suis pas d’accord. Selon moi, il existe des différences majeures entre le contenu des brevets et la preuve produite dans les deux affaires. Les passages clés de Merck (2010 CF 1042) sont les suivants :

 

[47]      Le brevet lui-même ne renferme rien qui donne à penser qu’il y avait quelque chose d’inventif dans la coformulation d’un [inhibiteur de l’anhydrase carbonique] et d’un bêtabloquant. Aucune difficulté n’est mentionnée. Le brevet donne 32 exemples de coformulation. Rien ne permet de dire qu’une coformulation était aussi difficile que les spécialistes de Merck pensaient qu’elle aurait pu l’être. Je n’ai pas la preuve des étapes que les inventeurs ont franchies pour arriver à la coformulation. Cela étant, tout porte à croire que la coformulation relevait du cours normal des choses. Merck n’a pas apporté la preuve que des difficultés ou des essais laborieux faisaient nécessairement obstacle à une coformulation. Je n’ai pas non plus la preuve qu’il était difficile de parvenir à un pH acceptable […]

[…]

[49]      Les spécialistes de Merck ont pu être surpris de voir que le dorzolamide pouvait être efficace lorsqu’il était administré deux fois par jour avec le timolol, au lieu de trois fois par jour, mais cet effet était clairement divulgué dans le résumé de Gunning et celui de Nardin. Une personne du métier se serait attendue au même effet dans une coformulation des deux agents.

[…]

[52]      Aucune preuve n’a été produite montrant la nécessité d’une expérimentation longue et ardue pour réaliser une coformulation. En fait, aucune preuve n’a été apportée de la marche à suivre pour obtenir une coformulation. L’état antérieur de la technique et les connaissances générales communes dans le domaine auraient conduit une personne du métier à tenter de coformuler le dorzolamide et le timolol. C’était évident.

 

[120]       En revanche, le brevet 764 renferme une grande quantité de données qui étayent les résultats étonnants concernant l’innocuité de la composition et l’absence de réduction de son efficacité en après‑midi par rapport à la brimonidine t.i.d. Comme il a été mentionné précédemment, ces effets ne sont pas divulgués dans les antériorités. De plus, selon le témoignage non contesté de M. Beck, son équipe et lui‑même ont dû surmonter des difficultés imprévues pendant la mise au point de la composition et ont mené des essais avec un certain nombre de formulations qu’ils ont rejetées avant de finalement arriver à la composition. En résumé, il est possible d’établir une distinction entre Merck (2010 CF 1042) et la présente affaire à plusieurs égards importants.

 

e)   Mesures concrètes prises par les inventeurs

[121]       Dans l’arrêt Sanofi, précité, au paragraphe 70, la Cour a expliqué que les mesures concrètes ayant mené à l’invention pouvaient constituer un autre facteur important pour se prononcer sur l’évidence. À cet égard, la Cour a fait observer que « le fait pour l’inventeur et les membres de son équipe de parvenir à l’invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes, pourrait étayer une conclusion d’évidence, sauf lorsque leurs efforts et leurs connaissances se sont révélés plus grands que ceux attribués à la personne versée dans l’art » (au paragraphe 71).

 

[122]       Compte tenu des renseignements qui ont été examinés aux paragraphes 96 à 103, je conclus que de facteur milite en faveur de la conclusion que la composition n’était pas évidente. En résumé, M. Beck et son équipe n’ont pas mis au point la composition « rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’art antérieur et des connaissances générales courantes ». Au contraire, ils ont entrepris au moins trois « démarches qui se sont révélées vaines et inutiles » (Sanofi, précité, au paragraphe 71) et ont rencontré plusieurs obstacles avant de réussir à mettre au point la composition.

 

f) Succès commercial

[123]       Un facteur secondaire qui peut être pertinent lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’évidence est celui de savoir si l’invention a remporté un succès commercial. Ce facteur pourrait indiquer que beaucoup de gens étaient motivés pour répondre aux besoins du marché, ce qui peut laisser supposer la présence d’inventivité (Janssen-Ortho, précité, au paragraphe 25). De fait, dans la mesure où le succès commercial peut traduire la perception du marché ou d’un segment du marché que l’invention en question est supérieure aux produits jusqu’alors disponibles, ce succès témoigne d’une inventivité, et ce, même en l’absence de toute motivation pour répondre aux besoins du marché. Cela étant dit, le succès commercial peut simplement s’expliquer par des considérations étrangères à l’invention, telles qu’une bonne stratégie de marketing et la puissance commerciale. Par conséquent, à défaut d’éléments de preuve indiquant que le succès commercial témoigne d’une inventivité, plutôt que des autres facteurs que je viens de mentionner, le succès commercial est susceptible de se voir accorder peu de poids dans l’appréciation générale de la question de l’évidence.

 

[124]       En l’espèce, M. Beck déclare dans son affidavit qu’Allergan avait réalisé un chiffre d’affaires total d’environ 35 millions de dollars au Canada pour COMBIGAN entre janvier 2005 et novembre 2010. M. Beck a notamment estimé qu’en 2009 et 2010, COMBIGAN représentait environ 6 % du marché total des médicaments antiglaucomateux au Canada.

 

[125]       Certains éléments de preuve laissent croire que le succès commercial de COMBIGAN est au moins attribuable en partie au profil d’innocuité favorable de l’idée originale du brevet 764. En bref, selon la preuve non contestée du Dr Fechtner, [traduction] « l’une des raisons pour lesquelles COMBIGAN connaît un succès commercial (et l’une des raisons pour lesquelles je le prescris) est qu’il a un profil d’effets secondaires avantageux comparativement à ses composants et aux autres options thérapeutiques existantes ». Cette affirmation n’a pas été contestée par les experts de Sandoz.

 

[126]       Il aurait été utile de disposer de renseignements complémentaires au sujet du chiffre de ventes totales à l’échelle mondiale de COMBIGAN et au sujet de la taille du marché dans lequel il livre concurrence. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu, compte tenu des renseignements dont j’ai déjà fait état, que le succès commercial de COMBIGAN est un facteur qui milite légèrement en faveur de la conclusion que la composition n’était pas évidente.

 

(5) Conclusion sur l’évidence

[127]       Allergan s’est acquittée de son fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, l’allégation de Sandoz voulant que le brevet 764 soit invalide pour cause d’évidence n’est pas fondée. Pour les motifs résumés au paragraphe 117, cela resterait vrai même si l’idée originale des revendications du brevet 764 ne comprenait pas les améliorations surprenantes et incontestées sur les plans de l’innocuité, de l’élimination de la réduction de l’efficacité en après‑midi et de la réduction de la dose de BAK administrée chaque jour par rapport au traitement concomitant par la brimonidine et le timolol. Ces autres aspects de l’idée originale ne font que renforcer la conclusion de non‑évidence de l’invention revendiquée dans le brevet 764.

 

 

B.   Est-ce que la monographie de produit du médicament générique incitera à la contrefaçon de l’une ou l’autre des revendications du brevet 626?

 

[128]       Le brevet 626 décrit [traduction ] « une nouvelle méthode pour protéger le nerf optique et la rétine de l’œil d’un mammifère des lésions causées par le glaucome et d’autres provocations délétères ». Il est entendu entre les parties qu’il s’agit là d’une description d’un usage neuroprotecteur des composés revendiqués dans le brevet 626, dont la brimonidine.

 

[129]       Dans son avis d’allégation, Sandoz soutenait que les revendications du brevet 626 ne seraient pas contrefaites par le produit générique. En réponse, Allergan a fait valoir dans sa demande en l’espèce que la vente par Sandoz du produit générique contreferait ou inciterait à contrefaire au moins les revendications 1, 2, 20 et 21 du brevet 626. En ce qui concerne l’incitation, Allergan a avancé que les indications proposées dans la monographie de produit inciteraient les médecins, les pharmaciens ou les patients à contrefaire les revendications du brevet.

 

[130]       Dans son affidavit de novembre 2010, le Dr Parkinson a expliqué la thèse d’Allergan concernant l’incitation. En résumé, il a déclaré que la monographie de produit de Sandoz énonçait deux indications du médicament générique, soit (i) la réduction de la PIO pour traiter le glaucome à angle ouvert et (ii) la réduction de la fluctuation à long terme de la PIO, qui visaient à ralentir ou à prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses. Pour ce qui est de la dernière indication, il a affirmé que la personne versée dans l’art aurait su en janvier 1997, date de publication du brevet 626, que la fluctuation à long terme de la PIO était nuisible et entraînerait des lésions des cellules du nerf optique chez certains patients. Il a conclu en disant que la monographie de produit de Sandoz [traduction] « incitera les ophtalmologistes à prescrire le produit générique et incitera les patients à utiliser ce produit pour le traitement de la fluctuation à long terme de la PIO (qui est nuisible) afin d’inhiber ou de prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses ».

 

[131]       Allergan a maintenant abandonné cette thèse. Elle prétend plutôt que l’une des phrases de la monographie de produit de Sandoz et l’un des documents cités dans la liste des références à la fin de la monographie de produit concernent un usage neuroprotecteur de la brimonidine qui n’est pas lié à la réduction de la PIO et qui incitera donc à la contrefaçon.

 

[132]       Je suis en désaccord avec ce point de vue pour les motifs suivants.

 

[133]       Sandoz a contesté la nouvelle position d’Allergan au sujet de l’incitation pour le motif d’ordre procédural que cette théorie n’était pas articulée dans son avis de demande. Cependant, je suis convaincu que la position actuelle d’Allergan est une réponse à celle adoptée par le Dr Jampel dans son affidavit, dans lequel il soutient que la personne versée dans l’art aurait su en 1997 que le brevet 626 décrit et revendique une protection des cellules du nerf optique obtenue par le renforcement direct de ces cellules et non pas par un effet sur une action délétère. Je partage l’avis d’Allergan qu’il est maintenant trop tard pour que Sandoz soulève cette objection étant donné que (i) Sandoz n’a pas fait valoir qu’il y aurait préjudice si la Cour permettait à Allergan d’avancer sa nouvelle théorie sur l’incitation à une étape avancée de la présente instance et que (ii) Sandoz n’a pas sollicité l’autorisation de produire des témoignages d’experts supplémentaires en réponse (Abbott Laboratories Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 251, au paragraphe 35).

 

(i) Les revendications invoquées – brevet 626

[134]       Allergan invoque les revendications 1, 2 et 14 du brevet 626 (les revendications invoquées). La revendication 14 est dépendante des revendications 1 et 2 et limite les composés revendiqués à la brimonidine. Ensemble, ces revendications indiquent ce qui suit :

[traduction]

Revendication 14 (lue avec la revendication 1) – Utilisation d’une quantité efficace de brimonidine pour inhiber ou prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses afin de protéger les cellules de la rétine ou du nerf optique d’un mammifère qui subissent ou risquent de subir une action délétère.

 

Revendication 14 (lue avec la revendication 2) – Utilisation de la brimonidine dans la fabrication d’un médicament visant à inhiber ou à prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses afin de protéger les cellules de la rétine ou du nerf optique d’un mammifère qui subissent ou risquent de subir une action délétère.

 

            (ii) La personne versée dans l’art – brevet 626

[135]       Le Dr Parkinson a décrit la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet 626 comme [traduction] « un ophtalmologiste résident possédant deux ou trois années d’expérience ou un ophtalmologiste général possédant une expérience d’un an dans le traitement de patients dans la collectivité ». Le Dr Jampel n’était pas du même avis. Selon lui, la personne versée dans l’art [traduction] « est un chercheur possédant un intérêt, des compétences et une expérience dans le domaine de la recherche expérimentale sur les maladies de l’œil, en particulier le glaucome ». Il a ajouté qu’une [traduction] « telle personne serait titulaire d’un diplôme de maîtrise ou de doctorat et posséderait une expérience en tenue et en analyse d’études chez l’animal et d’essais cliniques chez l’humain ».

 

[136]       L’opinion du Dr Jampel sur ce point repose sur les éléments suivants :

i.         Lorsque le brevet 626 a été publié, en 1997, la neuroprotection n’était qu’un sujet de recherche expérimentale.

ii.       À l’époque, aucun médicament n’avait été approuvé en tant qu’agent neuroprotecteur pour les patients souffrant d’hypertension oculaire ou de glaucome.

iii.      Le brevet 626 ne renferme aucun renseignement sur l’application clinique d’une invention divulguée dans le brevet – il n’indique qu’une très grande différence (par un facteur de 5 000) qui n’aurait aucune utilité pour un ophtalmologiste praticien.

iv.     Certaines données du brevet ne concernent que les études expérimentales et ne sont pas décrites dans des termes utilisés par les ophtalmologistes.

v.       Les exemples du brevet concernent des essais sur les cellules ou les animaux et n’offrent aucune indication à l’égard de l’utilisation en clinique de la prétendue invention du brevet 626. Les personnes répondant à la définition de la personne versée dans l’art selon le Dr Parkinson n’auraient au plus qu’une compréhension limitée de ces exemples et de leurs résultats et ne seraient pas en mesure d’appliquer les résultats en clinique.

 

[137]       Vu ce qui précède, Sandoz affirme que le Dr Parkinson n’est pas une personne versée dans l’art et qu’il y a lieu d’accorder peu de poids à son opinion.

 

[138]       En réponse, Allergan fait observer que le brevet 626 mentionne le glaucome et la PIO à pas moins de 35 reprises et que Sandoz n’a pas cité une seule décision qui appuie la proposition que l’expert doit être en mesure de savoir comment procéder aux expériences décrites dans le brevet pour pouvoir donner son opinion au sujet de l’objet du brevet. Allergan fait également observer qu’il est maintenant établi que [traduction« le mémoire descriptif d’un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, faite dans ses propres mots et s’adressant à ceux qui sont susceptibles d’avoir un intérêt concret dans l’objet de son invention (c’est-à-dire qui sont « versés dans l’art »), par laquelle il les informe de ce qu’il prétend être les caractéristiques essentielles du nouveau produit ou du nouveau procédé pour lequel les lettres patentes lui confèrent un monopole » [Non souligné dans l’original.] (Whirlpool, précité, au paragraphe 44, citant l’arrêt Catnic Components Ltd c Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183, aux pages 242 et 243).

 

[139]       Après l’avoir examiné de façon plus approfondie, je suis convaincu que le brevet 626 s’adresse à des personnes qui répondent aux définitions proposées tant par le Dr Parkinson que par le Dr Jampel. À mon avis, la personne versée dans l’art est un amalgame de ces personnes (Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825, la juge Snider, au paragraphe 103). En résumé, contrairement à ce qu’affirme le Dr Jampel, il est évident pour moi que le brevet 626 s’adresse aussi aux ophtalmologistes comme le Dr Parkinson qui peuvent avoir un intérêt clinique et pratique dans l’invention révélée par le brevet 626. Par exemple, je suis convaincu qu’une grande partie des renseignements que l’on trouve sous les rubriques [traduction« Contexte de l’invention », « Résumé de l’invention », « Dessins », « Dosage et administration chez l’humain » et  « Mesure des effets des essais sur les médicaments en vue d’en déterminer les propriétés neuroprotectrices » pourraient intéresser les ophtalmologistes et être précieux pour eux.

 

[140]       Pour le cas où il serait jugé que j’ai commis une erreur sur ce point, je souscris à la thèse d’Allergan suivant laquelle le témoignage du Dr Parkinson (i) est néanmoins important au regard des questions soulevées relativement au brevet 626 et (ii) dépasse les connaissances que la Cour est censée posséder. J’estime que son témoignage devrait donc être admis et qu’il devrait se voir accorder la valeur que j’estime appropriée (Merck & Co Inc c Pharmascience Inc, 2010 CF 510, au paragraphe 31).

            (iii) Interprétation des revendications

[141]       Il n’y a pas de divergences importantes entre les parties au sujet de l’interprétation des revendications. En résumé, bien que les parties aient avancé des interprétations différentes au début du présent procès, Allergan s’est depuis ralliée à celle que propose Sandoz.

 

[142]       Il est maintenant acquis aux débats que le brevet 626 vise une prétendue nouvelle utilisation de certains composés identifiés dans le brevet comme la « formule I » et que l’un des composés de formule I est la brimonidine. Le nouvel usage revendiqué consiste à [traduction« inhiber ou prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses […] afin de protéger les cellules de la rétine ou du nerf optique d’un mammifère qui subissent ou risquent de subir une action délétère ».

 

[143]       Le brevet indique qu’il [traduction] « existe un besoin non comblé d’agents ayant des effets neuroprotecteurs sur l’œil qui peuvent stopper ou retarder les lésions nerveuses progressives provoquées par le glaucome ou d’autres affections de l’œil ». Il est dit que ce besoin s’est manifesté parce que la réduction de la PIO par l’administration de médicaments ou par la chirurgie [traduction] « ne permet pas toujours de prévenir les lésions nerveuses dans les états glaucomateux ». De plus, [traduction] « [c]ertains patients atteints de glaucome n’ont jamais eu une PIO plus élevée que la normale et, chez d’autres, des lésions du nerf optique continuent de survenir malgré une réduction maximale de la PIO ».

 

[144]       Par conséquent, la promesse du brevet 626 est que les composés énumérés dans les revendications, dont la brimonidine, auront ce prétendu effet neuroprotecteur sur la rétine et le nerf optique de l’humain. Comme en conviennent maintenant les parties, cet effet est obtenu par un mécanisme sans lien avec la PIO, qui aide à protéger les cellules nerveuses de l’œil des lésions découlant d’actions délétères. Cet usage est distinct de l’utilisation déjà connue et concrète de la brimonidine pour réduire la PIO et est qualifié dans le brevet de [traduction] « particulièrement efficace quand [la brimonidine] est administrée en prophylaxie, c’est‑à‑dire avant la survenue des lésions nerveuses ou avant l’évolution à long terme de la maladie, par exemple le glaucome ».

(iv) Incitation à la contrefaçon – critère juridique

[145]       Pour établir la contrefaçon, par incitation, d’une revendication visant une utilisation, il est nécessaire de démontrer les trois choses suivantes :

i.         l’acte de contrefaçon est exécuté par le contrefacteur directement;

ii.       l’exécution de l’acte de contrefaçon a été influencée par l’incitateur à un point tel que sans cette influence la contrefaçon n’aurait pas été commise;

iii.      l’incitateur savait que son influence entraînerait l’exécution de l’acte de contrefaçon.

 

(Voir : AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2002] 3 CF 221; Solvay Pharma Inc c Apotex Inc, 2008 CF 308, aux paragraphes 136 et 137; Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 167, aux paragraphes 9 à 11 [Sanofi (2007)]).

 

[146]       L’incitation est une question de fait (Dableh c Ontario Hydro (1996), 68 CPR (3d) 129, à la page 149).

 

[147]       Dans le contexte des demandes présentées en vertu du Règlement, la simple vente du produit breveté par une seconde personne ne suffit pas : il faut [traduction] « quelque chose de plus » (Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc, 2006 CAF 357, au paragraphe 18 [Sanofi (2006)]). Celui qui a incité à la contrefaçon doit avoir fait « quelque chose d’actif » (Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1421, au paragraphe 167). Il ne suffit pas pour la première personne de se contenter de démontrer que la seconde personne avait reconnu qu’il y aurait prescription par les médecins, distribution par les pharmaciens et consommation subséquente par les patients de médicaments « pour un usage non indiqué sur l’étiquette » (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1461, au paragraphe 32 [Aventis (2005 CF 1461)]; conf. par Sanofi (2006), précité; Sanofi (2007), précité; Sanofi-Aventis Canada Inc c Laboratoire Riva Inc, 2008 CF 291, au paragraphe 31).

(v)  Analyse

                  a)   Premier volet du triple critère

[148]       Lors de l’examen de la présente demande, les parties se sont dès le départ attachées principalement, en ce qui concerne le brevet 626, au second volet du triple critère de l’incitation, en l’occurrence la question de savoir si la monographie de produit du médicament générique était susceptible d’inciter les médecins ou les pharmaciens à prescrire ou à offrir le médicament générique à leurs patients pour la neuroprotection. Par conséquent je ne vais m’arrêter pour le moment que brièvement au premier volet de ce critère.

 

[149]       Dans le contexte d’une instance portant sur un avis de conformité, le premier volet du triple critère consistant à déterminer s’il y a eu incitation à la contrefaçon consiste à se demander si une contrefaçon pourrait vraisemblablement se produire si un avis de conformité était délivré (Abbott Laboratories Ltd c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 251, aux paragraphes 26 et 27; Aventis Pharma Inc c Pharmascience Inc, 2006 CAF 229, au paragraphe 60); AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2002] 3 CF 221, au paragraphe 69). En contre-interrogatoire, le Dr Parkinson a déclaré que le produit générique sera prescrit par les médecins (et utilisé par les patients) en raison de ses effets neuroprotecteurs suivant la monographie de produit de Sandoz, l’article de Krupin et l’expérience clinique du Dr Parkinson. Pour les raisons qui ont déjà été évoquées dans les présents motifs aux parties IV.C et IV.D, je préfère le témoignage du Dr Parkinson à celui du Dr Jampel et de M. Mitra sur cette question et sur la question connexe de savoir si la bromonidine a effectivement des propriétés neuroprotectrices pour les patients.

 

[150]       Compte tenu du témoignage du Dr Parkinson, je suis convaincu qu’Allergan a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le médicament générique sera vraisemblablement utilisé aux fins de neuroprotection et qu’il contrefera vraisemblablement le brevet 626.

                  b)   Second volet du triple critère

[151]       La thèse d’Allergan selon laquelle Sandoz incitera à la contrefaçon du brevet 626 repose sur une phrase de la monographie de produit de Sandoz et sur un des documents qui figure vers le bas de la liste des références à la fin de la monographie de produit. Plus précisément, à la page 23 de la monographie de produit, sous la rubrique Animal Pharmacology (Pharmacologie animale), Sandoz affirme ce qui suit :

[traductionLorsque l’action du tartrate de brimonidine à titre d’agent neuroprotecteur a été évaluée dans le cadre d’études pharmacologiques in vitro et in vivo chez le rat, aucun effet délétère sur le nerf optique n’a été observé.

 

[152]       De plus, le neuvième document de la liste des 13 documents de référence figurant à la fin de la monographie de produit est un article publié par M. Lai, un des inventeurs nommés dans le brevet 626, et plusieurs autres employés d’Allergan, intitulé Neuroprotective effect of ocular hypertension agent brimonidine (Effet neuroprotecteur de la brimonidine, agent antihypertenseur oculaire (l’article de Lai). La première phrase du résumé figurant au début de l’article de Lai indique ce qui suit : [traduction] « La brimonidine, agent antihypertenseur oculaire, s’est révélé avoir un effet neuroprotecteur dans un modèle d’agression mécanique du nerf optique. » Après une brève analyse de certaines données obtenues dans le cadre d’une étude in vivo sur de l’ARN de rétine de rat et d’une étude in vitro sur une culture de neurones d’hippocampe de rat, le résumé indique ce qui suit : [traduction] Ces données laissent croire que la brimonidine est un agent antihypertenseur oculaire efficace doté de propriétés neuroprotectrices. » Sous la rubrique « Results and Conclusions » (Résultats et conclusions) de l’article de Lai figure ce qui suit : [traduction] « Après 15 jours d’une application topique [b.i.d.], l’ARNm du bFGF rétinien a augmenté de 50 % (brimonidine à 0,5 %) et de 200 % (brimonidine à 1 %) par rapport au témoin (fig. 2). La quantité de brimonidine ayant atteint la rétine s’est révélée suffisante pour induire une régulation à la hausse du bFGF rétinien. » La conclusion de l’article de Lai était la suivante :

 

[traductionLa découverte que la brimonidine peut réguler à la hausse le bFGF dans la rétine laisse croire à une neuroprotection de type mécanistique. La brimonidine est un antihypertenseur oculaire unique, car il abaisse la PIO non seulement en réduisant la production d’humeur aqueuse, mais également en augmentant l’écoulement uvéoscléral. Les propriétés neuroprotectrices combinées au niveau de la rétine offriront de nouvelles occasions d’explorer la neuroprotection de l’œil.

 

[153]       Allergan affirme que, si Sandoz obtient l’avis de conformité qu’elle réclame, il lui sera loisible de distribuer sa monographie de produit aux médecins et aux pharmaciens du Canada qui, en raison de la phrase précitée qui figure à la page 23 de la monographie de produit de Sandoz et/ou de l’article de Lai (les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices), seront à leur tour incités à prescrire ou à distribuer le médicament générique aux patients en raison des propriétés neuroprotectrices revendiquées par le brevet 626. Allergan maintient que la présence des renseignements sur les propriétés neuroprotectrices dans la monographie de produit de Sandoz satisfait au critère du « quelque chose de plus » envisagé par la jurisprudence.

 

[154]       Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas de cet avis. En d’autres termes, je suis arrivé à la conclusion que le second volet du triple critère exposé sous la rubrique précédente n’a pas été respecté.

 

[155]       En conséquence, la principale question qu’il nous reste à trancher est celle de savoir si les ophtalmologistes et les pharmaciens seront effectivement influencés par les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices de manière à prescrire ou à distribuer le médicament générique à des fins neuroprotectrices, comme l’exige le second volet du critère.

 

[156]       Sandoz a tenté de minimiser l’importance possible de l’information sur la neuroprotection dans sa monographie de produit en soulignant qu’elle ne figure pas sous la rubrique « Indications et usage clinique » de la monographie de produit. Cette rubrique décrit notamment comme suit les indications du médicament générique :

La solution ophtalmique de Sandoz (tartrate de brimonidine à 0,2 % et maléate de timolol sous forme de timolol à 0,5 %) est indiquée pour maîtriser la pression intraoculaire chez les patients atteints de glaucome à angle ouvert chronique ou d’hypertension oculaire et qui ne sont pas suffisamment sensibles à la monothérapie visant à réduire la pression intraoculaire ET lorsque l’utilisation de la solution de brimonidine et timolol de Sandoz est considérée comme appropriée. La solution de brimonidine et timolol de Sandoz est également indiquée pour réduire la fluctuation à long terme de la PIO. En plus de maîtriser la PIO, la solution de brimonidine et timolol de Sandoz diminue la variabilité à long terme, ou la fluctuation, de la PIO. Ensemble, la diminution de la PIO et la réduction des fluctuations de la PIO devraient ralentir la progression de la perte du champ visuel chez les patients atteints de glaucome.

 

 

[157]       Je souscris toutefois à la conclusion à laquelle la protonotaire Tabib est déjà arrivée dans la présente instance relativement à une requête visant à obtenir la production de la totalité de la monographie de produit de Sandoz. La protonotaire Tabib a conclu que [traduction« plusieurs décisions de notre Cour appuient la proposition que, lorsqu’il s’agit de déterminer si l’allégation que la seconde personne ne contrefera pas un brevet portant sur l’utilisation du médicament ou n’incitera pas à sa contrefaçon, le texte intégral de la monographie de produit constitue un document clé » (Allergan Inc c Sandoz Canada Inc (21 juin 2010), Ottawa T‑154‑10 (Cour fédérale) (la protonotaire Tabib), citant Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1381; AB Hassle c Genpharm Inc, 2003 CF 1443; Sanofi (2007), précités).

 

[158]       Dans son premier affidavit, le Dr Parkinson s’est concentré sur la thèse de l’incitation dont nous avons déjà parlé au paragraphe 130, thèse qu’Allergan a depuis abandonnée. Le Dr Parkinson n’a pas mentionné la théorie de l’incitation que défend maintenant Allergan. Il n’a pas non plus mentionné les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices que l’on trouve dans la monographie de produit de Sandoz. Il a toutefois déclaré ce qui suit :

                       

[traduction] Les ophtalmologistes canadiens ont accès aux monographies de produits génériques en consultant le site Web de Santé Canada ou en se procurant, sur demande, des copies papier. Les ophtalmologistes canadiens, y compris la personne versée dans l’art, seraient en mesure de lire, de comprendre et d’appliquer la totalité des études publiées et des enseignements se trouvant dans la monographie de produit proposée par Sandoz et lorsqu’ils ont besoin de renseignements avant de décider de prescrire un médicament, ils peuvent tenir compte de l’ensemble des renseignements mentionnés dans la monographie et ils en tiennent effectivement compte. [Non souligné dans l’original.]

 

[159]       Dans son second affidavit, le Dr Parkinson s’est attaché à répondre aux diverses affirmations faites par le Dr Jampel dans son affidavit, au sujet notamment de la validité du brevet 626. Là encore, le Dr Parkinson n’a pas mentionné la thèse de l’incitation que défend maintenant Allergan, ni les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices que l’on trouve dans la monographie de produit de Sandoz.

 

[160]       Lors de son contre-interrogatoire, le Dr Parkinson a vu mettre en doute son opinion concernant la façon dont les ophtalmologistes utilisent les monographies de produit. Il a expliqué que [traduction] « quand un clinicien utilise un médicament, il est de sa responsabilité de comprendre et d’avoir lu la monographie complète, et non pas uniquement les deux premiers paragraphes [Indications et usage clinique]. Et ailleurs [dans la monographie de produit de Sandoz] figurent des preuves que ce médicament a des propriétés neuroprotectrices, et c’est pourquoi nous utilisons cette section ». Il a ensuite parlé des renseignements sur les propriétés neuroprotectrices dans la monographie de produit de Sandoz et à déclaré à ce sujet : [traduction] « et j’ai lu, à titre de clinicien, que comme des effets délétères sur le nerf optique de ces rats avaient été observés, cet agent avait conféré à ce nerf une certaine neuroprotection ». Rien dans le reste de son contre‑interrogatoire ne m’a particulièrement aidé à prendre une décision en ce qui concerne la thèse d’Allergan selon laquelle la monographie de produit de Sandoz incitera à la contrefaçon du brevet 626.

 

[161]       À tout prendre, je suis disposé à accepter qu’au moins une partie des ophtalmologistes prennent connaissance de la monographie d’un produit avant de le prescrire. Cela étant dit, je ne trouve pas particulièrement convaincante l’opinion formulée par le Dr Parkinson sur ce point. En conséquence, je n’accorde pas beaucoup de poids à cette opinion pour décider si Allergan s’est acquittée de la charge qui lui incombait de démontrer que l’allégation d’absence de contrefaçon de Sandoz n’est pas fondée.

 

[162]       Pour ce qui est du Dr Jampel, il a reconnu lors de son contre-interrogatoire qu’il n’avait pas examiné la liste de documents de référence cités dans la monographie de produit de Sandoz. Il a également reconnu qu’il n’était pas au courant, lorsqu’il a souscrit son affidavit, que l’article de Lai figurait dans cette liste. Il a également admis : (i) qu’il n’était pas au courant du fait que le mot « neuroprotectrice » figurait dans la monographie de produit d’Allergan pour COMBIGAN, qui était annexé à l’annexe G de son affidavit, et (ii) qu’il ne savait pas ce pourquoi COMBIGAN était approuvé aux É.‑U. On peut en conclure qu’il fait partie des ophtalmologistes en exercice qui ne lisent pas en entier la monographie d’un produit avant de le prescrire.

 

[163]       Le Dr Jampel a également admis qu’il n’avait jamais pris connaissance d’une monographie de produit canadienne avant le présent procès et qu’il ne savait pas très bien comment les ophtalmologistes canadiens utilisaient les monographies de produits. J’estime néanmoins utile une partie de son témoignage sur la façon dont les ophtalmologistes canadiens sont susceptibles d’utiliser la monographie de produit de Sandoz.

 

[164]       En ce qui concerne notamment l’information sur la neuroprotection qui figure dans une seule phrase à la page 23 de la monographie de produit de Sandoz, il a affirmé ceci : [traduction] « Un médecin qui lirait cette phrase sans contexte n’aurait aucune idée de ce dont il est question ». Lorsqu’on lui a demandé si son opinion à ce sujet serait différente si la phrase était lue à la lumière de l’article de Lai, il a répondu que les médecins comprendraient probablement qu’elle renvoie aux expériences décrites dans l’article de Lai. Cependant, il a aussi qualifié le modèle de lésion par écrasement du nerf optique sur lequel repose l’expérience in vivo décrite dans l’article de Lai de [traduction] « méthode rudimentaire et préliminaire pour étudier le glaucome ». En ce qui à trait à l’expérience in vitro dont il est question dans l’article de Lai, il l’a décrite comme [traduction] « la culture de cellules de rat dans une boîte de Pétri » et s’est dit d’avis qu’elle ne serait pas considérée comme une étude chez l’animal. Quoi qu’il en soit, il a également dit que [traduction] « les représentants pharmaceutiques qui nous rendent visite ne font jamais mention d’études chez l’animal » et a laissé entendre que les médecins n’auraient pas d’intérêt particulier à obtenir de l’information concernant des modèles animaux de neuroprotection.

 

[165]       Par ailleurs, le Dr Jampel a affirmé que l’article de Lai ne serait pas considéré comme le type d’étude ou de référence visé par la section 4.6 de la publication de Santé Canada intitulée Ligne directrice à l’intention de l’industrie – Monographies de produit. La section 4.6 indique que la section Références de la monographie de produit « doit comprendre une sélection des études cliniques clés qui ont servi à l’évaluation du médicament, ainsi que les études soulignées à la section Essais cliniques. […] [et] doit également comprendre des renvois aux meilleurs travaux publiés contenant des données précliniques sur le médicament, ainsi qu’à certains travaux faisant autorité sur l’utilisation de ce dernier. » Le Dr Jampel a soutenu que l’article de Lai n’était ni une étude clinique clé du type décrit ni un travail publié contenant des données précliniques sur le médicament en question. Il a toutefois admis en contre‑interrogatoire que l’une des raisons pour lesquelles l’article de Lai a pu être inclus dans les références à la fin de la monographie de produit de Sandoz est « possiblement » pour élucider le mode d’action de la brimonidine qui confère une neuroprotection. Il a également reconnu que l’une des raisons pour lesquelles des données animales ont pu être incluses dans une monographie est de fournir aux médecins de l’information complémentaire au sujet d’un usage particulier.

 

[166]       Le Dr Jampel a aussi fait valoir que COMBIGAN n’a pas d’indication de neuroprotection et qu’une telle neuroprotection ne figure pas parmi les indications du médicament générique dans la monographie de produit de Sandoz. Il a ajouté que ni la monographie de produit de Sandoz ni celle de COMBIGAN ne mentionnent l’utilisation de la brimonidine pour conférer une neuroprotection chez l’humain, ni que la brimonidine a un effet neuroprotecteur. (La phrase à la page 23 de la monographie de produit de Sandoz indique simplement ceci : « aucun effet délétère sur le nerf optique [des rats étudiés] n’a été observé ».)

 

[167]       Après avoir tenu compte de ce qui précède ainsi que des autres éléments de preuve et arguments présentés par les parties, je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que les ophtalmologistes ou les pharmaciens seraient vraisemblablement influencés par les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices de la monographie de produit de Sandoz au point de prescrire ou de proposer le médicament général en raison de ses propriétés neuroprotectrices. Malgré le témoignage du Dr Parkinson et la conclusion négative que j’ai tirée du fait que Sandoz semblait avoir délibérément choisi de laisser les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices dans sa monographie de produit, je ne suis pas convaincu que les renseignements relatifs aux propriétés neuroprotectrices (i) constituent le « quelque chose de plus » exigé par la jurisprudence ou (ii) constituent plus qu’une « simple mention de la nouvelle utilisation » décrite dans le brevet 626 (Sanofi (2007), précité, au paragraphe 9; Aventis (2005 CF 1461), précité, et aux paragraphes 32 à 36, conf. par Sanofi (2006), précité).

 

[168]       Allergan n’a pas été en mesure de citer de décisions dans lesquelles des renseignements qui étaient aussi limités que les présents renseignements sur les propriétés neuroprotectrices et qui présentaient les diverses lacunes signalées par le Dr Jampel avaient permis de conclure que l’allégation d’absence de contrefaçon du fabricant de médicaments génériques n’était pas fondée.

 

[169]       Bien qu’Allergan ait laissé entendre que Sandoz serait libre de « commercialiser » le médicament générique à des fins de neuroprotection, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités qu’au vu des faits particuliers de l’espèce, cette situation est susceptible de se produire notamment parce que : (i) le témoignage non contredit du Dr Jampel suivant lequel les représentants des compagnies pharmaceutiques ne mentionnent pas en règle générale les études chez les animaux et que les médecins n’auraient pas d’intérêt particulier à obtenir de l’information concernant des « modèles animaux de neuroprotection »; (ii) le médicament générique n’est pas indiqué pour la neuroprotection et (iii) la commercialisation d’un médicament drogue en vue d’utilisations non approuvées est interdite (Goodridge c Pfizer Canada Inc, 2010 ONSC 1095, au paragraphe 15).

 

[170]       Vu ce qui précède, je suis convaincu qu’Allergan ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait en l’espèce d’établir le second volet du triple critère auquel il faut satisfaire pour démontrer l’existence d’une contrefaçon, par incitation, d’une revendication visant une utilisation.

 

 

                  c)   Troisième volet du triple critère

[171]       Les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices que l’on trouve dans la monographie de produit de Sandoz figuraient également dans la monographie de produit qu’Allergan a déposée relativement à COMBIGAN. D’ailleurs, les deux monographies de produit sont pratiquement identiques. Cela étant dit, Sandoz a supprimé de sa monographie de produit un nombre restreint de passages qui figuraient dans la monographie de produit d’Allergan, ainsi que six des articles cités dans la liste des références que l’on trouve à la fin de la monographie de produit d’Allergan. Sandoz n’a pas expliqué pourquoi, après s’être donné la peine de supprimer certains passages de la monographie de produit d’Allergan, elle avait conservé les renseignements relatifs aux propriétés neuroprotectrices. À mon avis, faute d’explications à ce sujet, il y a lieu de conclure que Sandoz a conservé les renseignements sur les propriétés neuroprotectrices dans sa monographie de produit en vue d’influencer les ophtalmologistes et les pharmaciens pour qu’ils prescrivent et administrent le médicament générique en raison de ces indications neuroprotectrices revendiquées dans le brevet 626. Compte tenu de cette inférence, je conclus que le troisième volet du triple critère susmentionné auquel il faut satisfaire pour démontrer l’existence d’une contrefaçon, par incitation, d’une revendication visant une utilisation a été établi selon la prépondérance des probabilités.

 

C.     Les allégations d’absence de contrefaçon des revendications du brevet 626 formulées par Sandoz sont-elles fondées?

 

[172]       Sandoz allègue que le médicament générique ne contrefera aucune des revendications du brevet 626 pour les deux raisons suivantes :

i.         COMBIGAN n’est pas approuvé pour une utilisation neuroprotectrice;

 

ii.       le médicament générique ne sera pas utilisé aux fins de neuroprotection.

 

[173]       En ce qui concerne le premier de ces deux arguments, Sandoz a fait observer que le Dr Parkinson a admis en contre-interrogatoire qu’il n’y a rien dans la monographie de produit de COMBIGAN qui fasse allusion à la neuroprotection chez l’humain. Vu cette admission d’Allergan, Sandoz a soutenu qu’elle ne peut effectuer des « travaux préalables » au sujet de la présumée invention visée par le brevet 626 et qu’elle ne peut contrefaire l’« invention brevetée » protégée par le brevet 626. Elle a ajouté que la présente demande devrait être rejetée pour cette seule raison, dans la mesure où elle se rapporte au brevet 626.

 

[174]       Je ne suis pas de cet avis. Comme l’a fait remarquer Allergan, sur ce point, Sandoz confond le régime d’approbation de l’innocuité du Règlement avec le droit établi dans la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4. Une allégation d’absence de contrefaçon ne peut pas être fondée uniquement au motif que la monographie de produit du produit breveté de la première personne ne mentionne pas un usage particulier du produit que la deuxième personne a admis être visé par les revendications du brevet. En l’espèce, la propre interprétation de Sandoz du brevet 626 est qu’il revendique [traduction] « une prétendue nouvelle utilisation de certains composés, dont la brimonidine […]. pour "inhiber ou prévenir les lésions ou la mort des cellules nerveuses […] afin de protéger les cellules de la rétine ou du nerf optique d’un mammifère qui subissent ou risquent de subir une action délétère" ». Le fait que l’indication de neuroprotection de COMBIGAN n’est pas encore approuvée ne signifie pas qu’il n’y a pas de contrepartie, comme l’a laissé entendre Sandoz. L’élément qu’a fourni Allergan en échange du brevet 626 était la divulgation de l’invention décrite dans le brevet. Il est possible d’établir une distinction entre Biolyse Pharma Corporation c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 RCS 533, et la présente affaire, car « le produit de Biolyse a été considéré à juste titre comme une drogue nouvelle plutôt que comme une copie d’une drogue » (au paragraphe 34) et que « l’approbation du produit de Biolyse ne reposait pas sur sa bioéquivalence avec le produit de BMS dans lequel se retrouvent ses inventions » (au paragraphe 54). De plus, le produit de Biolyse renfermait du paclitaxel extrait d’une espèce d’if différente de celle de laquelle était extrait le paclitaxel qui était l’objet des brevets de BMS qui visaient les formulations et les modes d’administration du paclitaxel, mais pas le paclitaxel en soi.

 

[175]       Pour ce qui est de l’allégation que le médicament générique ne sera pas utilisé aux fins de la neuroprotection, Sandoz a déclaré : (i) que COMBIGAN n’a pas été approuvé pour être utilisé comme agent neuroprotecteur; (ii) que le produit générique ne sera pas approuvé en vue d’être utilisé comme agent neuroprotecteur; (iii) qu’Allergan n’a présenté aucun « élément de preuve relatif à la contrefaçon » qui appuie de quelque façon que ce soit son argument que les patients « utiliseraient » le produit générique « pour la neuroprotection »; (iv) qu’un article publié plus tôt cette année (l’article de Krupin) ne peut être utile en ce qui concerne les utilisations approuvées de COMBIGAN et qu’il n’appuie pas la thèse d’Allergan suivant laquelle les patients utiliseront le produit générique aux fins de la neuroprotection.

 

[176]       Je suis convaincu qu’Allergan a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que cette allégation d’absence de contrefaçon n’est pas fondée.

 

[177]       J’ai déjà examiné, dans les présents motifs, les arguments formulés par Sandoz au sujet des utilisations approuvées de COMBIGAN et des utilisations proposées du produit générique et il n’est donc pas nécessaire que je revienne sur la question.

 

[178]       Quant à l’affirmation que l’article de Krupin n’a pas été présenté en même temps que les « éléments de preuve relatifs à la contrefaçon » d’Allergan, signalons que cet article a été publié après qu’Allergan eut déposé les éléments de preuve en question et que l’article en question a été régulièrement soumis à la Cour à titre d’annexe au second affidavit souscrit par le Dr Parkinson. L’affidavit en question a été déposé conformément à l’ordonnance prononcée par la protonotaire Tabib au sujet de la preuve des parties en ce qui concerne la validité. L’affidavit du Dr Parkinson abordait de façon appropriée la question des éléments de preuve que Sandoz avait soumis à l’appui de ses allégations d’invalidité. Une des allégations d’invalidité de Sandoz était une allégation d’absence d’utilité qui reposait sur certains des mêmes arguments que ceux que Sandoz faisait valoir à l’appui de cette allégation précise d’absence de contrefaçon. Par conséquent, je rejette l’idée que l’article de Krupin n’a pas été régulièrement soumis à la Cour au sujet de cette question d’absence de contrefaçon.

 

[179]       L’article de Krupin fait état des résultats d’un essai clinique multicentrique randomisé à double insu d’une durée de quatre ans qui avait pour but de déterminer dans quelle mesure la brimonidine (0,2 %) versus le timolol (0,5 %) administré en monothérapie sous forme de gouttes oculaires permettait de prévenir ou de retarder la progression de la perte du champ visuel chez les patients atteints d’un pseudo‑glaucome. Dans son affidavit, le Dr Parkinson affirme que la communauté des ophtalmologistes attendait avec impatience les résultats de cette étude, parce qu’elle était conçue de façon à être assez vaste pour trouver une solution aux problèmes recensés par Mme Meredith Saylor dans un article publié en avril 2009. Cet article (l’article de Saylor) traitait des recherches menées à ce jour, mais ne faisait mention d’aucune nouvelle étude.

 

[180]       Le Dr Parkinson a observé que, en limitant leur étude aux patients atteints de pseudo‑glaucome, les auteurs de l’article de Krupin (collectivement désignés sous le nom de Krupin) ont été capables de distinguer l’effet de réduction de la PIO élevée de l’effet neuroprotecteur de la brimonidine. Il a aussi expliqué qu’en comparant la brimonidine au timolol, dont l’effet de réduction de la PIO était similaire à celui de la brimonidine, Krupin a pu mesurer l’effet neuroprotecteur de la brimonidine distinct de tout bienfait qui aurait pu être obtenu par une réduction de la PIO chez les patients ayant une PIO normale.

 

[181]       L’article de Krupin décrit en ces termes les résultats de l’étude :

[traductionEn résumé, dans cet essai clinique randomisé, un traitement topique par le tartrate de brimonidine à 0,2 % administré deux fois par jour maintient mieux le champ visuel que le traitement topique par le maléate de timolol à 0,5 % dans un sous‑groupe de patients atteints de glaucome à angle ouvert dont la PIO est statistiquement normale. Comme les deux composés ont une efficacité similaire sur le plan de la réduction de la PIO, ce résultat cadre avec un mécanisme d’action non lié à la PIO favorisant les patients traités par la brimonidine. L’efficacité de la brimonidine à retarder ou à prévenir la perte progressive du champ visuel doit être évaluée dans le contexte du profil d’événements indésirables liés à la brimonidine, en particulier l’allergie oculaire externe localisée. La validation d’un mécanisme d’action neuroprotecteur nécessite la tenue d’autres études scientifiques fondamentales et recherches cliniques pour confirmer les présents résultats avant que ne soient modifiés les algorithmes actuels de traitement des patients. [Non souligné dans l’original.]

 

[182]       Le Dr Parkinson a indiqué dans son affidavit que l’étude de Krupin [traduction] « démontre que l’administration topique de brimonidine aux patients a un effet neuroprotecteur découlant d’un mécanisme non lié à l’effet de la brimonidine sur la PIO ». Il a ensuite ajouté ceci :

[traduction] Je suis d’avis que la brimonidine est utile en tant qu’agent neuroprotecteur. Elle protège les cellules de la rétine ou du nerf optique d’un mammifère qui subissent ou risquent de subir une action délétère. La brimonidine inhibe et prévient les lésions ou la mort des cellules nerveuses. La déclaration contraire du Dr Jampel est incorrecte.

 

[183]       Lorsqu’on lui a laissé entendre, lors de son contre‑interrogatoire, que [traduction] « selon les données actuelles les plus sérieuses, il n’a pas encore été prouvé que la brimonidine a un effet neuroprotecteur », le Dr Parkinson a dit être totalement en désaccord. Lorsqu’on lui a demandé de préciser sa pensée, il a affirmé que [traduction] « le mot confirmer est très très puissant et très important ». [Non souligné dans l’original.] Il a continué en disant ceci : [traduction] « J’interprète ce mot comme un encouragement de la part des auteurs à corroborer leurs résultats, comme tout bon chercheur devrait le faire ou le ferait ». Il a rejeté l’idée que Krupin ait pu laisser entendre dans la conclusion de son article qu’il [traduction] « n’était peut-être pas vrai » que la brimonidine a un effet neuroprotecteur chez l’humain. Il a aussi qualifié de très positifs les résultats de l’étude de Krupin et a fait remarquer qu’il y a [traduction] « toujours des questions en médecine ».

 

[184]       À un autre moment de son contre‑interrogatoire, le Dr Parkinson s’est vu demander sur quoi il s’appuyait pour affirmer que la brimonidine est un agent neuroprotecteur administré de nos jours sous forme de gouttes oculaires. Il a répondu : [traduction] « Je m’appuie sur la monographie de produit [de COMBIGAN], l’article de Krupin et mon expérience clinique ».

 

[185]       Lorsqu’on lui a demandé, lors de son réinterrogatoire, comment son expérience clinique influait sur son opinion que le produit générique serait utilisé à des fins de neuroprotection, le Dr Parkinson a affirmé que son expérience clinique était souvent l’une des plus importantes considérations pour lui. Il s’est exprimé en ces termes à cet égard :

[traduction] Selon mon expérience clinique, lorsque toutes les autres options ont échoué, que la PIO est extrêmement basse et que la maladie continue de progresser, chez certains patients, mais pas tous, l’exposition à la brimonidine semble procurer ce bienfait et accroître la stabilité.

 

[186]       Le Dr Parkinson a ensuite poursuivi en disant que la raison pour laquelle ses collègues et lui-même étaient si heureux de voir les résultats de l’étude de Krupin est que la brimonidine est [traduction] « un outil que nous utilisons chez les patients qui perdent la vue malgré une très faible pression oculaire ». [Non souligné dans l’original.]

 

[187]       Le Dr Parkinson s’est également vu demander de commenter la phrase à la page 8 de l’article de Krupin selon laquelle [traduction] « il demeure possible qu’un autre phénomène vasculaire (ou autre) non décrit lié au timolol ou à la brimonidine explique les résultats de la présente étude ». Il a répondu ce qui suit :

[traduction] Pour moi, lorsque je lis cette phrase à titre de clinicien – personnellement, cela me donne une sorte de – cela m’incite à donner plus de crédibilité à l’article parce que les auteurs disent cela. Parce que, bien sûr, comme je l’ai déjà dit, il ne s’agit que d’un seul article. Les résultats montrent qu’il y a certainement un effet, mais les auteurs sont assez sages – je vais utiliser ce mot – pour dire vous savez, il faut toujours envisager la possibilité d’autres effets, ne l’oublions pas. Ils m’inspirent donc du respect. [Non souligné dans l’original.]

 

[188]       Le Dr Jampel a rédigé son affidavit avant de lire l’article de Krupin. Au paragraphe 87 de l’affidavit, il s’exprime ainsi :

 

[traduction] L’administration topique de brimonidine ne donne pas le résultat promis par le brevet 626 – la brimonidine administrée par voie topique ne protège pas les cellules de la rétine et du nerf optique chez l’humain. L’application topique de brimonidine ne confère pas la neuroprotection promise par le brevet 66.

 

[189]       En contre‑interrogatoire, le Dr Jampel s’est fait demander s’il admettait, maintenant qu’il avait lu les résultats de l’étude de Krupin, qu’il s’était peut-être trompé en affirmant de façon non équivoque dans son affidavit que la brimonidine n’a pas d’effet neuroprotecteur. Il a répondu : [traduction] « Je n’écrirais pas une telle chose aujourd’hui. »

 

[190]       Le Dr Jampel a aussi reconnu que le plan de l’étude de Krupin semblait acceptable et qu’il avait résisté à l’examen par les pairs. Cela dit, il a maintenu que [traduction] « cette étude présente certains résultats très aberrants qui doivent être expliqués ». À cet égard, il a mentionné [traduction] « l’absence de réduction de la PIO tant par la brimonidine que par le timolol ». Il a mis en doute ce résultat particulier de l’étude parce que les ophtalmologistes ont prescrit et continuent de prescrire de la brimonidine et du timolol à un grand nombre de patients pour réduire la pression intraoculaire. Il a toutefois admis que l’étude de Krupin laissait croire à un effet neuroprotecteur.

 

[191]       Tout compte fait, je privilégie la preuve présentée par le Dr Parkinson sur la question de savoir si le médicament générique sera probablement utilisé à des fins de neuroprotection. J’estime que le Dr Parkinson a fait très bonne figure pendant son contre‑interrogatoire. Son témoignage était très crédible et plus convaincant que celui du Dr Jampel. Je le crois lorsqu’il affirme que les autres ophtalmologistes et lui‑même prescrivent réellement de la brimonidine à des fins de neuroprotection. Son témoignage sur ce point a une « apparence de réalité » qui est renforcée par la réponse suivante qu’il a faite antérieurement en contre‑interrogatoire. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi un ophtalmologiste prescrirait de la brimonidine à des fins de neuroprotection en s’appuyant sur les données chez l’animal présentées dans l’article de Lai, il a répondu ce qui suit :

[traduction] Parfois, en médecine, nous faisons des choses pour aider les patients individuellement; c’est ainsi que nous traitons les patients, un à la fois. Et en ce qui concerne le sujet précis de la neuroprotection, en présence d’une maladie horrible comme le glaucome, contre lequel nous ne disposons d’aucun autre agent que ce médicament qui peut renforcer le nerf optique, nous traitons la maladie en abaissant la pression intraoculaire. C’est là notre seul autre traitement contre le glaucome.

 

Ainsi, lorsque l’état des patients s’aggrave, ou lorsque nous voyons que leur vision s’affaiblit, nous pouvons faire des choses aussi longtemps qu’elles ne font pas de tort au patient. Et si nous observons des résultats cliniques qui sont possiblement étayés par des études chez l’animal, nous continuons de faire ces choses parce qu’elles sont bénéfiques au patient. C’est ainsi que se pratique la médecine, Monsieur.

 

[192]       D’après ce qui précède, je conclus qu’Allergan s’est acquittée de son fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, l’allégation de Sandoz à l’égard de l’absence de contrefaçon du brevet 626 n’est pas fondée.

D. Allégations d’invalidité du brevet 626 formulées par Sandoz

 

[193]       Sandoz allègue que le brevet 626 est invalide pour cause d’inutilité au motif que :

i.         les revendications qu’il renferme visent un objet dépourvu d’utilité;

ii.       l’utilité de l’objet en question ne pouvait faire l’objet d’une prédiction valable à la date de priorité et à la date du dépôt du brevet 626 au Canada.

a)  Utilité de l’objet du brevet 626

[194]       Certains des éléments de preuve portant sur l’utilité de l’objet du brevet 626 ont déjà été examinés dans la section précédente. Il n’est donc pas nécessaire de répéter ces éléments de preuve en rapport avec la question de l’utilité. Je me contenterai d’examiner les éléments de preuve supplémentaires qui sont utiles pour me permettre de trancher cette question.

 

[195]       Dans son affidavit, le Dr Jampel s’est appuyé sur un certain nombre d’études signalées dans l’article de Saylor pour étayer son opinion que l’application topique de brimonidine ne confère pas la neuroprotection promise par le brevet 626.

 

[196]       L’article de Saylor a été publié en avril 2009. Il analysait les données probantes qui existaient à l’époque en ce qui concerne les propriétés neuroprotectrices de la brimonidine contre les lésions du nerf optique et de la rétine. Il ne faisait état d’aucune nouvelle étude.

 

[197]       Au début de l’article, les auteurs indiquent que [traduction] « des modèles animaux expérimentaux récents laissent croire que la brimonidine aurait un effet neuroprotecteur ». Ils expliquent ensuite que [traduction] « ces recherches indiquent que la brimonidine pourrait avec des effets thérapeutiques lorsqu’elle est utilisée en clinique pour traiter les neuropathies optiques chez l’humain ». Plus loin dans l’article, les auteurs affirment que [traduction] « plusieurs modèles animaux expérimentaux montrent que la brimonidine administrée par voie topique et par voie générale aurait une action neuroprotectrice en réduisant les effets des lésions du nerf optique […] ».

 

[198]       Cependant, après un examen des rapports de divers essais cliniques menés pour évaluer la brimonidine à titre d’agent thérapeutique potentiel chez l’humain, les auteurs ont conclu que [traduction] « les résultats obtenus avec les modèles animaux concernant les effets neuroprotecteurs de la brimonidine dans le traitement des lésions ischémiques du nerf optique ne se sont pas traduits par des applications cliniques réelles ».

 

[199]       Dans son affidavit, le Dr Jampel a noté que certains des essais cliniques examinés dans l’article de Saylor portaient sur la brimonidine utilisée comme traitement possible de la neuropathie optique ischémique antérieure non artéritique (NOIANA), affection qu’on croit causée par une diminution majeure de l’afflux sanguin vers le nerf optique. Le Dr Jampel a souligné que, selon l’article de Saylor, ces essais laissaient croire que le traitement par la brimonidine n’avait pas d’effet neuroprotecteur chez l’humain. Le Dr Jampel a fait une observation similaire concernant certains essais cliniques portant sur d’autres neuropathies optiques dont traitait l’article de Saylor. De plus, il a noté que, dans un article de synthèse plus récent (l’article de Chau), les auteurs ont fait état de résultats semblables en ce qui a trait à leur étude de la brimonidine utilisée comme agent neuroprotecteur dans le cadre de trois essais cliniques de petite envergure chez l’humain.

 

[200]       En plus de ce qui précède, le Dr Jampel affirme dans son affidavit que [traduction] « l’administration topique n’est pas définie comme une voie d’administration des agents neuroprotecteurs dans le brevet 626 ». Pour étayer cette opinion, le Dr Jampel note que, dans le résumé de l’invention, le brevet 626 décrit la nouvelle méthode pour protéger le nerf optique et la rétine de l’œil d’un mammifère comme comprenant [traduction] « l’administration au mammifère, par voie générale ou par injection intrabulbaire, d’une quantité efficace » de brimonidine. Il ajoute que [traduction] « rien n’indique dans le brevet 626 que les inventeurs considéraient l’administration topique de brimonidine comme un mode d’administration qui confère les prétendus effets neuroprotecteurs ».

 

[201]       En réponse au Dr Jampel, le Dr Parkinson a indiqué (dans son deuxième affidavit) que, lorsque le Dr Jampel a traité de ce que l’article de Saylor avait à dire au sujet des essais cliniques sur la NOIANA dont il a été question plus haut, il a omis de noter le passage suivant qui vient juste avant le passage auquel il faisait référence :

[traduction] Même en l’absence d’essais cliniques comparatifs, les médecins prescrivaient de la brimonidine et des α‑agonistes pour traiter la NOIANA, peut-être à cause des nombreuses données expérimentales démontrant l’efficacité de la brimonidine comme agent neuroprotecteur dans des modèles animaux d’ischémie.

 

[202]       Le Dr Parkinson a ajouté que cette observation cadre avec la pratique des ophtalmologistes canadiens, qui prescrivent en effet de la brimonidine pour traiter les patients atteints de NOIANA. Il a déclaré à ce sujet : [traduction] « J’ai moi‑même prescrit de la brimonidine pour traiter la NOIANA. La brimonidine m’a aidé à stabiliser l’état de mes patients après la première agression et a prévenu dans une certaine mesure la perte de vision qui aurait pu survenir autrement ».

 

[203]       Le Dr Parkinson a par ailleurs souligné que, selon l’article de Saylor, lors d’une étude menée en 2006, Wilhelm et ses collaborateurs [traduction] « ont constaté une légère amélioration non significative du champ de vision dans le groupe traité par rapport au groupe témoin ». Il a également noté que, d’après Saylor, les résultats de cette étude n’étaient pas concluants. En ce qui concerne la neuropathie optique héréditaire de Leber, il a mentionné que, selon l’article de Saylor, [traduction] « une tendance non significative a été observée, laissant croire à un ralentissement de la progression de la perte de champ visuel dans les yeux traités par la brimonidine (0,2 %) administrée par voie topique ». Il s’est dit d’avis que cela laissait croire à l’efficacité de la brimonidine dans le traitement de la neuropathie optique héréditaire de Leber, bien qu’il ait reconnu que les résultats de l’étude n’étaient pas statistiquement significatifs parce que l’étude n’a été menée qu’auprès de 17 patients. Il a ajouté que [traduction] « Mme Saylor est loin d’affirmer que la brimonidine n’est pas efficace, elle conclut plutôt que des études complémentaires sont requises (mais pourraient être difficiles à interpréter) ». Malgré les limites des études examinées dans l’article de Saylor, il a répété que la brimonidine est déjà administrée à des patients pour le traitement de la NOIANA et de la neuropathie optique héréditaire de Leber.

 

[204]       En contre‑interrogatoire, le Dr Parkinson a concédé que lorsque l’article de Saylor a été publié, en avril 2009, l’utilité de la brimonidine comme agent neuroprotecteur n’avait pas encore été établie. Il a aussi convenu que l’article de Saylor serait un autre élément de preuve que la personne versée dans l’art utiliserait pour déterminer si la brimonidine a ou non des effets neuroprotecteurs chez l’humain. Lorsqu’on lui a demandé s’il était d’accord pour dire que l’étude de Krupin n’était rien de plus qu’un élément de preuve parmi d’autres, il a répondu en disant que son importance ne devrait pas être minimisée ainsi, parce qu’il faut examiner les méthodes de l’étude, ses résultats et la façon dont les patients et les données ont été traités. Il a ajouté que [traduction] « ce qui importe le plus, c’est de décider si les résultats de l’étude ont du sens et s’ils cadrent avec notre impression clinique, tout en s’assurant d’éviter les a priori, dans un sens ou dans l’autre ».

 

[205]       En ce qui concerne la question de savoir si l’administration topique de la brimonidine est visée par le brevet 626, le Dr Parkinson a fait plusieurs observations. Il a tout d’abord souligné que l’avis d’allégation de Sandoz ne renfermait aucune allégation selon laquelle l’administration topique de brimonidine n’est pas visée par les revendications du brevet 626. Toutefois, je suis convaincu qu’une telle allégation a été faite au paragraphe 96 de l’avis d’allégation, qui indique ceci : [traduction] « En ce qui a trait aux revendications 7 à 9, 11, 27 à 29 et 31, Sandoz ne contrefait pas non plus ces revendications parce que sa solution de brimonidine et timolol sera administrée sous forme de gouttes oculaires, et non pas par voie orale, par voie intramusculaire ni par injection intrabulbaire dans l’œil ».

 

[206]       Le Dr Parkinson s’est dit en désaccord avec l’opinion du Dr Jampel sur ce point. À cet égard, il a fait valoir que nul terme limitatif au sujet de la voie d’administration ne figurait dans les revendications 1, 2, 14, 20 et 21 du brevet 626. Il a ajouté que [traduction] « la personne versée dans l’art qui aurait lu le brevet 626 le jour de sa publication (le 16 janvier 1997) aurait compris que les inventeurs n’excluaient pas l’administration topique de la brimonidine des revendications parce que l’administration topique était une voie d’administration possible de l’invention revendiquée » dans les revendications susmentionnées. Il a également souligné que, aux pages 2 et 3 du brevet 626, les inventeurs analysent une étude ayant montré que la brimonidine avait permis de réduire la pression intraoculaire chez le lapin, le chat et le singe après une application topique au niveau de l’œil. Il a davantage étayé son opinion en signalant que (i) le brevet indique que le mode d’administration et le schéma posologique sont laissés à la discrétion du médecin traitant, que (ii) le brevet mentionne expressément que [traduction] « les modes d’administration classiques et les schémas posologiques courants des agents protecteurs […] peuvent être utilisés » et que (iii) la « personne versée dans l’art aurait nécessairement su que l’administration topique était un mode d’administration classique des médicaments ophtalmiques en date du 16 janvier 1997 ».

 

[207]       Après avoir examiné avec soin ce qui précède, y compris les renseignements dont il a été question précédemment, à la partie IV.C, je conclus que la preuve présentée par le Dr Parkinson est plus crédible et plus convaincante que celle du Dr Jampel quant à la question de savoir si l’allégation de Sandoz selon laquelle brimonidine n’est pas utile en tant qu’agent neuroprotecteur est fondée. J’accepte le témoignage du Dr Parkinson lorsqu’il affirme que (i) lui‑même et d’autres ophtalmologistes prescrivent réellement de la brimonidine comme agent neuroprotecteur dans le traitement de la NOIANA, de la neuropathie optique héréditaire de Leber et du glaucome et que (ii) l’étude de Krupin « démontre que l’administration topique de brimonidine aux patients a un effet neuroprotecteur découlant d’un mécanisme non lié à l’effet de la brimonidine sur la PIO ».

 

[208]       M’appuyant sur la preuve présentée par le Dr Parkinson et sur l’étude de Krupin, je conclus qu’Allergan s’est acquittée de son fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, cette allégation de Sandoz n’est pas fondée.

[209]       Contrairement à ce que prétend Sandoz, Allergan n’est pas tenue de démontrer sans équivoque que la brimonidine administrée par voie topique n’a aucun effet neuroprotecteur. Il lui suffit de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, la « moindre parcelle » d’utilité (Eli Lilly, précité, au paragraphe 76). J’estime qu’Allergan s’est plus acquittée de ce fardeau.

 

b)  L’objet du brevet 626 a‑t‑il fait l’objet d’une prédiction valable?

[210]       Dans ses observations écrites produites en l’espèce, Sandoz a soutenu que les essais chez l’animal divulgués dans le brevet 626 ne fournissaient pas la base factuelle nécessaire aux prétendus inventeurs pour prédire valablement que l’application topique des composés à l’essai, et à plus forte raison de la brimonidine, aurait un quelconque effet neuroprotecteur chez l’humain. Sandoz a ajouté que le brevet 626 ne divulguait aucun raisonnement clair et valable qui permettrait de faire une telle prédiction.

 

[211]       Pour appuyer sa thèse, Sandoz a souligné que les deux exemples dont il est question dans le brevet 626 portent sur un essai in vitro réalisé au moyen de cultures de nerfs d’une partie du cerveau de rats et sur un essai in vivo dans lequel des rats vivants subissaient une dissection du nerf optique, qui était ensuite lésé. Sandoz a également noté que les composés à l’essai ne comprenaient pas la brimonidine et étaient injectés par voie intrapéritonéale (dans l’abdomen). Sandoz a aussi répété qu’il n’y avait dans le brevet 626 aucune mention expresse d’une administration topique ni aucun exemple traitant de l’administration d’un quelconque composé chez l’humain ni d’un essai réalisé au moyen de cellules humaines.

 

[212]       Allergan a commencé à répondre à ce qui précède en faisant observer que Sandoz n’alléguait pas dans son avis d’allégation que les inventeurs nommés dans le brevet 626 n’avaient aucune raison de prédire que l’administration topique de la brimonidine chez l’humain aurait des effets neuroprotecteurs. Allergan a fait valoir que la Cour ne devait pas tenir compte dans la présente instance de cette allégation de Sandoz.

 

[213]       Je souscris à ce point de vue. Les allégations de Sandoz à l’égard de l’absence de prédiction valable de l’objet du brevet 626 étaient contenues dans les trois paragraphes suivants de son avis d’allégation :

[traduction]

135.     En plus de ne mettre à l’essai qu’un seul composé connu, le breveté n’a mis à l’essai que deux types différents de méthodes pour créer la prétendue « lésion » des cellules du nerf optique : la toxicité du glutamate et un « modèle de lésion mécanique par écrasement du nerf » (page 9, ligne 1). Toutefois, le breveté prétend que les composés de formule I protègent contre toute « action délétère » (revendications 1, 2 et 20, 21 et revendications dépendantes). De plus, le breveté a omis de divulguer que l’une ou l’autre des prétendues « actions délétères » en particulier (aux revendications 3 à 6; 15 à 19; 22 à 26) créent des lésions du nerf optique qui soient de quelque façon que ce soit similaires aux lésions qui découlent de la toxicité ou de l’écrasement mécanique d’un nerf.

 

136.     Par exemple, il était entendu que le glutamate pouvait entraîner un type de lésion cellulaire et le glaucome (Quigley, 1995). Le breveté n’a pas réussi à démontrer que toutes les actions délétères créeront un mode semblable de lésion cellulaire.

 

137.     Les revendications sont donc invalides parce qu’elles visent un objet dont l’utilité ne pouvait pas être valablement prédite à la date de priorité et aussi à cause de la date de dépôt du brevet 626 au Canada (au cas où la Cour estimerait que la date de dépôt est pertinente, date qui, selon Sandoz, n’est pas la bonne).

 

[214]       À mon avis, il ressort clairement du texte précité que Sandoz n’a formulé aucune allégation sur la question de savoir si le mémoire descriptif du brevet 627 permettait de prédire de façon valable qu’une administration topique de la brimodinine aurait des effets neuroprotecteurs chez l’humain. Par conséquent, Sandoz est irrecevable à soulever ces arguments dans le cadre de la présente procédure.

 

[215]       Pour le cas où il serait jugé que j’ai commis une erreur en tirant cette conclusion, je vais examiner plus loin la thèse de Sandoz sur le fond.

 

[216]       La règle de la prédiction valable comporte trois éléments :

i.         la prédiction doit avoir un fondement factuel;

ii.       à la date de la demande du brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair

iii.      et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

iv.     il doit y avoir une divulgation suffisante.

(Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2002] 4 RCS 153, au paragraphe 70 [Wellcome].)

[217]       Dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême a confirmé que la prédiction valable ne requiert pas la certitude et qu’il y a lieu « dans l’intérêt public, de divulguer toute invention nouvelle et utile avant même que son utilité n’ait été confirmée sans réserve par des essais » (Sanofi, précité, au paragraphe 105). Il faut toutefois plus que « [des] vœux pieux ou [de] simples spéculations » (Wellcome, au paragraphe 69). En résumé, « une prédiction valable exige une inférence prima facie raisonnable de l’utilité » (Eli Lilly, précité, au paragraphe 85).

 

[218]       L’opinion du Dr Jampel selon laquelle la divulgation dans le brevet 626 ne fournissait pas à la personne versée dans l’art la base factuelle nécessaire pour prédire valablement que la brimonidine administrée par voie topique aurait un effet neuroprotecteur chez l’humain reposait sur trois considérations. Premièrement, les composés à l’essai utilisés dans l’étude in vivo divulguée dans l’exemple 2 du brevet ont été injectés dans l’abdomen des rats, plutôt qu’administrés par voie topique au niveau de l’œil des rats. Deuxièmement, il n’est nulle part question dans le brevet de l’administration topique de l’un ou l’autre des composés. Troisièmement, avant juin 1996, personne n’avait jamais démontré que la brimonidine, ou tout autre agent, conférait une neuroprotection chez l’humain, et les essais chez l’animal signalés dans le brevet 626 [traduction] « n’étaient pas suffisants pour montrer que l’application topique des composés à l’essai, et à plus forte raison de la brimonidine, avaient un quelconque effet neuroprotecteur ».

 

[219]       Pour ces motifs, je souscris au point de vue du Dr Parkinson voulant que l’administration topique de la brimonidine était prévue dans le brevet 626 et est visée par ce brevet. Je retiens également l’opinion du Dr Parkinson selon laquelle un médicament qui pénètre dans l’œil peut atteindre les cellules de la rétine ou du nerf optique de deux façons possibles, soit (i) par la circulation sanguine, qui délivre le médicament administré par voie topique à l’œil de la même façon que si le médicament avait été injecté, soit (ii) par diffusion à l’intérieur de l’œil. Tant le Dr Jampel que M. Mitra étaient d’accord avec cette opinion. Le Dr Jampel a également convenu que la personne versée dans l’art aurait été au courant de l’effet général de la brimonidine en 1995. Ensemble, ces éléments invalident les deux premières considérations sur lesquelles reposait l’opinion du Dr Jampel.

 

[220]       Par conséquent, la principale question qui demeure est de savoir si le brevet 626 divulgue la base factuelle sur laquelle personne versée dans l’art s’appuierait pour prédire valablement, en juin 1996, que l’administration topique de brimonidine aurait un effet neuroprotecteur chez l’humain, une fois que l’invention serait présentée sous forme pratique (Merck & Co Inc c Apotex Inc., 2010 CF 1265, au paragraphe 521 [Merck (2010 CF 1265)]).

 

[221]       Dans l’arrêt Wellcome, la base factuelle de la prédiction valable d’une nouvelle utilisation d’un composé reposait sur les résultats d’un test in vitro effectué sur l’AZT pour en vérifier l’action sur le VIH dans une lignée cellulaire humaine, combinés aux données de l’inventeur sur l’AZT, y compris des tests sur des animaux. Le raisonnement était fondé sur la connaissance par l’inventeur du mécanisme de reproduction d’un rétrovirus (Wellcome, précité, au paragraphe 72; Eli Lilly, précité, au paragraphe 85).

 

[222]       De même, en l’espèce, la base factuelle de la prédiction valable était fournie par les deux exemples, et leurs données correspondantes, qui étaient divulgués dans le brevet 626. Nonobstant le fait que les expériences n’avaient pas été réalisées sur des cellules humaines, le Dr Parkinson s’est appuyé sur les résultats positifs établissant une activité neuroprotectrice chez le rat pour conclure que [traduction] « la personne versée dans l’art comprendrait que les données divulguées montrent que la brimonidine aurait fort probablement une certaine efficacité comme agent neuroprotecteur chez l’humain ». J’estime cette opinion plus convaincante et crédible que celle du Dr Jampel à ce sujet.

 

[223]       Selon moi, ce raisonnement, qui se retrouve aussi dans le brevet 626, est à première vue raisonnable et entièrement valable, étant donné particulièrement que les composés à l’essai ont atteint l’œil des rats par la circulation sanguine, fait qui n’a pas été contesté. En bref, la personne versée dans l’art savait que, lorsque la brimonidine est administrée par voie topique, une partie passe dans la circulation sanguine. Les expériences divulguées dans le brevet montrent que, une fois passés dans la circulation sanguine, les composés de formule 1, qui comprennent la brimonidine, ont atteint l’œil des rats et ont conféré une protection au nerf optique des rats. Finalement, le Dr Parkinson, à titre de témoin expert, a expliqué de façon convaincante que la personne versée dans l’art aurait déduit des résultats de ces expériences que la brimonidine aurait fort probablement une certaine efficacité comme agent neuroprotecteur chez l’humain. De plus, le témoignage du Dr Parkinson selon lequel les médecins s’appuient souvent sur des données obtenues chez l’animal pour traiter leurs patients n’a pas été contredit.

 

[224]       Ma conclusion à cet égard est renforcée par le fait que (i) le Dr Jampel a admis en contre‑interrogatoire que les expériences divulguées dans le brevet 626 démontraient que la brimonidine avait réellement un effet neuroprotecteur chez le rat et que (ii) l’une des études divulguées dans le brevet 626 était une étude in vivo réalisée sur des nerfs optiques de mammifère. À ce sujet, Sandoz n’a pas contesté les affirmations d’Allergan selon lesquelles (i) les études in vivo chez l’animal fournissent souvent une base factuelle beaucoup plus valable pour prédire un effet chez l’humain que les études in vitro sur des cellules humaines et (ii) les études in vivo chez l’animal se sont révélées suffisantes pour prédire valablement un effet particulier chez l’humain (voir, par exemple, Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 153, autre affaire comportant des études in vivo chez le rat). Les études in vitro chez l’animal se sont de fait révélées suffisantes à cet égard (voir, par exemple, Merck (2010 CF 1265), précité, aux paragraphes 506 à 511).

 

[225]       Je suis également convaincu que la divulgation dans le brevet 626 est suffisamment complète et claire. Je constate que les parties n’ont formulé aucune observation précise au sujet de cette troisième exigence de la règle de la prédiction valable.

 

[226]       Vu ce qui précède, je n’ai aucune hésitation à conclure qu’Allergan s’est acquittée de son fardeau de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, l’allégation de Sandoz selon laquelle le brevet 626 ne permet pas de prédire valablement que l’administration topique de brimonidine aurait un effet neuroprotecteur chez l’humain n’est pas fondée.

 

V.        Conclusion et dispositif

 

[227]       Pour les motifs qui ont été exposés, je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan a démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations formulées par Sandoz au sujet de l’invalidité du brevet 764 et du brevet 626 ne sont pas fondées.

 

[228]       En ce qui concerne la contrefaçon du brevet 626, je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan n’a pas réussi à démontrer que la monographie du produit générique de Sandoz était vraisemblablement susceptible d’inciter à la contrefaçon du brevet 626. Toutefois, pour le cas où il serait jugé que j’ai commis une erreur en tirant cette conclusion, je suis arrivé à la conclusion qu’Allergan s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les autres allégations d’absence de contrefaçon de Sandoz ne sont pas fondées.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.   ACCUEILLE la présente demande en partie, le tout avec dépens;

 

2.   INTERDIT au ministre, en vertu du paragraphe 6(2) du Règlement, de délivrer un avis de conformité à Sandoz à l’égard du médicament décrit dans la monographie de produit de Sandoz datée du 7 octobre 2009 (Brimonidine/Timolol de Sandoz) tant que le brevet canadien no 2,440,764 ne sera pas expiré;

 

3.   REJETTE la demande d’Allergan visant l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet canadien no 2,225,626.

 

             « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


.COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-154-10

 

INTITULÉ :                                       Allergan Inc. et autres c Ministre de la Santé et autres

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             Les 17, 18, 19 et 20 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew J. Reddon

Steven G. Mason

Steven Tanner

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

David Rieve

Angela Furlanetto

Ryan Evans

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrew J. Reddon

Steven G. Mason

Steven Tanner

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

David Rieve

Angela Furlanetto

Ryan Evans

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

POUR LA DÉFENDERESSE

SANDOZ CANADA INC.

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.