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Date : 20110923


Dossier : IMM-6423-10

Référence : 2011 CF 1093

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

MELVIN ALBERTO TOBIAS GOMEZ,

LUIS ENRIQUE TOBIAS GOMEZ,

MONICA PATRICIA RAMIREZ DE TOBIAS, DANIELA SARAI TOBIAS RAMIREZ, ALISSON NAHOMY TOBIAS RAMIREZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT 

 

I.          Aperçu

 

[1]               M. Melvin Alberto Tobias Gomez, son épouse, Mme Monica Patricia Ramirez De Tobias, leurs deux enfants, Daniela et Alisson, et le frère de M. Tobias Gomez, Luis, sont citoyens d’El Salvador.

 

[2]               Les demandeurs ont sollicité l’asile au Canada en alléguant qu’ils craignaient le gang de criminels baptisé Mara-18. Ils invoquaient les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) (voir en annexe).

 

[3]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leurs demandes d’asile, parce qu’elles ne reposaient pas sur des motifs reconnus par la Convention relative au statut des réfugiés (article 97) et aussi parce que le risque couru par les demandeurs, c’est-à-dire actes criminels et violences, était un risque généralisé auquel était exposé un grand nombre de gens en El Salvador (article 97).

 

[4]               Les demandeurs font valoir que les deux conclusions de la Commission sont erronées. Ils me prient d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner une nouvelle audience. Je reconnais que la Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle et je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

 

            1.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 96 de la LIPR?

            2.         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 97 de la LIPR?

[6]               Pour chacun de ces points, qui concernent des questions mixtes de droit et de fait, je ne pourrai infirmer la décision de la Commission que si elle était déraisonnable.

 

I.          Le contexte factuel

 

[7]               M. Tobias Gomez et sa famille avaient un commerce à San Salvador. Au début de juin 2005, des membres du gang Mara-18 ont menacé M. Gomez et exigé qu’il leur remette des marchandises et de l’argent liquide. Les membres du gang lui ont dit qu’ils savaient où il vivait et quelles écoles ses enfants fréquentaient. Ils ont aussi menacé son épouse et sa fille lorsqu’il ne se trouvait pas au magasin. M. Tobias Gomez prétend qu’il a tenté de faire intervenir la police, mais la police lui a dit qu’elle ne pouvait rien faire pour lui.

 

[8]               En août 2008, un membre du gang Mara-18 a menacé d’enlever sa fille, Daniela. M. Tobias Gomez affirme que, le mois suivant, il a reçu un appel téléphonique l’informant que le chef du gang voulait 50 000 $, sans quoi le gang enlèverait son épouse et ses filles. Des membres du gang se sont plus tard présentés au magasin pour lui rappeler qu’il devait payer les 50 000 $.

 

[9]               Luis affirme lui aussi que le gang l’a menacé. En 2008, il a été approché par un membre du gang qui lui a dit qu’il savait où il vivait et quelle école il fréquentait. Luis prétend que des membres du gang le suivaient lorsqu’il retournait chez lui, exigeaient qu’il se joigne au gang et le menaçaient de mort s’il refusait. Quand il résistait, ils lui donnaient des coups de poing. Luis a aussi affirmé avoir été enlevé à la pointe du fusil et menacé de mort s’il ne se joignait pas au gang Mara-18 dans un délai de 24 heures. Luis s’est tenu caché jusqu’en septembre 2008, et c’est alors qu’il s’est enfui aux États-Unis.

 

[10]           Ce même mois, les autres demandeurs ont quitté l’El Salvador pour les États-Unis. Une fois dans ce pays, ils ont appris que des membres du gang avaient visité le père de M. Tobias Gomez et exigé de lui qu’il paie la « dette » de 50 000 $. Il a retiré 10 000 $ de son compte d’épargne, puis a été battu.

 

[11]           Les demandeurs sont tous arrivés au Canada en octobre 2008 et ont sollicité l’asile à la frontière Canada-États-Unis.

 

II.         La décision de la Commission

 

            1.         L’article 96

 

[12]           La Commission a estimé que les demandeurs n’avaient pas établi un lien entre leur crainte du gang Mara-18 et leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques ou leur appartenance à un groupe social. Ils avaient fait valoir qu’ils étaient membres d’un groupe social en raison de leurs caractéristiques innées et immuables, celles d’une famille propriétaire d’un commerce, ce qui les distinguait de la population en général. Cependant, la Commission a conclu que, pour être comprise dans un groupe social donné, une personne doit appartenir soit à un groupe dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si fondamentales à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints de quitter l’association, soit à un groupe dont les membres sont associés par un statut volontaire antérieur qui est inaltérable en raison de sa permanence historique. Le premier groupe comprendrait des personnes qui craignent la persécution en raison de leur sexe, de leur langue ou de leur orientation sexuelle, tandis que le second comprendrait par exemple des militants des droits de la personne.

 

[13]           La Commission a estimé que les demandeurs avaient été victimes de divers actes criminels, mais que cela n’établissait pas un lien avec un motif prévu par la Convention. Leurs demandes d’asile ne pouvaient donc être examinées qu’au regard de l’article 97.

 

            2.         L’article 97

 

[14]           La Commission a d’abord examiné les demandes d’asile de M. Tobias Gomez, de son épouse et de leurs deux enfants. Elle a commencé par faire observer que la protection se limitait aux personnes exposées à un risque personnel quand d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne sont généralement pas exposées à un tel risque (sous-alinéa 97(1)b)(ii)).

 

[15]           La Commission faisait observer que les demandeurs avaient évoqué des menaces et une violence endémique en El Salvador. La preuve documentaire confirmait le caractère généralisé des violences meurtrières en El Salvador, en particulier celles des gangs. Les gangs tels Mara-18 commettent divers actes criminels, y compris des vols avec violence, de l’extorsion, des enlèvements et des meurtres, et ils recrutent des gens pour accroître leur pouvoir ainsi que leur rayon d’action.

 

[16]           La Commission a noté que, d’après la preuve documentaire, les gangs de criminels et les crimes qu’ils commettent sont à l’origine de graves menaces à la sécurité publique en El Salvador. Le gouvernement a légiféré et pris des mesures tactiques pour enrayer la violence généralisée des gangs. Cependant, malgré les efforts consentis, la violence des gangs ne faiblit pas. Par conséquent, le fait d’être victime d’actes criminels ou de violences de la part des gangs est un risque qui est le même pour tous en El Salvador.

 

[17]           La Commission faisait observer qu’il n’était pas nécessaire que chaque citoyen soit exposé à un risque généralisé, ajoutant qu’un sous-groupe de la population pouvait encore être exposé à un risque généralisé. En l’espèce, M. Tobias Gomez et son épouse appartiennent à un sous-groupe formé de commerçants pouvant être rançonnés par le gang Mara-18. Un risque accru auquel est exposé un sous-groupe de la population n’est pas personnel si l’ensemble de la population est généralement exposé au même risque, quoique moins fréquemment (décision Ventura De Parada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 845).

 

[18]           En ce qui concerne Luis, la Commission a examiné la preuve documentaire portant sur le mode de recrutement de nouveaux membres du gang. Elle a adopté le raisonnement suivi par le juge Richard Boivin dans la décision Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 345 (la décision Perez 1), où il écrivait que le fait que le recrutement soit personnel ne signifie pas forcément que le risque est personnel ou que d’autres personnes n’y sont pas exposées de manière générale.

 

[19]           La preuve documentaire montrait que de nombreux jeunes gens couraient le risque d’être recrutés et rançonnés par des gangs en El Salvador. Ainsi, selon la Commission, la preuve ne permettait pas de conclure que Luis était exposé à un risque personnel et spécifique.

 

[20]           La Commission a conclu que les demandes d’asile entraient toutes dans l’exception du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), parce que le risque couru par les demandeurs était un risque généralisé.

 

III.       Première question – La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 96 de la LIPR?

 

[21]           Selon les demandeurs, la Commission aurait dû chercher à savoir s’il y avait un lien avec un quelconque motif prévu par la Convention, et pas seulement avec le fait d’appartenir à un « groupe social ». Ils avaient proposé le lien constitué par les « opinions politiques », et ils soutiennent que le fait pour M. Tobias Gomez d’avoir résisté aux membres du gang après qu’ils eurent menacé Daniela aurait dû être considéré comme une persécution fondée sur des opinions politiques, à savoir l’opposition au gang.

 

[22]           Les demandeurs affirment aussi que Luis entre dans la définition d’un groupe social, puisque la preuve documentaire montrait que les jeunes Salvadoriens sont particulièrement exposés au risque d’être recrutés et rançonnés par les gangs. Les demandeurs invoquent aussi la jurisprudence de la Commission des appels en matière d’immigration des États‑Unis, qui a jugé que [TRADUCTION] « les jeunes que des gangs de criminels ont cherché à recruter et qui leur ont résisté ont sans doute vécu les mêmes expériences, qui par définition ne peuvent être changées » : Matter of S-E-G-, et al., 24 I&N Dec 579, Commission des appels en matière d’immigration des États‑Unis, 30 juillet 2008.

 

[23]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême soulignait que l’expression « opinions politiques » devait être définie d’une manière libérale et comprenait la persécution de personnes professant des opinions contraires au gouvernement ou à ses politiques, ou contraires à d’autres groupes. La Cour définissait une opinion politique comme [traduction] « toute opinion sur une question dans laquelle l’appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé » (au paragraphe 81).

 

[24]           L’opinion d’une personne peut en réalité être reflétée par ses actes ou déduite de ses actes. Comme le faisait observer le juge La Forest, « [i]l se peut qu’étant donné qu’il ne s’exprime pas verbalement, le demandeur ait plus de difficulté à établir le rapport existant entre cette opinion et la crainte d’être persécuté, mais cela ne l’empêche pas d’être protégé » (au paragraphe 82). La question de savoir si le demandeur d’asile professe une opinion politique, ou si une opinion politique peut lui être attribuée, devrait être « examinée[…] du point de vue du persécuteur, puisque c’est ce qui est déterminant lorsqu’il s’agit d’inciter à la persécution » (au paragraphe 83).

 

[25]           Cependant, le juge La Forest ajoutait que « [l]e fait pour une personne d’être en dissentiment avec une organisation ne lui permettra pas toujours de chercher asile au Canada; le désaccord doit être fondé sur une conviction politique » (au paragraphe 86). En l’espèce, pour établir un lien avec le motif « opinions politiques » prévu par la Convention, les demandeurs devaient apporter une preuve montrant que leur opposition au gang Mara-18 équivalait à une conviction politique, ou que leur opposition était interprétée de cette façon par le gang. Cependant, ils n’ont pas, en réalité, prouvé que leur résistance aux tentatives du gang pour les rançonner et les enrôler était le résultat d’un acte politique conscient ou d’un acte qui serait considéré comme tel par le gang Mara-18.

 

[26]           Les demandeurs font état d’une preuve objective qui montre que ceux qui résistent aux gangs en El Salvador s’exposent à un châtiment. Cependant, la preuve documentaire ne montre pas que cette résistance est perçue par le gang Mara-18 comme une position politique qui lui est hostile. Il semble que le refus des demandeurs de céder à des demandes d’extorsion de plus en plus exigeantes et le refus de Luis de s’enrôler étaient des actes de préservation économique et personnelle, plutôt que l’expression d’une position politique.

 

[27]           En outre, même si les demandeurs ont évoqué les « opinions politiques » comme motif de persécution dans leurs exposés écrits, ils n’ont pas vigoureusement avancé cet argument devant la Commission. Il incombe à la Commission de définir les motifs de persécution, même s’ils ne sont pas avancés par un demandeur d’asile, mais l’on doit se demander si la question a été sérieusement présentée, et étayée par la preuve. Ici, les opinions politiques semblent être un aspect que les demandeurs ont invoqué pour contester la décision de la Commission après le fait (comme ce fut le cas dans l’affaire Suvorova c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 393, au paragraphe 56).

 

[28]           Je suis d’avis que la Commission a validement considéré la persécution alléguée par les demandeurs, mais qu’elle n’a pu déceler aucun lien avec un motif prévu par la Convention. Il m’est impossible de dire que la décision de la Commission était déraisonnable – sauf une exception.

 

[29]           Je suis d’avis que la Commission aurait dû se demander si Luis était membre d’un « groupe social », étant donné qu’il était un jeune Salvadorien vivant à San Salvador, ou un jeune qui refusait de se joindre à un gang.

 

IV.       Deuxième question – La Commission a-t-elle commis une erreur dans son interprétation de l’article 97 de la LIPR?

 

[30]           Selon les demandeurs, l’analyse de la Commission portant sur l’article 97 fait une mauvaise interprétation de la jurisprudence et contredit les objets de cette disposition. Ils affirment que le mot « généralement », au sous-alinéa 97(1)b)(ii), constitue un seuil destiné à faire obstacle aux demandes d’asile fondées sur des menaces qui touchent la totalité d’un pays, par exemple catastrophes naturelles ou violences gratuites.

 

[31]           Les demandeurs se fondent sur l’approche adoptée par la juge Eleanor Dawson, une approche qui donne un sens large au mot « généralement », dans l’article 97. Elle admettait qu’un demandeur d’asile pouvait bénéficier d’une protection même si d’autres personnes se trouvaient dans la même situation (Surajnarain c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1165, au paragraphe 11).

 

[32]           Selon les demandeurs, la Commission s’est fourvoyée en concluant qu’ils appartenaient à un sous-groupe de commerçants qui était la cible possible d’extorsion, ce qui ne suffisait pas à « personnaliser » le risque. Ils disent que la Commission a commis une erreur, parce que, bien que la persécution de la famille ait commencé par des demandes d’extorsion modérées (qui peuvent constituer un risque généralisé), elle s’est considérablement intensifiée après que M. Tobias Gomez eut résisté à un membre du gang. Le risque est donc passé du harcèlement à une menace personnelle dirigée vers les membres de la famille. Selon les demandeurs, le risque qu’ils courent est une conséquence de leur résistance au gang Mara-18, et ce n’est donc pas un risque que subit l’ensemble de la population salvadorienne.

 

[33]           Dans le cas de Luis, la Commission a conclu qu’il n’était pas traité différemment d’autres personnes qui sont les cibles d’un possible enrôlement par les gangs en El Salvador. Mais les demandeurs disent que Luis était ciblé en raison de son âge, de son sexe et de l’endroit géographique où il se trouvait, des facteurs qui ne s’appliquent pas à tous les Salvadoriens. Par ailleurs, il avait été personnellement ciblé, suivi, physiquement agressé, menacé de mort et enlevé.

 

[34]           Les demandeurs affirment aussi que, lorsque la population tout entière est exposée à un risque, ce risque n’est plus généralisé si une personne est individuellement ciblée (Pineda c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365). Pareillement, un demandeur d’asile qui a été ciblé personnellement par un adversaire connu de lui cesse d’être une victime de menaces ou d’actes d’extorsion « aléatoires » (Munoz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 238).

 

[35]           Le juge Paul Crampton examinait récemment l’analyse à faire pour les demandes d’asile de cette nature (Guifarro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 182). Dans ce précédent, le demandeur d’asile avait été la cible d’extorsion de la part du gang Mara-18 au Honduras. Après qu’il eut cessé de se plier aux exigences du gang, des membres du gang l’avaient agressé.

 

[36]           Selon le juge Crampton, la Commission ne commet pas d’erreur quand elle rejette une demande de protection au titre de l’article 97 après avoir conclu que le risque prétendu est partagé par un sous-groupe de la population qui est suffisamment important pour que le risque puisse raisonnablement être qualifié de risque répandu ou courant dans ce pays. Cette conclusion est valide même lorsque ce sous-groupe de personnes peut être spécifiquement ciblé, par exemple le sous‑groupe des personnes considérées comme riches.

 

[37]           Pareillement, le juge Michael Kelen faisait observer, dans la décision Perez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1029, au paragraphe 34 (la décision Perez 2), que, lorsqu’un demandeur d’asile est d’abord harcelé par un gang de criminels parce qu’il est propriétaire d’un commerce, puis qu’il reçoit des menaces pour avoir refusé de payer la somme exigée par le gang, il s’agit là simplement d’une prolongation de l’extorsion, et non d’un risque personnel.

 

[38]           À mon avis, les circonstances de la présente cause se rapprochent davantage des affaires Pineda et Munoz que des affaires Guifarro et Perez 2. Les demandeurs avaient d’abord reçu des menaces, qui sont répandues et fréquentes en El Salvador. Cependant, les événements ultérieurs ont montré que les demandeurs avaient été spécifiquement ciblés après avoir défié le gang. Le gang menaçait d’enlever l’épouse et la fille de M. Tobias Gomez et il semblait résolu à percevoir la « dette » de 40 000 $ des demandeurs. Le risque couru par les demandeurs allait dès lors au-delà des menaces et agressions de nature générale. Le gang les a ciblés personnellement.

 

[39]           Il en va de même pour Luis. L’enrôlement par les gangs est un phénomène répandu et fréquent en El Salvador, mais c’est Luis qui a été choisi et il a été victime de menaces, d’agressions et d’enlèvement. Ces événements montrent que le risque couru par Luis était personnel, ce n’était pas un risque généralement ressenti par le reste de la population.

 

[40]           Les conclusions tirées par la Commission au regard de l’article 97 étaient donc déraisonnables. La Commission a considéré que les demandeurs étaient ciblés simplement en tant que commerçants ou, dans le cas de Luis, en tant que jeune homme. Elle n’a pas considéré ensuite les menaces et épreuves ultérieures dont les demandeurs étaient personnellement l’objet.

 

V.        Conclusion et dispositif

 

[41]           La Commission ne s’est pas demandé si Luis appartenait à un groupe social, et, compte tenu de la preuve dont elle disposait, cette omission était déraisonnable. Ses conclusions relatives aux autres demandeurs relativement à l’article 96 étaient raisonnables. En outre, vu la preuve des menaces individualisées proférées contre les demandeurs, la conclusion de la Commission selon laquelle ils étaient exposés à des risques communs à l’ensemble de la population d’El Salvador était, elle aussi, déraisonnable. Ni l’une ni l’autre de ces conclusions n’appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un autre tribunal. Le tribunal examinera à nouveau les demandes d’asile des demandeurs selon l’article 97, et la demande d’asile de Luis selon l’article 96. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale susceptible d’être certifiée, et aucune question du genre n’est certifiée.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la tenue d’une nouvelle audience devant un autre tribunal est ordonnée;

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


Annexe

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

 

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Convention refugee

 

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6423-10

 

INTITULÉ :                                       MELVIN ALBERTO TOBIAS GOMEZ, ET AUTRES

                                                             c.

                                                            MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 mai 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Patricia Wells

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Suran Bhattacharyya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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