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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111116


Dossier : IMM-1462-11

Référence : 2011 CF 1315

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SHAMSUN NAHER CHOWDHURY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à la décision rendue par une agente d’immigration du Haut‑commissariat du Canada à Singapour, en date du 1er décembre 2010 (la décision), de rejeter la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse en application du paragraphe 75(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

 

LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse, une citoyenne du Bangladesh, a fait une demande de résidence permanente à titre de travailleuse qualifiée (fédérale) en application du paragraphe 75(1) du Règlement le 25 novembre 2009.

[3]               La demanderesse a produit des copies certifiées de ses diplômes d’études secondaires, de son baccalauréat et de sa M.B.A. afin de faire la preuve de ses études. Elle a produit également une copie certifiée de son dossier relatif à la M.B.A. qu’elle a obtenue de l’Université Stamford, au Bangladesh, qui démontrait qu’elle avait suivi des cours donnant droit à 66 crédits en date du 24 décembre 2008. Elle a produit aussi une lettre du professeur Jamal Uddin Ahmed, un conseiller pédagogique de l’Université Stamford, au Bangladesh, qui indiquait qu’elle s’était inscrite en 2006 et qu’elle suivait des cours depuis deux ans. La demanderesse a aussi déposé le formulaire IMM0008 – Annexe 1 : Antécédents (le formulaire IMM0008) avec sa demande, où elle a écrit qu’elle avait suivi à temps plein le programme de deux ans menant à l’obtention d’une M.B.A. entre janvier 2006 et août 2008. Elle a aussi écrit sur le formulaire IMM0008 qu’elle avait travaillé à temps plein comme vérificatrice financière entre 2005 et 2008.

[4]               Le dossier certifié du tribunal (le DCT) montre que la demanderesse a produit une lettre de Quazi Saiful Islam (Islam) pour prouver sa capacité d’adaptation au Canada suivant le sous‑alinéa 83(5)a)(vi) du Règlement. La lettre indique qu’Islam, un résident permanent du Canada, est l’oncle de la demanderesse. Islam a joint à sa lettre un arbre généalogique qui montre que lui et la mère de la demanderesse, Sayeeda Begum, ont le même père, Quazi Fazlul Karim, et la même mère, Quazi Heron Nessa. La demanderesse a produit également le certificat de naissance sous forme d’affidavit d’Islam, ainsi qu’une copie de son propre certificat de naissance pour démontrer qu’il est bien son oncle. Le DCT ne contient cependant pas le certificat de naissance de la mère de la demanderesse, contrairement à ce que l’oncle a écrit dans sa lettre.

[5]               Le 28 avril 2010, le consultant en immigration de la demanderesse a envoyé au Haut‑commissariat à Singapour une lettre dans laquelle la demanderesse, par la voix de son consultant, demandait que, [traduction] « si l’on déterminait que la demanderesse n’avait pas le nombre de points requis, l’on envisage d’appliquer une appréciation de substitution” conformément aux paragraphes 76(3) et (4) étant donné qu’une appréciation sous forme de points ne serait pas un indicateur suffisant de l’aptitude de la demanderesse à réussir son établissement économique au Canada ».

[6]               L’agente a procédé à l’appréciation le 24 novembre 2010. Elle a attribué 61 points à la demanderesse. Elle a donc rejeté la demande parce que la demanderesse n’avait pas obtenu les 67 points requis pour immigrer au Canada. L’agente a avisé la demanderesse de sa décision par une lettre datée du 1er décembre 2010.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               La décision faisant l’objet du contrôle en l’espèce est constituée de la lettre de refus de l’agente du 1er décembre 2010 et de ses notes du STIDI qui ont été versées au dossier.

[8]               L’agente a attribué à la demanderesse un total de 61 points, répartis de la façon suivante :

            Facteur                                               Points attribués          Maximum

 

            Âge                                                                  10                                10

            Études                                                              22                                25

            Compétence dans les langues officielles 08                                24

Expérience                                                       21                                21

            Emploi réservé                                      0                                  10

            Capacité d’adaptation                                       0                                  10

 

            TOTAL                                                           61                                100

 

 

[9]               La demanderesse conteste le nombre de points attribués pour les études et la capacité d’adaptation.

Les études

[10]           L’agente a attribué 22 points d’appréciation à la demanderesse pour les études parce qu’elle a conclu que le diplôme le plus élevé de la demanderesse était une maîtrise, qu’elle avait obtenue après 16 ans d’études à temps plein. Aux termes du sous‑alinéa 78(2)e)(ii) du Règlement, 22 points sont attribués à un travailleur qualifié qui a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins 15 années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.

[11]           L’agente a indiqué que la demanderesse avait terminé le programme menant à l’obtention de sa M.B.A. en deux ans pendant qu’elle travaillait à temps plein comme vérificatrice, et elle a conclu que [traduction] « le programme menant à la M.B.A. de la demanderesse est vraisemblablement d’une durée d’un an et, par conséquent, [la demanderesse] a étudié pendant 16 ans pour obtenir sa M.B.A. ».

La capacité d’adaptation

[12]           L’agente a dit dans sa lettre de refus que la demanderesse était célibataire, qu’elle n’avait pas d’emploi réservé et qu’elle n’avait jamais étudié ou travaillé au Canada. Elle a dit aussi que la demanderesse prétendait avoir un oncle au Canada. L’agente a conclu que le lien entre la demanderesse et son prétendu oncle n’avait pas été établi parce que la demanderesse n’avait pas produit les certificats de naissance de ses parents. Les notes du STIDI révèlent que l’agente disposait de la carte de résident permanent de l’oncle, de son certificat de naissance sous forme d’affidavit, de sa lettre et de l’arbre généalogique qui y était joint. L’agente n’a accordé aucun point pour la capacité d’adaptation.

[13]           L’agente a rejeté la demande parce qu’elle avait attribué 61 points à la demanderesse alors qu’au moins 67 points sont nécessaires pour immigrer au Canada. Elle n’a pas envisagé de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi comme les paragraphes 76(3) et (4) lui permettaient de le faire.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.                  La conclusion de l’agente selon laquelle le programme menant à l’obtention de sa M.B.A. avait une durée d’un an seulement était‑elle raisonnable?

b.                  La conclusion de l’agente selon laquelle le lien entre Islam et la demanderesse n’a pas été établi était‑elle raisonnable?

c.                  La demanderesse a-t-elle eu droit à l’équité procédurale?

d.                  L’agente a-t-elle eu tort de ne pas envisager de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi?

 


LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[15]           La disposition suivante de la Loi s’applique en l’espèce :

Sélection des résidents permanents

 

12. (2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

 

 

Selection of Permanent Residents

 

12. (2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

[16]           Les dispositions suivantes du Règlement s’appliquent également en l’espèce :

Travailleurs qualifiés (fédéral)

 

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs

qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

Critères de sélection


76. (1) Les critères ci-après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son

établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

 

 

 

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

 

 

(i) les études, aux termes de l’article 78,

 

[...]

 

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

 

[...]

 

(3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui-ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

 

 

 

 

 

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

 

[...]

 

 

 

Grille de sélection

78. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« temps plein » À l’égard d’un programme d’études qui conduit à l’obtention d’un diplôme, correspond à quinze heures de cours par semaine pendant l’année scolaire, et comprend toute période de formation donnée en milieu de travail et faisant partie du programme.

 

« équivalent temps plein » Par rapport à tel nombre d’années d’études à temps plein, le nombre d’années d’études à temps partiel ou d’études accélérées qui auraient été nécessaires pour compléter des études équivalentes.

 

Études

 

(2) Un maximum de 25 points d’appréciation sont attribués pour les études du travailleur qualifié selon la grille suivante :

 

[...]

 

e) 22 points, si, selon le cas :

 

(i) il a obtenu un diplôme postsecondaire — autre qu’un diplôme universitaire — nécessitant trois années d’études et a accumulé un total de quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein,

 

(ii) il a obtenu au moins deux diplômes universitaires de premier cycle et a accumulé un total d’au moins quinze années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein;

 

f) 25 points, s’il a obtenu un diplôme universitaire de deuxième ou de troisième cycle et a accumulé un total d’au moins dix-sept années d’études à temps plein complètes ou l’équivalent temps plein.

 

Circonstances spéciales

 

(4) Pour l’application du paragraphe (2), si le travailleur qualifié est titulaire d’un diplôme visé à l’un des alinéas (2)b), des sous-alinéas (2)c)(i) et (ii), (2)d)(i) et (ii) et (2)e)(i) et (ii) ou à l’alinéa (2)f) mais n’a pas accumulé le nombre d’années d’études à temps plein ou l’équivalent temps plein prévu à l’un de ces alinéas ou sous-alinéas, il obtient le nombre de points correspondant au nombre d’années d’études à temps plein complètes — ou leur équivalent temps plein – mentionné dans ces dispositions.

 

[...]

 

Capacité d’adaptation

 

83. (1) Un maximum de 10 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié au titre de la capacité d’adaptation pour toute combinaison des éléments ciaprès, selon le nombre indiqué :

 

[...]

 

d) pour la présence au Canada de l’une ou l’autre des personnes visées au paragraphe (5), 5 points;

 

Parenté au Canada

 

 

(5) Pour l’application de l’alinéa (1)d), le travailleur qualifié obtient 5 points dans les cas suivants :

 

a) l’une des personnes ci-après qui est un citoyen canadien ou un résident permanent et qui vit au Canada lui est unie par les liens du sang ou de l’adoption ou par mariage ou union de fait ou, dans le cas où il l’accompagne, est ainsi unie à son époux ou conjoint de fait :

 

[...]

 

(vi) un enfant de l’un des parents de l’un de leurs parents, autre que l’un de leurs parents,

 

 

Federal Skilled Worker Class

 

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

Selection criteria

 

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in

Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

 

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required

points referred to in subsection

(2) on the basis of the following factors, namely,

 

(i) education, in accordance with section 78,

 

...

 

(vi) adaptability, in accordance with section 83;

 

...

 

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

 

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

 

...

 

 

 

Selection Grid

 

78. (1) The definitions in this subsection apply in this section.

 

“full-time” means, in relation to a program of study leading to an educational credential, at least 15 hours of instruction per week during the academic year, including any period of training in the workplace that forms part of the course of instruction.

 

“full-time equivalent” means, in respect of part-time or accelerated studies, the period that would have been required to complete those studies on a full-time basis.

 

 

 

 

Education

 

(2) A maximum of 25 points shall be awarded for a skilled worker’s education as

follows:

 

...

 

 

(e) 22 points for

 

(i) a three-year post-secondary educational credential, other than a university educational credential, and a total of at least 15 years of completed fulltime or full-time equivalent studies, or

 

 

(ii) two or more university educational credentials at the bachelor’s level and a total of at least 15 years of completed

full-time or full-time  equivalent studies; and

 

 

(f) 25 points for a university educational credential at the master’s or doctoral level and a total of at least 17 years of completed full-time or full-time equivalent studies.

 

 

 

Special Circumstances

 

(4) For the purposes of subsection (2), if a skilled worker has an educational credential referred to in paragraph (2)(b), subparagraph

(2)(c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or

(e)(i) or (ii) or paragraph (2)(f), but not the total number of years of full-time or fulltime

equivalent studies required by that paragraph or subparagraph, the skilled worker shall be awarded the same number of points as the number of years of completed full-time or full-time equivalent studies set out in the paragraph or subparagraph.

 

 

...

 

Adaptability

 

83. (1) A maximum of 10 points for adaptability shall be awarded to a skilled worker on the basis of any combination of the following elements:

 

 

 

 

...

 

(d) for being related to a person living in Canada who is described in subsection (5), 5 points;

 

Family relationships in Canada

 

(5) For the purposes of paragraph (1)(d), a skilled worker shall be awarded 5

points if

 

(a) the skilled worker or the skilled worker’s accompanying spouse or accompanying common-law partner is related

by blood, marriage, common-law partnership or adoption to a person who is a Canadian citizen or permanent resident

living in Canada and who is

 

...

 

(vi) a child of the father or mother of their father or mother, other than their father or mother,

 


LA NORME DE CONTRÔLE

[17]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, que l’analyse relative à la norme de contrôle n’avait pas à être menée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie a été bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

[18]           Dans Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268, le juge Yves de Montigny a statué que l’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une grande retenue. Dans Persaud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 206, le juge John O’Keefe a affirmé que la norme de contrôle qui s’applique à une décision relative à la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est la raisonnabilité. Voir aussi Tong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 165. La norme de contrôle applicable aux deux premières questions en litige est donc celle de la raisonnabilité.

[19]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[20]           Dans Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, la Cour suprême du Canada a statué que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Dans Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 53 que « [l]a question de l’équité procédurale est une question de droit. Aucune déférence n’est nécessaire. Soit le décideur a respecté l’obligation d’équité dans les circonstances propres à l’affaire, soit il a manqué à cette obligation ». La norme de contrôle applicable à la troisième question est donc celle de la décision correcte.

[21]           La demanderesse conteste le fait que l’agente n’a pas envisagé de substituer sa propre appréciation aux critères de sélection prévus par la loi comme le paragraphe 76(3) du Règlement lui permettait de le faire. Dans Fernandes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 243, le juge Barry Strayer a dit ce qui suit à ce sujet, au paragraphe 8 :

Ce que la demanderesse fait valoir en l’espèce, c’est le défaut de l’agente de prendre en considération la question de savoir si le pouvoir discrétionnaire devait ou non être exercé, et non pas l’exercice inapproprié de ce pouvoir. Bien que le défaut d’exercer le pouvoir discrétionnaire ait souvent été considéré comme étant un manquement aux principes de l’équité procédurale (voir, par exemple, Nayyar, précitée, paragraphe 8), cela me semble mettre en cause une question de droit – celle de savoir si l’agent des visas concerné a bien respecté chacun des éléments prescrits par la loi. Or, dans l’un et l’autre cas, la norme de contrôle appropriée, et que j’appliquerai à la question en litige, est celle de la décision correcte.

 

 

[22]           Dans Miranda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 424, le juge David Near s’est appuyé sur Fernandes et a statué, au paragraphe 9, que la norme de contrôle qui s’applique à l’étude, par un agent, d’une demande visant à substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément au paragraphe 76(3) de la Loi est celle de la décision correcte. Lorsqu’un demandeur présente une telle demande, l’agent doit l’examiner. Je suis convaincu que la norme de contrôle applicable à la troisième question en l’espèce est celle de la décision correcte.

[23]           La Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 50 de Dunsmuir, précité :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

LES THÈSES DES PARTIES

La thèse de la demanderesse

La conclusion de l’agente selon laquelle le programme menant à l’obtention de la M.B.A. de la demanderesse était d’une durée d’un an seulement était déraisonnable

 

 

[24]           La demanderesse affirme que l’agente a commis une erreur lorsqu’elle a attribué seulement 22 points pour ses études et qu’elle n’a tenu compte d’aucun des documents scolaires qu’elle a produits avec sa demande. Elle s’appuie sur Hasan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1206, pour faire valoir que le dernier diplôme doit être évalué en tenant compte des antécédents d’études complets du demandeur. Elle souligne que le dossier scolaire qu’elle a produit avec sa demande montre qu’elle a obtenu 66 crédits entre 2006 et 2008. Elle dit qu’il était déraisonnable que l’agente conclue que les 66 crédits équivalaient à une année d’études à temps plein seulement, même si elle les avait obtenus pendant qu’elle travaillait à temps plein comme vérificatrice.

La conclusion de l’agente sur le lien entre la demanderesse et son oncle était déraisonnable

[25]           La demanderesse soutient que la conclusion de l’agente selon laquelle le lien entre elle et Islam n’avait pas été établi était déraisonnable parce que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve dont elle disposait et que la demanderesse n’a pas eu droit à l’équité procédurale.

            La conclusion ne tenait pas compte de la preuve

[26]           La conclusion selon laquelle son lien avec son oncle n’avait pas été établi était déraisonnable parce que l’agente ne s’est pas appuyée sur l’arbre généalogique fourni par ce dernier. La demanderesse affirme que, même si l’agente ne disposait pas du certificat de naissance de sa mère, elle aurait dû conclure que l’arbre généalogique suffisait à établir ce lien. Il était déraisonnable que l’agente ne tire pas cette conclusion.

La demanderesse n’a pas eu droit à l’équité procédurale

[27]           La conclusion de l’agente sur le lien entre la demanderesse et son oncle était fondée sur le fait que le DCT ne contenait pas le certificat de naissance de la mère de la demanderesse. Cette dernière affirme qu’elle a remis à son consultant une demande complète incluant le certificat de naissance de sa mère. Or, la demande déposée par le consultant ne renfermait pas ce certificat de naissance. Selon la demanderesse, l’absence de ce document soulevait des doutes au sujet de la preuve que l’agente avait l’obligation d’éclaircir. Elle soutient que, selon Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 759, lorsqu’il existe des doutes au sujet de la preuve, l’agent a l’obligation de clarifier la situation avec le demandeur. Elle dit aussi que Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 430, indique que l’agent doit clarifier toute erreur manifeste avec le demandeur avant de rendre une décision défavorable. Lorsqu’elle a constaté qu’il manquait le certificat de naissance, l’agente avait l’obligation de clarifier la situation avec la demanderesse avant de rendre une décision défavorable. L’agente a porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses doutes.

[28]           La demanderesse s’appuie également sur Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1398, pour faire valoir qu’un demandeur doit avoir la possibilité de fournir les documents manquants. L’agente a porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale en ne lui donnant pas la possibilité de fournir le certificat de naissance manquant.

[29]           La demanderesse dit également qu’elle n’a pas eu droit à l’équité procédurale à cause de l’omission de l’agente de se renseigner au sujet du certificat de naissance manquant et de l’omission de son consultant de déposer un dossier complet au Haut‑commissariat l’a privée de l’équité procédurale. Elle a subi un préjudice parce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a aboli, en juin 2011, la catégorie professionnelle au titre de laquelle elle avait présenté sa demande et qu’elle ne peut pas présenter une demande au titre d’une autre catégorie. Elle dit que, comme ce changement l’empêchera de présenter une nouvelle demande à jour, elle a subi un préjudice par suite des omissions de son agente et de son consultant.

L’agente a eu tort de ne pas envisager de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi

[30]           Enfin, la demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur en n’envisageant pas de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi comme les paragraphes 76(3) et (4) du Règlement lui permettaient de le faire. Elle dit que l’agente aurait dû tenir compte, dans le cadre de son appréciation, de la somme de 30 000 $ CAN devant servir à son établissement. Elle fait valoir que, selon Choi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 577, une appréciation de substitution peut inclure non seulement les facteurs mentionnés au paragraphe 76(1), mais aussi les fonds dont un demandeur dispose pour s’établir.

La thèse du défendeur

[31]           Le défendeur affirme que, lorsqu’un pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle par un agent des visas et que ce dernier ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, la cour ne devrait pas modifier la décision. Voir Maple Lodge Farms Ltd. c Canada, [1982] 2 RCS 2.

La conclusion de l’agente concernant la M.B.A. de la demanderesse était raisonnable

[32]           Le défendeur affirme que la décision de l’agente d’attribuer pour les études 22 points d’appréciation et non 25 était correcte étant donné que l’agente avait conclu que le programme ayant mené au M.B.A. de la demanderesse équivalait à un programme d’études d’un an à temps plein. La conclusion de l’agente selon laquelle la demanderesse avait étudié à temps plein pendant 16 ans était raisonnable. L’agente a reconnu que la demanderesse détenait un diplôme de premier cycle; sa conclusion selon laquelle le programme ayant mené à l’obtention de sa M.B.A. équivalait à une année d’études à temps plein était raisonnable parce qu’elle était fondée sur la preuve dont elle disposait. Comme la demanderesse l’a écrit dans le formulaire IMM0008, elle travaillait à temps plein pendant qu’elle suivait ce programme. L’agente a adopté la démarche décrite dans Shahid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 40, aux paragraphes 29 et 30, lorsqu’elle a évalué le programme :

Ainsi, la personne qui est aux études à temps partiel et qui obtient un diplôme universitaire après deux ans d’études dans des circonstances dans lesquelles le même diplôme peut être obtenu à temps plein après un an est réputée avoir suivi « quinze heures de cours par semaine » pendant une seule année. En revanche, la personne qui fait des études accélérées et qui obtient un diplôme après un an d’études, dans des circonstances dans lesquelles le même diplôme peut être obtenu à temps plein après deux ans, est réputée avoir suivi « quinze heures de cours par semaine » pendant deux ans.

 

En définitive, la personne qui obtient un diplôme à la suite « d’études à temps partiel ou d’études accélérées » est réputée avoir étudié un nombre d’heures équivalent à celui de la personne qui obtient le même diplôme à la suite d’études à temps plein. Fait significatif à signaler, la définition ne prévoit aucune autre forme d’équivalence.

L’agente a adopté la démarche appropriée et a conclu que la demanderesse avait accumulé 16 années d’études. En conséquence, elle a accordé 22 points comme le sous‑paragraphe 78(2)e)(ii) l’exigeait.

            Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[33]           Un agent n’est pas tenu d’aviser un demandeur lorsqu’il doute que celui‑ci puisse obtenir 67 points, ni de lui permettre de dissiper ses doutes. Dans Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] ACF no 940, le juge Marshall Rothstein a dit au paragraphe 8 :

Contrairement à ce que l’avocat soutient, je ne suis pas disposé à dire qu’un agent des visas est tenu d’aviser une partie requérante lorsqu’il doute que celle-ci puisse obtenir 70 points d’appréciation et de lui fournir l’occasion de dissiper ces doutes. Cet argument équivaut à dire que, chaque fois qu’un agent des visas pense qu’une demande de résidence permanente pourrait être refusée, il doit indiquer la décision prévue à l’avance et donner à la partie requérante une autre chance de respecter les exigences. Même si un agent des visas peut effectivement agir de la sorte, il n’est nullement tenu de le faire (voir, p. ex., l’arrêt Prasad c. M.C.I., IMM-3373-94, 2 avril 1996 (C.F. 1re inst.)).

[34]           Le défendeur affirme également que la jurisprudence établit clairement que les demandeurs seront tenus responsables du choix de leurs conseillers. Dans Frenkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 96, le protonotaire Hargrave a statué au paragraphe 10 que « le client doit supporter les conséquences d’avoir mal choisi son avocat ». En outre, cette décision nous enseigne que l’incompétence professionnelle devrait généralement être traitée par les organisations professionnelles et que les tribunaux ne devraient intervenir que dans des cas exceptionnels. Le défendeur s’appuie également sur les propos suivants formulés par le juge Denis Pelletier dans Cove c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 266, au paragraphe 10 :

Les conséquences découlant de l’inexécution de leurs obligations pour leurs clients seront les mêmes que dans le cas des clients des avocats spécialisés en matière d’immigration. Il n’y a aucune raison pour laquelle la Cour devrait protéger les consultants des allégations de négligence en fermant les yeux lorsqu’ils commettent des erreurs.

La demanderesse ne peut maintenant prétendre qu’elle n’a pas eu droit à la justice naturelle ou à l’équité procédurale parce qu’elle a mal choisi son avocat.

L’agente n’avait pas l’obligation d’envisager de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi

[35]           Le défendeur convient avec la demanderesse que les agents ont le pouvoir d’envisager de substituer leur appréciation aux critères de sélection prévus par la loi de leur plein gré ou à la demande du demandeur. Selon Eslamieh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 722, toutefois, les agents n’ont l’obligation d’exercer ce pouvoir que si une demande expresse en ce sens leur est présentée. Or, la demanderesse n’a pas présenté une telle demande, de sorte que l’agente n’a pas commis une erreur en n’envisageant pas de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi.

L’ANALYSE

            Les études

 

[36]           En premier lieu, la demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur dans l’évaluation de ses études. Elle rappelle qu’elle a obtenu une maîtrise et qu’elle a accumulé un total de 17 années d’études, ce qui, selon le Règlement, lui donnerait droit à 25 points. L’agente a toutefois estimé que la demanderesse n’avait accumulé que 16 années d’études, en plus d’obtenir sa maîtrise, ce qui lui donnait droit à 22 points seulement.

[37]           Le nombre de points d’appréciation qui doit être attribué dépend exclusivement de la question de savoir si le programme ayant mené à la maîtrise de la demanderesse équivalait à un programme de deux ans à temps plein comme la demanderesse le prétend ou à un programme d’une année à temps plein comme l’agente l’a estimé.

[38]           L’agente a noté que la demanderesse travaillait à temps plein pendant qu’elle suivait son programme de maîtrise. Elle a donc conclu que celui‑ci était [traduction] « vraisemblablement un programme d’une durée d’un an ». Il s’agit d’une conclusion de fait à l’égard de laquelle la Cour doit normalement faire preuve de retenue. En l’espèce cependant, il appert que l’agente était davantage préoccupée par la question de savoir si la demanderesse travaillait à temps plein que par la durée du programme de M.B.A.

[39]           La décision de l’agente ne permet pas de savoir si elle a pris en considération le dossier scolaire relatif à la M.B.A. de la demanderesse. Si elle l’avait fait, elle aurait su que la demanderesse avait obtenu 66 crédits dans le cadre de ce programme. Il s’agit d’un nombre de crédits considérable à obtenir au cours d’une seule année – l’agente a d’ailleurs conclu que le programme était [traduction] « vraisemblablement » d’une durée d’un an – qui appuie la prétention de la demanderesse selon laquelle il s’agissait d’un programme de deux ans à temps plein.

[40]           Compte tenu de la preuve dont l’agente disposait, je conclus que l’évaluation que celle‑ci a faite des études de la demanderesse n’était pas raisonnable. L’agente avait l’obligation de tenir compte de toute la preuve qui lui avait été présentée. Pourtant, rien dans la décision n’indique qu’elle a été attentive au nombre de crédits obtenus par la demanderesse.

[41]           Comme le défendeur l’a souligné toutefois, cette conclusion ajouterait seulement trois points à ceux attribués à la demanderesse. Celle‑ci n’aurait toujours pas les 67 points requis.

La capacité d’adaptation

[42]           La demanderesse soulève plusieurs questions au regard de la décision de l’agente de ne lui accorder aucun point pour la capacité d’adaptation.

[43]           L’agente a décidé de n’attribuer aucun point pour la capacité d’adaptation parce qu’elle ne disposait pas de tous les documents dont elle avait besoin – il lui manquait plus précisément les certificats de naissance des parents de la demanderesse. L’agente a estimé que, sans ces documents, la demanderesse ne pouvait pas établir un lien avec son prétendu oncle. Elle était parfaitement au courant de l’existence de la carte de résident permanent, de l’arbre généalogique, de l’affidavit et du certificat de naissance du prétendu oncle. Sa conclusion selon laquelle aucun lien n’avait été établi étant de nature factuelle, elle est assujettie à la norme de la raisonnabilité. Rien ne laisse croire en l’espèce que cette conclusion était déraisonnable si tant est que l’agente n’avait pas l’obligation de s’informer davantage sur cette question compte tenu de la lettre de l’oncle qui indiquait que le certificat de naissance de la mère de la demanderesse y était joint.

[44]           La demanderesse soutient que l’agente avait aussi l’obligation de lui donner la possibilité de dissiper ses doutes concernant le lien existant entre elle et son prétendu oncle. Comme le juge Richard Mosley l’a souligné dans Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, au paragraphe 24 :

Il ressort clairement [...] que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John [...].

 

 

[45]           En l’espèce, les doutes de l’agente découlaient directement des documents – ou de l’absence de documents – produits par la demanderesse. La crédibilité ou l’authenticité d’un document n’était pas en cause. L’agente a plutôt fondé sa décision sur l’insuffisance de la preuve.

 

[46]           La jurisprudence est claire : « il incombe au demandeur de présenter une demande assortie de tous les documents justificatifs pertinents et de fournir, à l’appui de cette demande, une preuve crédible suffisante. Le demandeur doit présenter la meilleure preuve possible” ». Voir Oladipo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366, au paragraphe 24.

 

[47]           Il incombait à la demanderesse de produire des documents suffisants pour établir le lien entre elle et son prétendu oncle. Malheureusement pour la demanderesse, l’agente ne disposait pas des certificats de naissance de ses parents. L’agente a tenu compte de la preuve produite au soutien de la demande et a conclu que le lien ne pouvait pas être établi.

 

[48]           Il ressort toutefois clairement de la lettre de l’oncle, à la page 66 du DCT, que la demanderesse était convaincue qu’elle produisait le certificat de naissance de sa mère par l’entremise de son oncle. Si l’agente avait lu cette lettre – ce qu’elle aurait dû faire – elle aurait constaté qu’une erreur avait manifestement été commise. Or, l’agente n’a rien dit de cette erreur à la demanderesse et elle ne lui a pas donné la possibilité de la corriger.

 

[49]           Il me semble extrêmement injuste de pénaliser une demanderesse de cette façon. Il ressort clairement de la preuve que la demanderesse avait l’intention de joindre le certificat de naissance et qu’elle croyait que celui‑ci avait été joint à la lettre. Elle croyait avoir présenté à l’agente exactement la preuve dont cette dernière a dit avoir besoin. Comme la juge Dolores Hansen l’a statué dans Amin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1221, au paragraphe 11 :

Même si l’agent des visas n’a pas l’obligation de conseiller le demandeur ni de lui demander des précisions, il a néanmoins l’obligation « d’examiner pleinement les arguments et les renseignements fournis par le requérant ».

 

En l’espèce, l’information dont disposait l’agente indiquait que le certificat de naissance était disponible et que la demanderesse croyait l’avoir produit. Rien ne permet de croire que l’agente a tenu compte de ce fait. Elle a simplement pénalisé la demanderesse à cause d’une erreur manifeste qui aurait pu être corrigée facilement.

 

[50]           La demanderesse prétend également qu’elle ne devrait pas assumer les dépens ou le fardeau d’une omission attribuable à son consultant. La Cour ne peut accepter cette prétention.

 

[51]           En général, « les demandeurs devront subir les conséquences de leur choix en ce qui concerne le conseiller [...] ». Voir Cove, précitée. De plus, la preuve n’indique pas que le consultant de la demanderesse, et non cette dernière, était la source de l’omission. Malgré tout, l’agente ne disposait pas du certificat de naissance lorsqu’elle a rendu sa décision.

 

[52]           Pris individuellement, les points d’appréciation attribués par l’agente pour les études et la capacité d’adaptation ne permettaient pas à la demanderesse d’obtenir les 67 points requis. Toutefois, si ces erreurs n’avaient pas été commises, la demanderesse aurait pu obtenir un total de 69 points et, en conséquence, un visa de résident permanent. Je pense qu’en conséquence la demande doit être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

 

L’agente était-elle tenue de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément au paragraphe 76(3) du Règlement?

 

[53]           La dernière question en litige en l’espèce consiste à savoir si l’agente avait l’obligation d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’envisager de substituer son appréciation aux critères de sélection prévus par la loi conformément au paragraphe 76(3) du Règlement. Si une telle obligation existait et que l’agente y avait manqué, la demande devrait être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen.

 

[54]           Le juge Michael Kelen a traité du pouvoir discrétionnaire dont jouit un agent des visas en vertu du paragraphe 76(3) du Règlement dans Choi, précitée, au paragraphe 15 :

Aux termes du paragraphe 76(3) du Règlement, l’agent des visas peut substituer à l’attribution des points sa propre appréciation de l’aptitude du demandeur à réussir son établissement économique au Canada. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire prévu par le Règlement qui peut être exercé « [s]i le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié [...] ne reflète pas l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada ».

 

[55]           Le défendeur s’appuie sur Eslamieh, précitée, où la Cour a statué que les agents des visas ont le pouvoir d’envisager de leur propre gré une autre appréciation sous le régime du paragraphe 76(3) du Règlement, mais qu’ils n’ont pas l’obligation de le faire, sauf si une demande en ce sens leur est présentée. Cette décision est compatible avec celle à laquelle le juge Frederick Gibson est parvenu dans Nayyar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 199.

 

[56]           En l’espèce, la demanderesse a clairement demandé qu’une autre appréciation – l’appréciation de l’agente – soit appliquée conformément au paragraphe 76(3) du Règlement si elle n’obtenait pas le nombre de points requis. Cette demande se trouve à la page 32 du DCT.

 

[57]           Le défendeur admet que l’agente a l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 76(3) si on le lui demande. Il ne formule cependant aucune observation concernant la demande présentée par la demanderesse dans le but d’obtenir une autre appréciation et il n’a pas vraiment été en mesure de trouver quelque chose qui ressemblait à une appréciation visée au paragraphe 76(3) lorsque la question a été soulevée à l’audience de la Cour.

 

[58]           Il n’y a rien dans la décision qui indique que, après avoir déterminé que la demanderesse n’obtenait pas les 67 points requis, l’agente a procédé à sa propre appréciation comme on le lui avait demandé de le faire. L’agente a ainsi porté atteinte au droit de la demanderesse à l’équité procédurale.

 

[59]           La norme de contrôle qui s’applique à cette question est celle de la décision correcte. La décision de l’agente de rejeter la demande de la demanderesse n’était pas correcte. En conséquence, l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent des visas pour que celui‑ci rende une nouvelle décision.

 

[60]           Les parties conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier. La Cour est aussi de cet avis.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un autre agent.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1462-11

 

INTITULÉ :                                       SHAMSUN NAHER CHOWDHURY c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Rashid Khandaker                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Butterfield                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Rashid Khandaker                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario) 

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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