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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111114


Dossier : IMM-2098-11

Référence : 2011 CF 1304

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

 

ENTRE :

 

DEREJE GEDLU TESSEMA

REBECCA ASRAT BOGALE

SARON DEREJE GEDLU

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne une décision défavorable que la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rendue sur la demande d’asile de Dereje Gedlu Tessema, demandeur principal, de son épouse Rebecca Asrat Bogale, la demanderesse, et de leur fille, Saron Dereje Gedlu. La SPR a rejeté la demande d’asile après avoir tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la preuve fournie par la demanderesse.

 

[2]               Le demandeur principal et la demanderesse sont nés à Addis‑Abeba, en Éthiopie. Leur fille est née en 2008 à Paris, en France; tous trois sont citoyens de l’Éthiopie. Le père de la demanderesse, le colonel Asrat Bogale, était dirigeant politique d’un parti de l’opposition en Éthiopie, le Front patriotique national uni de l’Éthiopie. La demanderesse est déménagée en France en 2005 pour occuper le poste de secrétaire de la délégation permanente adjointe de l’Éthiopie au siège de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Le demandeur principal est allé rejoindre la demanderesse à Paris peu de temps après. À la suite d’élections tenues en Éthiopie en 2005, le ministère éthiopien des Affaires étrangères a remis en question la présence de la demanderesse à un poste délicat sur le plan politique. En 2009, la demanderesse a appris qu’elle et son époux étaient inscrits sur une liste établie par l’ambassade de l’Éthiopie à Paris comme personnes faisant opposition au gouvernement. En juillet 2009, la demanderesse a été mise à pied, et on lui a demandé de rentrer en Éthiopie et de se présenter au ministère des Affaires étrangères.

 

[3]               Les demandeurs sont arrivés au Canada à la mi‑juillet et, selon la preuve produite par la demanderesse, ils ont appris que le gouvernement voulait interroger la demanderesse à son retour en Éthiopie. Le 1er septembre 2009, les demandeurs ont demandé l’asile. L’information reçue par la demanderesse est contenue dans un courriel daté du 24 juillet 2009 et deux pièces jointes. Le contenu du courriel et chacun des deux documents jouent un rôle central dans la demande d’asile de la demanderesse.

 

[4]               Voici le contenu du courriel :

[traduction]

 

Eridetnesh

 

Salam, ma chère. Comment vas-tu? Lorsque tu m’as dit, l’autre jour, que tu avais été appelée à Addis, cela m’a semblé très étrange, parce que je n’ai jamais entendu parler d’un employé local recruté à l’extérieur du ministère des Affaires étrangères qui aurait été appelé à l’Administration centrale. Et, si ma mémoire est bonne, tu étais perplexe, toi aussi. Quoi qu’il en soit, ton ambassadeur a envoyé à notre bureau une copie d’un rapport que j’ai en ma possession.

 

Lorsque j’ai lu le rapport ce matin, je ne pouvais pas le croire. Il a été envoyé à la Direction générale des politiques. Dieu merci, j’ai numérisé la partie qui te concerne, ainsi qu’une lettre de rétroaction à ce rapport. La situation est inquiétante ici. Ne commets pas l’erreur de leur faire confiance. Appelle‑moi sur mon cellulaire, pas au bureau ni à la maison, je te raconterai tout.

 

Téléphone‑moi, s’il te plaît.

À bientôt, ADI

 

(Dossier certifié du tribunal, page 293)

 

 

La première pièce jointe, qui ne contient pas d’en‑tête, d’appel ou de signature, est un examen de rendement interne. On peut y lire le commentaire suivant :

 

[traduction]

 

Concernant Mme Rebecca Asrat, secrétaire à la délégation permanente adjointe de l’Éthiopie à l’UNESCO

 

D’entrée de jeu, nous souhaitons expliquer pourquoi nous avons décidé d’effectuer une évaluation de l’employée susnommée selon une approche différente et unique que nous ne pouvons inscrire à l’intérieur du cadre d’évaluation général utilisé pour tous les autres employés. Mme Rebecca Asrat Bogale est arrivée à la délégation permanente de l’Éthiopie à l’UNESCO en avril 2005. En ce qui concerne son rendement au travail, sa ponctualité et sa conduite, nous lui attribuons la note « Bon ». Cependant, nous voulons surtout souligner les complexités et l’indifférence constante que nous avons remarquées chez elle lorsqu’il s’agit de promouvoir les positions politiques du gouvernement éthiopien au travail.

 

Le père de Mme Rebecca, le colonel Asrat Bogale, vit en France et est toujours le dirigeant d’un groupe politique fortement opposé au gouvernement éthiopien. Le groupe qu’il dirige s’appelle le Front patriotique national uni de l’Éthiopie. Mme Rebecca vit dans la même résidence que son père. Nous ne savons pas si les personnes qui l’ont engagée au poste de secrétaire, ici à Paris, étaient au courant de la position politique de son père contre le régime en place et de sa présence en France, ou si elles l’ont recrutée par pure erreur. Néanmoins, comme Mme Rebecca avait seulement accès au bureau de la délégation permanente, le risque qu’elle ait pris connaissance de questions politiques délicates est faible. Nous demeurons tout de même extrêmement préoccupés par la perspective qu’elle mette la main sur des renseignements à diffusion restreinte et qu’il lui soit demandé de remplacer le secrétaire général lorsqu’il s’absente de ses fonctions. À ce sujet, nous avons d’ailleurs poussé notre enquête et sommes parvenus aux conclusions suivantes :

 

Mme Rebecca contribue indirectement aux messages que le colonel Asrat Bogale rédige et diffuse au public contre le régime éthiopien en place sous forme de notes politiques, de tracts, de dépliants et de documents d’opposition politique. Nous avons la preuve que Mme Rebecca a même utilisé le courrier électronique pour distribuer secrètement au grand public une partie des messages d’opposition politique de son père.

 

Nous avons la preuve que Mme Rebecca a prêté sa participation en tapant et en diffusant dans les communautés d’origine éthiopienne des livres d’opposition du colonel Asrat et différents documents publiés peu de temps après les élections de 2005 en Éthiopie.

 

Lors que des dignitaires du gouvernement éthiopien viennent en France et font des discours, nous avons remarqué que Mme Rebecca s’abstient souvent d’assister à ces événements.

 

Concernant l’attribution des fonds alloués au programme de participation de l’UNESCO en 2007-2008, Mme Rebecca devait effectuer un suivi auprès du bureau national de l’UNESCO à Addis‑Abeba pour s’assurer que les fonds étaient débloqués à temps. Mais comme elle a été incapable de convaincre le bureau concerné de l’UNESCO, les fonds n’ont jamais été attribués.

 

Mme Rebecca avait reçu le mandat de faire du recrutement auprès des Éthiopiens travaillant au bureau principal de l’UNESCO et des membres de la communauté éthiopienne vivant à Paris. Mais elle avait des réserves à exécuter cette tâche, et rien n’a été fait.

 

Enfin, à savoir s’il faut renouveler le contrat de Mme Rebecca, nous avons pris la décision suivante : à notre avis, si nous recommandons le congédiement de Mme Rebecca, son père, le colonel Asrat Bogale, en profitera pour distribuer des documents politiques et diffuser sur les ondes des postes de radio locaux des entrevues contre le gouvernement de l’Éthiopie; il créerait même une agitation politique en prévision des élections de 2010, alors que nous essayons de limiter les incidents le plus possible. Le cas de Mme Rebecca doit donc être traité au regard des considérations susmentionnées, et d’une façon plus prudente pour l’instant.

 

(Dossier certifié du tribunal, pages 299 et 300)

 

La deuxième pièce jointe porte l’en‑tête du ministère des Affaires étrangères; elle est datée du 20 mai 2009, porte la mention [traduction] « TÉLÉCOPIE URGENTE » et est adressée à [traduction] « Son excellence Tadelech Haile Mikael, ambassadrice de l’Éthiopie en France et déléguée permanente à l’UNESCO ». Elle est signée par [traduction] « Werkalemahu Desta, Gestion des ressources humaines, sous‑directeur général, ministère des Affaires étrangères. Voici un extrait de ce document :

[traduction]

 

[…]

 

Concernant Mme Rebecca Asrat, nous croyons que la situation doit être traitée avec la plus grande délicatesse. Nous savons que le colonel Asrat Bogale est le dirigeant d’un groupe radical organisé de l’opposition. Il est évident que la dame en question peut détenir beaucoup d’information au sujet de ce groupe organisé. Par conséquent, comme nous avons besoin de l’interroger, la mission diplomatique devrait lui remettre un avis de transfert à l’Administration centrale.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Dossier certifié du tribunal, page 306)

 

[5]               Dans son FRP (dossier de demande des demandeurs, page 39) et dans la preuve qu’elle a présentée à la SPR (dossier certifié du tribunal, page 381), la demanderesse maintient que la deuxième pièce jointe constitue un élément de preuve d’une importance cruciale pour sa demande d’asile. Dans la décision de la SPR, cependant, la seule mention que l’on trouve au sujet du courriel et des pièces jointes porte sur le premier des deux documents :

[…]

 

Elle a déclaré qu’elle avait reçu, après son arrivée au Canada, un courriel d’avertissement avec une pièce jointe d’Adi, l’ami d’un ami qui travaillait au bureau des Affaires étrangères de l’Éthiopie à Addis Abeba. Le courriel a été envoyé le 24 juillet 2009. La demandeure d’asile a déclaré qu’Adi, alors en fonction au bureau des Affaires étrangères à Addis Abeba, avait mis la main sur un document de nature privée (la pièce jointe) des autorités de l’Éthiopie concernant la demandeure d’asile. La demandeure d’asile allègue que ce sont les informations contenues dans ce document qui l’ont incitée à demander l’asile. Il est difficile de déterminer l’auteur de la pièce jointe et le destinataire du courriel; il ne contient ni entête, ni salutations ni signature et n’est pas daté. Pour ces raisons, le tribunal ne lui accorde que peu d’importance.

 

[…]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphe 20)

 

 

Il n’est nulle part fait mention de la deuxième pièce jointe. Cela prouve que le document en question n’a pas été pris en compte pour parvenir à une décision. En effet, l’avocat des demandeurs soutient que le défaut de la SPR d’examiner le contenu de la deuxième pièce jointe confère un caractère déraisonnable à la décision, étant donné que la demande d’asile est fondée en grande partie sur ce document. Je souscris à ce point de vue.

 

[6]               J’estime donc que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en rendant la décision visée en l’espèce.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE que :

La décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2098-11

 

INTITULÉ :                                       DEREJE GEDLU TESSEME,

                                                            REBECCA ASRAT BOGALE,

                                                            SARON DEREJE GEDLU c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 14 NOVEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul VanderVennen

 

POUR LES DEMANDUERS

 

Asha Gafar

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

VanderVennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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