Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111109


Dossier : IMM-2112-11

Référence : 2011 CF 1292

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

MICHAEL OLUSEGUN OLAOPA

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE
L’IMMIGRATION
et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE
LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Michael Olusegun Olaopa sollicite le contrôle judiciaire de la décision de rejeter sa demande de résidence permanente présentée au Canada et fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il soutient que les raisons invoquées par l’agent chargé d’évaluer ces motifs étaient insuffisantes, qu’il n’a pas tenu compte de la preuve et qu’il n’a pas considéré comme il le fallait l’intérêt supérieur de ses enfants. M. Olaopa fait en outre valoir que la question du risque n’a pas été correctement traitée.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a commis les erreurs alléguées. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Olaopa sera rejetée.

 

Contexte

 

[3]               M. Olaopa est un citoyen nigérian arrivé au Canada en 2001. En 2003, sa demande d’asile a été rejetée pour des motifs de crédibilité et la Cour lui a refusé l’autorisation de réclamer le contrôle judiciaire de cette décision. Le 15 janvier 2010, l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) se soldait par une issue défavorable.

 

[4]               M. Olaopa a épousé en 2006 une citoyenne nigériane vivant au Canada. Au moment où la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire a été rendue, le couple avait trois fils, tous nés au Canada entre 2004 et 2009. Depuis, un quatrième enfant a vu le jour.

 

[5]               M. Olaopa est financièrement autonome depuis son arrivée au Canada; il est le seul à pourvoir aux besoins de sa famille. Il a perfectionné ses compétences et travaille depuis 2006 comme préposé de soutien auprès de personnes handicapées par un retard de développement. Il est également très actif au sein de son église et de sa communauté.

 

[6]               M. Olaopa a soumis sa première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en avril 2003 et a depuis déposé des observations additionnelles de mise à jour à maintes reprises. Une décision a finalement été rendue sur cette demande en 2010.

 

Composante du risque dans la décision relative aux motifs d’ordre humanitaire

 

[7]               La demande de réparation liée aux motifs d’ordre humanitaire de M. Olaopa reposait notamment sur des allégations selon lesquelles il risquait de perdre la vie au Nigeria du fait de ses croyances chrétiennes et de son statut d’ancien membre de la tribu des Yoruba. Les mêmes allégations avaient été avancées devant la Section de la protection des réfugiés.

 

[8]               La composante du risque dans la demande de M. Olaopa liée aux motifs d’ordre humanitaire a été évaluée par un agent d’ERAR, qui a noté que les graves incohérences et omissions dans la preuve présentée par M. Olaopa devant la Section de la protection des réfugiés avaient amené celle-ci à rejeter sa demande d’asile comme dépourvue de crédibilité. L’agent d’ERAR a fait remarquer que la partie de la demande de M. Olaopa ayant trait aux risques reposait essentiellement sur les mêmes allégations, et que ce dernier n’avait pas réfuté les conclusions défavorables touchant la crédibilité auxquelles la Section de la protection des réfugiés était parvenue.

 

[9]               Tout en reconnaissant qu’il n’était pas lié par les conclusions de la Section de la protection des réfugiés, l’agent d’ERAR a néanmoins choisi de leur accorder un poids considérable, et il était en droit de le faire.

 

[10]           L’agent d’ERAR a ensuite examiné en détail les renseignements dont il disposait sur la situation qui règne dans le pays visé avant de conclure qu’en dépit des tensions ethniques et religieuses qui secouent le Nigeria, les chrétiens et les Yoruba peuvent vivre paisiblement dans le Sud-Ouest du pays. Il a aussi noté que M. Olaopa vivait à l’extérieur du Nigeria depuis huit ans et quelques, et qu’il n’avait pas établi que quiconque chercherait à lui faire du mal s’il retournait dans ce pays.

 

[11]           L’opinion de l’agent d’ERAR concernant le risque a été communiquée à M. Olaopa et à son représentant. Tous deux ont été invités à présenter des observations sur d’éventuelles erreurs ou omissions contenues dans le rapport, mais ont choisi de ne pas saisir cette opportunité.

 

[12]           M. Olaopa soutient à présent que l’agent d’ERAR a commis une erreur en se servant des critères relatifs à la persécution et à la menace à la vie prévus aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) pour évaluer la question du risque, plutôt que de l’envisager sous l’angle des difficultés. L’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire aurait ainsi commis une erreur en s’appuyant sur l’opinion concernant le risque, sans reconnaître explicitement que les normes applicables dans les contextes de l’ERAR et de l’examen des motifs d’ordre humanitaire sont différentes.

 

[13]           Cependant, prise dans son ensemble, l’opinion concernant le risque montre bien que l’agent d’ERAR était conscient qu’elle se rapportait à une demande d’examen des motifs d’ordre humanitaire et non à un examen des risques avant renvoi. L’agent d’ERAR ne fait nullement référence dans cette opinion aux articles 96 ou 97 de la LIPR, pas plus qu’il n’évoque les critères applicables dans ces cas-là. Il s’est plutôt livré à une enquête factuelle en se fondant sur la preuve dont il disposait pour établir si M. Olaopa s’exposait ou non à un risque au Nigeria : il a conclu que ce ne serait pas le cas s’il retournait dans le Sud-Ouest du pays.

 

[14]           Il est clair que lorsqu’il a évalué la demande de M. Olaopa d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent chargé d’examiner ces motifs ne s’est pas non plus trompé sur le critère à appliquer dans ce contexte. Il a examiné l’opinion concernant le risque, et a estimé que la preuve produite avait été convenablement prise en compte et que l’opinion en question était raisonnable. Il a donc conclu que les risques ou les difficultés personnelles auxquelles se heurterait M. Olaopa ne seraient pas inhabituels, injustifiés ou démesurés s’il devait retourner dans le Sud-Ouest du Nigeria.

 

[15]           La conclusion de l’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire selon laquelle son retour dans le Sud-Ouest du Nigeria n’entraînerait pas de difficultés démesurées pour M. Olaopa ou sa famille était raisonnable. L’opinion concernant le risque a établi que des violences religieuses et ethniques secouaient le Nord du Nigeria. La famille de M. Olaopa a déjà habité dans le Sud-Ouest du pays.

 

[16]           Compte tenu de ma conclusion sur le bien-fondé de cet argument, il n’y a pas lieu d’aborder l’observation du défendeur touchant l’omission de M. Olaopa de soulever cette question dans son avis de demande ou son mémoire initial des faits et du droit. Il en va de même de l’argument voulant que M. Olaopa doive être réputé avoir renoncé à son droit de s’opposer à l’opinion concernant le risque pour ne pas avoir saisi l’opportunité d’y répondre par un commentaire.

 

L’intérêt supérieur des enfants de M. Olaopa

 

[17]           M. Olaopa prétend également que l’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire a commis une erreur en n’évaluant pas correctement l’intérêt supérieur de ses enfants. Il fait notamment valoir que l’agent n’a pas envisagé l’intérêt de ces trois enfants nés au Canada à la lumière des risques auxquels ils s’exposeraient au Nigeria.

 

[18]           Je ne suis pas convaincue que l’agent ait commis l’erreur alléguée.

 

[19]           Il incombait à M. Olaopa d’étayer sa demande par des renseignements pertinents eu égard à l’intérêt supérieur de ses enfants : Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] A.C.F. no 158, au paragraphe 5. Le caractère raisonnable de la décision d’un agent doit être évalué à la lumière de la preuve soumise à l’appui de la demande : Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, [2008] A.C.F. no 601, au paragraphe 68.

 

[20]           Quoique M. Olaopa ait brièvement mentionné sa famille dans ses observations relatives aux motifs d’ordre humanitaire, presque aucune information n’a été fournie au sujet des enfants, sinon que l’aîné était un fan des Maple Leafs de Toronto. La seule observation concernant précisément l’intérêt des enfants consistait à dire qu’ils souffriraient de l’absence de leur mère si elle était renvoyée du Canada. En outre, M. Olaopa n’a présenté aucune observation précise sur l’étendue du risque auquel ses enfants s’exposeraient au Nigeria.

 

[21]           Comme l’a fait observer la Cour d’appel fédérale au paragraphe 5 de l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2002] A.C.F. no 1687,  les agents d’immigration sont présumés savoir qu’un enfant qui vit au Canada jouit d’un éventail de possibilités que ne lui offre pas forcément son pays d’origine. Le rôle de l’agent est donc d’évaluer le degré vraisemblable des difficultés découlant du renvoi de l’enfant du Canada, puis de le soupeser par rapport à d’autres facteurs susceptibles de mitiger les conséquences du renvoi : voir aussi Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1175, [2009] A.C.F. no 1474, au paragraphe 31.

 

[22]           En l’espèce, c’est exactement ce qu’a fait l’agent en examinant les renseignements limités que M. Olaopa avait soumis et en expliquant sans détour pourquoi il était dans l’intérêt des enfants de rester avec leurs parents, sans égard à l’endroit où la famille s’établirait.

 

Preuve n’ayant pas été prise en considération et insuffisance des motifs

 

[23]           M. Olaopa fait valoir que l’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire a eu tort de ne pas tenir compte du récit produit à l’appui de sa demande et de n’accorder que peu de poids à certaines lettres de soutien. Il affirme aussi que les motifs que l’agent a fournis pour écarter ces éléments de preuve étaient insuffisants.

 

[24]           Je ne suis pas convaincue que l’agent n’a pas pris en considération le récit de M. Olaopa (je note que cette question n’a été soulevée dans aucun des mémoires des faits et du droit de M. Olaopa). Bien que le document ne soit pas expressément mentionné dans les motifs, les décideurs sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve dont ils disposent. Qui plus est, les motifs de l’agent renvoient précisément à des renseignements contenus dans le récit, ce qui montre bien qu’il a effectivement examiné le document en question.

 

[25]           Quant au traitement des lettres de soutien, c’est à l’agent de décider du poids qu’il convient d’attribuer à la preuve. L’agent a expliqué pourquoi il avait décidé d’accorder un poids négligeable à ces documents et son explication n’était pas déraisonnable. Plus fondamentalement, les renseignements contenus dans les lettres ayant trait à l’emploi de M. Olaopa, à sa participation aux activités de son église ou à ses travaux bénévoles n’étaient pas contestés. L’agent a reconnu que M. Olaopa occupait un emploi rémunéré et qu’il avait pris part à la vie de son église et de sa communauté.

 

Conclusion

 

[26]           Dans la décision Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1906, 10 Imm. L.R. (3d) 206, le juge Pelletier déclarait :

Je reviens à l’observation que j’ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s’intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n’est pas le critère. Si l’on appliquait ce critère, la procédure d’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d’examen ex post facto l’emportant sur la procédure d’examen préalable prévue par la Loi sur l’immigration et par son règlement d’application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s’ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu’ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l’état du dossier, il ne s’agit pas d’une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

Nous pouvons en dire autant en l’espèce.

 

[27]           Comme on ne m’a pas convaincue que l’agent chargé d’examiner les motifs d’ordre humanitaire a commis une erreur susceptible de contrôle, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

 

[28]           M. Olaopa propose que la question suivante soit certifiée :

[traduction] S’agissant d’une demande relative à des motifs d’ordre humanitaire, lorsque l’analyse de la composante liée au risque est confiée à un agent d’ERAR, l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire est-il tenu d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de l’agent d’ERAR ainsi que les facteurs de risque à la lumière de l’intérêt supérieur des enfants?

 

[29]           Je ne suis pas convaincue qu’il s’agit d’une question à certifier. La question ne serait pas décisive en l’espèce puisque l’agent chargé de l’examen des motifs d’ordre humanitaire a évalué le caractère raisonnable de l’opinion concernant le risque de l’agent d’ERAR. Par ailleurs, le droit régissant l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants est bien établi, et aucune nouvelle question n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2112-11

 

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 novembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 9 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michal Antonik

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Burgos

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michal Antonik

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.