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Date : 20111109

Dossier : T‑82‑05

Référence : 2011 CF 1290

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

1429539 ONTARIO LIMITED

 

demanderesse

 

et

 

CAFÉ MIRAGE INC., BDD SOLUTIONS INC.,

MICHAEL BACHOUR ET AMY SALAM

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

 

[1]               La demanderesse est une société qui franchise un concept de restaurant appelé ‘The Symposium Café’, créé par ses dirigeants, les frères William et Terry Argiropoulos. Elle est titulaire de la marque de commerce déposée ‘The Symposium Café’ et d’autres marques liées au concept. En 2003, avant les difficultés financières occasionnées par le ralentissement économique consécutif au 11 septembre 2001, on comptait cinq restaurants Symposium Café dans le sud de l’Ontario, dont deux à Toronto.

 

[2]               Par suite des difficultés financières que le Symposium Café a rencontrées, un de ses créanciers, M. Jim Kotsos, a saisi quatre restaurants pour non‑paiement d’un billet à ordre. Le litige qui en a découlé s’est soldé par un règlement entre le Groupe Symposium Café et M. Kotsos. Aux termes du règlement amiable, les actifs du Symposium Café Kennedy et du Symposium Café Sheppard ont été transférés à M. Kotsos qui était autorisé à les vendre à sa guise en dehors ou à l’intérieur du réseau de franchises Symposium Café. M. Kotsos a exploité les cafés Sheppard et Kennedy durant le litige, et peu après le règlement, en a vendu les actifs, en l’état, à la défenderesse BDD Solutions Inc.

 

[3]               La demanderesse a proposé à la nouvelle propriétaire, BDD Solutions Inc., et à ses dirigeants, M. Michael Bachour et Mme Amy Salam, d’adhérer au réseau de franchises Symposium Café, offre qu’elle a refusée. Cette dernière a exploité les restaurants Sheppard et Kennedy sous le nom de Café Mirage, tout en conservant l’aspect, la présentation, les marques de commerce et les menus du Symposium Café.

 

[4]               La demanderesse a intenté la présente poursuite en contrefaçon de marques de commerce et pour violation du droit d’auteur protégeant les menus du Symposium Café, et en vue d’obtenir une injonction contre les défendeurs, des dommages‑intérêts et les frais.

 

[5]               Je conclus qu’il y a lieu d’accueillir l’action en contrefaçon de marques de commerce et pour violation du droit d’auteur, et d’accorder l’injonction et les dommages‑intérêts demandés. Toutefois, la demanderesse n’a pas prouvé que la conduite des défendeurs justifiait l’octroi de dommages‑intérêts punitifs. Enfin, je suis d’avis de rejeter la demande visant la défenderesse Amy Salam.

 

II. Contexte

 

Groupe Symposium Café

 

[6]               Les frères Argiropoulos ont commencé à mettre au point leur concept de restaurant en 1996, alors qu’ils exploitaient plusieurs restaurants de type déli sous le nom d’entreprise Biltermar Restaurants Limited (Biltermar). C’est sous l’égide de cette entreprise qu’ils ont ouvert un nouveau restaurant, le Plantation Coffee and Tea Company.

 

[7]               En septembre 1996, Biltermar a déposé des demandes d’enregistrement pour la marque ‘Plantation Coffee and Tea Company et Dessin’ ainsi que pour la marque ‘Plantation Coffee and Tea Company’. Lorsque Biltmore a été vendue en 2000, les frères Argiropoulos ont cessé d’exploiter l’entreprise Plantation Coffee and Tea Company par l’entremise de Biltermar et l’ont par la suite rebaptisée The Symposium Café; durant la transition, ils géraient cette entreprise sous les deux noms.

 

[8]               Ce nouveau restaurant utilisait la fresque « L’école d’Athènes » du peintre de la Renaissance Raphaël, reproduite bien en évidence à la façon d’une murale gravée dans un marbre antique, et il était présenté comme un endroit où les gens pouvaient se rencontrer pour manger, boire et converser.

 

[9]               En plus d’exploiter directement des restaurants secondaires, les frères Argiropoulos ont franchisé leur concept de restaurant au nom de la demanderesse et d’une entreprise franchiseuse secondaire établie en Ontario. Ils ont aussi créé des entreprises commerciales distinctes pour gérer chaque Symposium Café et louer les baux des restaurants.

 

[10]           Les frères Argiropoulos sont les dirigeants de l’entreprise demanderesse. Ce sont eux qui ont fondé les entreprises distinctes chargées respectivement de la commercialisation de la franchise, de l’exploitation des restaurants et de la signature des baux. Ils ont mis au point le concept du Symposium Café et ont offert de l’assistance aux franchisés. Par souci de commodité, je désignerai collectivement les frères Argiropoulos et leurs entreprises, y compris la demanderesse, comme le Groupe Symposium Café.

 

[11]           En 2000, la demanderesse a présenté une demande d’enregistrement pour la marque ‘Symposium Café Dessin’ en liaison avec des services de restauration et de traiteur et des marchandises promotionnelles, tasses de café, t‑shirts et autres objets du même genre. Deux ans plus tard, en 2002, la demanderesse a produit une demande d’enregistrement de la marque ‘The Symposium Café’, en liaison avec la même gamme de marchandises et de services de restauration. En 2005, elle a également déposé une demande visant à enregistrer comme marques de commerce une série d’expressions complétant le concept Symposium Café, et dont la date de premier emploi alléguée remontait aussi tôt que 1999, notamment :

Second To None

Passport To Pleasure

East Meets West

Escape The Ordinary

Symmetry For The Senses

To Europe And Back In 15 Minutes

Redefining the Café Experience

 

 

Je les désignerai ci‑après les expressions Symposium Café ou les expressions déposées.

 

[12]           La demanderesse a également enregistré comme marque figurative une représentation du concept visuel (trade dress) en trois dimensions de l’intérieur des Symposium Café comprenant des murs intérieurs et des colonnes en fausse pierre antique lézardée, une reproduction bien visible de la fresque L’École d’Athènes, un bar circulaire en acajou constitué de deux niveaux faisant vitrine, le niveau inférieur servant de comptoir, et un motif circulaire en céramique entourant le bar. Cette marque figurative a été déposée en 2007 et enregistrée en 2008. La date de premier emploi alléguée remonte à 1999, lorsque le premier restaurant Plantation Coffee and Tea Company a ouvert ses portes. Cette marque figurative était utilisée en tant qu’élément principal de l’image commerciale de tous les Symposium Café.

 

[13]           Le Groupe Symposium Café a aussi élaboré un menu commun, en insistant sur le caractère uniforme du service et de l’ambiance dans tout le réseau de franchises Symposium.

 

Les difficultés financières du Symposium Café

 

[14]           En 2001, le Groupe Symposium Café a connu des difficultés financières, principalement liées à des dépassements budgétaires lors de la rénovation d’un nouveau restaurant à Kingston (Ontario). Le Groupe Symposium Café a emprunté de l’argent à M. Kotsos, un entrepreneur‑électricien dont ils avaient retenu les services. Le Groupe lui devait également environ 512 000 $ pour des travaux électriques effectués au restaurant de Kingston.

 

[15]           Le 13 août 2001, 1480045 Ontario Limited (le Symposium Café Kennedy) a notamment fourni à M. Kotsos :

•        une entente de garantie générale à son intention;

•        un billet à ordre et à terme pour une somme de 437 000 $ encaissable sur demande, dont M. William Argiropoulos lui garantissait le paiement.

 

Les événements du 11 septembre 2001 sont survenus quelques semaines après la signature de l’entente de prêt entre le Groupe Symposium Café et M. Kotsos. Les recettes des restaurants Symposium Café ont chuté de 50 pour cent et le Groupe Symposium Café a omis de faire un paiement sur le billet à ordre.

 

[16]           Par suite de ces événements, M. Kotsos a saisi le Symposium Café Kennedy et le Symposium Café Sheppard, ainsi que deux autres Symposium Café à London et à Waterloo (Ontario), ce qui a donné lieu à des procédures judiciaires.

 

Transfert des cafés Sheppard et Kennedy

 

[17]           Les quatre Symposium Café ont demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario que leur soit octroyée une main levée des saisies effectuées par M. Kotsos. Ce dernier a présenté une demande reconventionnelle désignant les frères Argiropoulos et d’autres parties, individus et entreprises du Groupe Symposium Café, comme défendeurs reconventionnels. Le 26 février 2002, la Cour a rendu une ordonnance interlocutoire et provisoire par laquelle elle remettait la possession des Symposium Café de London et de Waterloo au Groupe Symposium Café et celle des Symposium Café Sheppard et Kennedy à M. Kotsos, en attendant qu’elle rende une autre ordonnance.

 

[18]           Le 21 juillet 2003, le Groupe Symposium Café et M. Kotsos se sont entendus sur un règlement confirmant que les deux restaurants Symposium Café de London et de Waterloo resteraient la propriété du Groupe Symposium Café tandis que tous les actifs des Symposium Café Sheppard et Kennedy seraient transférés à M. Kotsos [traduction] « libres de toute charge ». Le procès‑verbal du règlement a été déposé devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour mettre fin au litige.

 

[19]           Le règlement stipulait qu’il était loisible à M. Kotsos de vendre les Symposium Café Kennedy et Sheppard à l’intérieur ou à l’extérieur du réseau de franchises Symposium. Si la vente se produisait en dehors du réseau, M. Kotsos avait accepté d’inclure dans les documents d’achat une promesse par laquelle les acquéreurs devaient s’engager à retirer les enseignes Plantation/Symposium.

 

Vente des cafés Sheppard et Kennedy

 

[20]           Le 18 septembre 2003, M. Kotsos a vendu les actifs des restaurants Symposium Café Sheppard et Kennedy à BDD Solutions Inc., une entreprise constituée par M. Michael Bachour et Mme Amy Salam. En vertu du contrat de vente, M. Kotsos cédait à BDD Solutions Inc. tous les droits, titres et intérêts dans l’entreprise ainsi que ses actifs. Le contrat stipulait que les [traduction] « acheteurs [acquéraient] les actifs sur place et dans l’état ».

 

[21]           Le contrat de vente entre M. Kotsos et BDD Solutions Inc. comportait une clause par laquelle, BDD Solutions Inc. s’engageait, si elle ne devenait pas une franchisée Symposium Café, à retirer les enseignes Symposium Café, et prévoyant en outre que le Groupe Symposium Café pouvait les récupérer.

 

Action en contrefaçon

 

[22]           En décembre 2003, le Groupe Symposium Café a fait parvenir une lettre à BDD Solutions Inc. l’invitant à se joindre au réseau Symposium et à continuer d’exploiter les restaurants Sheppard et Kennedy en tant que franchises du Symposium Café, moyennant des droits de franchise de 17 500 $. Aux termes de cette proposition, les ententes en place resteraient en vigueur et accorderaient notamment aux défendeurs le droit d’utiliser le nom de Symposium Café/Plantation Coffee & Tea Company en contrepartie de la redevance de franchisage, payable une seule fois.

 

[23]           BDD Solutions Inc. a décliné l’offre du Groupe Symposium, et a plutôt adopté le nouveau nom de Café Mirage pour les restaurants Sheppard et Kennedy et utilisé une enseigne qui par son aspect général ressemblait à la marque Symposium Café Dessin.

 

[24]           Le 4 janvier 2004, l’avocat du Groupe Symposium Café a demandé le retrait de tous les menus, enseignes et autres objets promotionnels associés au Symposium Café/Plantation Coffee and Tea Company. Le 7 janvier suivant, l’avocat des défendeurs répondait que ses clients étaient disposés à retirer les enseignes et qu’ils n’avaient pas l’intention d’utiliser le nom Symposium Café.

 

[25]           Les défendeurs ont remplacé les enseignes affichant la marque nominale et figurative Symposium Café (Symposium Café Dessin), et se sont servis des châssis pour la nouvelle enseigne de leur Café Mirage sans retourner les encarts en plastique au Groupe Symposium Café. Les deux Café Mirage ont conservé L’école d’Athènes dans leur concept visuel et continué d’utiliser les noms et expressions déposés sur différents menus, enseignes et reçus aux établissements Sheppard et Kennedy, et ce jusqu’en 2008, date à laquelle le Café Mirage Sheppard a subi d’importantes rénovations. Le Café Mirage Kennedy a continué d’utiliser le concept visuel Symposium Café.

 

La présente poursuite

 

[26]           Le Groupe Symposium Café est passé de trois restaurants seulement en 2004 à neuf Symposium Café franchisés. Les frères Argiropoulos se concentrent à présent sur le franchisage, l’aide à l’implantation des nouveaux franchisés par le biais d’une formation et d’un soutien, l’élaboration de nouveaux menus et la promotion des Symposium Café en général.

 

[27]           Le Groupe Symposium Café a tenté plusieurs fois de récupérer ses enseignes sur lesquelles figurait la marque Symposium Café Dessin. Les défendeurs affirment qu’ils les ont retirées, mais n’ont offert aucune preuve de leur restitution au Groupe Symposium Café.

 

[28]           Le 13 janvier 2004, l’avocat du Groupe Symposium Café signifiait aux défendeurs un avis les informant qu’ils seraient tenus responsables pour la valeur des enseignes si elles n’étaient pas retournées ou si elles étaient endommagées, et pour contrefaçon des dessins et logos Symposium Café déposés. Un avis contenant de plus amples détails sur les allégations de contrefaçon a été signifié le 22 mars 2004. Le 1er décembre de la même année, l’avocat actuel du Groupe Symposium Café a informé par écrit les défendeurs que le Groupe avait l’intention d’engager la poursuite en cause en l’espèce.

 

[29]           La déclaration de la demanderesse a été déposée le 17 janvier 2005, puis modifiée le 3 janvier 2006. La demanderesse cherche à obtenir :

i.          un jugement déclarant qu’il y a eu contrefaçon de ses marques et commercialisation trompeuse;

ii.          un jugement déclarant qu’il y a eu violation du droit d’auteur protégeant les menus du Symposium Café;

iii.         une ordonnance d’injonction contre les défendeurs;

iv.         des dommages‑intérêts pour la contrefaçon des marques de commerce;

v.         des dommages‑intérêts légaux pour la violation du droit d’auteur;

vi.         la restitution des enseignes Symposium ou le paiement de dommages‑intérêts en lieu et place;

vi.         des dommages‑intérêts punitifs;

vii.        les frais.

 

[30]           Les défendeurs ont déposé une défense modifiée dans laquelle ils reconnaissent qu’ils n’ont pas conclu de contrat de franchise avec la demanderesse, tout en niant et contestant les autres allégations et les réclamations figurant dans la déclaration modifiée de la demanderesse.

 

III. Questions en litige

 

[31]           Les questions en litige dans cette poursuite concernent la contrefaçon de marques de commerce et la violation du droit d’auteur. Les questions de fond sont les suivantes :

1.         Les défendeurs ont‑ils acquis le droit d’employer les marques de commerce de la demanderesse en achetant les actifs des restaurants Symposium Café Sheppard et Kennedy? Dans le cas contraire, ont‑ils contrefait les marques de commerce de la demanderesse et fait passer leurs restaurants pour des franchisés Symposium Café alors qu’ils ne faisaient pas partie du réseau?

 

2.         La demanderesse est‑elle titulaire du droit d’auteur à l’égard des menus du Symposium Café? Le cas échéant, les défendeurs ont‑ils commis une violation initiale ou à une étape ultérieure du droit d’auteur relatif aux menus?

 

3.         La demanderesse a‑t‑elle le droit d’exiger que les enseignes Symposium Café lui soient retournées ou que des dommages‑intérêts lui soient versés en lieu et place?

 

4.         La demanderesse a‑t‑elle prouvé que les défendeurs individuels étaient responsables?

 

IV. Analyse

 

La preuve de la demanderesse

[32]           Les témoins de la demanderesse étaient les suivants : M. William Argiropoulos, vice‑président Finances et développement pour la demanderesse; Mme Darlene George et M. John Palumbo, tous deux franchisés du Symposium Café; Mme Valentina B. Potter et M. Vittorio S. R. Scicchitano, de Monarch Protection Services, engagés pour enquêter sur l’apparence et la gestion des cafés Sheppard et Kennedy; Mme Mindy Fleming, directrice des opérations pour Sensor Quality Management, entreprise qui a mené un sondage.

 

[33]           M. Argiropoulos était un témoin crédible. Il a expliqué en détail comment son frère et lui avaient mis au point le concept du Symposium Café et a expliqué comment l’entreprise, maintenant une entreprise franchiseuse prospère, s’est développée. Son témoignage sur la création du concept Symposium Café n’a pas été sérieusement contesté.

 

[34]           Une partie importante du témoignage de M. Argiropoulos concerne la mise au point du concept du Symposium Café. Il a expliqué que lui et son frère avaient voulu créer une ambiance où les gens pouvaient se rencontrer, manger et s’entretenir de sujets d’intérêt. L’œuvre L’école d’Athènes illustrait cette ambiance et le concept du Symposium Café s’articule autour d’une grande murale, placée bien en vue, qui représente cette fresque. Pour la compléter, ils ont donné au mur une apparence antique en lui donnant un aspect de marbre lézardé, et ils ont ajouté un comptoir circulaire faisant vitrine, entouré d’un motif en céramique. Ce concept visuel a été employé pour la première fois en 1999 au Plantation Coffee and Tea Company, puis repris dans les Symposium Café ouverts par la suite. Il a été enregistré en 2008 à titre de concept visuel employé comme marque de commerce en liaison avec des services de restauration.

 

[35]           M. Argiropoulos a souligné que ce concept visuel rendait leurs restaurants uniques et les distinguait d’autres restaurants franchisés, tous décorés de façon similaire.

 

[36]           Certaines des déclarations de M. Argiropoulos constituaient du ouï‑dire et un témoignage d’opinion, ne permettant guère de tirer des conclusions. Je n’ai pas tenu compte de cette partie de son témoignage, notamment celle qui concernait les renseignements obtenus sur Internet.

 

[37]           Le témoignage de Mme George était clair et je n’ai aucune difficulté à l’accepter. Ancienne employée de la demanderesse, elle est devenue propriétaire indépendante de deux franchises du Symposium Café.

 

[38]           M. Palumbo était également un témoin crédible. Il s’apprêtait à acheter une franchise Symposium Café, mais s’est ravisé lorsqu’il a vu le Café Mirage Kennedy, se trouvant à proximité. Il a ouvert plus tard une franchise Symposium Café ailleurs.

 

[39]           Les témoignages de Mme Potter et de M. Scicchitano de Monarch Protection Services n’ont pas été sérieusement contestés. Il s’agit d’enquêteurs qui ont témoigné à ce titre. J’accepte leur témoignage concernant l’apparence des cafés Sheppard et Kennedy.

 

[40]           Mme Fleming a témoigné au sujet des résultats d’un sondage effectué auprès de la clientèle. Les défendeurs ont contesté la valeur de ce sondage. Je reconnais qu’il n’était pas suffisamment étayé, et je ne lui accorde aucune force probante.

 

Les témoins des défendeurs

 

[41]           Les témoins des défendeurs étaient M. Michael Bachour, président et directeur de BDD Solutions Inc. et de Café Mirage Inc., M. Jim Kotsos et M. Pele Dagher, un associé de M. Bachour qui participe à la gestion des restaurants Café Mirage.

 

[42]           Le témoignage de M. Bachour était peu précis. Le témoignage qu’il a fourni sur sa contribution à l’administration des restaurants était loin d’être aussi détaillé que celui de M. Argiropoulos. Lorsque son témoignage contredit directement celui de M. Argiropoulos, je préfère m’en remettre à celui que ce dernier a livré.

 

[43]           Le témoignage de M. Kotsos reflétait le climat acrimonieux qu’avait engendré le premier litige qui l’avait opposé aux frères Argiropoulos et au Groupe Symposium Café. C’est un homme d’affaires qui ne mâche pas ses mots. Nonobstant son animosité envers les frères Argiropoulos, je ne vois aucune raison de ne pas accepter l’essentiel de son témoignage. Cependant, je n’ai pas tenu compte de son interprétation juridique du règlement amiable et des documents de vente, que j’aborderai plus loin.

 

[44]           M. Dagher a fourni un témoignage crédible, mais qui ne comporte guère d’éléments nouveaux. Il a joué un rôle dans l’exploitation des Café Mirage et a géré les deux établissements sur Sheppard et Kennedy après leur vente par M. Kotsos.

 

Preuve documentaire

 

[45]           Trois documents juridiques sont pertinents. Le premier est le procès‑verbal de l’entente signée le 21 juillet 2003 (le règlement amiable) entre le Groupe Symposium Café et M. Kotsos déposé devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Les deux autres sont les contrats concernant la vente et l’achat des actifs des Symposium Café Kennedy et Sheppard par M. Kotsos et BDD Solutions Inc. respectivement, le premier se rapportant à la vente par 1499675 Ontario Limited et le deuxième à celle par M. Kotsos en sa qualité de séquestre des actifs de 1480045 Ontario Limited.

 

[46]           Le règlement amiable stipulait :

[traduction
13.       Le franchiseur et les défendeurs reconventionnels conviennent qu’il est loisible à M. Kotsos de vendre les cafés Sheppard et Kennedy ou l’un des deux établissements à l’intérieur ou à l’extérieur du réseau de franchises Symposium.

 

14.       Le franchiseur et les défendeurs reconventionnels conviennent que s’il décide de vendre les cafés Kennedy ou Sheppard à un acheteur à l’extérieur du réseau de franchises Symposium, M. Kotsos accepte d’insérer dans les documents d’achat une promesse par laquelle l’acheteur s’engagera à retirer les enseignes Plantation ou Symposium dans les 90 jours de la clôture. Le franchiseur pourra s’il le souhaite récupérer les enseignes.

 

[47]           Le contrat de vente des actifs du Symposium Café Sheppard prévoit :

[traduction
1.         Le vendeur accorde, négocie, vend, cède, transfère et transporte par la présente à l’acheteur l’ensemble de ses droits, titres et intérêts, le cas échéant, dans les actifs […]

 

2.         En consentant au présent contrat, l’acheteur reconnaît que :

 

[…]

 

(ii) l’acheteur acquiert les actifs sur place et dans l’état; […]

 

3.         Le présent contrat ne doit pas être interprété comme visant à céder les droits contractuels formant une partie des actifs qui ne sont pas cessibles, en tout ou en partie, avec le consentement de l’autre partie au présent contrat, à moins qu’un tel consentement ait par ailleurs été effectivement donné ou que la cession soit autrement légale.

 

4.         Le vendeur convient qu’il a le droit de transmettre à l’acheteur l’ensemble de ses droits, titres et intérêts, le cas échéant, dans les actifs.

 

[…]

 

11.       Le présent contrat ou la transaction qu’il renferme ne sont assortis d’aucune assertion, garantie, convention ou condition subsidiaire autres que celles expressément énoncées.

 

 

Le libellé du contrat de vente du Symposium Café Kennedy est à peu près identique.

 

[48]           La demanderesse et les défendeurs ont soumis d’autres documents à l’appui de leurs positions respectives. Je considère que deux séries de documents revêtent une importance notable.

 

[49]           La première série de documents regroupe les menus du Symposium Café et du Café Mirage qui font l’objet des allégations de violation du droit d’auteur. La seconde est constituée de rapports d’inspection effectués par les enquêteurs de Monarch Protection Services, qui concernent l’apparence des cafés Sheppard et Kennedy.

 

Contrefaçon de marque de commerce

 

[50]           La Cour suprême du Canada a récemment eu l’occasion de traiter de la nature des marques de commerce dans l’arrêt Mattel U.S.A. Inc. c 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772. Le juge Binnie déclarait au paragraphe 2 :

[Les marques de commerce] ont toujours pour objet, sur le plan juridique, (selon les termes mêmes de l’art. 2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13) leur emploi par la personne qui en est propriétaire « de façon à distinguer […] les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres ». Il s’agit d’une garantie d’origine et, implicitement, d’un gage de la qualité que le consommateur en est venu à associer à une marque de commerce en particulier (comme c’est le cas du personnage mythique du réparateur « Maytag »). Le droit relatif aux marques de commerce appartient, en ce sens, au domaine de la protection des consommateurs.

 

[51]           C’est en gardant cette analyse à l’esprit que j’examinerai la question de la contrefaçon des marques de commerce dans cette affaire.

 

1.      Les défendeurs ont‑ils acquis le droit d’employer les marques de commerce de la demanderesse en achetant les actifs des restaurants Symposium Café Sheppard et Kennedy? Dans le cas contraire, ont‑ils contrefait les marques de commerce de la demanderesse et fait passer leurs restaurants pour des franchisés Symposium Café alors qu’ils ne faisaient pas partie du réseau?

 

 

 

[52]           La demanderesse fait valoir que depuis 1996, le Groupe Symposium Café a mis au point un système de franchise unique qui emploie des noms, des expressions et un concept visuel protégés en tant que marques de commerce déposées ainsi que des menus protégés par le droit d’auteur. Elle ajoute que bien qu’ils aient refusé d’adhérer au réseau de franchises Symposium, les défendeurs n’ont pas moins continué à employer le concept visuel, les marques de commerce et les menus Symposium Café dans leurs établissements sur Kennedy et Sheppard et, après 2008, dans celui sur Kennedy.

 

[53]           La demanderesse soutient que les défendeurs ont contrefait ses marques de commerce déposées en les utilisant dans les enseignes et les annonces relatives au Café Mirage. Elle ajoute qu’ils doivent être tenus responsables pour la contrefaçon et la commercialisation trompeuse de leurs marques de commerce, en contravention de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, et allègue spécifiquement qu’il y a eu contrefaçon aux termes des articles 7, 19, 20 et 22 de ladite loi.

 

Dispositions législatives

 

[54]           La compétence de la Cour fédérale eu égard à la contrefaçon des marques de commerce découle de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce. Les alinéas b) et c) de cette disposition sont pertinents puisqu’ils traitent de la confusion et de la commercialisation trompeuse. Ils prévoient :

 

 

7. Nul ne peut :

 

[…]

 

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

 

c) faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

7. No person shall

 

           

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;

 

 

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

 

[55]           Pour déterminer si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, il faut se reporter au paragraphe 6(5) qui prévoit :

 

6. (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

6. (5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trademarks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or

sound or in the ideas suggested by them.

 

[56]           Le paragraphe 20(1) décrit les circonstances dans lesquelles une marque de commerce est réputée être violée :

 

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

 

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

 

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

 

(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,

 

(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services, d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

 

20. (1) The right of the owner of a registered trade‑mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade‑mark or trade‑name, but

no registration of a trade‑mark prevents a person from making

 

 

 

 

 

(a) any bona fide use of his personal name as a trade‑name, or

 

(b) any bona fide use, other than as a trademark,

 

 

(i) of the geographical name of his place of business, or

 

(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services, in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade‑mark.

 

[57]           Le fait que la demanderesse soit la titulaire de l’enregistrement des marques de commerce relatives à des services de restauration, et des marchandises connexes, n’est pas contesté. Ces marques de commerce sont :

Symposium Café Dessin (déposée le 2000‑04‑18, enregistrée le 2003‑08‑29)

The Symposium Café (déposée le 2002‑05‑05, enregistrée le 2005‑01‑18)

Second To None (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2007‑03‑07)

Passport To Pleasure (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2006‑03‑08)

East Meets West (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2006‑05‑06)

Escape The Ordinary (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2006‑03‑06)

Symmetry For The Senses (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2006‑12‑01)

To Europe And Back In 15 Minutes (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2006‑03‑7)

Redefining The Cafe Experience (déposée le 2005‑04‑29, enregistrée le 2007‑12‑21)

Concept visuel Symposium Café (marque figurative déposée le 2007‑12‑07, enregistrée le 2008‑05‑21)

 

 

[58]           La demanderesse allègue qu’elle a employé pour la première fois les marques de commerce déposées susmentionnées depuis aussi tôt que 1999 pour le concept visuel et les expressions Symposium Café, et 2000 pour la marque nominale et figurative Symposium Café Dessin et la marque nominale The Symposium Café. Ces dates figurent dans la base de données sur les marques de commerce et les certificats d’enregistrement. Les défendeurs n’ont pas contesté cette preuve.

 

Acquiescement

 

[59]           Les défendeurs font valoir que même si elle ne l’a pas signé, la demanderesse était visée par le règlement amiable et qu’il serait malhonnête de prétendre le contraire, d’autant qu’elle s’efforce également de faire valoir ses droits en vertu de la promesse qui figure dans ce règlement pour se faire restituer les enseignes affichant la marque Symposium Café Dessin. Les défendeurs ajoutent que la demanderesse est liée par le règlement amiable que les frères Argiropoulos et les sociétés Symposium ont accepté et par lequel tous les actifs des Symposium Café Sheppard et Kennedy ont été transférés.

 

[60]           Les défendeurs soutiennent qu’ils sont en droit d’invoquer l’acquiescement comme moyen de défense parce que la demanderesse a consenti à ce qu’ils emploient les marques de commerce. Ils s’appuient sur la décision Boston Pizza International Inc. c Boston Market Corp., 2003 CF 892, [2003] 238 FTR 1, dans laquelle la juge Tremblay‑Lamer a déclaré :

[42]      Une défense fondée sur l’acquiescement peut être accueillie si la partie demandant la radiation (la partie demanderesse) consent à l’emploi et à l’enregistrement de la marque de commerce ou laisse croire à la partie défenderesse que l’emploi qu’elle fait de la marque est correct, au préjudice de la partie défenderesse.

 

[43]      Dans la décision White Consolidated Industries, Inc. c. Beam of Canada Inc. (1991), 47 F.T.R. 172, le juge Teitelbaum a adopté la définition suivante de l’acquiescement, tirée de l’arrêt Archbold c. Scully (1861), 9 H.L.C. 360 :

 

Si une partie qui aurait pu s’y opposer demeure passive et permet sciemment à un autre d’engager une dépense pour poser un acte, croyant que nul ne s’y opposerait, elle se trouve, en quelque sorte à avoir autorisé l’autre à modifier sa condition, ce qui revient à dire qu’elle a acquiescé. [...]

 

[61]           Je suis d’accord avec les défendeurs que la demanderesse est liée par les conditions du règlement amiable bien qu’elle n’y soit pas expressément désignée en tant que partie. Les frères Argiropoulos sont les administrateurs et directeurs majoritaires de la demanderesse. Ils ont établi une structure hiérarchique d’entreprises qui comprenait 1424930 Ontario Limited, une société ontarienne de franchisage pour les restaurants de l’Ontario, 966778 Ontario Inc. (le Café Sheppard) et 1480045 Ontario Limited (le Café Kennedy), et qui étaient autorisées à employer les marques de commerce de la demanderesse.

 

[62]           À mon avis, il allait de soi pour les parties au règlement que l’emploi des marques de commerce en cause était autorisé à condition que l’acheteur subséquent accepte de rester à l’intérieur du réseau de franchises Symposium. Les frères Argiropoulos ont accepté cette modalité, et ils étaient habilités à demander à la demanderesse, la titulaire des marques de commerce, d’y donner suite. Par conséquent, ils ne peuvent plus tard prétendre, en l’absence d’un libellé clair dans le procès‑verbal du règlement, que la demanderesse n’a jamais consenti à l’emploi subséquent des marques de commerce par un acheteur ayant opté de rester dans le réseau de franchises Symposium.

 

[63]           Dans les circonstances, je conclus que l’accord des frères Argiropoulos valait consentement de la part de la demanderesse. Cependant, il me faut déterminer quels droits ont effectivement été transférés aux termes du règlement amiable.

 

[64]           Les défendeurs affirment que la demanderesse ne peut prétendre à aucun droit relativement aux marques de commerce étant donné qu’elle, ou d’autres entités agissant en son nom, y ont effectivement renoncé. Ils ajoutent que le règlement amiable prévoyait le transfert de tous les actifs du Café Sheppard et du Café Kennedy à M. Kotsos qui était libre de les vendre.

 

[65]           Je conclus sans hésiter que M. Kotsos pouvait vendre les cafés Sheppard et Kennedy à l’intérieur du réseau de franchises Symposium. Le procès‑verbal du règlement envisage expressément la vente de ces cafés [traduction] « à l’intérieur ou à l’extérieur du système de franchises Symposium Café ». Le fait que les frères Argiropoulos aient tenté de convaincre les défendeurs de rester au sein du réseau de franchises après l’achat des restaurants par BDD Solutions Inc. confirme ma conclusion. À mon avis, M. Kotsos était en droit, en vertu du règlement amiable, de transférer ce droit à BDD Solutions Inc.

 

[66]           Toutefois, les actifs des cafés Sheppard et Kennedy n’incluaient pas le droit illimité d’employer les marques de commerce à l’extérieur du système de franchises Symposium. À cet égard, M. Kotsos a affirmé que ce droit lui revenait étant donné que tous les actifs des cafés Sheppard et Kennedy lui avaient été cédés en vertu du règlement amiable. C’est là son interprétation, mais je ne puis l’accepter.

 

[67]           Les défendeurs soutiennent que BDD Solutions Inc. a acheté tous les actifs que M. Kotsos possédait, y compris les marques de commerce, attendu que les ententes d’achat et de vente mentionnent expressément [traduction] « [l’]achalandage et le nom commercial » dont elles fixent la valeur à 10 000 $ sur un total de 160 000 $ pour le Café Sheppard, et à 49 000 $ sur un total de 328 000 $ pour le Café Kennedy.

 

[68]           Je note que le contrat de vente résultant ne fait qu’énoncer les prix totaux de vente sans ventilation ni référence particulière à l’achalandage et aux noms commerciaux. De plus, le contrat limite les actifs transférés à ceux détenus par M. Kotsos, vendus [traduction] « sur place et en l’état ». Il restreint encore expressément la portée du transfert comme suit :

[traduction
2.         Le présent contrat ne doit pas être interprété comme visant à céder les droits contractuels formant une partie des actifs qui ne sont pas cessibles, en tout ou en partie, avec le consentement de l’autre partie au présent contrat, à moins qu’un tel consentement ait par ailleurs été effectivement donné ou que la cession soit autrement légale.

 

[…]

 

11.       Le présent contrat ou la transaction qu’il renferme ne sont assortis d’aucune assertion, garantie, convention ou condition subsidiaire autres que celles expressément énoncées.

 

[69]           Il ressort du témoignage de M. Bachour que les défendeurs ont décidé de ne pas exploiter les restaurants au sein du système de franchises Symposium.

 

[70]           Le Groupe Symposium Café détenait les marques déposées Symposium Café Dessin et The Symposium Café. Les frères Argiropoulos étaient en train de développer le réseau de franchises Symposium. Tous leurs projets et activités témoignent de leur intention de maintenir et de répandre le concept de restaurant Symposium Café dans le cadre de leur réseau de franchises. Ils ont contracté un emprunt personnel pour se défendre dans le litige qui les a opposés à M. Kotsos. Tout cela est loin de suggérer qu’ils avaient l’intention de renoncer aux droits protégeant les éléments essentiels de leur concept, et ce, malgré les difficultés financières et commerciales auxquelles ils faisaient face.

 

[71]           Il n’y a rien dans le procès‑verbal du règlement amiable qui puisse confirmer l’interprétation de M. Kotsos. J’estime que le document établit en lui‑même que le droit transféré était celui d’employer les marques de commerce Symposium Café au sein du système de franchises Symposium. C’est ce qu’a reconnu M. Kotsos lui‑même en admettant que tout document de vente et d’achat contiendrait une promesse par laquelle l’acheteur s’engagerait à retirer les enseignes Plantation/Symposium des cafés Sheppard et Kennedy dans les 90 jours de la signature, si ce dernier décidait de ne pas poursuivre ses activités au sein du système de franchises Symposium Café.

 

[72]           J’estime également que les défendeurs ont été avisés que la demanderesse ne consentait plus à ce qu’ils emploient ses marques de commerce déposées dès janvier 2004, date à laquelle elle a exigé que les enseignes affichant la marque Symposium Café Dessin lui soient restituées. En décembre de cette année, l’avocat de la demanderesse avisait les défendeurs de l’intention de la demanderesse de les poursuivre parce qu’ils avaient contrefait les marques de commerce Symposium Café et n’avaient pas retourné les enseignes. J’estime que les défendeurs n’avaient plus le droit, à partir de janvier 2004, d’utiliser les marques de commerce sans le consentement de la titulaire de ces marques déposées, à savoir la demanderesse, et que tel consentement n’a jamais été donné.

 

Confusion

 

[73]           L’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce prévoit que nul ne peut appeler l’attention du public sur ses services de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, entre ses services et ceux d’un autre. La confusion est définie à l’article 6 de la Loi qui énonce le critère applicable pour l’évaluer. Le paragraphe 6(5) exige que toutes les circonstances soient examinées, notamment :

a)   le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b)   la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c)   le genre de marchandises, services ou entreprise;

 

d)   la nature du commerce;

 

e)   le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

[74]           Il faut donc appliquer le critère énoncé au paragraphe 6(5) au cas d’espèce.

 

a) Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

 

 

[75]           Les marques de commerce Symposium comprennent une reproduction bien en vue de L’École d’Athènes accompagnée de motifs muraux de marbre antique, un comptoir faisant vitrine et des céramiques circulaires, ainsi que des noms et des expressions déposés liés à des services de restauration. Bien que les éléments individuels ne soient pas particulièrement distinctifs (L’École d’Athènes, par exemple, est une œuvre d’art publique bien connue), le concept visuel utilisé en l’espèce en liaison avec un restaurant satisfait à l’exigence relative au caractère distinctif. En plus de l’imagerie et du décor, des expressions déposées sont employées en liaison avec les services de restauration (nourriture, décor, service). Les Symposium Café établis dans la région de Toronto, à London et à Waterloo (Ontario) font tous appel au même concept visuel distinctif.

 

b) La période pendant laquelle les marques de commerce en cause ont été en usage

 

[76]           La date de premier emploi des marques de commerce par la demanderesse remonte à 1999, alors que l’utilisation du concept visuel Symposium par les défendeurs est plus récente, celle‑ci ayant débuté sur un mode concurrentiel en 2004.

 

c) Le genre de services

 

[77]           Les deux parties exploitent des restaurants dans la région de Toronto.

 

d) La nature du commerce

 

[78]           La nourriture et les services offerts par les parties sont identiques et sont destinés à la même clientèle, des consommateurs qui recherchent des restaurants avec service à la table.

 

e) Le degré de ressemblance entre les marques de commerce

 

[79]           Les ressemblances doivent être envisagées en considérant les marques de commerce comme un tout. Il faut les examiner dans l’optique du consommateur moyen n’ayant qu’un vague souvenir des détails spécifiques et de l’impression générale qu’il s’en ferait : Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824, au paragraphe 20. Les enquêteurs de Monarch Protection Services ont rédigé un rapport sur les similarités entre les cafés Sheppard et Kennedy et le Symposium Café. Les défendeurs ont continué de reproduire bien en vue L’École d’Athènes, et conservé le motif mural antique, le comptoir faisant vitrine et les céramiques circulaires qui font partie du concept visuel du Symposium Café. Les expressions Symposium Café figuraient toujours sur les enseignes et dans les menus. Il est significatif qu’ils aient continué d’utiliser la grande murale extérieure représentant L’École d’Athènes accompagnée de l’expression déposée ‘Redefining the Café Experience’ à l’extérieur du Café Mirage Kennedy.

 

[80]           Les défendeurs soutiennent que la demanderesse n’a pas établi l’existence d’une confusion entre le Café Mirage et le Symposium Café. Ils ajoutent que les témoignages de Mme George et de M. Palumbo devraient être écartés, parce que ces deux témoins sont étroitement liés à la demanderesse. À cet égard, ils citent la décision Phillip Morris Products S.A. c Marlboro Canada Ltd., 2010 CF 1099, [2010] 90 CPR (4th) 1, au paragraphe 263, où la Cour a déclaré :

[traduction] Il en va de même de la preuve fournie par les représentants des ventes de la défenderesse, quoique pour une foule d’autres raisons. Tout d’abord, il s’agit d’employés d’une partie à la présente action, et leur subsistance dépend de leurs bonnes relations avec leur employeur. Cette relation de subordination employeur‑employé mine la fiabilité de ces témoignages. Par ailleurs, ils étaient tous relativement inexpérimentés et ont fait des déclarations à l’emporte‑pièce qui n’ont pas toujours résisté au contre‑interrogatoire […].

 

[81]           Les défendeurs signalent du reste que M. Bachour a indiqué dans son témoignage n’avoir rencontré aucun problème pouvant être associé à l’existence d’une confusion entre le Café Mirage et le Symposium Café. Tout en reconnaissant que ce dernier est une partie à l’instance, les défendeurs affirment que son témoignage fait contrepoids à la preuve contraire fournie par M. Argiropoulos, lui aussi partie à l’instance.

 

[82]           M. Argiropoulos a déclaré pendant son témoignage que certaines personnes lui avaient confié qu’elles confondaient le Café Mirage avec le Symposium Café. Le fait que ces propos lui aient été adressés constitue une preuve, mais l’allégation de confusion constitue du ouï‑dire. M. Argiropoulos a également parlé des messages dont il a pris connaissance dans le cadre de ses recherches sur Internet dans lesquels une confusion était faite entre le Café Mirage et le Symposium Café. Je ne me fierai pas à cette preuve obtenue sur Internet, car sa fiabilité et son utilité n’est confirmée par aucun témoignage d’expert : ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd., 2003 CF 1056, 29 CPR (4th) 182.

 

[83]           Mme Potter et M. Scicchitano, qui travaillent tous deux pour Monarch Protection, ont aussi rapporté que les Café Mirage sur Sheppard et sur Kennedy ont fait un emploi continu des expressions déposées. Ces établissements ont continué de placer en évidence la reproduction de L’École d’Athènes, et conservé le même comptoir faisant vitrine et les céramiques circulaires; ils ont utilisé des menus analogues ou copiés, n’ont pas cessé de se servir de l’expression déposée de la demanderesse ‘Redefining the Café Experience’ à l’extérieur du Café Kennedy, et ont même employé l’ancien nom du Symposium Café, Plantation Coffee and Tea Company, sur leurs reçus d’achat de nourriture.

 

[84]           Mme George et M. Palumbo ont témoigné en tant que franchisés du Symposium Café. Des clients leur ont avoué qu’ils pensaient que les Café Mirage étaient associés au Symposium Café. Bien qu’ils aient tous deux une relation d’affaires avec le Groupe Symposium Café et qu’ils aient intérêt à ce que le réseau de franchises Symposium prospère, ce sont des gens d’affaires indépendants qui exploitent leurs propres restaurants. À ce titre, ce sont des témoins crédibles habilités à formuler des commentaires sur des questions touchant la gestion de leurs propres établissements. J’accepte leurs témoignages indiquant que les clients de leurs restaurants leur ont signalé que les Café Mirage et leurs établissements Symposium Café se ressemblaient à certains égards.

 

[85]           En tant que propriétaires, il est naturel que Mme George et M. Palumbo tiennent compte des commentaires de leurs clients en rapport avec leurs restaurants. Ces deux témoins sont crédibles et ont tous deux été contre‑interrogés. Leurs témoignages n’ont pas été ébranlés. Il ne fait aucun doute que les propos en question leur ont été adressés. Bien que cette preuve relève du ouï‑dire, il convient de l’accepter, et d’ainsi éviter d’avoir à appeler plusieurs clients à témoigner au sujet de la confusion. De plus, cette preuve par ouï‑dire est corroborée par les enquêteurs de Monarch Protection qui se sont rendus aux restaurants Café Mirage sur Sheppard et sur Kennedy et ont relevé des similarités avec les établissements Symposium Café.

 

[86]           M. Palumbo a indiqué que, lors de sa première visite au Café Mirage Kennedy, il a trouvé que le concept ressemblait beaucoup à celui du Symposium Café. Le regard qu’il a posé sur le Café Mirage n’était pas celui du client moyen un peu pressé; il était un observateur averti qui avait des raisons d’examiner attentivement le concept visuel du Café Kennedy puisqu’il songeait à acheter une franchise Symposium. Un franchisé prospectif comme lui se devait de soigneusement considérer la franchise sous tous ses aspects, notamment les concurrents potentiels. Il a finalement décidé de ne pas adhérer au réseau de franchises Symposium parce que le Café Mirage Kennedy ressemblait beaucoup au Symposium Café et qu’il se trouvait tout près de l’emplacement proposé pour sa franchise Symposium Café. M. Palumbo est lui aussi un client, mais du franchiseur plutôt que du restaurant en tant que tel. De ce point de vue, il a lui aussi fourni une preuve directe de confusion.

 

[87]           Finalement, j’estime que M. Dagher est dans une position assez différente de celles de Mme George et de M. Palumbo puisque son travail consiste à gérer le Café Mirage. J’accorde moins de poids à son témoignage touchant l’absence de confusion qu’à ceux de Mme George et de M. Palumbo.

 

[88]           La preuve documentaire confirme également l’existence d’une confusion. Le Café Mirage a d’abord utilisé les menus orange que M. Kotsos avait imprimés lorsque les menus originaux du Symposium Café ont eu besoin d’être remplacés. Bien que la marque The Symposium Café et les mentions du mot Symposium (sauf un) aient été supprimées, les expressions déposées continuaient de figurer dans les menus. Il est également significatif que le numéro à composer pour avoir des renseignements au sujet de la franchise qui figurait sur le menu était celui du Groupe Symposium Café. Même lorsque de nouveaux menus ont été introduits au Café Mirage, des expressions déposées comme ‘East meets West’, ou d’autres du même genre, telles que ‘Redefining the Café Experience’ (Symposium Café) et ‘the Evolution of a Café Experience’ (Café Mirage) continuaient d’y figurer.

 

[89]           Le critère juridique en matière de confusion a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Polo Ralph Lauren Corp. c United States Polo Association, (2000), 9 CPR (4th) 51, 286 NR 282. Comme l’indiquait le juge d’appel Malone, au paragraphe 3, le critère applicable pour évaluer la probabilité de confusion consiste à se demander :

[…] si, comme première impression dans l’esprit d’un consommateur ordinaire ayant un souvenir vague et imparfait de l’autre marque, l’emploi des deux marques, dans la même région et de la même façon, est susceptible de donner l’impression que les marchandises reliées à ces marques sont produites ou commercialisées par la même société.

 

[90]           À mon avis, un client ordinaire qui entrerait au Café Mirage et verrait L’École d’Athènes bien en évidence, l’imposant comptoir/vitrine, le motif mural antique et les expressions déposées, reproduites telles quelles ou presque dans des menus composés des mêmes éléments, conclurait que le Café Mirage est associé au Groupe Symposium Café.

 

[91]           Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que les clients ordinaires, un peu pressés, penseraient de prime abord que le Café Mirage est associé au Groupe Symposium Café, et que l’emploi des marques de commerce de la demanderesse par les défendeurs sèmerait la confusion dans leur esprit.

 

[92]           Les défendeurs font valoir que la date pertinente eu égard à la contrefaçon d’une marque déposée est la date de l’audience, et ils invoquent l’arrêt Alticor Inc. c Nutravite Pharmaceuticals Inc., 2005 CAF 269, [2005] 257 DLR (4th) 60, à l’appui de cette proposition. J’estime qu’ils ont tort. La Loi sur les marques de commerce attache des conséquences aux marques de commerce dès la date de leur premier emploi, et sans aucun doute dès la date de leur enregistrement. Les expressions Symposium Café ont été enregistrées avant que les défendeurs n’aient pris possession des cafés Sheppard et Kennedy. Bien que le concept visuel déposé Symposium Café n’ait pas été enregistré avant 2008, la preuve confirme que la date de son premier emploi remonte à 1999 et qu’il n’a pas cessé d’être utilisé par la suite.

 

[93]           Dans l’arrêt Alticor, la Cour d’appel fédérale expliquait que lorsqu’une partie sollicite une injonction permanente, la date pertinente est celle de l’audience. Tel est le cas en l’espèce. Cependant, la demanderesse réclame aussi des dommages‑intérêts pour la contrefaçon à partir du moment où elle en a signifié avis aux défendeurs, soit janvier 2004. Or, la Cour d’appel fédérale a indiqué :

[16]      Il n’y a cependant pas de règle absolue pour ce qui concerne la date pertinente. Il peut y avoir des cas où une autre date ou d’autres dates conviendront mieux, selon les faits de l’espèce et les mesures de réparation demandées. Il pourrait évidemment en aller ainsi dans le cas où une partie soutiendrait que la contrefaçon a aussi bien cessé que commencé avant le procès. On n’établit pas le risque de confusion en fonction d’une date donnée; normalement, on essaie plutôt de démontrer l’existence de ce risque sur une durée déterminée, car c’est ainsi que peuvent être évalués le préjudice subi et les dommages‑intérêts correspondants. Il est donc clair que la date pertinente, si elle est normalement la date de l’audience, peut aussi être une autre date, selon les faits particuliers de l’espèce et les conclusions des parties.

 

[94]           La preuve révèle que le Café Mirage Sheppard a été rénové en 2008 et que le concept visuel Symposium Café n’y est plus utilisé. Par contre, rien n’indique que le Café Mirage Kennedy a subi des rénovations analogues. M. Bachour a d’ailleurs indiqué pendant son témoignage au procès que rien n’avait changé dans cet établissement. Comme les défendeurs étaient les mieux placés pour fournir des preuves à ce sujet et qu’ils ne l’ont pas fait, j’arrive à la conclusion défavorable que le Café Mirage Kennedy continue d’utiliser le concept visuel Symposium Café.

 

[95]           Je conclus que les dates pertinentes en ce qui concerne la confusion vont de celle à partir de laquelle les défendeurs n’étaient plus autorisés à utiliser les marques de commerce Symposium, c’est‑à‑dire janvier 2004, jusqu’à la date de la présente audience. J’estime que les défendeurs ont contrefait les marques de commerce de la demanderesse depuis janvier 2004, que cette contrefaçon s’est poursuivie jusqu’en 2008 pour ce qui est du Café Mirage Sheppard et qu’elle avait encore cours à la date de l’audience relative à la présente affaire en ce qui concerne le Café Mirage Kennedy.

 

Violation du droit d’auteur

 

[96]           Le droit d’auteur est établi par la loi. En bref, le droit d’auteur relatif à une œuvre donne à son auteur le droit exclusif de produire ou de reproduire l’œuvre en question. Le droit d’auteur concerne toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale dont l’auteur est citoyen d’un pays ayant adhéré aux traités internationaux sur le droit d’auteur ou qui y réside habituellement. Ce droit subsiste pendant la vie de l’auteur plus cinquante ans. Ce régime juridique s’articule dans différentes dispositions de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‑42.

 

[97]           L’achat d’un article protégé par le droit d’auteur n’a pas pour effet de transférer ce droit. Ainsi, en achetant un livre, on n’acquiert pas le droit d’auteur qui s’y rattache. Il est possible de revendre ce livre sans contrevenir au droit d’auteur mais pas de le recopier, à moins d’y être autorisé par le détenteur du droit d’auteur ou en vertu des exceptions prévues par la Loi sur le droit d’auteur : voir David Vaver, Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade‑marks, 2e éd. (Toronto : Irwin Law Inc., 2011), à la page 58.

 

[98]           Le droit d’auteur protège les œuvres originales, quoique ce qui importe ne soit pas tant le degré d’originalité intellectuelle que la paternité. C’est l’expression de l’œuvre qui est protégée, non les idées qu’elle renferme. Le droit d’auteur vise donc à interdire la reproduction des expressions originales de l’œuvre d’un auteur donné.

 

[99]           Enfin, presque tout ce qui est publié ou écrit est considéré comme une œuvre littéraire. La Loi sur le droit d’auteur fait mention des tableaux, programmes d’ordinateur, livres, brochures et autres écrits. Les œuvres plus inhabituelles comprennent les livres comptables, les formulaires, les procès‑verbaux de réunion, les problèmes sudoku et les lettres d’avocats : ibid, à la page 69.

 

2.      La demanderesse est‑elle titulaire du droit d’auteur à l’égard des menus du Symposium Café? Le cas échéant, les défendeurs ont‑ils commis une violation initiale ou à une étape ultérieure du droit d’auteur relatif aux menus?

 

 

[100]       La demanderesse fait valoir qu’elle est titulaire du droit d’auteur sur les menus de ses Symposium Café, et que les défendeurs ont utilisé ces menus aux cafés Sheppard et Kennedy sans obtenir son consentement, violant ainsi son droit d’auteur. La demanderesse soutient en particulier que le menu orange des défendeurs constitue une violation à une étape ultérieure du menu de leur Symposium Café, car M. Kotsos a copié les menus sans autorisation et que les défendeurs ont délibérément utilisé les menus orange copiés. La demanderesse soutient en outre que ces derniers ont copié les nouveaux menus du Symposium Café et qu’ils ont donc violé ses droits d’auteur relativement aux menus en question.

 

Dispositions législatives

 

[101]       Comme nous l’avons déjà mentionné, la Loi sur le droit d’auteur prévoit que le titulaire du droit d’auteur sur une œuvre a le droit exclusif de la produire ou de la reproduire :

 

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; …

 

3. (1) For the purposes of this Act, “copyright”, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, …

 

[102]       En vertu de la Loi sur le droit d’auteur, constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement d’un acte que seul le titulaire de ce droit a la faculté d’accomplir, y compris le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre. Les définitions législatives de la violation (paragraphe 27(1)) et de la violation à une étape ultérieure (paragraphe 27(2)) prévoient :

 

27. (1) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir.

 

(2) Constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement de tout acte ci‑après en ce qui a trait à l’exemplaire d’une œuvre, d’une fixation d’une prestation, d’un enregistrement sonore ou d’une fixation d’un signal de communication alors que la personne qui accomplit l’acte sait ou devrait savoir que la production de l’exemplaire constitue une violation de ce droit, ou en constituerait une si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit :

 

a) la vente ou la location;

 

b) la mise en circulation de façon à porter préjudice au titulaire du droit d’auteur;

 

c) la mise en circulation, la mise ou l’offre en vente ou en location, ou l’exposition en

public, dans un but commercial;

 

d) la possession en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c);

 

e) l’importation au Canada en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c).

27. (1) It is an infringement of copyright for any person to do, without the consent of the owner of the copyright, anything that by this Act only the owner of the copyright has the right to do.

 

(2) It is an infringement of copyright for any person to

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) sell or rent out,

 

(b) distribute to such an extent as to affect prejudicially the owner of the copyright,

 

(c) by way of trade distribute, expose or offer for sale or rental, or exhibit in public,

 

 

 

(d) possess for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a) to (c), or

 

(e) import into Canada for the purpose of doing anything referred to in paragraphs (a)

to (c),

 

a copy of a work, sound recording or fixation of a performer’s performance or of a communication signal that the person knows or should have known infringes copyright or would infringe copyright if it had been made in Canada by the person who made it.

 

 

[103]       Enfin, dans le cadre de la présente affaire, la disposition suivante est également pertinente :

 

34.1 (1) Dans toute procédure pour violation du droit d’auteur, si le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du demandeur :

 

a) l’œuvre, la prestation, l’enregistrement sonore ou le signal de communication, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d’auteur;

 

b) l’auteur, l’artiste‑interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur.

 

34.1 (1) In any proceedings for infringement of copyright in which the defendant puts in issue either the existence of the copyright or the title of the plaintiff thereto,

 

(a) copyright shall be presumed, unless the contrary is proved, to subsist in the work, performer’s performance, sound recording or and

 

(b) the author, performer, maker or broadcaster, as the case may be, shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the

owner of the copyright.

 

Les menus

 

[104]       Lorsque M. Kotsos a repris les restaurants Sheppard et Kennedy, les menus du Symposium Café faisaient partie des actifs. Lorsqu’ils ont montré des traces d’usure, M. Kotsos en a fait faire des copies en supprimant toutes les mentions du mot Symposium, sauf une. Ces menus orange copiés faisaient partie des actifs des restaurants vendus à BDD Solutions Inc. Les défendeurs ont continué à employer ces menus même après avoir reçu en janvier 2004 l’avis explicite de la demanderesse qui les sommait de cesser d’en faire usage.

 

[105]       Lorsque le Groupe Symposium Café a modifié son menu, les défendeurs ont élaboré le nouveau menu du Café Mirage dans lequel figurait une reproduction de L’École d’Athènes et était énumérée une liste de plats très semblables à ceux du menu du Symposium Café; y figuraient en outre des expressions déposées et des descriptions elles aussi identiques ou d’une similarité frappante, ce qui allait à mon avis bien au‑delà de la simple coïncidence. En voici une illustration :

 

Symposium East Meets West.

Two separate pleasures on one plate.  Vanilla ice cream and strawberries topped with strawberry puree meet chocolate ice cream, bananas and chocolate syrup – a mouth watering combination topped with whipped cream.

 

New Symposium Café menu.

East Meets West.  Two separate pleasures on one plate.  Vanilla ice cream and strawberries topped with strawberry puree meet chocolate ice cream, bananas and chocolate syrup.  A mouth watering combination topped with whipped cream.

 

New Café Mirage menu.

 

 

[106]       Il y a beaucoup d’autres similarités, mais sont particulièrement dignes de mention le fait que soit reproduit sur la couverture des menus l’intérieur des cafés, y compris L’École d’Athènes, et le fait que les phrases suivantes y figurent :

 

Redefining the Café Experience

 

New Symposium Café Menu.

 

The Evolution of a Unique Café Experience

 

New Café Mirage Menu.

 

 

[107]       M. Bachour a déclaré que lorsqu’ils ont conçu le nouveau menu du Café Mirage, ils [traduction] « ont un petit peu changé [le menu orange] ». Il n’explique pas pourquoi on y retrouve L’École d’Athènes ni pourquoi c’est à ce moment précis que le Café Mirage a décidé de changer ses menus.

 

[108]       Je conclus sans hésitation que les nouveaux menus du Café Mirage étaient inspirés des nouveaux menus du Symposium Café et qu’une partie importante de ceux‑ci y soit reproduits.

 

[109]       Dans sa déclaration modifiée, la demanderesse soutenait que les défendeurs avaient violé son droit d’auteur, ce que ces derniers ont nié. Dans ses observations, la demanderesse a notamment fait valoir que les défendeurs ont violé le droit d’auteur qu’elle détient sur les menus du Symposium Café, ce à quoi ces derniers ont répondu que la demanderesse [traduction] « ne peut prétendre à aucun droit relativement aux [...] droits d’auteur afférents aux deux restaurants ou à tout autre actif [...] acquis par la défenderesse BDD Solutions Inc. », puisque la demanderesse ou les entités agissant avec son consentement ont renoncé à ces droits.

 

Les menus du Symposium Café étaient‑ils protégés par le droit d’auteur?

 

[110]       Dans un premier temps, je serais enclin à répondre par la négative pour deux raisons. Premièrement, les descriptions de menus de restaurant sont extrêmement courantes et de nombreuses combinaisons sont passablement standards. Deuxièmement, il n’est pas rare que les menus de restaurant subissent des changements, comme c’est arrivé en l’espèce. On peut se demander, comme l’a fait David Vaver si [traduction] « l’auteur [a] consacré suffisamment d’efforts intellectuels à l’élaboration du produit pour prétendre à une protection contre la reproduction par des tiers pendant sa durée de vie, et les cinquante années suivantes? » (Vaver, à la page 101). Cependant, je dois tenir compte des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur et de la jurisprudence en la matière.

 

[111]       Dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 RCS 339 [CCH], la Cour suprême du Canada a examiné les opinions divergentes exprimées dans la jurisprudence concernant l’originalité dans le contexte du droit d’auteur. Elle s’est ensuite employée à formuler le critère relatif à l’originalité, à être appliqué en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. S’exprimant au nom de la Cour, le Juge en chef a déclaré :

 

[16]      […] Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est‑à‑dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Je dois donc déterminer si la création d’un menu de restaurant, et de celui du Symposium Café en particulier, requiert l’exercice du talent et du jugement d’une façon qui n’est pas négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique.

 

[112]       Tout d’abord, lorsqu’un auteur, comme en l’espèce, utilise ses connaissances personnelles, ses aptitudes acquises et sa compétence issue de l’expérience pour élaborer un menu de restaurant, tout en recourant à sa faculté de discernement ou à sa capacité à se faire une opinion ou à procéder à une évaluation en comparant différentes possibilités, la création qui en résulte est assurément le fruit de l’exercice du talent et du jugement, tel que le conçoit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH. La capacité d’un auteur de sélectionner les plats d’un menu, de les décrire et de veiller à la présentation et au design d’ensemble sont des facettes de l’exercice du talent et du jugement permettant de conclure que le menu d’un restaurant est une œuvre originale digne d’être protégée par le droit d’auteur.

 

[113]       Cependant, l’arrêt CCH précise que l’exercice du talent et du jugement ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. S’agissant de menus de restaurant, certains sont certainement constitués d’une liste à toutes fins pratiques standard de plats accompagnée de descriptions très communes, des prix et de certains renseignements d’identification comme le nom du restaurant, son emplacement et ses heures d’ouverture. Même si la création d’un tel menu requiert inévitablement l’exercice du talent et du jugement, dans la mesure où l’auteur doit décider des plats à offrir, établir les prix et possiblement l’ordre ou le regroupement des plats, la question de savoir si cet exercice constitue une opération purement mécanique et non une œuvre originale justifiant la protection du droit d’auteur est moins claire. Cependant, si un auteur déploie un effort intellectuel de minimis suggérant davantage qu’un exercice purement mécanique du talent et du jugement, le menu ainsi produit serait une œuvre « originale » protégée par la Loi sur le droit d’auteur.

 

[114]       Les éléments suivants figurent dans le nouveau menu du Symposium Café : une reproduction de L’École d’Athènes, les expressions déposées, des photographies de certains plats, des descriptions vantant les plats en question et les prix. M. Argiropoulos a expliqué comment ils ont sélectionné les plats et rédigé les descriptions pour produire l’effet recherché dans l’esprit du concept du Symposium Café. Il est clair qu’ils ont choisi avec soin les plats au menu et les tournures employées dans les descriptions, et effectués les liens avec les images, de façon à ce que le menu corresponde au concept Symposium. Je suis d’avis que M. Argiropoulos, en ce qui concerne la sélection du menu, la présentation et le design, a décrit un processus qui répond au critère relatif à l’exercice du talent et du jugement permettant d’établir l’existence d’un droit d’auteur.

 

[115]       De plus, l’article 34.1 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit que dans toute procédure pour violation du droit d’auteur dans laquelle le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du demandeur, l’œuvre est, jusqu’à preuve contraire, présumée être protégée par le droit d’auteur. Les défendeurs ont contesté le droit d’auteur du Groupe Symposium Café ainsi que le contrôle exercé à cet égard. J’estime que les dénégations des défendeurs font intervenir l’article 34 de la Loi sur le droit d’auteur. Par conséquent, l’œuvre est présumée être protégée par le droit d’auteur et les défendeurs doivent réfuter cette présomption : ils ne l’ont pas fait. Il n’est pas nécessaire que j’examine davantage la question de savoir si les descriptions du menu peuvent être protégées par le droit d’auteur pendant la durée de vie de l’auteur plus cinquante ans.

 

[116]       Faire quelque chose que seul le titulaire du droit d’auteur a le droit de faire, notamment produire ou reproduire l’œuvre ou une partie importante de l’œuvre sous une forme matérielle quelconque, constitue une violation de ce droit. La question est de savoir si les défendeurs ont violé le droit d’auteur de la demanderesse avec les menus orange initialement employés ou les nouveaux menus du Café Mirage.

 

[117]       Les défendeurs n’ont pas copié les menus orange, ils les ont achetés avec les actifs de M. Kotsos. Ce dernier a déclaré qu’il avait demandé à l’imprimeur de faire des copies, en supprimant simplement les références au Symposium Café. Je conclus sans peine que les menus orange reproduisaient une partie importante des menus du Symposium Café.

 

[118]       Néanmoins, je ne pense pas que les menus orange aient été reproduits sans le consentement tacite du Groupe Symposium Café. M. Kotsos avait saisi les restaurants Sheppard et Kennedy et les détenait en vertu d’une ordonnance judiciaire. Tout en maintenant qu’il n’avait aucune obligation à l’égard du Groupe Symposium Café et qu’il ne voulait pas s’y associer, M. Kotsos a détenu légitimement deux entreprises de restauration et leurs actifs pendant un certain temps. Ces actifs comprenaient une licence, expresse ou tacite, l’autorisant à employer les menus du Symposium Café protégés par le droit d’auteur. J’imagine que cela inclut le droit d’en faire des copies lorsque les menus sont usés.

 

[119]       M. Kotsos pouvait, en vertu des conditions du règlement amiable, vendre les restaurants et tous leurs actifs à l’intérieur ou à l’extérieur de la franchise Symposium Café. Les défendeurs ont donc acquis les menus orange avec les actifs des restaurants Sheppard et Kennedy. Comme j’ai conclu qu’ils avaient été légitimement reproduits, aucune violation à une étape ultérieure ne découle de cet emploi subséquent, bien que la licence tacite ait expiré lorsque les défendeurs ont refusé d’adhérer au réseau de franchises Symposium Café.

 

[120]       L’argument des défendeurs selon lequel la demanderesse a renoncé à tout droit en acceptant de transférer l’ensemble des actifs ne peut être retenu. Le droit d’auteur n’est pas transférable en même temps que les actifs matériels comme les menus. Rien n’indique que le Groupe Symposium Café ait transféré plus qu’une licence pour l’emploi de ses marques de commerce ou droits d’auteur. Dans le meilleur des cas, la licence d’utilisation des menus est restée en vigueur jusqu’à ce que les défendeurs décident de ne pas adhérer au réseau de franchises Symposium Café. Comme l’œuvre est présumée être protégée par le droit d’auteur et que les défendeurs n’ont pas prouvé que la demanderesse ne pouvait plus prétendre à un droit d’auteur exclusif, la présomption de droit d’auteur et le titre de la demanderesse à cet égard demeurent.

 

[121]       Les nouveaux menus du Café Mirage ressemblent, sans être tout à fait identiques, à ceux du Groupe Symposium Café.

 

[122]       Le paragraphe 3(1) accorde au titulaire du droit d’auteur le droit exclusif de « reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre ». L’expression « une partie importante de l’œuvre » est pertinente en l’espèce. Dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‑Canada, 2002 CAF 187, 18 CPR (4th) 161, infirmé pour d’autres motifs, 2004 CSC 13, [2004] 1 RCS 339, la Cour d’appel fédérale notait que le caractère « important » ne concerne pas uniquement l’étendue de la reproduction :

 

[237]    Ce qui constitue une reproduction d’une partie importante d’une œuvre ne dépend pas d’une analyse purement quantitative. En fait, le caractère important peut être évalué dans une perspective quantitative ou qualitative. Dans la décision U & R Tax Services Ltd. c. H & R Block Canada Inc., précitée, le juge Richard (tel était alors son titre) a ainsi résumé le droit en matière de caractère important, [au paragraphe 35] :

 

ce qui constitue une « partie importante » est une question de fait et, à cet égard, les tribunaux ont accordé plus d’importance à la qualité des parties qu’à leur quantité. Dans la jurisprudence antérieure, les tribunaux ont retenu, entre autres, les facteurs suivants :

 

a)   la qualité et la quantité des parties plagiées;

 

b)   la gravité de l’atteinte que l’utilisation du défendeur a portée aux activités du demandeur et la mesure dans laquelle la valeur du droit d’auteur s’en trouve diminuée;

 

c)   la question de savoir si le document plagié est protégé à bon droit par un droit d’auteur;

 

d)   la question de savoir si le défendeur s’est intentionnellement emparé de l’œuvre du demandeur pour épargner du temps et des efforts;

 

e)   la question de savoir si le défendeur utilise le document plagié d’une façon identique ou similaire au demandeur.

 

 

[123]       En l’espèce, il est utile de relever les éléments suivants en ce qui concerne le menu produit par les défendeurs :

a)                  l’œuvre L’École d’Athènes y figure bien qu’elle ne soit pas présentée exactement de la même manière;

b)                  il reprend la présentation générale et emploie des descriptions de plats très similaires sinon absolument identiques (voir le paragraphe 105);

c)               le menu Symposium Café est protégé par le droit d’auteur;

d)               le moment et les circonstances de la production du nouveau menu du Café Mirage, de même que l’allégation des défendeurs selon laquelle la demanderesse a acquiescé à leur emploi des menus du Symposium Café, permettent de conclure que les défendeurs se sont intentionnellement approprié l’œuvre de la demanderesse pour épargner du temps et des efforts;

e)               le document plagié tout comme le menu Symposium Café est utilisé comme un menu de restaurant.

 

[124]       Étant donné la mesure dans laquelle le nouveau menu du Symposium Café a été reproduit dans celui du Café Mirage, j’estime que la violation du droit d’auteur a été établie.

 

3.      La demanderesse a‑t‑elle le droit d’exiger que les enseignes Symposium Café lui soient restituées ou que des dommages‑intérêts lui soient versés en lieu et place?

 

 

[125]       La demanderesse allègue également que les défendeurs ne lui ont pas remis les enseignes du Symposium Café qu’ils étaient tenus de retirer et de lui rendre en vertu de la transaction commerciale conclue avec M. Kotsos, et réclame en lieu et place des dommages‑intérêts.

 

[126]       Selon les défendeurs, le recours intenté par la demanderesse est une action pour appropriation illicite fondée sur la common law, dans le cadre duquel elle demande le retour de biens ou des dommages‑intérêts que la Cour fédérale n’a pas le pouvoir d’ordonner. Ils ajoutent que la demande de dommages‑intérêts n’est aucunement étayée si ce n’est par des estimations approximatives fournies par M. Argiropoulos. Ils soutiennent à présent que la demanderesse n’était pas une partie liée par le règlement amiable et qu’elle ne pouvait invoquer de droits aux termes de ce règlement comme tierce partie, alors qu’ils prétendaient auparavant qu’elle l’était, à tout le moins indirectement.

 

[127]       Selon la preuve dont je dispose, l’encart en plastique de l’enseigne affichait la marque Symposium Café Dessin. Comme la Cour fédérale a compétence exclusive pour entendre les affaires relevant de la Loi sur les marques de commerce, notamment celles qui ont trait à la contrefaçon des marques de commerce, je ne puis souscrire à la thèse des défendeurs selon laquelle cet aspect du dossier échappe à la compétence de la Cour.

 

[128]       M. Kotsos a accepté d’inclure dans l’entente une promesse par laquelle tout acheteur devait permettre au Groupe Symposium Café de retirer ses enseignes. La défenderesse BDD Solutions Inc. a convenu de retirer l’enseigne Symposium Café, et cette obligation est devenue effective lorsqu’elle a décidé de ne pas adhérer au réseau de franchises. Dès lors, la défenderesse était obligée de permettre au Groupe Symposium Café de récupérer ses enseignes. Il n’est pas question en l’espèce d’une tierce partie, étrangère à l’entente, cherchant à se prévaloir des droits qui y sont prévus. La demanderesse avait, en tant que titulaire d’une marque de commerce, des droits à l’égard des enseignes sur lesquelles figurait sa marque Symposium Café Dessin. M. Argiropoulos et Mme George ont expliqué pendant leurs témoignages comment ils avaient tenté, sans succès, de récupérer les enseignes Symposium Café qui se trouvaient aux établissements sur Sheppard et Kennedy.

 

[129]       Il ressort de la preuve que les défendeurs ont décroché les enseignes, mais rien n’indique qu’ils les ont retournées au Groupe Symposium Café. Le défendeur, M. Bachour, a déclaré qu’il avait décroché l’encart en plastique et qu’il avait gardé la boîte pour leur propre enseigne. M. Dagher et lui affirment avoir contacté le Groupe Symposium Café et leur avoir indiqué où ils pouvaient récupérer les enseignes.

 

[130]       Je préfère les témoignages de M. Argiropoulos et de Mme George à ceux de MM. Bachour et Dagher, d’autant plus que la preuve documentaire, à savoir les lettres de M. Argiropoulos et de son avocat exigeant la restitution des enseignes, atteste des efforts persistants et répétés qu’ils ont déployés pour que les enseignes leur soient remises.

 

[131]       Comme MM. Bachour et Dagher étaient les mieux placés pour prouver que les enseignes avaient été rendues, mais qu’ils ne l’ont pas fait, il est permis d’inférer qu’elles ne l’ont pas été. Je conclus donc que les enseignes Symposium Café n’ont pas été retournées.

 

[132]       Les défendeurs ont prétendu qu’aucun élément de preuve n’a été présenté concernant les dommages‑intérêts dans la mesure où seul le coût estimé des enseignes Symposium Café a été fourni. Je reconnais qu’il est impossible de savoir s’il s’agissait seulement des encarts en plastique ou également des boîtes et des pièces accessoires. Au mieux, la demanderesse a prouvé que les encarts en plastique sur lesquels figure sa marque nominale et figurative n’ont jamais été retournés. Le coût de ces enseignes n’a pas été établi. Cela ne veut pas dire que la non‑restitution des enseignes n’a pas occasionné de dommages à la demanderesse. J’estime notamment qu’elle a, du fait de la non‑restitution, perdu le contrôle sur ses marques de commerce, ce qui suffit à fonder la réclamation en dommages‑intérêts.

 

4.      La demanderesse a‑t‑elle prouvé que les défendeurs individuels étaient responsables?

 

[133]       En dernier lieu, la demanderesse soutient que les défendeurs individuels, Michael Bachour et Amy Salam, sont responsables conjointement avec les sociétés défenderesses. Elle fait valoir que M. Bachour a pris part aux activités de contrefaçon des marques de commerce et de violation du droit d’auteur du Symposium Café, mais aussi que ce dernier a reconnu qu’il ne faisait pas de distinction entre ses sociétés, BDD Solutions Inc. et le Café Mirage, et ses propres activités.

 

[134]       La demanderesse affirme que Mme Salam a pris part elle aussi à la contrefaçon des marques de commerce du Symposium Café. Mme George a déclaré que Mme Salam s’était informée au sujet de la vente éventuelle des restaurants Symposium Café. Elle a signé des lettres et était actionnaire d’une autre entreprise avec M. Dagher. La demanderesse soutient que la Cour devrait tirer une inférence défavorable du défaut de Mme Salam de témoigner au procès, compte tenu des preuves de sa participation, et conclure qu’elle a pris part personnellement aux activités du Café Mirage.

 

[135]       Les défendeurs soutiennent que rien ne justifie de percer le voile corporatif pour tenir les défendeurs individuels responsables; à cet égard, ils s’appuient sur l’arrêt Mentmore Manufacturing Co. c National Merchandise Manufacturing Co. Inc. (1978), 40 CPR (2d) 164, 89 DLR (3d) 195 (CAF) [Mentmore Manufacturing], dans lequel la Cour d’appel fédérale a estimé que les petites sociétés formées de deux personnes jouissaient des mêmes avantages que les grandes sociétés.

 

[136]       En outre, les défendeurs font valoir que la demanderesse n’a produit aucune preuve établissant que Mme Salam prenait part aux activités journalières des Café Mirage. Mme Salam est une agente immobilière et elle agissait en cette qualité à l’égard de BDD Solutions Inc., en assistant parfois directement M. Bachour.

 

[137]       Je conviens avec les défendeurs que la preuve n’établit pas que Mme Salam participait de près aux activités quotidiennes du Café Mirage concernant la contrefaçon des marques de commerce et à la violation du droit d’auteur. La preuve établit qu’elle a joué un rôle auprès de M. Bachour et des sociétés défenderesses en ce qui concerne la garantie de prêt et de loyer et à sa conversation avec Mme George, mais ne montre pas, à mon sens, qu’elle participait aux opérations quotidiennes du Café Mirage. La demanderesse a fait grand cas d’une lettre dont elle prétend que Mme Salam est l’auteure, mais il s’agit là de pure spéculation. L’élément de preuve le plus précis concerne la conversation entre Mme George et Mme Salam, qui peut aussi s’interpréter à l’aune de l’intérêt qu’une agente immobilière porte aux affaires de son client.

 

[138]       Il incombait à la demanderesse de prouver que Mme Salam a pris part personnellement aux activités des sociétés défenderesses qui constituaient une contrefaçon des marques de commerce et une violation du droit d’auteur du Groupe Symposium Café. Je conclus que la demanderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau, et il n’était pas nécessaire que Mme Salam témoigne pour sa défense. Elle n’était donc pas tenue de témoigner, et aucune inférence défavorable ne saurait être tirée en ce qui concerne le rôle qu’elle a joué.

 

[139]       J’estime que la demanderesse n’a pas prouvé que Mme Salam était impliquée dans la contrefaçon des marques de commerce et la violation du droit d’auteur du Groupe Symposium Café.

 

[140]       La preuve se rapportant à la participation de M. Bachour est bien différente. Il était le principal artisan de l’acquisition des restaurants Sheppard et Kennedy. Il a reconnu avoir engagé un courtier pour rédiger un plan d’affaires calqué sur les activités du Groupe Symposium Café. Ce plan d’affaires témoignait de l’intention d’adopter, en maintenant le statu quo, une ligne de conduite qui supposait qu’il y ait contrefaçon des marques de commerce de la demanderesse.

 

[141]       Dans l’arrêt Mentmore Manufacturing, la Cour d’appel fédérale notait au paragraphe 28 que pour que l’administrateur ou le directeur d’une société soit tenu personnellement responsable, les circonstances doivent raisonnablement permettre de conclure que son objectif était d’adopter délibérément, volontairement et sciemment une conduite susceptible de constituer une contrefaçon ou qui signale une indifférence à l’égard de ce risque.

 

[142]       Plus important encore, M. Bachour lui‑même ne faisait pas de distinction entre ses activités et celles de ses entreprises. Il a déclaré que BDD Solutions Inc. n’était pas l’entité qui exploitait les restaurants Sheppard et Kennedy mais qu’elle avait simplement servi à effectuer l’achat des actifs en 2004. Le Café Mirage n’a été constitué en personne morale qu’en 2009 et n’a servi qu’à perpétuer ce nom. M. Bachour a lui‑même reconnu qu’il n’existait aucune distinction entre ses entreprises et lui‑même, déclarant à un moment [traduction] « je suis les entreprises ».

 

[143]       Dans l’arrêt Rivett c Monsanto Canada Inc., 2010 CAF 207, 87 CPR (4th) 383, la Cour d’appel fédérale a estimé que la responsabilité personnelle d’un fermier, plutôt que celle de sa société d’exploitation agricole, avait été engagée. Pour étayer cette conclusion, la Cour d’appel a déclaré :

 

[99]      Pour éviter de restituer des profits, M. Kerkhof fait valoir que toutes les activités agricoles faites ou gérées par lui l’ont été pour le compte de son entreprise Aldy Farms Inc. En conséquence, c’est Aldy Farms, et non lui‑même, qui a réalisé les profits provenant des récoltes contrefaisantes cultivées en 2004 et 2005.

 

[100]    Le dossier n’étaye pas ce moyen de défense. Premièrement, le mémoire de défense de M. Kerkhof ne mentionne tout simplement pas Aldy Farms. Deuxièmement, M. Kerkhof, qui s’est fait représenter par un avocat tout au long des procédures, admet, à titre personnel, la contrefaçon et convient de restituer les profits. Troisièmement, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que Aldy Farms était la bénéficiaire des revenus et des services de M. Kerkhof. La seule mention de cette entité a été faite lors de l’interrogatoire principal. Enfin, l’exposé conjoint des faits révèle que M. Kerkhof a semé, récolté et vendu les semences à titre personnel.

 

[101]    Par conséquent, je conviens avec Monsanto qu’il n’y a pas de raison que le juge prenne en compte la prétendue participation d’Aldy Farms Inc. dans les activités de contrefaçon de M. Kerkhof.

 

[144]       Je conclus que M. Bachour a directement pris part à la gestion de Café Mirage ainsi qu’à la contrefaçon des marques de commerce et à la violation du droit d’auteur du Groupe Symposium Café. Outre la responsabilité des sociétés défenderesses, la responsabilité personnelle de M. Bachour est engagée.

 

V. Réparations

 

Injonction

 

[145]       Ayant conclu que les défendeurs BDD Solutions Inc., Café Mirage et Michael Bachour étaient responsables, et puisque la contrefaçon de la marque de commerce s’est poursuivie à l’égard du Café Mirage Kennedy, tout comme la violation du droit d’auteur en rapport avec les menus, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accorder une injonction pour protéger la propriété intellectuelle de la demanderesse.

 

[146]       Le concept visuel Symposium Café enregistré comme marque de commerce comporte quatre éléments : la reproduction du tableau L’École d’Athènes, le fini mural antique lézardé, l’ensemble distinctif comptoir/vitrine circulaire et le motif en céramique qui l’entoure. Ce dernier élément me paraît dépourvu d’importance au regard de l’ensemble, tout comme le fini mural. Le comptoir/vitrine circulaire est un élément distinctif, mais la demanderesse y avait déjà renoncé dans un établissement compris dans la vente des restaurants Biltermar. L’École d’Athènes est une œuvre d’art publique. Quoi qu’il en soit, c’est la combinaison de ces quatre éléments qui rend le concept visuel distinctif.

 

[147]       À mon avis, de ces quatre éléments, L’École d’Athènes est l’élément dominant et primordial. Il incarne le concept thématique d’un lieu de réunion propice à la discussion et à l’échange d’idées imaginé par la demanderesse. Cette œuvre est bien en vue dans tous les établissements franchisés du Groupe Symposium Café. C’est l’élément qui subsiste au Café Mirage Kennedy et dans les menus des Café Mirage.

 

[148]       Je suis d’avis que le retrait de L’École d’Athènes du concept visuel du Café Mirage mettra effectivement fin à toute confusion avec les restaurants Symposium Café.

 

[149]       Par conséquent, il sera interdit aux défendeurs BDD Solutions Inc, Café Mirage et Michael Bachour d’afficher L’École d’Athènes au Café Kennedy, ou dans tout autre restaurant Café Mirage, sur les menus des Café Mirage ou sur tout enseigne, affiche, site Web ou autre.

 

[150]       Il sera également interdit aux défendeurs d’employer, de publier ou d’imprimer les marques de commerce suivantes de la demanderesse :

Symposium Café Dessin

The Symposium Café

Second To None

Passport To Pleasure

East Meets West

Escape The Ordinary

Symmetry For The Senses

To Europe And Back In 15 Minutes

 

[151]       Les défendeurs remettront à la demanderesse tous les menus des Café Mirage sur lesquels figure L’École d’Athènes qui constituent une contrefaçon.

 

Dommages‑intérêts

 

[152]       La demanderesse réclame des dommages‑intérêts équivalant aux frais de franchise mensuels pour la durée de la contrefaçon commise aux Café Mirage Sheppard et Kennedy. Elle fait valoir que ces dommages‑intérêts compenseront ses pertes et invoque, comme précédent, la décision 2 For 1 Subs Ltd. c Ventresca (2006), 48 CPR (4th) 311, 17 BLR (4th) 179 (C. sup. Ont.). Cependant, la preuve de la demanderesse a permis d’établir que les frais de franchise variaient en fonction des circonstances et de la prospérité des franchises Symposium.

 

[153]       Lorsque les défendeurs ont acquis les actifs des restaurants Sheppard et Kennedy, le Groupe Symposium Café les a invités à se joindre à leur groupe moyennant des frais de franchise uniques de 17 500 $.

 

[154]       Le Groupe Symposium Café a également subi des pertes spécifiques lorsque M. Palumbo a annulé sa demande initiale de franchise parce que le Café Mirage Kennedy se trouvait à proximité de l’emplacement prévu pour son restaurant. À ce titre, il a exigé le retour de son dépôt de franchise de 6 588,13 $ et n’est devenu un franchisé Symposium Café qu’ultérieurement.

 

[155]       Après avoir examiné ces facteurs conjointement, je suis d’avis qu’il convient d’octroyer la somme globale de 30 000 $ à titre de dommages‑intérêts.

 

[156]       La demanderesse réclame des dommages‑intérêts légaux pour la violation du droit d’auteur se rapportant aux menus des Café Mirage.

 

[157]       J’estime que cette violation a été commise à deux endroits : au Café Mirage Sheppard et au Café Mirage Kennedy. À l’occasion des rénovations effectuées au Café Mirage Sheppard des changements ont notamment été apportés aux menus de ce restaurant. J’accorde des dommages‑intérêts de 2 500 $ pour la violation commise au Café Mirage Sheppard et des dommages‑intérêts de 5 000 $ pour celle qui a eu lieu au Café Mirage Kennedy, soit un total de 7 500 $ pour violation du droit d’auteur.

 

[158]       La demanderesse réclame des dommages‑intérêts en lieu et place du retour de ses enseignes sur lesquels figure la marque de commerce Symposium Café Dessin. Elle estime leur valeur à environ 35 000 $, mais n’a soumis aucune preuve relativement à leur coût.

 

[159]       Quoi qu’il en soit, les enseignes ne sont pas dénuées de valeur et auraient pu être employées dans d’autres restaurants Symposium Café.

 

[160]       J’accorderai des dommages‑intérêts de 5 000 $ pour la non‑restitution de chacune des enseignes, pour un total de 10 000 $.

 

Dommages‑intérêts punitifs

 

[161]       La demanderesse réclame aussi des dommages‑intérêts punitifs. Le Groupe Symposium Café se sent dépossédé et lésé par la manière dont les défendeurs se sont approprié la propriété intellectuelle de la demanderesse et par leur attitude peu réceptive. La demanderesse conteste ce qu’elle considère comme une tentative planifiée et délibérée de leur part de s’approprier son concept de restaurant et estime qu’ils ont fait preuve d’arrogance en maintenant le statu quo durant le litige.

 

[162]       Je dois maintenant me demander si les faits justifient l’octroi de dommages‑intérêts exemplaires ou punitifs. Je noterai tout d’abord que rien dans la loi ne fait obstacle à l’octroi de dommages‑intérêts punitifs qui s’ajouteraient aux indemnités ou dommages‑intérêts habituellement octroyés. Pour ce qui est des œuvres protégées par le droit d’auteur, le pouvoir de la Cour d’octroyer des dommages‑intérêts punitifs en plus des dommages‑intérêts légaux réclamés découle du paragraphe 38.1(7) de la Loi sur le droit d’auteur (voir également Telewizja Polsat S.Ac c Radiopol Inc., 2006 CF 584, 52 CPR (4th) 445, au paragraphe 34).

 

[163]       L’arrêt charnière en matière de dommages‑intérêts punitifs est l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 de la Cour suprême. Comme le déclarait le juge Binnie au paragraphe 36, ce type de dommages‑intérêts sera accordé contre un défendeur :

[e]xceptionnellement, […] lorsqu’une conduite « malveillante, opprimante et abusive […] choque le sens de la dignité de la cour » : Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 196. Ce critère limite en conséquence de tels dommages‑intérêts aux seules conduites répréhensibles représentant un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable. Parce qu’ils ont pour objet de punir le défendeur plutôt que d’indemniser le demandeur (la juste indemnité à laquelle ce dernier a droit ayant déjà été déterminée), les dommages‑intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil (indemnisation) et le droit criminel (punition).

 

[164]       Le juge Binnie a expliqué ce principe général plus en détail dans l’arrêt Whiten. Comme l’a résumé la Cour suprême de Nouvelle‑Écosse dans la décision 2703203 Manitoba Inc. c Parks, 2006 NSSC 6, 47 C.P.R. (4th) 276, au paragraphe 38, infirmée en partie par 2007 NSCA 36, 57 C.P.R. (4th) 391, les facteurs pertinents à considérer sont les suivants :

·       la conduite était‑elle préméditée et délibérée?

·       quels étaient l’intention et les mobiles du défendeur?

·       le défendeur a‑t‑il persisté dans sa conduite scandaleuse sur une longue période?

·       le défendeur a‑t‑il dissimulé ou tenté de dissimuler son inconduite?

·       le défendeur savait‑il que ce qu’il faisait était répréhensible?

·       le défendeur a‑t‑il tiré profit de son inconduite?

 

[165]       Les principes généraux énoncés dans l’arrêt Whiten au sujet des dommages‑intérêts punitifs ont été appliqués par la juge Snider dans la décision Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, 2007 CF 1179, 62 CPR (4th) 362 dans une affaire relative à la contrefaçon d’une marque de commerce dans laquelle la conduite des défendeurs faisait entrer en jeu tous ces facteurs.

 

[166]       À mon avis, en l’espèce, les agissements des défendeurs ne justifient pas l’octroi de dommages‑intérêts punitifs. Bien que leur conduite ait été préméditée et délibérée, elle n’impliquait pas de dissimulation, d’obstruction de l’instance judiciaire ou la réalisation de profits que des dommages‑intérêts ne puissent compenser. Leur tentative d’exploiter le concept du Groupe Symposium Café relève davantage d’une concurrence commerciale dépassant les limites légales.

 

Les frais

 

[167]       La demanderesse réclame les dépens avocat‑client contre les défendeurs.

 

[168]       Le principe fondamental veut que l’allocation des dépens soit le fruit d’un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe : Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd. (1998), 84 CPR (3d) 303, 159 FTR 233, au paragraphe 7. La règle générale est que les dépens suivent l’issue de l’instance et, en l’absence de circonstances exceptionnelles, ils doivent être adjugés à la partie ayant gain de cause dans le litige sur une base partie‑partie.

 

[169]       Les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour : paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Les facteurs non exhaustifs susceptibles d’être pris en compte dans l’adjudication des dépens sont énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, et comprennent « toute autre question que [la Cour] juge pertinente ». L’octroi de dépens avocat‑client est exceptionnel. La Cour suprême du Canada a déclaré que de tels dépens ne devaient être généralement adjugés que si l’une des parties a fait preuve d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante : Hamilton c Open Window Bakery Ltd., 2004 CSC 9, [2004] 1 R.C.S. 303, au paragraphe 26.

 

[170]       En l’espèce, le pire que l’on puisse imputer aux défendeurs est d’avoir cherché à exploiter ce qui leur a paru comme une opportunité commerciale sans se soucier de la propriété intellectuelle de la demanderesse. Même si cette dernière a été offensée et affligée par cette conduite, elle ne peut pas être qualifiée de répréhensible, scandaleuse ou outrageante. Les défendeurs n’ont pas fait non plus obstruction au litige d’une manière qui excède ce qu’on attendrait d’une partie défenderesse dans une poursuite.

 

[171]       J’estime que les dépens de l’action devraient suivre l’issue de l’instance sur une base partie‑partie. J’adjugerais les dépens selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III en plus des débours habituels, notamment les frais des enquêteurs de Monarch Agency, mais sans inclure ceux du témoin expert dont je n’ai pas accepté le témoignage.

 

VI. Conclusion

 

[172]       En conclusion, je répondrais ainsi aux questions de fond énoncées plus tôt.

 

1.      Les défendeurs ont‑ils acquis le droit d’employer les marques de commerce de la demanderesse en achetant les actifs des Symposium Café Sheppard et Kennedy? Dans le cas contraire, ont‑ils contrefait les marques de commerce de la demanderesse et fait passer leurs restaurants pour des franchisés Symposium Café alors qu’ils ne faisaient pas partie du réseau?

 

 

[173]       Les défendeurs n’ont pas acquis le droit à un usage illimité des marques de commerce de la demanderesse en achetant les actifs des cafés Sheppard et Kennedy. Le droit qu’ils ont acquis consistait à employer les marques de commerce au sein du réseau de franchises Symposium Café, et ce droit s’est éteint lorsqu’ils ont refusé d’y adhérer et que le Groupe Symposium Café les a sommés de cesser de porter atteinte à ses droits. Les défendeurs sont responsables d’avoir contrefait les marques de commerce de la demanderesse. Des dommages‑intérêts de 30 000 $ sont octroyés à la demanderesse.

 

2.      La demanderesse est‑elle titulaire du droit d’auteur à l’égard des menus du Symposium Café? Le cas échéant, les défendeurs ont‑ils commis une violation initiale ou à une étape ultérieure du droit d’auteur relatif aux menus?

 

 

[174]       La demanderesse jouit d’un droit d’auteur à l’égard des menus du Symposium Café, ce que n’ont pas réfuté les défendeurs. Les menus des Café Mirage constituaient une violation initiale de la part des défendeurs. Le montant des dommages‑intérêts payables en vertu de la Loi sont fixés à 7 500 $.

 

3.      La demanderesse a‑t‑elle le droit d’exiger que les enseignes du Symposium Café lui soient retournées ou que des dommages‑intérêts lui soient versés en lieu et place?

 

 

[175]       La demanderesse avait le droit de récupérer les enseignes affichant sa marque nominale et figurative lorsque les défendeurs ont refusé de se joindre au Groupe Symposium Café et qu’avis leur a été signifié pour qu’ils cessent de les utiliser. Comme elles n’ont pas été retournées, la demanderesse a droit à des dommages‑intérêts. Le montant des dommages‑intérêts est fixé à 5 000 $ pour chaque enseigne, pour un total de 10 000 $.

 

4.      La demanderesse a‑t‑elle prouvé que les défendeurs individuels étaient responsables?

 

 

[176]       La responsabilité personnelle du défendeur Michael Bachour est engagée en ce qui concerne les allégations prouvées, vu sa participation personnelle et son admission qu’il ne sépare pas les activités des entreprises défenderesses de ses propres affaires.

 

[177]       La demanderesse n’a pas prouvé que la défenderesse Amy Salam devait être tenue responsable.

 

Autres questions

[178]       La demanderesse a droit à l’ordonnance d’injonction suivante :

 

1.      Il est interdit aux défendeurs d’afficher L’École d’Athènes dans le Café Mirage Kennedy ou tout autre restaurant Café Mirage ainsi que sur les menus des Café Mirage ou sur tout enseigne, affiche, site Web ou autre.

 

2.      Il est interdit aux défendeurs d’employer, de publier ou d’imprimer les marques de commerce suivantes de la demanderesse :

 

·         Symposium Café Dessin

·         The Symposium Café

·         Second To None

·         Passport To Pleasure

·         East Meets West

·         Escape The Ordinary

·         Symmetry For The Senses

·         To Europe And Back In 15 Minutes

 

3.      Les défendeurs remettront à la demanderesse tous les menus des Café Mirage affichant L’École d’Athènes qui contrefont ses marques de commerce.

 

4.      Ces interdictions et ordonnance prendront effet dans les 60 jours suivant la date du présent jugement.

 

[179]       Les dépens sont adjugés à la demanderesse sur une base partie‑partie. Ces dépens seront adjugés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III, en plus des débours habituels, notamment les frais des enquêteurs de Monarch Protection Services, mais non ceux du témoin expert dont je n’ai pas accepté le témoignage.

 

[180]       Comme la défenderesse Amy Salam n’a pas comparu au procès et que c’est l’avocat des défendeurs qui s’est chargé de sa défense, je n’adjugerai aucuns dépens en ce qui concerne sa défense.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.      La responsabilité des défendeurs, BDD Solutions Inc., Café Mirage Inc. et Michael Bachour est engagée en ce qui concerne la contrefaçon des marques de commerce, la violation des droits d’auteur et la non‑restitution des enseignes de la demanderesse.

 

2.      L’ordonnance d’injonction suivante est accordée :

a)                  Il est interdit aux défendeurs BDD Solutions Inc., Café Mirage Inc. et Michael Bachour d’afficher L’École d’Athènes dans le Café Mirage Kennedy ou  tout autre restaurant Café Mirage ainsi que sur les menus du Café Mirage ou sur tout enseigne, affiche, site Web ou autre.

 

b)                  Il est interdit aux défendeurs d’employer, de publier ou d’imprimer les marques de commerce suivantes de la demanderesse :

 

·         Symposium Café Dessin

·         The Symposium Café

·         Second To None

·         Passport To Pleasure

·         East Meets West

·         Escape The Ordinary

·         Symmetry For The Senses

·         To Europe And Back In 15 Minutes

 

c)                  Les défendeurs remettront à la demanderesse tous les menus du Café Mirage affichant L’École d’Athènes qui contrefont ses marques de commerce.

 

d)                 Ces interdictions et ordonnance prendront effet dans les 60 jours suivant la date de ce jugement.

 

3.      Les défendeurs BDD Solutions Inc., Café Mirage Inc. et Michael Bachour sont solidairement condamnés à verser à la demanderesse des dommages‑intérêts au montant de 30 000 $ pour la contrefaçon de ses marques de commerce et de 7 500 $ pour violation de ses droits d’auteur sur les menus.

 

4.      Les défendeurs BDD Solutions Inc., Café Mirage Inc. et Michael Bachour sont solidairement condamnés à verser à la demanderesse des dommages‑intérêts au montant de 5 000 $ pour chacune des deux enseignes affichant sa marque Symposium Café Dessin, pour un total de 10 000 $.

 

5.      Les défendeurs paient sur la base partie‑partie les dépens de la demanderesse selon le milieu de la fourchette de la colonne III en plus des débours, notamment les frais des enquêteurs de Monarch Protection Services, mais non ceux du témoin expert.

 

6.      Aucuns dépens ne sont adjugés pour Mme Amy Salam.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑82‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   1429539 ONTARIO LIMITED c.
CAFÉ MIRAGE INC., BDD SOLUTIONS INC., MICHAEL BACHOUR ET AMY SALAM

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Owen James Thompson

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eric M. Wolfman

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Owen Thompson

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eric Wolfman

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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