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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111031


Dossier : IMM-877-11

Référence : 2011 CF 1236

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

AZADEH SADEGHI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

   

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 janvier 2011 (la décision) par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, suivant les articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est citoyenne de l’Iran. Sa famille et elle ne sont pas religieuses.

 

[3]               En 2004, elle a été retenue au bord d’une route par des membres de l’unité 110 de la patrouille de surveillance islamique (la PSI). Elle a reçu l’ordre de sortir de sa voiture, puis elle a été frappée au visage par le colonel Safania avec un émetteur‑récepteur portatif et enfin, on l’a sommée de se présenter au quartier général de la PSI. Lorsqu’elle s’est présentée au quartier général le lendemain, on l’y a détenue pendant plusieurs heures. Pendant sa détention, le colonel Safania lui a fait des avances et quelques membres féminins de la PSI l’ont interrogée. Elle a finalement été libérée, mais a dû acquitter une amende et signer une sorte de promesse.

 

[4]               Quelque temps après, entre la fin de 2005 et le début de 2006, la demanderesse a reçu des garçons et des filles à dîner. Après la fête, la Harasat (un service de sécurité chargé de surveiller les faits et gestes des étudiants) a interrogé plusieurs des invités, qui ont révélé que la demanderesse était l’organisatrice de la réception. Cette dernière a été convoquée par la Harasat et forcée de signer un document indiquant qu’elle acceptait de son plein gré d’abandonner l’université. Lorsque le père de la demanderesse a appris qu’elle avait abandonné l’école, il est devenu furieux et pendant un certain temps, il a refusé de laisser sa fille sortir de la maison.

 

[5]               En 2006, la demanderesse a fait la rencontre d’un jeune homme qui se prénommait Riyaz et dont la mère était de confession baha’ie. Avec Riyaz, la demanderesse s’est rendue à une fête où la PSI a fait irruption. À l’issue de cette descente, le colonel Safania a accusé la demanderesse d’appartenir à la communauté baha’ie, une accusation qu’elle a niée. Après l’incident, la demanderesse a été tenue de comparaître en cour, ce qu’elle a fait, et les autorités lui ont infligé une amende pour ses activités.

 

[6]               En décembre 2007 ou en janvier 2008, la sœur de la demanderesse, qui est résidente permanente du Canada, a fait une demande de visa de travail pour permettre à la demanderesse de venir au Canada. La demande de visa a été refusée.

 

[7]               Par ailleurs, en mai 2007, la demanderesse a fait en Iran la rencontre d’un autre homme du nom de Sami. Sami avait été renvoyé de l’université pour ses activités politiques, mais il disait ne plus prendre part à la vie politique. En juillet 2007, il a été arrêté. Le 23 juillet 2007, la demanderesse a été convoquée au ministère du Renseignement, à Chiraz. Elle s’y est rendue avec son père. Après cette visite aux autorités, la demanderesse a été tenue de signer une promesse par laquelle elle s’engageait à se présenter au ministère du Renseignement chaque fois qu’on le lui demanderait. À cette occasion, elle a vu le colonel Safania au ministère. Elle avait remarqué qu’il l’avait suivie en voiture. Après cette rencontre au ministère du Renseignement, son père est redevenu furieux et a forcé la demanderesse à démissionner de son emploi.

 

[8]               En octobre ou novembre 2007, la demanderesse a été rappelée au ministère du Renseignement. Le colonel Safania a menacé de détruire sa vie si elle n’était pas aimable avec lui. Il lui a également dit de s’attendre à être convoquée de nouveau au ministère du Renseignement.

 

[9]               Par l’intermédiaire d’un membre de rang inférieur qu’il connaissait au sein des forces disciplinaires, le père de la demanderesse a appris que sa fille ne figurait pas sur la liste noire des personnes à qui il était interdit de quitter l’Iran, mais qu’elle risquait de faire l’objet d’une arrestation sommaire. Pour lui permettre de fuir le pays, il a arrangé un mariage avec un certain Ebrahim, un Koweïtien de 21 ans son aîné. Forcée de se marier, la demanderesse a quitté sa demeure en Iran pour rejoindre celle de son nouveau mari, au Koweït.

 

[10]           Après le départ d’Iran de la demanderesse, son père a été arrêté et détenu pendant 24 heures par des représentants du gouvernement. Ceux-ci l’ont interrogé pour savoir, en autres, où était sa fille, et avec qui elle était. En raison de cet incident, la demanderesse a senti qu’elle ne pouvait pas rentrer en Iran et a accepté d’épouser Ebrahim.

 

[11]           Après le mariage, qui a eu lieu le 19 mars 2008, Ebrahim a envoyé la demanderesse aux États-Unis avec l’intention de l’y rejoindre une fois qu’il aurait réglé quelques affaires liées à son entreprise. La demanderesse est arrivée aux États-Unis en août 2008 munie d’un visa de séjour. Après avoir vécu aux États-Unis pendant une courte période, la demanderesse a dit à son mari qu’elle voulait obtenir le divorce. Celui-ci lui a répondu qu’il n’accepterait pas le divorce à moins qu’elle ne renonce aux 5000 dinars du Koweït représentant sa partie de l’apport au mariage.

 

[12]           La demanderesse a alors vécu aux États-Unis avec sa tante maternelle et le mari de sa tante pendant cinq mois et demi, après quoi on lui a demandé de quitter la maison. Elle s’est rendue en Floride, où elle a vécu avec son oncle maternel et sa femme pendant trois mois. On lui a demandé de quitter la maison de son oncle, de sorte qu’elle est rentrée chez sa tante maternelle et a téléphoné à sa sœur. À l’approche de l’expiration de son visa de séjour, la demanderesse s’est adressée à plusieurs avocats américains spécialisés en droit de l’immigration pour savoir ce qu’elle pouvait faire pour rester aux États-Unis. L’un d’eux lui a dit qu’elle pouvait régulariser sa situation en se mariant; d’autres lui ont indiqué qu’une demande d’asile serait irrecevable puisqu’elle avait le statut de résidente du Koweït.

 

[13]           Bien qu’elle se soit informée sur la possibilité de régulariser sa situation aux États-Unis, la demanderesse n’a pas demandé l’asile pendant qu’elle s’y trouvait. Lorsque son visa de séjour a expiré, le 6 février 2009, elle a été arrêtée par les autorités américaines pour séjour prolongé sans autorisation. Elle a été libérée par la suite. Elle est venue au Canada et a présenté sa demande d’asile le 1er juin 2009, soit près de quatre mois après l’expiration de son visa aux États-Unis.

 

[14]           À son arrivée au Canada, la demanderesse a été reçue en entrevue par un agent qui a rempli le formulaire IMM 5611, soit la Demande d’asile. Un interprète était présent à l’entrevue. La demanderesse a aussi signé la déclaration figurant sur le formulaire dans laquelle elle reconnaissait qu’elle en comprenait tous les éléments et qu’elle avait obtenu une explication sur les points qu’elle ne comprenait pas. Selon le formulaire, la demanderesse craint d’être persécutée par l’unité 110 (la PSI) en Iran, et par son mari, Ebrahim, au Koweït.

 

[15]           La SPR a tenu une audience le 21 janvier 2011. À l’audience, la demanderesse était représentée par une conseil. Sur consentement des parties, l’audience a commencé sans l’interprète, qui avait été retardé. À son arrivée, l’audience s’est poursuivie avec l’aide de celui‑ci. La preuve présentée à la SPR à l’audience comprenait les documents d’identité de la demanderesse (acte de naissance, permis de conduire, carte d’identité, diplôme préuniversitaire, diplôme universitaire et passeport), les Cartables nationaux de documentation sur l’Iran et le Koweït, le formulaire IMM 5611, le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) de la demanderesse et son témoignage. La demanderesse a été interrogée par la SPR, à la suite de quoi sa conseil ne lui a posé aucune question. Après l’admission des éléments de preuve, la conseil a présenté des arguments de vive voix.

 

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

            Crédibilité

 

[16]           La SPR a rendu sa décision le 24 janvier 2011. La preuve de l’identité de la demanderesse a été faite au moyen de son passeport de sorte qu’il ne restait à la SPR qu’à déterminer si elle craignait avec raison d’être persécutée.

 

[17]           Si on fait abstraction de la preuve ayant servi à établir l’identité de la demanderesse, les seuls éléments de preuve dont disposait la SPR étaient le témoignage de la demanderesse et les Cartables nationaux de documentation sur le Koweït et l’Iran. La SPR a articulé sa décision autour de la question de la crédibilité de la demanderesse. Elle a conclu que la demanderesse n’était pas crédible pour plusieurs motifs.

 

[18]           D’abord, la SPR a conclu que la demanderesse n’était pas crédible en raison des divergences entre les renseignements figurant au formulaire IMM 5611 et ceux du FRP de la demanderesse. La SPR a remarqué que dans le formulaire IMM 5611, elle avait relaté l’incident de 2004 impliquant le colonel Safania, lors duquel elle avait été frappée au visage avec un émetteur‑récepteur portatif. Dans le formulaire IMM 5611, la demanderesse affirmait qu’elle était en voiture avec sa sœur. Lorsqu’elle a rapporté l’incident dans son FRP, elle a écrit qu’elle était en voiture avec une amie. De plus, dans le formulaire IMM 5611, elle a indiqué que l’incident s’était produit en 2003, alors que dans son FRP, elle faisait allusion à l’automne 2004.

 

[19]           À l’audience, la SPR a invité la demanderesse à expliquer ces divergences. Celle-ci a confirmé que l’incident de l’émetteur‑récepteur portatif s’était produit en 2004 et que la personne qui était à bord de l’automobile avec elle était son amie Maha. Elle a ensuite donné à entendre que les erreurs constatées dans la date et l’identité de la personne qui l’accompagnait étaient imputables à la traduction. La conseil a ajouté qu’on n’avait fait à la demanderesse aucune traduction du formulaire IMM 5611 après qu’elle l’eut rempli, mais la SPR a fait remarquer qu’un interprète était présent lorsque le formulaire avait été rempli et que la demanderesse avait signé la confirmation sur le formulaire. Sur la base des divergences concernant la date de l’incident et l’identité de la personne qui était à bord du véhicule avec la demanderesse, la SPR a tiré une inférence défavorable quant à sa crédibilité.

 

[20]           Pour évaluer la crédibilité de la demanderesse, la SPR s’est également appuyée sur d’autres différences entre le contenu du formulaire IMM 5611 et son FRP. La SPR a remarqué que même si l’incident de l’émetteur‑récepteur portatif et les faits survenus le lendemain étaient mentionnés dans les deux formulaires, l’exposé circonstancié du FRP renfermait un récit beaucoup plus long et détaillé des incidents dont la demanderesse avait été victime alors qu’elle était en Iran. La SPR n’a pas cru la demanderesse lorsqu’elle a expliqué que le formulaire IMM 5611 manquait de précisions parce que l’agent d’immigration lui avait demandé de donner des réponses concises. La SPR a jugé que les faits ajoutés à l’exposé circonstancié du FRP étaient de enjolivements et partant, elle a tiré une autre inférence défavorable quant à la question de la crédibilité.

 

[21]           Le fait que la SPR n’ait pas eu de preuve documentaire à sa disposition n’a pas aidé la cause de la demanderesse en ce qui concerne sa crédibilité. Bien que cette dernière ait produit des documents attestant son identité, documents que la SPR a acceptés, elle n’a fourni aucune preuve documentaire concernant les arrestations et les interrogatoires qu’elle dit avoir subis. La SPR n’a pas tiré d’inférence défavorable de cette absence de preuve; en revanche, elle a constaté que la demanderesse n’avait pas su se prévaloir de la possibilité de rehausser sa crédibilité par une preuve appuyant son récit.

 

[22]           La demanderesse a dit craindre son père resté en Iran, ajoutant qu’il l’obligerait à épouser un autre homme si elle divorçait, des propos que la SPR a rejetés parce qu’elle n’a pas jugé la demanderesse crédible. La SPR n’a pas cru que son père la forcerait à se marier pour une deuxième fois, malgré qu’elle ait affirmé dans son témoignage qu’elle ferait tout ce qu’il lui dirait. La SPR a également jugé non crédible la raison donnée par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle avait épousé Ebrahim.

 

Crainte subjective de persécution

 

[23]           La SPR a jugé que l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle craignait subjectivement d’être persécutée en Iran n’était pas crédible. Elle a fondé cette conclusion sur le fait que la demanderesse n’avait pas déposé de demande d’asile au cours des neuf mois où elle avait vécu aux États-Unis. La SPR n’a pas accepté la raison donnée par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle avait tardé à le faire, à savoir que des avocats américains lui avaient dit que sa demande ne serait pas acceptée en raison de son statut de résidente du Koweït ou de personne mariée. La SPR a jugé invraisemblable qu’on ait pu lui donner ce genre de conseils. Elle a aussi rejeté l’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas déposé de demande d’asile aux États-Unis à l’expiration de son visa parce que sa sœur, qui était résidente permanente du Canada, devait demander conseil à un avocat canadien. La SPR a estimé qu’il ne fallait pas quatre mois pour obtenir des conseils sur la façon de demander l’asile au Canada.

 

[24]           La SPR a aussi jugé que l’allégation de crainte de persécution de la demanderesse n’était pas crédible parce qu’au cours des quatre mois où elle se trouvait illégalement aux États-Unis, elle avait dû faire face à la détention et au renvoi et que, malgré cela, elle n’avait pas cherché à régulariser sa situation. Or, elle l’aurait régularisée sans délai si elle avait réellement craint d’être persécutée. La SPR a constaté que même après l’expiration de son statut de résidente du Koweït, statut qu’elle disait être un obstacle au dépôt d’une demande d’asile aux États-Unis, la demanderesse n’a pas non plus tenté d’obtenir l’asile dans ce pays.

 

[25]           La SPR a remarqué qu’à l’audience, la conseil avait affirmé que les demandes d’asile fondées sur le sexe étaient moins susceptibles d’être accueillies favorablement aux États-Unis qu’au Canada. Toutefois, selon la SPR, cela ne pouvait expliquer le fait que la demanderesse ait tardé à déposer sa demande aux États-Unis, puisqu’elle-même n’avait pas soulevé ce point, que ce soit dans son témoignage ou dans les formulaires qu’elle avait remplis. Puisque la notion de crainte subjective s’intéresse aux pensées et aux motivations intrinsèques du demandeur d’asile, la SPR a rejeté les raisons données en preuve par la conseil de la demanderesse pour expliquer son omission de présenter une demande aux États-Unis, étant donné que cette dernière ne savait pas que les demandes d’asile fondées sur le sexe étaient moins susceptibles d’y être acceptées.

 

Autre motivation

 

[26]           La SPR était par ailleurs préoccupée par le fait que, à trois reprises, la demanderesse avait demandé un visa pour venir au Canada et que, chaque fois, sa demande avait été refusée. Elle en a conclu que ce n’était pas la crainte d’être persécutée qui motivait la demanderesse à venir au Canada mais bien son désir d’y vivre.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[27]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a.                      Les conclusions que la SPR a tirées en matière de crédibilité en se fondant sur les contradictions entre son FRP et le formulaire IMM 5611 étaient-elles raisonnables?

b.                     Les conclusions que la SPR a tirées concernant son omission de demander l’asile aux États-Unis étaient-elles raisonnables?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[28]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait

de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou  occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de  personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution

for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of

former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[29]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche de la norme à appliquer se révèle infructueuse que la cour doit entreprendre l’examen des quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[30]           L’appréciation de la preuve et les conclusions touchant à la crédibilité relèvent des champs d’expertise de la SPR et il convient, par conséquent, de faire preuve de retenue judiciaire à l’égard des décisions qu’elle rend sur ces questions. Elles commandent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Voir Ched c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1338, aux paragraphes 9 et 11; Yener c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 372, au paragraphe 28; et Mugu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 384, au paragraphe 33. La norme de contrôle applicable à la première question en litige est donc la décision raisonnable.

 

Dans Correira c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1060, le juge John O’Keefe a statué que la conclusion relative à un retard était susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Par ailleurs, dans Mesikano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 922, le juge Robert Barnes a jugé que la conclusion relative à un retard était une question de fait à évaluer selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Puisque dans Dunsmuir, précité, au paragraphe 45, la Cour suprême du Canada a décidé de fondre ces deux normes en une seule fondée sur le caractère raisonnable, la norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est la décision raisonnable.Lorsqu’il procède au contrôle d’une décision d’après la norme de la décision raisonnable, le tribunal s’attachera, dans son analyse, « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard ARGUMENTS

La demanderesse

 

[31]           La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en fondant ses conclusions sur les contradictions entre le formulaire IMM 5611 et son FRP. Elle affirme que ces contradictions découlent d’une erreur de traduction faite au moment de remplir le formulaire IMM 5611. Étant donné que le formulaire IMM 5611 ne lui a pas été traduit une fois rempli, toute conclusion s’appuyant sur ces contradictions est déraisonnable. Vu que la SPR a fondé ses conclusions défavorables quant à la crédibilité sur les contradictions entre les deux documents, ces conclusions sont elles aussi forcément déraisonnables. En somme, la décision est déraisonnable parce qu’elle repose sur des conclusions déraisonnables.

 

[32]           La demanderesse soutient également que la SPR a commis une erreur en concluant que rien n’expliquait son omission de demander l’asile aux États-Unis. Cette omission ne témoigne pas d’une absence de crainte subjective puisqu’il était vrai que la demande n’aurait probablement pas été accueillie aux États-Unis. En l’informant du peu de chances que sa demande d’asile soit accueillie, les avocats américains lui avaient donné des conseils judicieux, et cela suffisait à expliquer pourquoi elle n’avait pas demandé l’asile alors qu’elle se trouvait aux États-Unis. Il s’agissait d’une décision objectivement raisonnable, compte tenu du fait que les demandes d’asile fondées sur le sexe telles que la sienne avaient peu de chances d’aboutir dans ce pays. Puisque son omission de présenter une demande d’asile aux États-Unis était raisonnable, il était déraisonnable que la SPR conclue, en raison de cette omission, qu’elle n’avait pas de crainte subjective d’être persécutée.

 

[33]           La demanderesse affirme que la SPR a été saisie de la question des chances de succès des demandes d’asile fondées sur le sexe aux États-Unis par rapport au Canada, mais qu’elle n’a pas examiné la preuve à ce sujet. À l’audience, la conseil a abordé cette question dans ses observations faites de vive voix et la SPR disposait en outre d’un article spécialisé sur le traitement des demandes d’asile fondées sur le sexe aux États-Unis.

 

Exposé des arguments supplémentaires de la demanderesse

 

[34]           En outre, la demanderesse soutient que la SPR aurait dû prendre en considération les observations faites par sa conseil au sujet du traitement des demandes d’asile fondées sur le sexe aux États-Unis comme des éléments de preuve portés à son attention. À ce sujet, elle invoque la décision Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, dans laquelle le juge Russel Zinn a déclaré, au paragraphe 29 :

Les avocats sont des officiers judiciaires qui ont des tâches et des responsabilités bien définies, y compris la responsabilité de ne pas faire de fausses déclarations sur les faits ou de ne pas induire en erreur. Selon moi, les déclarations faites par un avocat sur des faits pourraient constituer des preuves dans des instances informelles comme une demande d’ERAR et elles pourraient se voir accorder un poids. Dans ces instances, l’avocat n’est pas le témoin, c’est le client de l’avocat qui est le véritable témoin – l’avocat fait simplement une déclaration pour le compte de son client.

 

[35]           L’échange intervenu à l’audience entre la conseil de la demanderesse et le commissaire de la SPR au sujet des chances de succès des demandes d’asile fondées sur le sexe aux États-Unis constituait une preuve dont la SPR aurait dû tenir compte. Puisqu’elle ne l’a pas fait, il faut en conclure que sa décision était déraisonnable.

 

            Le défendeur

 

[36]           Le défendeur affirme que les conclusions de la SPR étaient raisonnables compte tenu de la preuve dont elle était saisie et qu’elles ne doivent pas être modifiées. Il y avait des contradictions entre les deux formulaires et aucune preuve documentaire n’a été produite afin de corroborer les incidents décrits par la demanderesse dans son FRP. Compte tenu de ces contradictions, la SPR pouvait à juste titre tirer des inférences défavorables quant à la crédibilité de la demanderesse.

 

[37]           Le défendeur ajoute que la SPR a bel et bien tenu compte de la question des chances de succès des demandes d’asile fondées sur le sexe aux États-Unis et de la preuve issue de l’échange qu’elle a eu avec la conseil de la demanderesse, mais qu’elle ne disposait d’aucune preuve d’expert sur le sujet. La conclusion tirée par la SPR concernant l’opinion juridique reçue par la demanderesse était raisonnable. En outre, puisque la demanderesse n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi elle n’avait pas fait de demande d’asile pendant qu’elle se trouvait aux États-Unis, il était raisonnable de conclure que cela portait un coup fatal à la demande présentée au Canada. Toutes les conclusions tirées par la SPR reposaient sur la preuve dont elle était saisie et étaient raisonnables, de sorte qu’elles ne devraient pas être remises en doute.

 

ANALYSE

 

[38]           Compte tenu du contexte de la présente affaire et notamment, du fait que la demanderesse ait tardé à demander l’asile aux États-Unis et au Canada et fait peu d’efforts en ce sens, je puis certes comprendre que la SPR ait douté de l’existence d’une crainte subjective chez la demanderesse et je ne serais pas intervenu dans ce dossier, n’eût été les deux motifs mentionnés ci‑après. À mon sens, ces motifs font que la décision est imprudente et déraisonnable et commandent que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen.

 

[39]           Dans un premier temps, la SPR constate explicitement que le contenu du formulaire IMM 5611 n’a pas été traduit à la demanderesse. Puis, elle s’appuie sur les contradictions entre le formulaire IMM 5611 et le FRP de la demanderesse pour asseoir ses conclusions générales défavorables en matière de crédibilité :

Cependant, étant donné qu’il y a deux contradictions majeures et que la demandeure d’asile a également indiqué que la situation était peut‑être imputable à une erreur – et compte tenu des autres problèmes susmentionnés, relatifs à l’information fournie au point d’entrée et à la crédibilité générale de la demandeure d’asile –, le tribunal rejette l’explication donnée par celle‑ci. Le tribunal tire de ces contradictions importantes et directes une conclusion défavorable en ce qui a trait à la crédibilité.

 

 

[40]           La demanderesse a expliqué que les contradictions découlaient possiblement de quelque erreur de traduction, mais, puisqu’on ne lui a pas traduit le formulaire IMM 5611 une fois rempli pour qu’elle puisse, au moment pertinent, en confirmer le contenu, elle n’a évidemment pu en dire davantage.

 

[41]           Le formulaire IMM 5611 n’a pas été rempli par la demanderesse ou par une personne agissant en son nom et, comme on ne lui a pas traduit les réponses dans sa propre langue, elle n’a pas eu la possibilité de juger s’il reflétait véritablement ses dires. La demanderesse a également admis avoir passé sous silence certaines parties de son récit dans le formulaire IMM 5611 parce que l’agent qui l’avait reçue en entrevue lui avait demandé d’être brève. Il importe également de noter, selon moi, qu’une consigne énoncée sur le document même invite les demandeurs à la concision. En effet, on peut y lire ce qui suit : « Veuillez répondre en quelques mots. Vous pourrez expliquer tous les faits relatifs à votre demande d’asile dans un formulaire à l’intention de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. »

 

[42]           Le défendeur concède que si la conclusion selon laquelle les réponses du formulaire IMM 5611 n’avaient pas été traduites à la demanderesse était à elle seule à l’origine de la décision, il y aurait matière à se plaindre. Toutefois, il prétend que la SPR a tiré d’autres conclusions qui ont mené à une conclusion d’ensemble défavorable en matière de crédibilité, conclusion qui vient appuyer le motif de rejet de la demande d’asile, soit l’absence de crainte subjective.

 

[43]           Toutefois, il me semble, à la lecture de la décision et en particulier, du paragraphe 19, que les « deux contradictions majeures » qui proviennent des divergences entre l’exposé circonstancié du FRP et le formulaire IMM 5611, ainsi que la conclusion énoncée au paragraphe 21 de la décision concernant les « enjolivements », font partie intégrante des motifs ayant amené la SPR à tirer une conclusion d’ensemble défavorable en matière de crédibilité. Cela dit, à mon sens, la Cour ne peut ignorer le fait que le formulaire IMM 5611 n’a pas été traduit à la demanderesse une fois rempli et qu’on ne lui a pas donné la possibilité de confirmer qu’il représentait fidèlement ses allégations.

 

[44]           Compte tenu des faits en cause, il était selon moi déraisonnable que la SPR retienne les contradictions et les « enjolivements » et les utilise contre la demanderesse alors même que cette dernière n’a pas eu la possibilité de s’assurer que le formulaire IMM 5611 décrivait sa position avec justesse. Ainsi que l’a signalé le juge Michael Phelan dans la décision Xu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 274, au paragraphe 14 :

Je ne peux conclure que CIC a l’obligation absolue de relire les notes d’entrevue pour en assurer l’exactitude. Il peut y avoir de bonnes raisons de ne pas les relire, notamment pour obtenir des réponses spontanées plutôt que mémorisées. Cependant, le fait de ne pas avoir une certaine forme d’enregistrement objectif de ce qui s’est réellement dit au cours de l’entrevue ouvre la voie à des contestations. Dans un monde d’enregistrement numérisé, il serait possible d’éviter complètement ces types de problèmes.

 

[45]           En outre, j’estime que la conclusion relative à l’absence de crainte subjective ne pouvait à elle seule servir de fondement à la décision. Ainsi que l’a Cour l’a déjà signalé, si la crainte subjective est un critère dont il faut tenir compte pour établir s’il y a persécution selon l’article 96, ce n’est pas le cas pour l’analyse du risque visé à l’article 97. Voir Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] ACF no 1, aux paragraphes 31 à 33; Guerra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 319, au paragraphe 6; et Shah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1121, au paragraphe 16.

 

[46]           À mon avis, après avoir conclu à l’absence de crainte subjective, la SPR n’enchaîne pas avec l’analyse du risque visé à l’article 97.

 

[47]           Le défendeur prétend que, dans les faits, la SPR traite de la question du risque visé à l’article 97 au paragraphe 35 de la décision, lorsqu’elle examine le risque que la demanderesse encourrait en raison de son père et de son état de femme divorcée en Iran. Toutefois, elle ne tient pas compte du risque encouru face aux autorités iraniennes, risque dont la demanderesse parle amplement dans son exposé circonstancié et qui constitue une cause importante de sa crainte de rentrer dans son pays. Cette omission fait elle aussi en sorte que la décision est déraisonnable. Voir Bouaouni c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211, au paragraphe 41; Gnanasekaram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 297, au paragraphe 10; Kandiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 181, aux paragraphes 14 à 18; et Amare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 228, aux paragraphes 9 et 10.

 

[48]           Les avocats ont convenu qu’il n’y avait aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-877-11

 

INTITULÉ :                                       AZADEH SADEGHI

                                           

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION                                                                                 

                                                          

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er septembre 2011

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 31 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                                                     

Karina Wilding                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Micheal Crane                                                                          POUR LA DEMANDERESSE

Avocat                                                                                                

Toronto (Ontario) 

                                                                                                                  

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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