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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111101


Dossier : IMM-283-11

Référence : 2011 CF 1245

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

MOHAMMED SAID

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas (l’agente), en date du 22 décembre 2010, qui lui a refusé le statut de résident permanent au motif qu’il ne faisait pas partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada décrite à l’alinéa 124a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement).

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un Ghanéen qui vit au Canada depuis 1988. Il a sollicité en 2006 le statut de réfugié, qui lui a été refusé en 2009. Il est actuellement l’objet d’une mesure de renvoi. La répondante du demandeur est son épouse, Katarzyna Zofia Nowaczek, qui est résidente permanente du Canada. Le demandeur et sa répondante se sont mariés le 2 mars 1992. Ils ont ensemble deux fils, Michael Lukasz Sare Said et Peter Christopher Nowaczek. Leurs fils sont âgés de dix-huit ans et dix-neuf ans respectivement.

[3]               Le demandeur a fourni à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) plusieurs documents, à savoir son passeport ghanéen, une lettre d’emploi, la copie de la réhabilitation obtenue de la Commission nationale des libérations conditionnelles, et son permis de conduire expiré. La répondante a présenté à CIC sa carte d’assurance sociale, sa carte de résidente permanente et le sommaire de sa déclaration de revenu de 2008. Le demandeur et la répondante ont présenté à CIC leur certificat de mariage et deux photos les montrant le jour de leurs noces. Après l’entrevue, le demandeur a remis à CIC d’autres documents, à savoir des relevés bancaires de TD Canada Trust, pour lui et son épouse, et un bordereau de paiement reçu de la Toronto Community Housing Corporation.

[4]               CIC a convoqué le demandeur et la répondante pour une entrevue le 29 novembre 2010. L’agente s’est entretenue séparément avec le demandeur et la répondante le 13 décembre 2010. Les mêmes questions ont été posées à chacun d’eux. On leur a demandé où ils vivaient, à quelle date ils s’étaient installés à leur nouvelle adresse, à quoi ressemblait leur logement, et s’ils avaient déjà été séparés. L’agente leur a aussi demandé lequel des deux s’était réveillé le premier le matin de l’entrevue, et elle leur a posé d’autres questions à propos de leur relation. Le demandeur et la répondante ont tous deux répondu aux questions qui leur étaient posées.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]               Se fondant sur leurs réponses contradictoires, l’agente a rendu sa décision sur la demande de résidence permanente déposée par le demandeur et a conclu que le demandeur et sa répondante ne vivaient pas ensemble. Ils étaient officiellement mariés, mais le demandeur n’était pas membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada décrite à l’alinéa 124a) du Règlement, parce que lui et sa répondante ne cohabitaient pas.

[6]               L’agente a fondé sa conclusion sur cinq contradictions importantes.

[7]               D’abord, prié de dire où ils vivaient, le demandeur a répondu que lui-même vivait avant au 1884, chemin Davenport, appartement 614, mais qu’il vit aujourd’hui au 75, chemin Dowling, appartement 608. Priée de répondre à la même question, la répondante a dit qu’elle vivait au 1884, chemin Davenport, appartement 614. Prié d’expliquer la différence entre leurs réponses, le demandeur a répondu que lui et sa répondante vivaient au 1884, chemin Davenport, mais qu’ils n’avaient pas entièrement déménagé et qu’ils conservaient donc les deux adresses. L’agente a estimé que ce n’était pas là une explication suffisante et qu’[TRADUCTION] « un couple devrait s’accorder sur l’adresse où il réside, même s’il n’y a emménagé que quelques mois auparavant ».

[8]               Deuxièmement, prié de dire à quelle date ils avaient emménagé, le demandeur a répondu qu’ils avaient emménagé un mois ou deux auparavant, mais qu’ils conservaient encore l’ancienne adresse. La répondante a dit qu’ils vivaient à leur adresse actuelle depuis dix ans. Le demandeur a dit qu’il ne se souvenait pas de la date où ils avaient déménagé, mais qu’il enverrait par télécopieur le bail à l’agente. L’agente a noté dans sa décision que le sommaire de la déclaration de revenu de 2008 de la répondante donnait pour adresse de la répondante le 400, chemin McCowan, appartement 608.

[9]               Troisièmement, l’agente a écrit que, prié de décrire leur appartement, le demandeur avait dit que c’était un appartement de deux chambres, dans un immeuble comptant sept étages, et que le couple payait un loyer de 997 $ par mois. La répondante a dit quant à elle que c’était un appartement de deux chambres, dans un immeuble comptant 12 étages, et qu’ils payaient un loyer de 850 $ par mois. Le demandeur a affirmé que c’était lui, et non la répondante, qui payait le loyer, parce que la répondante ne travaillait pas. Il a dit aussi que le loyer avait augmenté.

[10]           Quatrièmement, prié de dire s’ils s’étaient déjà séparés après leur mariage, le demandeur a répondu par l’affirmative, mais qu’il ne se souvenait pas de la date. Il a dit que, lorsque lui et la répondante se disputaient, la répondante allait parfois chez ses parents. La répondante a dit qu’ils s’étaient séparés durant quelques mois vers le début de leur mariage, quand ils n’avaient qu’un fils. Elle a dit aussi qu’elle et le demandeur s’étaient séparés durant un an en 1995. Quand l’agente a présenté à la répondante le sommaire de sa déclaration de revenu de 2008, qui disait qu’elle était séparée, la répondante a répondu qu’elle et le demandeur n’avaient pas précisément rencontré de difficultés, mais qu’ils s’étaient séparés de 2008 à 2010. Le demandeur a dit qu’il n’avait pas connaissance d’une séparation, mais que parfois la répondante allait chez ses parents. L’agente a estimé qu’[TRADUCTION] « il n’est pas déraisonnable de penser que les membres d’un couple devraient s’accorder sur la question de savoir s’ils s’étaient ou non récemment séparés ».

[11]           Cinquièmement, prié de dire lequel des deux s’était réveillé le premier le matin de l’entrevue, le demandeur a répondu qu’il pensait que c’était lui et qu’il s’était réveillé sans réveille-matin. La répondante a dit que c’est elle qui s’était réveillée la première, avec un réveille-matin. Le demandeur a expliqué la divergence des réponses en affirmant que, lorsqu’il travaille, il ne se réveille qu’avec un réveille-matin, mais que ce n’avait pas été le cas ce jour-là. Il a dit qu’il s’était réveillé à 5 heures du matin, mais il ne se souvenait pas si la répondante s’était réveillée ou non avant lui. La répondante a dit qu’elle ne se souvenait pas.

[12]           L’agente a aussi noté dans sa décision que, même si les relevés bancaires produits après l’entrevue montrent que le demandeur et la répondante ont la même adresse, le relevé portant le nom de la répondante ne montrait aucune activité autre que des frais d’intérêt sur découvert et des frais bancaires. L’agente a aussi noté que le relevé bancaire de la répondante donnait l’adresse du chemin Dowling, mais que la répondante n’avait pas dit qu’elle vivait à cet endroit.

[13]           L’agente a conclu que le demandeur et la répondante ne cohabitaient pas, compte tenu de ces contradictions. Puisqu’il n’y avait pas cohabitation, le demandeur ne remplissait pas les conditions de l’alinéa 124a) du Règlement et ne faisait pas partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Le demandeur n’était pas admissible au statut de résident permanent parce qu’il n’était pas membre de cette catégorie.

LE POINT LITIGIEUX

[14]           Le seul point soulevé par la présente demande est de savoir si l’agente a eu raison de conclure que le demandeur et sa répondante ne cohabitaient pas.

LES DISPOSITIONS APPLICABLES

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

Regroupement Familial

 

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

 

Application Générale

 

14 (2) Ils établissent et régissent les catégories de résidents permanents ou d’étrangers, dont celles visées à l’article 12,

Family Reunification

 

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

 

 

Regulations

 

14 (2) The regulations may prescribe, and govern any matter relating to, classes of permanent residents or foreign nationals, including the classes referred to in section 12,

 

 

[16]           Les dispositions suivantes du Règlement sont également applicables à la présente instance :

Mauvaise Foi

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas:

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

 

Époux Ou Conjoints De Fait Au Canada

 

123. Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

 

Qualité

 

124. Fait partie de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada l’étranger qui remplit les conditions suivantes:

 

a) il est l’époux ou le conjoint de fait d’un répondant et vit avec ce répondant au Canada;

 

 

b) il détient le statut de résident temporaire au Canada;

 

c) une demande de parrainage a été déposée à son égard.

 

Restrictions

 

125. (1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes:

 

 

c) l’époux du répondant, si, selon le cas:

 

(ii) le répondant a vécu séparément de cet époux pendant au moins un an et, selon le cas :

 

(A) le répondant est le conjoint de

fait d’une autre personne ou il a un partenaire conjugal,

 

(B) cet époux est le conjoint de fait d’une autre personne ou le partenaire conjugal d’un autre répondant

Bad Faith

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership:

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

Spouse or Common-Law Partner in Canada Class

 

123. For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the spouse or common-law partner in Canada class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.

 

 

Member

 

124. A foreign national is a member of the spouse or common-law partner in Canada class if they

 

 

(a) are the spouse or common-law partner of a sponsor and cohabit with that sponsor in Canada;

 

(b) have temporary resident status in Canada; and

 

 

(c) are the subject of a sponsorship application

 

Excluded Relationships

 

125. (1) A foreign national shall not be considered a member of the spouse or common-law partner in Canada class by virtue of their relationship to the sponsor if

 

 

(c) the foreign national is the sponsor's spouse and

 

(ii) the sponsor has lived separate and apart from the foreign national for at least one year and

 

(A) the sponsor is the common-law partner of another person or the sponsor has a conjugal partner, or

 

(B) the foreign national is the common- law partner of another person or the conjugal partner of another sponsor

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[17]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), a décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

[18]           Dans la décision Mills c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1339, [2008] A.C.F. n° 1475, le juge Michael Shore écrivait qu’une conclusion de cohabitation tirée pour l’application de l’alinéa 124a) du Règlement doit être revue selon la norme de raisonnabilité. Cette norme est applicable parce que la question de la cohabitation est une pure question de fait. Cette norme a aussi été appliquée, dans la décision Manbodh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 190, [2010] A.C.F. n° 216, par le juge Richard Boivin à une conclusion de cohabitation tirée pour l’application de l’alinéa 124a) du Règlement. La norme de contrôle à appliquer ici est la raisonnabilité.

[19]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[20]           Le demandeur soutient que la décision de l’agente était déraisonnable parce qu’elle n’était pas fondée sur tous les faits qui lui avaient été soumis. Selon lui, son affidavit au soutien de la procédure de contrôle judiciaire, ainsi que ses réponses aux questions de l’agente, montrent que lui et la répondante vivaient ensemble. L’affidavit de sa répondante, et les réponses de celle-ci aux questions de l’agente, montrent également qu’ils vivaient ensemble. Puisqu’il répondait aux conditions de l’alinéa 124a) du Règlement et qu’il n’était pas exclu par l’article 125, la conclusion de l’agente était déraisonnable au vu de cette preuve.

[21]           Le demandeur dit que son mariage avec la répondante était la preuve concluante qu’ils vivaient ensemble. La conclusion de l’agente selon laquelle ils ne cohabitaient pas n’avait aucun fondement puisqu’il n’est pas établi qu’ils sont divorcés ou séparés. Puisque la rupture du mariage n’était pas prouvée, la conclusion de l’agente selon laquelle ils ne cohabitaient pas était déraisonnable.

[22]           Dans ses conclusions, le demandeur cite dans le détail le Guide opérationnel OP-2 de Citoyenneté et Immigration Canada – Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial. Il souligne les parties de la section 5.25 – Caractéristiques des relations conjugales, qui définissent le mariage comme étant une relation fondée sur le statut, qui découle de la reconnaissance officielle du couple en tant qu’unité. Il affirme donc que le mariage, une relation fondée sur le statut, est la preuve concluante d’une cohabitation. L’agente a considéré la demande davantage comme étant une demande présentée par un conjoint de fait que comme étant une demande présentée par un époux, mais elle aurait dû prendre acte de la preuve concluante d’un mariage en bonne et due forme. L’agente a plutôt appliqué un critère fondé sur un accord entre conjoints de fait. Sa décision était donc déraisonnable.

[23]           Le demandeur affirme aussi que les conclusions que l’agente a pu tirer sur sa crédibilité n’intéressaient pas sa conclusion selon laquelle le couple ne vivait pas ensemble. Elle aurait pu tirer des conclusions défavorables sur sa crédibilité en se fondant sur les contradictions entre les réponses du demandeur et celles de la répondante, mais uniquement s’ils mentaient. Cela dit, les conclusions de l’agente touchant sa crédibilité n’intéresseraient pas la question de la cohabitation.

[24]           La décision de l’agente était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’intérêt public. Il était inhumain de la part de l’agente de ne pas voir que la répondante et leurs enfants allaient sans doute devoir recourir à l’assistance publique si le statut de résident permanent était refusé au demandeur. Le demandeur subvenait aux besoins de sa famille, et il était donc déraisonnable pour l’agente de ne pas considérer la ponction sur les deniers publics qui pourrait résulter de son exclusion du Canada.

[25]           Finalement, la décision de l’agente était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’intérêt supérieur des enfants du couple. Selon le demandeur, la Cour suprême du Canada a jugé que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du décideur s’accorde avec la norme de raisonnabilité, le décideur doit considérer l’intérêt supérieur des enfants comme étant un facteur important, lui donner un poids substantiel et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Il admet que l’intérêt supérieur de l'enfant ne l’emporte pas sur d’autres considérations, mais cet intérêt doit toujours être pris en compte. L’agente n’a pas considéré l’intérêt des enfants du demandeur, et sa conclusion selon laquelle il ne vivait pas avec sa répondante était donc déraisonnable.

[26]           Le demandeur affirme aussi que, si l’agente s’était conformée aux règles de l’équité procédurale, elle aurait conclu qu’il était membre de la catégorie des époux au Canada.

Le défendeur

[27]           Le défendeur dit que la décision de l’agente était raisonnable parce qu’elle a été rendue d’après la preuve qui avait été soumise à l’agente. Selon lui, la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1356, [2007] A.C.F. n° 1756, au paragraphe 32, montre qu’il incombait au demandeur de « présenter ses meilleurs arguments ». Le demandeur ne l’a pas fait. Les contradictions entre les réponses du demandeur et celles de la répondante au cours de l’entrevue étaient telles que l’agente n’avait d’autre choix que de conclure que leur mariage n’était pas authentique. La décision de l’agente était raisonnable parce que l’agente disposait de preuves autorisant ses conclusions.

[28]           Le défendeur affirme aussi que les arguments du demandeur ne font qu’exprimer un désaccord avec l’agente quant à ses conclusions. Le demandeur peut être en désaccord avec l’agente, mais un simple désaccord ne suffit pas à fonder une annulation par contrôle judiciaire. La Cour ne devrait pas intervenir parce que la décision de l’agente appelle la retenue judiciaire.

ANALYSE

[29]           Dans la présente demande, le demandeur n’a fait guère plus que de formuler des affirmations non étayées.

[30]           D’abord, vu les nombreuses contradictions qui n’ont pas été adéquatement expliquées, l’agente a eu raison de conclure que le demandeur et sa répondante n’avaient pas prouvé qu’ils sont actuellement dans une relation interdépendante et qu’ils vivent ensemble. La conclusion de l’agente appartient aux issues possibles dont parle l’arrêt Dunsmuir, et, après examen du dossier, il me semble d’ailleurs que l’agente n’aurait pu raisonnablement arriver à une autre conclusion. Le demandeur et la répondante ont donné des réponses contradictoires sur leur adresse, sur le loyer qu’ils payaient, et même sur la chambre où ils dormaient. Le demandeur est tout simplement en désaccord avec l’agente et il voudrait que la Cour apprécie à nouveau la preuve et arrive à une conclusion autre qui lui soit favorable. La Cour ne peut pas jouer ce rôle. Voir la décision Mandbodh, précitée, au paragraphe 11, la décision Baptiste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1382, au paragraphe 25, et la décision Tai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 248, au paragraphe 49.

[31]           Deuxièmement, le demandeur allègue un manquement à l’équité procédurale, mais il ne précise pas en quoi la décision de l’agente est contraire à l’équité procédurale. Il semble vouloir dire que l’agente a manqué à l’équité procédurale parce qu’elle n’a pas rendu une décision qui lui est favorable. Le manquement à l’équité procédurale n’est pas établi et, quoi qu’il en soit, le demandeur a abandonné ce moyen au cours de l’audience.

[32]           Troisièmement, le demandeur affirme que la décision de l’agente est déraisonnable parce que l’agente n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants. Il n’explique pas le rapport que l’intérêt supérieur des enfants, ou quelque autre facteur d’ordre humanitaire, peut avoir avec une décision relevant de l’article 124 du Règlement, qui concerne le point de savoir si le demandeur a prouvé qu’il entretient une relation interdépendante avec sa répondante et qu’il habite avec elle. Le demandeur n’invoque aucun précédent à l’appui de sa position et, sur le plan logique, il est difficile de voir comment l’agente pouvait conclure que le demandeur vivait avec sa répondante parce qu’il serait bon pour les enfants qu’elle dise que tel était le cas.

[33]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 67, la Cour suprême écrivait que « l’exercice raisonnable du pouvoir conféré par l’article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants ». Le pouvoir conféré par l’article en question – à savoir le paragraphe 114(2) de l’ancienne Loi sur l’immigration,  L.R.C. 1985, ch. I-2 – était le pouvoir discrétionnaire visant à faciliter l’admission au Canada d’une personne en la soustrayant à un règlement pour des raisons d’ordre humanitaire (voir la décision Koud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2001 CFPI 856, au paragraphe 11). Un pouvoir discrétionnaire était conféré par cette disposition, pouvoir qui devait être exercé d’une manière conforme à l’intérêt supérieur de l'enfant, mais aucun pouvoir discrétionnaire semblable n’est conféré par l’article 124. L’article 124 habilite l’agent des visas à se prononcer uniquement sur une question de fait : le demandeur du statut de résident permanent fait-il ou non partie de la catégorie réglementaire? Aucun précédent n’appuie l’argument du demandeur selon lequel l’agente aurait dû tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants pour tirer une conclusion purement factuelle. Je relève aussi que, bien qu’elles ne lient pas la Cour, les directives OP-2 n’obligent pas les agents des visas à considérer l’intérêt supérieur de l'enfant quand ils se demandent si les membres d’un couple vivent ensemble. Cela me semble l’approche à adopter.

[34]           Au cours de l’audience, le demandeur a soulevé un autre argument, selon lequel, outre l’article 124 du Règlement, l’agente devait aussi tenir compte de l’authenticité du mariage pour l’application du Règlement. Il invoque la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 673, au soutien de cette position. Cependant, ce précédent est hors de propos parce qu’il concernait une affaire où l’agente devait considérer l’authenticité du mariage. En l’espèce, aux fins de la demande de parrainage, l’agente devait se demander si, pour l’application de l’article 124 du Règlement, le demandeur et sa répondante vivaient ensemble. C’est précisément ce qu’a fait l’agente. S’il n’y avait pas cohabitation, alors le parrainage n’était pas possible. Elle n’avait aucune raison de se demander si le mariage était ou non authentique et s’il visait ou non principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi, selon ce que prévoit l’article 4 du Règlement. L’agente n’avait pas à se demander pourquoi le mariage avait été contracté, mais plutôt si le demandeur et sa répondante vivaient ensemble à la date de la demande. Je ne vois aucune erreur de l’agente sur cet aspect.

[35]           Selon la décision Chertyuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 870, l’article 124 du Règlement doit être lu en corrélation avec l’article 4. Cependant, c’est uniquement parce que l’article 124 ne définit pas le mot « époux ». Comme l’écrivait le juge Frenette, au paragraphe 26, « l’article 124 définit les conditions liées à la catégorie des époux ». Par ailleurs, le juge Shore écrivait, dans la décision Laabou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 C.F. 1268, au paragraphe 27, que le fait de ne pas remplir l’une des conditions de l’alinéa 124a) du Règlement rend irrecevable la demande de résidence permanente. Que leur mariage soit ou non authentique, il reste que, comme l’a conclu avec raison l’agente, le demandeur et sa répondante ne vivaient pas ensemble. Cela suffit à exclure le demandeur de la catégorie des époux au Canada.

[36]           Les avocats reconnaissent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour partage leur avis.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-283-11

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMED SAID

 

 

                                                            -   c.   -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 septembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS:

 

Kweku Ackaah-Boafo                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Khatidja Moloo-Alam                                                              POUR LE DEFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Kweku Ackaah-Boafo                                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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