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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111025


Dossier : IMM‑99‑11

Référence : 2011 CF 1217

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

KIRKOYAN KAREN,

KORETSKY INESSA

ET KIRKOYAN KARINA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Vue d’ensemble

[1]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu que le demandeur principal n’était pas un objecteur de conscience ni n’avait refusé par principe de servir dans l’armée. En outre, elle a conclu que l’ensemble de son récit de persécutions supposées manquait de crédibilité.

 

[2]               Selon la Commission, non seulement le demandeur principal n’était pas un objecteur de conscience, mais il n’avait produit aucun élément de preuve tendant à établir qu’on lui ait jamais demandé, ou qu’on l’ait jamais contraint, d’exécuter des violations du droit international humanitaire [le DIH]. La Cour estime raisonnable la décision de la Commission. Il est en effet de jurisprudence à la Cour fédérale que le service militaire obligatoire n’est pas assimilable à de la persécution.

 

[3]               Je reprends ici à mon compte les observations suivantes formulées par le juge Richard Mosley dans la décision Sounitsky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 345 :

[11]      […] la mort ou les blessures de civils causées lors d’opérations militaires étaient une [TRADUCTION] « horrible conséquence du conflit plutôt que le résultat d’une campagne » et [...] les auteurs de violations des droits de la personne étaient punis. M. Sounitsky ne serait donc pas obligé de participer, de façon directe ou indirecte, à des violations des droits de la personne.

 

[4]               Était‑il raisonnable de la part de la Commission de conclure au vu de la preuve produite que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience? On ne peut répondre à cette question que par l’affirmative. C’est pourquoi la Cour souscrit à la position du défendeur.

 

II.  Les faits

[5]               Les demandeurs, soit le demandeur principal, son épouse et leur fille mineure, sont citoyens israéliens. Le demandeur principal, M. Karen Kirkoyan, refuse de servir comme réserviste dans l’armée israélienne et soutient que, par conséquent, il sera persécuté s’il retourne en Israël. En outre, sa femme et lui affirment avoir fait l’objet de discrimination.

 

[6]               Le demandeur principal a achevé son service militaire en 2002. Par la suite, il a été appelé deux fois sous les drapeaux comme réserviste, en 2002 et 2003 respectivement.

 

[7]               Au cours de son service militaire, le demandeur principal a été mis aux arrêts durant deux semaines parce qu’il refusait de servir à Gaza. Il a néanmoins achevé sa période de service, dont il a passé le reste principalement à conduire des camions – qui ne transportaient pas d’équipement militaire – entre sa base située dans la ville de Telnov et la frontière de Gaza (paragraphe 12 de la décision contrôlée).

 

[8]               Il s’est acquitté de son service de réserve de deux semaines en 2002, mais en 2003, après une semaine et demie, il a abandonné son unité de réservistes quand elle a reçu l’ordre de détruire des tunnels utilisés par des terroristes (paragraphe 15 de la décision contrôlée).

 

[9]               Après l’abandon de cette dernière mission, le demandeur n’est plus jamais retourné à l’armée. Il a reçu des convocations en 2005, 2006 et 2007, mais il n’en a tout simplement tenu aucun compte.

 

[10]           Lorsque les demandeurs ont quitté Israël, le demandeur principal a présenté son passeport sans être arrêté par les autorités israéliennes.

 

[11]           La Commission a précisé que le dossier de preuve documentaire sur Israël établissait les faits suivants. Depuis sa création, l’État d’Israël fait l’objet de graves atteintes à sa sécurité, notamment de terrorisme suicide, d’hostilité extérieure et d’attaques aveugles contre sa population civile. La Cour suprême d’Israël joue un rôle actif et indépendant à cet égard, contrôlant minutieusement sous tous leurs aspects les mesures antiterroristes qu’applique l’État aussi bien sur son territoire qu’à l’extérieur, et ce, même au milieu des hostilités totales et des combats acharnés (paragraphe 21 de la décision contrôlée; voir aussi Sounitsky, précitée).

 

III.  Les questions en litige

[12]           1) Était‑il raisonnable de la part de la Commission de conclure qu’on n’avait jamais ordonné au demandeur de prendre part à des activités contraires au DIH?

2) La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal ne risquait pas d’être persécuté en Israël du fait de sa désertion et de ses manquements à l’obligation du service de réserve?

3) Était‑il raisonnable de conclure que les demandeurs n’avaient pas subi de persécution au titre des multiples faits de discrimination supposée qu’ils avaient invoqués?

 

IV.  Analyse

L’objection de conscience

[13]           Pour se voir reconnaître la qualité de réfugié, le demandeur d’asile doit remplir les critères qu’énonce dans les termes suivants l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR] :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

[Non souligné dans l’original.]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

[Emphasis added].

 

[14]           Le demandeur principal affirme craindre avec raison d’être persécuté du fait de son refus de servir dans l’armée.

 

[15]           La Cour fédérale s’est déjà penchée sur la question de la désertion à motivation politique. Elle a conclu que trois catégories de déserteurs pouvaient prétendre à la qualité de réfugiés :

[14]      Ainsi, un demandeur ne peut généralement revendiquer le statut de réfugié au titre de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention) ni, par conséquent, au titre de l’article 96 de la LIPR, uniquement parce qu’il ne veut pas servir dans l’armée de son pays. Selon M. Hathaway, il existe cependant trois exceptions à cette règle. Premièrement, l’insoumission peut avoir un lien avec un des motifs prévus par la Convention si la conscription en vue d’un but licite et légitime s’effectue de manière discriminatoire ou si la peine infligée au déserteur est entachée de partialité pour l’un des motifs prévus par la Convention. Deuxièmement, l’insoumission peut entraîner la reconnaissance du statut de réfugié si elle reflète l’opinion politique implicite que le service militaire en question est foncièrement illégitime au regard du droit international. M. Hathaway décrit cela comme étant [traduction] « l’action militaire visant à violer les droits de l’homme fondamentaux, les entreprises violant les normes de la Convention de Genève relatives à la conduite de la guerre et les intrusions non défensives dans un territoire étranger » (Hathaway, précité, pages 180 et 181). La troisième et dernière exception s’applique aux personnes ayant des « objections de principe » au service militaire, plus connues sous le nom d’« objecteurs de conscience ». [Non souligné dans l’original.]

 

Lebedev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 728, [2008] 2 FTR 585.

 

[16]           Le demandeur a affirmé devant la Commission être un [TRADUCTION] « objecteur de conscience », se présentant comme « une personne pacifique, incapable de soutenir toute situation de conflit » (page 24 du dossier du demandeur [DD]).

 

[17]           Le déserteur qui veut se faire reconnaître pour un authentique objecteur de conscience supporte la charge de prouver la sincérité de ses convictions à cet égard :

170. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution. [Non souligné dans l’original.]

 

Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (voir les extraits de ce document reproduits en annexe A du présent jugement).

 

[18]           Il ne suffit pas de s’opposer au service militaire pour se faire accorder la qualité de réfugié (Mohilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1292, paragraphe 33).

 

[19]           Le demandeur d’asile doit prouver que la désertion entraîne une possibilité sérieuse de persécution (Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.F.)). L’emprisonnement ne constitue pas un fait de persécution dans le cas des déserteurs (Ates c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 322). Dans la présente espèce, il incombait au demandeur de prouver à la Commission que la peine qui l’attendait était assimilable à de la persécution.

 

[20]           La Commission a énuméré un certain nombre de raisons qu’elle avait de douter que le demandeur principal fût un authentique « objecteur de conscience » :

a.       Il s’est acquitté entièrement de son service militaire obligatoire, qui a duré de décembre 1998 à février 2002.

b.      Il est retourné sous les drapeaux en 2002 pour un service de réserve de deux semaines, qu’il a aussi fait au complet.

c.       Il est retourné à l’armée encore une fois en 2003 pour un autre service de réserve de deux semaines, qu’il n’a cependant pas achevé.

d.      Il ne s’est jamais présenté devant l’une des commissions militaires chargées d’examiner les prétentions au statut d’objecteur de conscience et d’établir s’il existe des motifs suffisants pour dispenser du service militaire les candidats à ce statut.

 

[21]           Le demandeur s’est acquitté entièrement de deux périodes de service dans l’armée. Il est donc certainement mal placé pour élever des objections contre le service militaire, ayant passé plus de trois ans sous les drapeaux.

 

[22]           En outre, le fait qu’il ne soit pas même entré en rapport avec les commissions militaires compétentes, qui auraient pu l’exempter du service militaire, constituait un motif sur lequel la Commission pouvait fonder ses conclusions (Goltsberg c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886, paragraphe 32).

 

[23]           Par conséquent, les conclusions de la Commission touchant la crédibilité des « objections de conscience » du demandeur étaient raisonnables.

 

Les violations du DIH

[24]           Pour ce qui concerne la question des violations du DIH, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il aurait été amené à participer à de telles violations.

 

[25]           Pour bénéficier de la deuxième des exceptions prévues par la décision Lebedev, précitée, le demandeur devait prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il aurait été appelé à participer lui-même à des activités contraires au DIH (Ozunal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 560, 291 F.T.R. 305, paragraphe 17).

 

[26]           Le demandeur a fait valoir qu’il aurait pu en 2006 être affecté au Liban, où des violations du DIH auraient pu être commises.

 

[27]           La Commission a souligné le fait que le demandeur, tout en prétendant qu’il aurait pu devoir participer à la guerre de 2006 contre le Liban, avait en fait déserté en 2003 et n’était jamais retourné à l’armée par la suite.

 

[28]           Le demandeur a déclaré avoir reçu des convocations au service de réserve en 2005, 2006 et 2007, mais n’en avoir pas tenu compte; cependant, aucun élément du dossier n’indiquait qu’on lui ait en fait ordonné de participer à la guerre. Il s’agissait là d’une pure hypothèse du demandeur, qui croyait qu’il aurait pu être affecté au Liban s’il avait obéi aux convocations.

 

[29]           La Commission a également mis en doute que la guerre du Liban était un des motifs de la désertion du demandeur, étant donné qu’il n’avait manifestement jamais reçu l’ordre de participer à ce conflit. En fait, le demandeur avait expressément déclaré avoir quitté l’armée à cause de son refus de remplir une mission de destruction de tunnels utilisés par des terroristes à Gaza.

 

[30]           En conséquence, la Commission n’a pas jugé crédible que le demandeur ait été obligé de servir dans la guerre de 2006 contre le Liban, pas plus qu’elle n’a estimé que l’armée israélienne l’ait contraint à participer à des violations du DIH.

 

[31]           La Commission a constaté que, pendant son service dans l’armée israélienne, le demandeur n’avait fait que conduire des camions d’une base à une autre. Il n’avait pas établi que, après ses deux semaines aux arrêts pour avoir refusé d’entrer dans Gaza, on l’ait sanctionné d’autre manière.

 

La Commission n’a pas jugé assimilable à de la persécution la sanction que le demandeur pourrait subir pour sa désertion

[32]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas à craindre d’être persécuté pour avoir déserté en 2003. Selon elle, même si le demandeur risquait l’emprisonnement, sa peine éventuelle n’était pas assimilable à de la persécution.

 

[33]           La Commission a expliqué que le demandeur pourrait être emprisonné de trois à six mois à son retour en Israël, mais qu’une telle peine n’était pas excessive ni ne valait persécution.

 

[34]           La Cour fédérale est arrivée à la même conclusion à propos de cas semblables et elle a même jugé des peines d’emprisonnement plus longues inassimilables à de la persécution :

[28]      Contrairement aux prétentions de M. Ozunal, la Commission a particulièrement apprécié la possibilité qu’il soit condamné à une peine d’emprisonnement maximale de trois ans. Elle a néanmoins conclu que la possibilité d’être emprisonné pour une durée maximale de trois ans ne constitue pas une peine excessive ou trop sévère. Cette conclusion est compatible avec la décision rendue par la Cour dans Moskvitchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1744 (QL), au paragraphe 7, où une peine pouvant aller de six mois à cinq ans en cas d’insoumission n’a pas été jugée inhumaine ou extrême. [Non souligné dans l’original.]

Ozunal, précitée; Volkovitsky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 893, paragraphes 32 à 35; et Mohilov, précitée, paragraphe 47.

 

[35]           La Commission a reconnu que le demandeur avait été mis aux arrêts pendant deux semaines après avoir refusé de servir à Gaza, mais elle n’a pas vu de préjudice dans son affectation par la suite à la conduite de camions. Il n’avait subi aucune autre sanction, et il ne s’était rien passé à la suite de son départ d’Israël en 2007.

 

Les demandeurs n’avaient pas subi de persécution du fait de leur origine russe

[36]           La Cour doit contrôler les conclusions de la Commission sur la crédibilité suivant la norme du caractère raisonnable, étant soumise à une obligation de réserve du fait de l’expertise de cet organisme et de la possibilité qu’il a eue d’observer le témoin principal (Aguilar Revolorio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1404, paragraphe 12).

 

[37]           La Cour est également tenue au devoir de réserve envers la Commission au titre de l’expertise de cette dernière dans l’appréciation de la crédibilité des demandeurs :

[4]        Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire [...] (Non souligné dans l’original.)

 

Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL/Lexis), 160 NR 315 (C.A.F.).

 

[38]           Pour ce qui concerne la persécution qu’ils affirment avoir subie du fait de leur origine, la Commission a jugé non crédibles les témoignages des deux demandeurs adultes.

[39]           La Commission a formulé à ce sujet les constatations suivantes :

a.       Le demandeur principal n’a pu décrire ce qui lui était arrivé au juste le 3 avril 2006, quand il aurait été bousculé par un policier pendant qu’il transportait un grand morceau de verre.

b.      Le demandeur n’a pu dire si cet incident s’était produit avant ou après qu’on l’ait faussement accusé de conduite en état d’ébriété, inculpation qui avait entraîné le retrait de son permis et la perte de son emploi de camionneur.

c.       Il a déclaré avoir signalé le premier incident à la police, mais n’a pu produire aucun document pour prouver ce fait, alléguant qu’il avait laissé le rapport de police en Israël. Il a aussi déclaré par la suite qu’il n’y avait pas de trace écrite de l’incident relatif à la conduite en état d’ébriété.

d.      La femme du demandeur principal a eu du mal à répondre aux questions de la Commission concernant ses propres expériences.

e.       Elle a déclaré dans son témoignage que le voisin de son père avait commencé à la harceler en octobre 2006, alors qu’elle avait écrit dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] que le harcèlement avait commencé en septembre; de même, elle a expliqué devant la Commission qu’elle se rappelait que c’était en octobre parce que c’était le mois de l’anniversaire de son père; or, selon son FRP, son père était né en novembre.

 

[40]           Le récit des demandeurs est à l’évidence entaché de plusieurs contradictions notables qui étayent la conclusion de non-crédibilité prise par la Commission. Il était en effet permis à cette dernière de tenir compte des contradictions et invraisemblances de leurs déclarations (Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 558, paragraphes 20 et 21; Sbitty c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 143 F.T.R. 8, paragraphe 16; Toora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 828, 300 F.T.R. 7, paragraphes 38; et Ojezele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 171, paragraphe 5).

 

[41]           En outre, la Commission a examiné la preuve documentaire plus avant sous le rapport de la possibilité d’obtenir la protection de l’État. Elle déclare dans sa décision que le problème n’est pas que la police n’aurait pas donné aux demandeurs la protection souhaitée, mais qu’eux-mêmes n’en aient pas fait plus ou n’aient pas exercé d’autres recours pour s’assurer cette protection.

 

[42]           Israël est une démocratie effective, maîtresse de ses institutions; par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient y disposer de la protection nécessaire n’est pas déraisonnable.

 

[43]           Les demandeurs supportaient la charge d’établir par une « preuve claire et convaincante », selon l’expression de l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, qu’Israël ne pouvait leur fournir une protection suffisante; or la Commission a conclu qu’ils ne s’étaient pas acquittés de cette charge. Cette conclusion de la Commission était raisonnable, étant donné que les demandeurs n’avaient pas produit d’autres éléments de preuve pour démontrer que l’État israélien était incapable de les protéger.

 

Les notes prises au point d’entrée

[44]           Les demandeurs allèguent que la Commission ne les a à aucun moment mis en présence des notes prises au point d’entrée qui contredisent des déclarations qu’ils ont faites devant elle. Le contexte est le suivant.

 

[45]           Le demandeur principal a déclaré à l’audience de la Commission qu’il avait abandonné l’armée en 2003.

[46]           Or, dans son FRP, il avait invoqué la guerre de 2006 contre le Liban comme l’un des motifs de son opposition aux actions militaires israéliennes.

 

[47]           La Commission a conclu qu’il était illogique de la part du demandeur d’invoquer la possibilité de sa participation à la guerre de 2006 contre le Liban alors qu’on ne lui avait manifestement jamais ordonné d’y participer.

 

[48]           De plus, la Commission a fait observer que le demandeur avait déclaré expressément à son arrivée au Canada (comme en témoignent les notes prises au point d’entrée) qu’il n’avait pas participé à cette guerre, ce qui la confortait dans sa conclusion.

 

[49]           Par conséquent, la Commission a utilisé les notes prises au point d’entrée pour étayer une conclusion qui n’avait pas besoin de confirmation. Comme elle a mis le demandeur en présence de la contradiction apparente, la Commission n’était pas tenue de lui communiquer chaque élément de preuve propre à enrichir sa conclusion d’une confirmation supplémentaire. Il est évident que le demandeur avait eu la possibilité de répondre aux questions de la Commission et d’expliquer pourquoi il avait soulevé la question de la guerre du Liban alors qu’elle n’avait pas de rapport avec son exposé des faits.

 

[50]           Qui plus est, même si les notes prises au point d’entrée contredisent effectivement le témoignage, elles ne sont pas pertinentes pour la décision (Xocopa Martell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1029, paragraphes 18 et 19). Quand bien même la Commission aurait accepté l’explication du demandeur, celle‑ci ne prouvait pas qu’il lui aurait fallu se battre au Liban s’il n’avait pas déserté en 2003. Cette explication ne prouve pas non plus qu’on lui aurait ordonné de violer le DIH.

 

[51]           Enfin, la conclusion de la Commission touchant la non-crédibilité des demandeurs est étayée par de nombreuses constatations qui restent incontestées (Xocopa Martell, précitée, paragraphe 41). En conséquence, le fait que la Commission n’ait pas mis le demandeur en présence des notes prises sur lui au point d’entrée ne justifie pas l’intervention de notre Cour (Ngongo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (QL/Lexis)).

 

V.  Conclusion

[52]           Le demandeur principal a revendiqué la qualité de réfugié en se fondant sur sa désertion; or il a accompli trois années de service militaire actif et est retourné deux fois à l’armée comme réserviste : s’il avait été opposé à la guerre, il n’aurait pas passé tout ce temps dans l’armée israélienne, même pour n’y faire que conduire des camions.

 

[53]           De plus, il n’a aucunement prouvé qu’on lui ait ordonné de violer le DIH. Il a invoqué la guerre de 2006 contre le Liban comme exemple de ce qui aurait pu arriver s’il n’avait pas abandonné l’armée; cependant, la possibilité de sa participation à cette guerre était purement conjecturale, puisqu’il avait déserté en 2003.

 

[54]           En outre, la Commission n’a pas considéré comme assimilable à de la persécution la peine que risquait le demandeur pour son refus de servir dans l’armée israélienne. Notre Cour est arrivée à la même conclusion dans de nombreux cas semblables.

 

[55]           La Commission n’a pas jugé les demandeurs crédibles pour ce qui concerne la persécution dont ils prétendaient avoir été victimes. Ils n’ont pu donner un compte rendu satisfaisant des incidents invoqués à l’appui de leurs allégations, et la Commission ne les a tout simplement pas crus. La Commission était la mieux placée pour se prononcer sur la crédibilité des demandeurs, et ses conclusions à ce sujet commandent la retenue judiciaire, à moins qu’on n’en établisse le caractère déraisonnable, ce que les demandeurs n’ont pas fait.

 

[56]           Par les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été proposée à la certification.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Annexe A

 

Extraits du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, HCR/IP/4/FRE/REV.1, 1992 :

167. Dans les pays où le service militaire est obligatoire, le fait de se soustraire à cette obligation ou insoumission est souvent une infraction punie par la loi. Quant à la désertion, elle est toujours dans tous les pays – que le service militaire soit obligatoire ou non – considérée comme une infraction. Les peines varient selon les pays et normalement leur imposition n’est pas considérée comme une forme de persécution. La crainte des poursuites et du châtiment pour désertion ou insoumission ne constitue pas pour autant une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la définition. En revanche, la désertion ou l’insoumission n’empêchent pas d’acquérir le statut de réfugié et une personne peut être à la fois un déserteur, ou un insoumis, et un réfugié.

 

168. Il va de soi qu’une personne n’est pas un réfugié si la seule raison pour laquelle elle a déserté ou n’a pas rejoint son corps comme elle en avait reçu l’ordre est son aversion du service militaire ou sa peur du combat. Elle peut, cependant, être un réfugié si sa désertion ou son insoumission s’accompagnent de motifs valables de quitter son pays ou de demeurer hors de son pays ou si elle a de quelque autre manière, au sens de la définition, des raisons de craindre d’être persécutée.

 

169. Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

 

170. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

 

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

 

172. Le refus d’accomplir le service militaire peut également être fondé sur des convictions religieuses. Si un demandeur est à même de démontrer que ses convictions religieuses sont sincères et qu’elles ne sont pas prises en considération par les autorités de son pays lorsqu’elles exigent de lui qu’il accomplisse son service militaire, il peut faire admettre son droit au statut de réfugié. Toutes indications supplémentaires selon lesquelles le demandeur ou sa famille auraient rencontré des difficultés du fait de leurs convictions religieuses peuvent évidemment donner plus de poids à cette demande.

 

173. La question de savoir si l’objection à l’accomplissement du service militaire pour des raisons de conscience peut motiver une demande de reconnaissance du statut de réfugié doit également être considérée en tenant compte de l’évolution récente des idées sur ce point. Les États sont de plus en plus nombreux à avoir introduit dans leur législation ou leur réglementation administrative des dispositions selon lesquelles les personnes qui peuvent invoquer d’authentiques raisons de conscience sont exemptées du service militaire, soit totalement, soit sous réserve d’accomplir un service de remplacement (c’est‑à‑dire un service civil). L’introduction de semblables dispositions législatives ou administratives a également fait l’objet de recommandations de la part des institutions internationales. Compte tenu de cette évolution, les États contractants sont libres, s’ils le désirent, d’accorder le statut de réfugié aux personnes qui ont des objections à l’égard du service militaire pour d’authentiques raisons de conscience.

 

174. L’authenticité des convictions politiques, religieuses ou morales d’une personne ou la validité des raisons de conscience qu’elle oppose à l’accomplissement du service militaire doit, bien entendu, être établie par un examen approfondi de sa personnalité et de son passé. Le fait que cette personne a exprimé ses opinions avant l’appel sous les drapeaux ou qu’elle a déjà eu des difficultés avec les autorités en raison de ses convictions est un élément d’appréciation pertinent. De même, selon qu’elle a reçu l’ordre d’accomplir un service militaire obligatoire ou qu’au contraire elle s’est enrôlée dans l’armée comme volontaire, la sincérité de ses convictions pourra être appréciée différemment.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑99‑11

 

INTITULÉ :                                       KIRKOYAN KAREN,

KORETSKY  NESSA

ET KIRKOYAN KARINA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gretchen Timmins

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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