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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111021


Dossier : T-1984-09

Référence : 2011 CF 1208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2011

En présence de madame la juge Simpson

 

 

ENTRE :

 

DOLORES SHERRY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

L’INSTANCE

 

[1]               Dolores Sherry (la demanderesse) demande, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) pour le compte du ministre du Revenu national (le défendeur), en date du 30 octobre 2009, de refuser d’annuler les intérêts et les pénalités liés aux impôts de la demanderesse pour les années 1989 à 2000 ou d’y renoncer (la décision).

 

LE CONTEXTE

 

[2]               En mars 2001, la demanderesse a demandé à l’ARC d’annuler les intérêts qui s’étaient accumulés relativement à ses années d’imposition 1989 à 2000, en raison de circonstances extraordinaires et de difficultés financières. Elle a demandé au défendeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire découlant du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985 (5e suppl.), c 1 (la Loi).

 

[3]               En août 2001, le défendeur a refusé d’annuler les intérêts. La demanderesse a demandé que cette décision soit réexaminée et le refus a été confirmé le 27 février 2004.

 

[4]               La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire du refus et, le 25 avril 2005, la juge Heneghan a rendu une ordonnance sur consentement renvoyant l’affaire au défendeur pour qu’il l’examine à nouveau et lui enjoignant : (i) d’exclure les gains en capital réalisés par le demanderesse à compter de 1994 et (ii) de déterminer si les pertes locatives qu’elle avait subies de 1989 à 1994 avaient une incidence sur sa capacité de s’acquitter de ses obligations en matière d’impôt sans égard au fait que les pertes étaient déductibles ou non.

 

[5]               Le défendeur a entrepris un nouvel examen du dossier de la demanderesse en conformité avec l’ordonnance de la juge Heneghan le 25 octobre 2005.


LA DÉCISION

 

[6]               L’ARC a refusé de réduire le montant des intérêts exigés pendant les années 1989 à 2000 en raison des difficultés financières de la demanderesse. Elle a toutefois renoncé au paiement d’une partie de ces intérêts vu son retard à traiter la demande d’allègement des intérêts présentée par la demanderesse.

 

[7]               La partie pertinente de la décision se lit comme suit :

[traduction] En examinant votre situation financière, nous avons analysé les mouvements de trésorerie afin de déterminer votre capacité de satisfaire à vos obligations en matière d’impôt de 1989 à 2000. Nous avons alors, conformément à l’ordonnance de la Cour, exclu la somme de 100 000 $ que vous avez déclarée à titre de gain en capital imposable et inclus vos pertes locatives pour les années 1989 à 1994 à titre de débours. Notre analyse démontre que vos rentrées nettes de trésorerie (les fonds reçus, moins les dépenses payées pendant les années en cause) étaient suffisantes pour vous permettre de vous acquitter de vos obligations en matière d’impôt de 1989 à 2000, sauf pour ce qui est des années 1991, 1992 et 1993, où les mouvements de trésorerie ont été négatifs. Nous avons cependant tenu compte du fait que des d’immeubles que vous possédiez durant les années 1991 à 2000 avaient une valeur nette élevée et que vous pourriez utiliser cette valeur nette pour satisfaire à vos obligations en matière d’impôt et pour compenser les mouvements de trésorerie négatifs. Par conséquent, votre demande d’allègement d’intérêts fondée sur des difficultés financières est refusée.

 

 


LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               La demanderesse a soulevé les questions suivantes :

1.                  Les motifs sont‑ils suffisants?

2.                  Aurait-on dû donner à la demanderesse la possibilité de commenter les conclusions de l’ARC avant que la décision soit rendue?

3.                  L’ARC peut-elle se servir de l’affidavit de James McNamara daté du 2 septembre 2010 [l’affidavit de M. McNamara] pour compléter ses motifs, et les pièces qui y sont jointes sont‑elles incompréhensibles?

4.                  Le ministre a-t-il commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[9]               À mon avis, les trois premières questions ont trait à l’équité procédurale. C’est la norme de la « décision correcte » qui s’applique dans ce cas. Cette norme a été appliquée : (i) pour déterminer le caractère suffisant de motifs rendus en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi, voir Hi‑Tech Seals Inc. c Canada (Ministre du Revenu national), 2009 CF 901, au par. 13; (ii) pour déterminer si des demandeurs devaient avoir la possibilité de commenter les conclusions de l’ARC, voir Costabile c Canada (Agence du revenu), 2008 CF 943, au par. 25; (iii) pour examiner la tentative de l’ARC de se servir d’affidavits pour compléter ses motifs, voir Adams c Canada (Agence du revenu), 2009 DTC 5174, aux par. 2, 11 et 12.

 

[10]           La norme de la raisonnabilité s’applique à la dernière question. La Cour d’appel fédérale a confirmé que c’est cette norme qui s’applique à une décision discrétionnaire prise par le ministre sous le régime du paragraphe 220(3.1) de la Loi, voir Telfer c Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 23, aux par. 24 à 27, et Slau Ltd. c Canada (Agence du revenu), 2009 CAF 270, au par. 27.

 

1.         Le caractère suffisant des motifs

 

[11]           La demanderesse soutient que les motifs contenus dans la décision ne sont pas suffisants parce qu’ils n’indiquent pas les faits sur lesquels l’ARC s’est fondée, les méthodes de calcul qu’elle a utilisées et les hypothèses qu’elle a faites.

 

[12]           Le défendeur reconnaît que la Charte des droits du contribuable de l’ARC prévoit que des motifs doivent être donnés, mais il fait valoir que des motifs détaillés complets ne sont pas exigés. Il affirme que, comme la décision est éminemment discrétionnaire, le critère servant à déterminer si les motifs sont suffisants est moins rigoureux et la décision y satisfait en l’espèce. La décision montre que, en raison de mouvements de trésorerie positifs au cours de huit des 11 années en cause et de la valeur nette élevée d’immeubles, l’ARC a considéré que la demanderesse n’avait pas de difficultés financières.

 

[13]           À mon avis, la véritable question est de savoir si la demanderesse a besoin de renseignements additionnels pour comprendre les motifs. Le défendeur laisse entendre que ce n’est pas le cas puisque la décision repose en grande partie sur l’information que la demanderesse a elle‑même fournie.

 

[14]           Cette prétention ne me convainc pas, cependant. Il est vrai que la demanderesse a fourni le montant de son revenu et de ses dépenses en 2001, mais l’ARC a établi, en extrapolant à partir de ce montant, un sommaire des mouvements de trésorerie pour les années 1989 à 2005. De même, l’ARC s’est fondée notamment sur ses propres valeurs estimatives des immeubles de la demanderesse pour déterminer si ceux‑ci avaient une valeur nette.

 

[15]           J’ai conclu que les motifs contenus dans la décision ne sont pas suffisants. Un document de 12 pages intitulé [traduction] « Rapport relatif à l’allègement pour les contribuables », signé les 29 et 30 octobre 2009 et appelé familièrement [traduction] « rapport d’équité », donne cependant à la demanderesse l’information dont elle a besoin. Ce document faisant partie du dossier de la demanderesse a été déposé le 22 novembre 2010 et l’avocat de l’ARC a fait savoir à la Cour qu’il n’y a aucune raison pour laquelle il n’aurait pas pu être transmis avec la décision. Si cela avait été fait, les motifs auraient été suffisants.

 

2.         Le droit de commenter

 

[16]           La demanderesse soutient également qu’elle aurait dû avoir la possibilité de commenter les conclusions de l’ARC avant que la décision soit rendue.

 

[17]           Dans Costabile c Canada (Agence du revenu), précitée au par. 9, le demandeur critiquait le fait qu’il n’avait pas eu l’occasion de discuter de l’examen ou du résultat de sa demande de nouvelle cotisation visée au paragraphe 152(4.2) de la Loi. Le juge Russell a indiqué au paragraphe 37 que l’ARC doit exercer de manière équitable le pouvoir discrétionnaire que lui confèrent les paragraphes 152(4.2) et 220(3.1), mais que la Loi ne prévoit aucune règle précise d’équité procédurale régissant ce pouvoir discrétionnaire. Le demandeur dans Costabile avait eu la possibilité de produire des renseignements et des documents pertinents lorsqu’il avait présenté sa demande d’examen à l’ARC. En conséquence, la Cour a rejeté sa prétention selon laquelle l’ARC était tenue de fournir des renseignements, des observations ou des documents additionnels avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser la demande.

 

[18]           Je tire la même conclusion en l’espèce. La demanderesse a eu amplement la possibilité de communiquer tous les renseignements nécessaires à l’ARC lorsqu’elle a présenté sa demande d’examen. Les règles d’équité procédurale ne lui donnaient pas le droit de faire d’autres commentaires avant que la décision soit rendue.

 

            3.         L’affidavit de l’ARC

 

[19]           J’ai déterminé que, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, l’affidavit de M. McNamara n’a pas été déposé pour compléter les motifs. Seule la décision a été prise en compte pour déterminer le caractère suffisant des motifs et j’ai jugé qu’elle n’était pas suffisante.

 

[20]           À mon avis, l’affidavit de M. McNamara a été déposé de façon appropriée en réponse à l’allégation de la demanderesse selon laquelle la décision était déraisonnable. En outre, je dois mentionner que je ne suis pas d’accord avec la demanderesse lorsqu’elle écrit dans son mémoire complémentaire que les pièces jointes à l’affidavit de M. McNamara sont incompréhensibles et je constate qu’aucune observation en ce sens n’a été faite de vive voix.

 

4.         La raisonnabilité

 

[21]           La demanderesse conteste la raisonnabilité de la décision et me demande d’ordonner son réexamen. Or, aucune observation démontrant que la décision était déraisonnable n’a été faite, ni par écrit ni de vive voix. Aucune preuve de l’état du marché immobilier qui pourrait laisser croire que la conclusion de l’ARC selon laquelle les immeubles de la demanderesse avaient une valeur nette était déraisonnable n’a été produite. Il semble que l’incapacité apparente de la demanderesse de vendre ses immeubles était attribuable à sa décision d’exiger des prix très élevés.  

 

[22]           En outre, en ce qui concerne les états des mouvements de trésorerie, la demanderesse n’a produit aucun document permettant de croire que les conclusions de l’ARC n’étaient pas justifiées.

 

[23]           Dans ces circonstances, je ne peux conclure que la décision était déraisonnable.

 


LA CONCLUSION

 

[24]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il n’est toutefois pas nécessaire d’ordonner à l’ARC de donner des motifs additionnels étant donné que ceux‑ci figurent dans le rapport d’équité. Comme la demanderesse a compris les motifs de la décision il y a quelque temps et qu’elle ne m’a pas convaincue que la décision était déraisonnable, je n’ordonnerai pas la tenue d’un nouvel examen.

 

LES DÉPENS

 

[25]           La demanderesse ayant dû faire la présente demande pour obtenir le rapport d’équité, il convient d’adjuger des dépens relativement à la préparation de la demande selon la colonne III du tarif B. Cependant, la seule question sur laquelle la demanderesse a eu gain de cause a été réglée dès que le rapport d’équité a été fourni. Par conséquent, aucuns autres dépens ne seront accordés.

 

[26]           Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur une somme forfaitaire, le greffe pourra communiquer avec moi et je fixerai cette somme lors d’une téléconférence.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

(i)                                           La demande de contrôle judiciaire est accueillie parce que la décision datée du 30 octobre 2009 ne renfermait pas des motifs suffisants.

(ii)                                         La demanderesse a droit aux dépens limités décrits dans les motifs ci‑joints et une décision sur le montant de ces dépens sera rendue si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur une somme forfaitaire.

 

 

 

« Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1984-09

 

INTITULÉ :                                       DOLORES SHERRY c.

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Aprile

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

 

Laurent Bartleman

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aprile Law

Toronto (Ontario)

 

                            POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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