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Cour fédérale

 

Federal Court

 Date : 20111019


Dossier : IMM-902-11

Référence : 2011 CF 1181

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 octobre 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

 

BONGO TRESOR BUTERWA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Bongo Tresor Buterwa n'avait ni la qualité de réfugié au sens de la convention ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission a commis une erreur en ne se cherchant pas à savoir s'il existait des raisons impérieuses pour lesquelles M. Buterwa avait refusé de se réclamer de la protection du pays de sa citoyenneté et je renverrai l'affaire à la Commission pour qu'elle l'examine à nouveau.

 

[2]               La Cour est saisie d'une demande au contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision rendue de vive voix par le commissaire le 28 janvier 2011 pour laquelle des motifs écrits ont été communiqués le 31 janvier 2011.

 

[3]               Monsieur Buterwa est un citoyen de la République démocratique du Congo (la RDC) et il est d'origine ethnique tutsie. Lorsqu'il avait huit ans, des militaires l'ont arrêté avec sa famille à la suite d'un coup d'État. Il a été témoin de la brutalisation et du viol de sa mère. Il a été emmené dans un camp de prisonniers où il a été brutalisé à de multiples reprises et a été violé. Il a finalement été relâché et s'est enfui en République du Congo avec son frère. Il a vécu dans ce pays sans papiers pendant dix ans avant d’arriver au Canada, où il a demandé l'asile. On ignore ce qu'il est advenu de ses parents.

 

[4]               Le commissaire a jugé le demandeur crédible et il a cru au récit qu'il avait donné à l'appui de sa demande. Le commissaire a constaté la présence de l’élément subjectif dans la demande de M. Buterwa. Appliquant une analyse prospective, le commissaire a conclu que la situation des citoyens d'origine ethnique tutsie, spécialement ceux qui se trouvaient à Kinshasa où le demandeur avait passé sa petite enfance, avait évolué au point où il n'existait plus de risque sérieux de persécution pour l'un des motifs prévus par la Convention ou de risque que le demandeur soit personnellement exposé à un préjudice.

 

[5]               Le demandeur a exprimé plusieurs réserves au sujet de l'appréciation de la Commission. Il affirme qu'il a été privé de l'équité procédurale du fait que la Commission ne l'a pas informé à l'avance que la question de l'évolution de la situation en RDC allait être soulevée. Il affirme également que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l'exception relative aux « raisons impérieuses » prévue au paragraphe 108(4) de la LIPR.

 

[6]               Bien que je doute que la Commission fût tenue d'aviser le demandeur au sujet de l'évolution de la situation étant donné que son analyse était prospective, j'estime qu'il n'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce. J’estime que la demande devrait être accueillie sur le second motif.

 

[7]               L'alinéa 108(1)e) et le paragraphe 108(4) de la LIPR disposent :

108. (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

 

 

[…]

 

 

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

 

[…]

 

(4) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si le demandeur prouve qu’il y a des raisons impérieuses, tenant à des persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs, de refuser de se réclamer de la protection du pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré.

108. (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

 

 

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

 

 

(4) Paragraph (1)(e) does not apply to a person who establishes that there are compelling reasons arising out of previous persecution, torture, treatment or punishment for refusing to avail themselves of the protection of the country which they left, or outside of which they remained, due to such previous persecution, torture, treatment or punishment.

 

[8]               La présente question en litige a trait à l'interprétation qu'il convient de donner de la LIPR; elle donne donc lieu à l'application de la norme de contrôle de la décision correcte (Decka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 822, au paragraphe 5). Quant à l'examen de la teneur de l'analyse, s'il avait eu lieu, il aurait été assujetti à la norme de la décision raisonnable étant donné qu'il porte sur des questions mixtes de fait et de droit (Suleiman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1125).

 

[9]               Le défendeur affirme que le commissaire n'a pas conclu que le demandeur avait été victime d’actes tenant à des « persécutions, à la torture ou à des traitements ou peines antérieurs » et il n'avait donc pas l'obligation de tenir compte de cette exception. Le défendeur cite le passage suivant du jugement Brovina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 635, au paragraphe 5 :

[…] Pour que la Commission entreprenne une analyse des raisons impérieuses, elle doit d'abord conclure qu'il existait une demande valide du statut de réfugié (ou de personne à protéger) et que les motifs de la demande ont cessé d'exister (en raison d'un changement de la situation dans le pays). C'est alors seulement que la Commission doit évaluer si la nature des expériences du demandeur dans l'ancien pays était à ce point épouvantable que l'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il ou elle rentre dans son pays et se réclame de la protection de l'État.

 

[10]           Aux paragraphes 8 et 9 du jugement Brovina, la Cour a jugé qu'il découlait implicitement des motifs exposés par la Commission dans cette affaire que la Commission avait estimé que le demandeur n'avait pas été victime de persécution dans le passé. Contrairement à son fils et à sa bru, à qui la qualité de réfugié au sens de la Convention avait été reconnue, le demandeur n'avait pas été victime de menaces ou de violence. C'est donc à bon droit que la Commission s’était livrée à une analyse prospective sans tenir compte de l'exception. Le jugement Brovina n'appuie pas l’affirmation avancée par le défendeur suivant laquelle la Commission n'était pas tenue de se demander si l'exception devrait être appliquée chaque fois qu’elle ne conclut pas explicitement que l’intéressé a déjà été persécuté dans le passé.

 

[11]           Rien en l'espèce dans les motifs du commissaire ne justifie la conclusion que la Commission n'a pas accepté que le demandeur avait été victime de persécution dans le passé, comme c'était le cas dans l'affaire Brovina. Au contraire, il est clair que le commissaire a accepté sans réserve le témoignage donné par le demandeur. Ce témoignage était propre à établir que le demandeur avait été persécuté dans son enfance en RDC. Le commissaire n’a pas abordé la question de la persécution antérieure pour examiner directement la situation actuelle en RDC. Cette façon de faire ne dispensait pas, à mon avis, la Commission de son obligation légale de se demander si le demandeur avait prouvé qu'il existait des raisons impérieuses de ne pas l'obliger à retourner en RDC. La Commission a tout simplement ignoré cette obligation.

 

[12]           Je suis d'accord avec le défendeur pour dire qu'il était loisible à la Commission d'accorder peu de poids de la lettre dans laquelle un employé du Centre canadien des victimes de torture déclarait que le demandeur suivait une thérapie à ce centre et attendait d'être évalué par un psychologue. Il s'agissait toutefois d'une question dont il fallait tenir compte pour déterminer si les persécutions antérieures avaient été suffisamment graves pour donner lieu à l'application de l'exception conformément à la norme définie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c Obstoj, [1992] 2 CF 739 (CAF). La Commission n'a pas abordé la lettre sous cet angle, mais s'est plutôt demandé si elle était utile pour son appréciation prospective.

 

[13]           Il serait important d'entendre le témoignage d'un psychologue pour déterminer si le fait pour le demandeur d'être rapatrié en RDC lui causerait des souffrances psychologiques suffisamment graves pour constituer des raisons impérieuses, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire et de la gravité des persécutions déjà subies dans le passé. En l'espèce, le commissaire et le conseil du demandeur ont exprimé, à l'audience, des opinions divergentes au sujet de la question de savoir si l'on avait disposé d’assez de temps pour obtenir une évaluation psychologique appropriée. À mon avis, l'équité exigerait que l'on permette au demandeur de soumettre une telle évaluation à titre de nouvel élément de preuve avant que l'affaire ne soit entendue à nouveau.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                          La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés pour qu'elle soit entendue à nouveau par un tribunal différemment constitué en conformité avec les présents motifs;

 

2.                          Aucune question n'est certifiée.

 

 

« Richard Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-902-11

 

INTITULÉ :                                       BONGO TRÉSOR BUTERWA

 

                                                            et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'Immigration

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 19 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 OCTOBRE 2011

 

 

ONT COMPARU :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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