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Date : 20111017


Dossier : T-100-11

Référence : 2011 CF 1171

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

CAM LINH TRAN

 

demanderesse

 

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL
DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               En décembre 2003, Mme Tran s’est plainte à la Commission canadienne des droits de la personne que l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC) (qui s’est plus tard scindée en l’Agence du revenu du Canada et en l’Agence des services frontaliers du Canada) ne l’avait pas embauchée malgré ses compétences supérieures à la moyenne. Selon sa plainte, elle n’avait pas été embauchée du fait de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique (Sino-canadienne née au Vietnam), voire de sa situation de famille, car son beau-frère, Chris Hughes, était un employé de l’ADRC et, pour cette dernière, il était censément une épine dans le pied. Si c’était le cas, elle avait été victime de discrimination au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[2]               Sa plainte avait trait à trois concours : deux pour des postes situés au Bureau des services fiscaux de l’île de Vancouver, et un autre auprès des Douanes. La plainte était subdivisée en six allégations précises. L’enquêteur désigné a rédigé un rapport en 2005, où il a recommandé que la Commission rejette la plainte. Ce qu’elle a fait. Mme Tran n’a pas présenté de demande auprès de la Cour en vue de soumettre cette décision à un contrôle judiciaire.

 

[3]               En janvier 2010, Mme Tran a demandé par écrit à la Commission que l’on rouvre sa plainte. Dans sa lettre, elle a déclaré qu’il n’avait pas été nécessaire de demander un contrôle judiciaire, car, selon le rapport, ses notes n’étaient pas assez élevées comparativement à celles d’autres candidats et on avait conclu qu’à Victoria, il n’y avait pas de sous-représentation des minorités visibles qui aurait pu faire de l’« équité en matière d’emploi » un critère de placement.

 

[4]               Cependant, Mme Tran a aussi dit qu’en faisant des recherches sur une autre plainte déposée contre l’Agence du revenu du Canada, elle avait obtenu des informations par l’entremise de la Loi sur la protection des renseignements personnels et conclu que le rapport d’enquête de la Commission était inexact, d’après des éléments de preuve que l’ADRC avait fournis. Certaines des informations, a-t-elle déclaré, avaient été [traduction] « fabriquées/falsifiées ».

 

[5]               En décembre 2010, la Commission a refusé de rouvrir le dossier. Elle a reconnu qu’elle avait le pouvoir de réexaminer ses décisions, un pouvoir qui doit être exercé de façon restreinte dans des circonstances exceptionnelles (Merham c. Banque Royale du Canada, 2009 CF 1127, 358 F.T.R. 101, [2009] A.C.F. no 1410 (QL)). Elle a exprimé l’avis que les circonstances ne justifiaient pas la réouverture du dossier.

 

[6]               La Commission a fait remarquer qu’une demande de réouverture n’est assujettie à aucun délai, mais qu’il s’agit néanmoins d’un facteur dont il faut tenir compte. Les allégations initiales dataient d’environ dix ans, et la décision prise par la Commission de rejeter la plainte datait d’environ quatre ans.

 

[7]               Quant aux éléments de preuve [traduction] « fabriqués/falsifiés », M. Hughes, qui a plus tard présenté des documents pour le compte de Mme Tran, a allégué qu’un certain document avait été [traduction] « accidentellement ou délibérément changé ». Cette réflexion a donné à penser à la Commission que même lui avait des doutes quant au fait de savoir si l’on avait tenté délibérément de falsifier des documents.

 

[8]               Quoi qu’il en soit, la Commission n’a pas été persuadée que l’issue aurait été différente, en ce sens que Mme Tran avait satisfait aux conditions requises et qu’on lui avait en fin de compte offert un emploi.

 

[9]               Le présent contrôle judiciaire porte sur ce refus de la Commission de réexaminer sa décision antérieure.

 

L’AUDIENCE DE LA COUR FÉDÉRALE

 

[10]           Le 30 août, la tenue de l’audience a été fixée au 6 octobre, à Victoria. Quelques jours avant cette date, Mme Tran a écrit à la Cour pour dire, notamment, qu’elle avait récemment accouché et qu’elle ne serait pas en mesure d’assister à l’audience; elle a toutefois demandé que celle-ci ait lieu. Elle se fonderait sur ses observations écrites.

 

[11]           Ne voulant pas priver Mme Tran de la possibilité de faire des observations orales si elle le voulait, j’ai invoqué l’article 32 des Règles des Cours fédérales, qui autorise les communications électroniques, et j’ai ordonné que l’audience ait lieu par voie de conférence téléphonique; l’avocate du défendeur y participerait à partir de son bureau. Ma directive disait expressément : [traduction] « Mme Tran peut, si elle le souhaite, participer aux débats par téléphone ».

 

[12]           Le 5 octobre, Mme Tran a écrit une fois de plus à la Cour pour dire qu’elle ne participerait pas à la conférence téléphonique. Les parties ont également échangé des observations écrites au sujet des dépens.

 

[13]           L’audience a eu lieu par voie de conférence téléphonique, conformément aux directives données. Le beau-frère de Mme Tran, M. Hughes, était présent, mais simplement comme membre du public.

 

LA DÉCISION

 

[14]           J’ai décidé de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[15]           Les circonstances sont loin d’être impérieuses. Si une erreur a été commise en changeant de critères, il n’existe aucune preuve qui étaye les soupçons de Mme Tran, à savoir que ce changement était fondé sur un motif de distinction illicite.

 

[16]           Il y avait un certain nombre de critères auxquels il était nécessaire de satisfaire pour être admis au départ dans le bassin d’emploi, mais les offres d’emploi proprement dites étaient fondées sur deux critères : [traduction] « [l’]aptitude à chercher et à appliquer des informations » et de [traduction] « bonnes relations interpersonnelles ». Les candidats les plus qualifiés ont été identifiés en fonction de l’ordre de leurs résultats totaux. Certains de ceux à qui un emploi a été offert l’ont refusé.

 

[17]           Selon le rapport de l’enquêteur, le premier critère - [traduction] « [l’]aptitude à chercher, interpréter et appliquer des informations » - représentait 10 points. Seize candidats ont obtenu un résultat de 10 sur 10. Mme Tran en a obtenu 8. Le second critère - les [traduction] « bonnes relations interpersonnelles » - représentait 30 points. Les résultats variaient entre 20 et 29. Mme Tran en a obtenu 23.

 

[18]           Comme l’a signalé l’enquêteur, Mme Tran a fourni un document de notation qu’elle avait obtenu au moyen d’une demande d’accès à l’information. Selon ce document, elle avait obtenu un résultat de 86 sur 100 au chapitre des [traduction] « bonnes relations interpersonnelles ».

 

[19]           Dès cet instant, elle aurait dû constater qu’il y avait un problème et en faire état au moment où le rapport de l’enquêteur avait été diffusé, et avant que la Commission rende sa décision. Non seulement un résultat de 86 sur 100 est-il meilleur qu’un résultat de 23 sur 30, mais s’il fallait que le résultat total soit fondé sur 110 (10 plus 100) plutôt que sur 40 (10 plus 30), sa note globale aurait manifestement été meilleure.

 

[20]           Le document que Mme Tran a obtenu au moyen d’une demande d’accès à l’information en janvier 2010 est une feuille de calcul intitulée [traduction] « Compte rendu des conclusions du jury de sélection ». Ce document comporte dix colonnes de critères d’accès, auxquelles on a ajouté à chacune des abréviations manuscrites. Ce sont les colonnes 2, 6 et 8 qui semblent être en litige. Il est admis que la colonne 2 s’appliquait à [traduction] « [l’]aptitude à chercher, interpréter et appliquer des informations », et elle représentait 10 points. La colonne 8 porte la mention [traduction] « BRI », c’est-à-dire [traduction] « bonnes relations interpersonnelles ». Elle fait état de résultats variant de 20 à 29. Mme Tran a obtenu 23 points.

 

[21]           Cependant, la colonne 6, qui porte la mention manuscrite [traduction] « initiative », montre que les résultats varient de 42 à 99. Mme Tran a obtenu 86 points. Ce rapport est daté du 25 janvier 2001, tandis que le document de notation, où il est indiqué que Mme Tran a obtenu un résultat de 86 sur 100 au chapitre des [traduction] « relations interpersonnelles efficaces », porte la date du 11 décembre 2000. Dix ans plus tard, qui peut dire quel document est le bon; Mme Tran se sert des chiffres, de façon un peu hypothétique, pour montrer que son classement aurait été meilleur. Même si c’est le cas, on ne peut pas dire qu’elle a été victime de discrimination pour un motif illicite, car les autres candidats auraient été eux aussi touchés, certains en leur défaveur et d’autres peut-être à leur avantage.

 

[22]           Mme Tran n’a pas pu accepter non plus des offres d’emploi de l’ADRC, parce que, à l’époque, elle étudiait à plein temps à Vancouver.

 

[23]           Mme Tran souhaitait au départ que l’on rouvre la totalité de ses allégations. Cependant, dans sa lettre du 1er octobre, elle a retiré ses arguments relatifs au traitement inéquitable dont elle avait été victime à cause de son lien avec M. Hughes, ainsi qu’à la question de l’équité en matière d’emploi.

 

[24]           À mon avis, il aurait été hautement préjudiciable à l’ADRC, qui n’existe plus en soi, de revenir sur des faits qui sont survenus il y a dix ans. Il se peut fort bien que la mémoire de cette organisation se soit effacée et que des témoins aient pris leur retraite ou soient décédés. Il serait vain d’établir qu’une erreur a été commise dans l’intitulé des colonnes, et que cette erreur a porté préjudice à Mme Tran, encore moins pour un motif de distinction illicite.

 

LES DÉPENS

 

[25]           La Cour jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de l’adjudication des dépens. Mme Tran a fait valoir que, si sa demande était rejetée, il ne fallait pas imposer de dépens ou, à défaut, une somme forfaitaire de 250 $, car, pour reprendre ses propres termes : [traduction] « la demande était fort simple et n’a pas pris beaucoup de temps ». À mon avis, l’affaire a certainement pris un certain temps. Le procureur général a déposé un projet de mémoire de dépens contenant des honoraires de 1 950 $ plus la TPS, ainsi que des débours de 632,28 $. Pour ce qui est des honoraires, une somme de 390 $ a trait à une requête contestée, mais une requête dont l’avocat de la Commission a lui-même pris l’initiative. Les débours incluent des frais de copie de 371,26 $, mais aucune information n’a été donnée quant à la manière dont ce chiffre a été calculé.

 

[26]           Je suis d’avis, dans l’ensemble, que des dépens forfaitaires de 1 500 $, TPS comprise, sont appropriés.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT;

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens forfaitaires en faveur du défendeur fixés à 1 500 $, tout compris.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-100-11

 

INTITULÉ :                                       CAM LINH TRAN c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 6 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 OCTOBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

NUL N’A COMPARU

POUR LA DEMANDERESSE
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Sally Rudolph

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cam Linh Tran

POUR LA DEMANDERESSE
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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