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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110930

Dossier : IMM-604-11

Référence : 2011 CF 1122

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 ETUNE VERA AWOLO

 

 

demanderesse

 

 et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, principalement en raison des invraisemblances relevées dans son récit. Le commissaire a conclu que la demanderesse avait fabriqué la preuve devant étayer sa crainte alléguée de mutilation forcée des organes génitaux féminins.

 

[2]               Je vais maintenant exposer la preuve présentée par la demanderesse. La demanderesse est une femme de 22 ans née au sein d’une très pauvre famille dans le village d’Asaba, au Nigeria. Son père a emprunté de l’argent au chef Obinna pour qu’elle puisse fréquenter l’école primaire. Le 19 octobre 2007, le prêt n’ayant pu être remboursé, le chef et ses gardes du corps sont venus à la maison de la demanderesse et ont battu le père de cette dernière, qui est mort le lendemain des suites de ses blessures.

 

[3]               La famille ne pouvant rembourser le prêt, l’oncle de la demanderesse – le nouveau chef de la famille depuis le décès de son frère – a proposé que la demanderesse et le chef contractent mariage. La demanderesse ne voulait pas épouser le chef, parce qu’il avait 75 ans et demandait qu’elle soit excisée avant le mariage.

 

[4]               En février 2008, l’oncle a forcé la demanderesse à se rendre à la demeure du chef. Le chef a à son tour conduit la demanderesse en voiture chez une vieille femme du village pour qu’elle soit excisée. La vieille femme a mené la demanderesse dans une chambre, pour s’assurer semble-t-il qu’elle n’était pas déjà excisée. S’en étant ainsi assurée, la vieille femme a laissé là la demanderesse pour aller parler au chef; la demanderesse s’est alors enfuie de la maison.

 

[5]               La demanderesse est allée se cacher trois mois dans le village voisin d’Oko. Elle y a rencontré tante Nnenna qui y effectuait une visite. La tante Nnenna a communiqué avec la police au nom de la demanderesse, mais la police a toutefois refusé d’agir au motif que la demanderesse se trouvait dans une situation qui relevait de la tradition. La tante Nnenna a alors amené la demanderesse chez elle à Lagos, où les deux femmes sont demeurées jusqu’à ce que soient prises des dispositions en vue du départ de la demanderesse hors du Nigeria.

 

[6]               La tante Nnenna a acheté un billet d’avion et elle a obtenu un passeport canadien pour la demanderesse. Les autorités américaines de l’immigration ont fait s’arrêter la demanderesse, à une escale, alors qu’elle voyageait à destination du Canada. La demanderesse a été détenue aux États-Unis du 29 août 2008 au 21 janvier 2009. Une fois libérée, la demanderesse a appris de son avocat que toute demande d’asile dans ce pays avait peu de chances de succès. Craignant d’être persécutée en cas de retour au Nigeria, la demanderesse a fait le nécessaire pour pouvoir venir au Canada. La demanderesse est arrivée au Canada le 31 mai 2009 et elle y a présenté une demande d’asile le même jour.

 

[7]               Un élément essentiel de la décision, on l’a dit, a été que la Commission n’a pas prêté foi à la preuve de la demanderesse quant à la tentative d’excision; la Commission a conclu que la demanderesse avait fabriqué de toutes pièces cette partie de son récit pour étayer sa demande.

 

[8]               La Commission a fait état de l’invraisemblance de deux éléments du récit sur l’excision.

 

[9]               Selon la Commission, il était « invraisemblable que cette intervention douloureuse, que la demandeure d’asile ne voulait pas subir, soit réalisée par une seule femme, chez elle ». À mon avis, il était raisonnable pour la Commission de juger invraisemblable la réalisation par une seule personne de la procédure d’excision; aucune preuve ne démontrait toutefois que la vieille femme allait exécuter seule cette procédure, sans l’aide de quiconque. La Commission n’a posé à la demanderesse aucune question à ce sujet. Il est déraisonnable de rejeter une preuve pour invraisemblance sauf si le motif en est évident, ou si cette conclusion est étayée par d’autres éléments de preuve dont la Commission est saisie. En l’espèce, la Commission ne disposait d’aucune preuve démontrant que la vieille femme allait exécuter seule la procédure. La Commission a plutôt présumé que la vieille femme accomplirait la tâche sans l’aide de personne. Cette présomption ne reposait tout simplement sur aucun fondement raisonnable.

 

[10]           La Commission a également tiré cette autre conclusion : « Il est également invraisemblable que le chef, qui, selon la demandeure d’asile, est riche et puissant, la conduise contre son gré chez la vieille dame sans l’aide d’un chauffeur ou de gardes du corps ». La Commission n’a aucunement expliqué cette conclusion d’invraisemblance. L’avocate du défendeur a donné à entendre qu’un chauffeur ou un garde du corps aurait été nécessaire, comme on pouvait s’attendre à ce que la demanderesse, qui ne voulait pas être excisée, prenne la fuite ou se montre peu coopérative. C’était peut-être là le fondement de la conclusion de la Commission, mais il n’incombe pas à l’avocate ni à la Cour de faire des conjectures à ce sujet. Et si c’était bien là le fondement de sa conclusion d’invraisemblance, c’est que la Commission, en tout état de cause, a présumé la connaissance par le chef de l’opposition de la demanderesse à l’excision. Or, absolument aucune preuve au dossier ne démontre la connaissance par le chef de l’opposition de la demanderesse soit au mariage, soit à l’excision. La Commission n’a jamais posé les questions qui lui auraient permis, en se fondant sur des faits, de présumer que le chef connaissait ces composantes du mariage projeté, et aurait ainsi dû faire accompagner la demanderesse pour prévenir sa fuite. En l’absence d’un tel fondement probatoire, cette conclusion d’invraisemblance était déraisonnable.

 

[11]           D’autres éléments de la décision sont préoccupants, et tout particulièrement la déclaration suivante :

La demandeure d’asile a fui [le chef] il y a presque trois ans et, selon son témoignage, ce dernier aurait 78 ans aujourd’hui. Il est invraisemblable que le chef continue à chercher la demandeure d’asile aussi activement, trois ans plus tard. S’il avait voulu une autre femme, il semble qu’il ait les moyens et l’influence pour s’en procurer une sans trop de difficultés.

 

[12]           Le commissaire s’est livré à de pures conjectures quant aux motifs, au comportement et à la personnalité du chef. En faisant la déclaration précitée, il a supposé qu’aux yeux du chef, la demanderesse n’était qu’une nouvelle épouse, sans se demander si le chef pouvait s’intéresser à la demanderesse pour d’autres motifs. La seule preuve sur ce point était que le mariage devait constituer le remboursement d’une dette impayée. Cela étant, il était déraisonnable selon moi de considérer la demanderesse n’être qu’une nouvelle épouse.

 

[13]           Simplement dit, la Cour conclut que la décision du commissaire se fondait sur des hypothèses, des suppositions et des conjectures, dont aucune n’était étayée par la preuve. Cette décision doit donc être annulée.

 

[14]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé une question en vue de sa certification. Aucune question n’est certifiée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit accueillie, que la demande d’asile de la demanderesse soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision, et qu’aucune question ne soit certifiée.

 

                                                                                                             « Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-604-11

 

INTITULÉ :                                       ETUNE VERA AWOLO c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1er SEPTEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 30 SEPTEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Solomon Orjiwuru

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Eleanor Elstub

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SOLOMON ORJIWURU

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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