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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20111003


Dossier : IMM-1522-11

Référence : 2011 CF 1126

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 octobre 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

MODUPE ADEDOYIN OSISANWO,

CLADIUS ALABA OSISANWO ET OLAKUNLE OLUBUSAYO OSISANWO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse Modupe Adedoyin Osisanwo est l’épouse du demandeur Cladius Alaba Osisanwo et la mère du demandeur Olakunle Olubusayo Osisanwo. Ils sont tous de citoyenneté nigériane et tous habitent au Nigeria. Un autre fils de Modupe, Kolowole, est citoyen canadien. Il a déposé une demande de parrainage parental pour que sa mère Modupe, la demanderesse principale, ainsi que son mari Cladius et son fils Olakunle, les autres demandeurs, obtiennent le statut de résidents permanents au Canada. Cette demande a été refusée parce que Olakunle était interdit de territoire pour motifs sanitaires. La Section d’appel de l’immigration (la SAI) a été saisie d’un appel à l’encontre de ce refus, qui n’est pas en cause ici. Il est vraisemblable que, si la demanderesse obtient finalement gain de cause dans la présente demande, y compris dans un éventuel appel, alors la SAI se prononcera sur l’appel susmentionné et accordera les prorogations qui pourraient être nécessaires.

 

[2]               La demande de parrainage a été refusée ultérieurement, le 7 février 2011, pour un autre motif : Modupe avait fait de fausses déclarations au sens du paragraphe 40(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). C’est cette décision qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie et une question sera certifiée.

 

[3]               La fausse déclaration imputée à Modupe est toute simple. Modupe avait déposé plusieurs documents au soutien de sa demande et de celle de Cladius et Olakunle. Il y avait parmi eux un document intitulé [traduction] « Acte de naissance n° 13944 délivré par l’administration locale Itire-Kate », qui attestait que Olakunle était né le 2 juin 2011 et qu’il était le fils de Cladius et de Modupe. Le document porte le cachet et la signature de l’officier local des naissances. Pour une raison inconnue, les fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada n’ont pas ajouté foi à ce document et ont exigé des tests génétiques. Les tests ont été effectués et ont révélé que Modupe était la mère d’Olakunle, mais que Cladius n’en était pas le père. Il semble que l’agent a conclu, sans demander d’explications, que le document constatant la naissance était frauduleux et que Modupe avait fait une présentation erronée sur un fait important dans sa demande en affirmant que Cladius était le père. La demande des trois membres de la famille a donc été refusée, d’où la présente procédure de contrôle judiciaire.

 

[4]               Dans son affidavit déposé à la Cour au soutien de la présente demande, Modupe écrit qu’elle est l’épouse de Cladius depuis 42 ans. Il y a environ 28 ans, ils se sont séparés brièvement, et elle a alors eu, une seule fois, des relations intimes avec un autre homme. Elle et Cladius se sont ensuite retrouvés, l’aventure extraconjugale a été révélée et tout a continué comme avant. Modupe écrit dans son affidavit déposé à la Cour qu’elle ne savait pas que Cladius n’était pas le père naturel d’Olakunle. Elle n’a pas été contre-interrogée, et le défendeur n’a pas non plus contesté autrement cette preuve.

 

[5]               L’unique point soulevé dans la présente affaire est de savoir si la demanderesse Modupe a fait une « présentation erronée » selon ce que prévoit l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27. Le texte de cet alinéa est le suivant :

 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants:

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

 

[6]               Le sens de cette disposition a été récemment examiné par le juge Harrington dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 378. Dans ce précédent, le demandeur avait engendré un enfant hors mariage, qu’il a plus tard voulu parrainer pour qu’il vienne au Canada. Il importe de noter que le demandeur dans cette affaire-là n’a pas été jugé crédible. Je reproduis ici un long extrait des motifs du juge Harrington, aux paragraphes 16 à 22 :

 

16     Étant donné que le mot « sciemment » ne figure pas à l’article 40, il s’ensuit que, selon la prétention, la connaissance n’est pas une condition préalable permettant de conclure à une présentation erronée de faits importants, ou une réticence sur ces faits. L’existence d’un enfant est sans contredit un fait important.

 

17     Je ne suis pas d’avis que cette comparaison est utile. L’article 127 figure dans la partie de la LIPR intitulée « Infractions générales ». Une présentation erronée peut donner lieu à une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans. Si le mot « sciemment » n’avait pas été employé, le législateur courait le risque d’établir une infraction de responsabilité stricte, sans la nécessité de prouver la mens rea, et aurait pu faire un accroc à l’interdiction constitutionnelle de l’emprisonnement pour avoir commis une infraction de responsabilité stricte (voir, p. ex., R  c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299 et R. c. Raham, 2010 ONCA 206).

 

18     Dans l’affaire qui nous intéresse, la prétendue présentation erronée était une déclaration inexacte d’un fait. Les fausses représentations peuvent être frauduleuses ou faites par négligence ou innocemment. Un arrêt de principe dans le contexte des délits civils est l’affaire Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd, [1964] A.C. 465, [1963] 2 All ER 575 (H.L.).

 

19     Le tribunal a conclu que M. Singh n’était pas crédible. Même s’il ne savait pas en réalité qu’il était le père de Shilpa, les circonstances, c’est‑à‑dire ses nombreuses relations sexuelles avec la mère de Shilpa alors que son mari se trouvait à l’extérieur de l’Inde, auraient dû, à tout le moins, éveiller ses soupçons. Il avait une obligation de franchise qui exigeait de lui qu’il révèle, dès son arrivée au Canada, la forte possibilité qu’il était le père d’un enfant.

 

20     À mon avis, le sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR a été clairement expliqué par le juge O’Reilly dans l’affaire Baro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, où il a déclaré au par. 15 :

 

Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, une personne est interdite de territoire au Canada si elle fait une réticence sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. De façon générale, un demandeur de la résidence permanente est soumis à une « obligation de franchise » qui l’oblige à révéler les faits importants. Ce devoir s’étend aux variations possibles de la situation personnelle du demandeur, y compris un changement d’état matrimonial : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 C.F. 299 (C.F. 1re inst.) (QL). Même une omission innocente de fournir des renseignements importants peut mener à une conclusion d’interdiction de territoire; par exemple, la demanderesse qui omet d’inclure la totalité de ses enfants dans sa demande peut être interdite de territoire : Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1495 (C.F. 1re inst.) (QL). Il y a toutefois une exception si les demandeurs peuvent montrer qu’ils croyaient honnêtement et raisonnablement ne pas dissimuler des renseignements importants : Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, [1990] A.C.F. no 318 (C.A.F.) (QL).

[Non souligné dans l’original.]

 

21     Le juge Russell a appliqué le même raisonnement dans l’affaire Boden c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848.

 

22     L’évaluation des faits par le tribunal n’était pas déraisonnable et il en résulte que M. Singh, un résident permanent, est interdit de territoire aux motifs qu’il a fait une présentation erronée des faits.

 

 

[7]               Le juge Harrington a toutefois annulé pour d’autres motifs la décision de la Section d’appel de l’immigration. Il aurait sans cela certifié une question.

 

[8]               La question essentielle est la suivante : faut-il adopter une approche « objective » ou « subjective » pour juger si la déclaration était ou non « trompeuse »? Autrement dit, la mens rea est-elle un élément constitutif essentiel?

 

[9]               L’examen de quelques précédents est utile ici. Dans l’arrêt Hilario c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) (1977), 18 N.R. 529 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale examinait un cas où des renseignements n’avaient pas été divulgués. S’exprimant pour la Cour, le juge Heald écrivait ce qui suit, à la fin du premier paragraphe, à la page 530 :

 

Taire des renseignements véridiques, appropriés et pertinents peut « tromper » tout aussi bien que fournir positivement des renseignements incorrects.

 

 

[10]           Ce passage de l’arrêt Hilario comporte l’idée de « taire » et de « fournir », ce qui signifie que la mens rea est requise.

 

[11]           Dans l’arrêt Medel c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 345, de la Cour d’appel fédérale, le parrainage de la demanderesse avait été annulé, mais elle était quand même entrée au Canada. La demanderesse affirmait avoir connaissance de certains événements, mais être ignorante de leur effet. Le juge MacGuigan, s’exprimant au nom de la Cour, écrivait ce qui suit, à la page 350 :

 

Il me semble que les mêmes facteurs, considérés objectivement, mènent à la conclusion que l’appelante croyait raisonnablement qu’à la frontière elle ne cachait rien d’important pour son admission. C’était, de fait, précisément ce que lui avait dit l’ambassade, c’est‑à‑dire qu’une correction était nécessaire pour lui permettre de se servir de son visa, ce qui l’aurait raisonnablement incitée à déduire que son admission ne posait toujours aucun problème.

 

 

[12]           Dans la décision Bickin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 1495, la Cour fédérale examinait le cas d’une demanderesse qui avait négligé de préciser qu’elle avait un troisième enfant, le jumeau de l’un des enfants déclarés. Si l’on se reporte à la note en bas de page n° 2, on peut constater que, selon la Cour, cette non-révélation constituait un geste délibéré, et non une erreur innocente. Elle a jugé qu’il y avait eu fausse déclaration délibérée. Là encore, la mens rea est requise.

 

[13]           Dans la décision Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, la demanderesse était entrée au Canada dans une automobile qui contenait une partie de ses effets personnels, effets qu’elle avait déclarés. Cependant, elle avait mis plusieurs autres effets personnels dans un autre véhicule qui était entré au Canada séparément. La Cour a jugé qu’elle avait fait une fausse déclaration. À nouveau, la mens rea a joué un rôle.

 

[14]           En l’espèce, la demanderesse Modupe est clairement la mère de l’enfant. Un acte de naissance certifie que le père est Cladius. Selon la preuve non contredite, Cladius a accepté l’enfant et, avec Modupe, il l’a élevé comme s’il était le sien. Il n’avait aucune raison de penser différemment. L’histoire regorge de cas d’enfants nés de couples mariés et élevés par eux, croyant en être les parents. Une demanderesse qui veut être admise au Canada doit-elle révéler toute aventure extraconjugale survenue à une époque où un enfant aurait pu être engendré par un homme autre que son mari? Je doute que notre société en soit rendue là.

 

[15]           Ici, le mari et la femme croyaient que l’enfant était d’eux; un acte de naissance l’affirme. Il n’y avait aucune raison de conclure à l’existence d’une intention délibérée d’induire en erreur.

 

[16]           Je conviens qu’il s’agit là d’une décision pour laquelle une question devrait être certifiée. Je certifierai une variante de la question soumise au juge Harrington dans l’affaire Singh :

 

Un étranger est‑il interdit de territoire pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important si, au moment du dépôt de sa demande de résidence permanente ou au moment où il se voit accorder la résidence permanente, il ne connaissait pas le fait important à l’égard duquel il a fait cette présentation erronée?

 

 

[17]           Il n’y a aucun motif spécial d’adjuger des dépens.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS,

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

3.                  La question suivante est certifiée :

 

Un étranger est‑il interdit de territoire pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important si, au moment du dépôt de sa demande de résidence permanente ou au moment où il se voit accorder la résidence permanente, il ne connaissait pas le fait important à l’égard duquel il a fait cette présentation erronée?

 

4.                  Il n’est pas adjugé de dépens.

 

 « Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1522-11

 

INTITULÉ :                                       MODUPE ADEDOYIN OSISANWO, CLADIUS

ALABA OSISANWO ET OLAKUNLE OLUBUSAYO

OSISANWO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 3 octobre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Asiya Hirji

 

POUR LES DEMANDEURS

Martin Anderson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann Sandaluk

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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