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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110927

Dossier : IMM-1667-11

Référence : 2011 CF 1108

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2011

EN présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

YANJUN DONG

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’une agente des visas de refuser de rouvrir et de réétudier la demande de Mme Dong en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada. La demande de résidence permanente avait initialement été accueillie. Cependant, le visa de résidente permanente qui avait été délivré à M me Dong a été annulé parce qu’elle n’avait pas révélé son récent mariage.

 

[2]               Mme Dong fait valoir que la décision de l’agente des visas était déraisonnable et qu’on a manqué à son endroit à l’obligation d’équité procédurale parce que (i) on ne lui a pas donné [traduction] « la possibilité de présenter sa version des faits », (ii) l’agente des visas est parvenue à sa décision sans considérer une partie des éléments de preuve présentés par la demanderesse et (iii) l’interprète chargé de l’aider lors son entrevue au point d’entrée ne maîtrisait pas parfaitement le mandarin.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.       Le contexte

[4]               Le 6 octobre 2008, Mme Dong a demandé la résidence permanente pour elle-même et sa fille dans le cadre du programme des candidats de la province de l’Île-du-Prince‑Édouard (PCIPÉ). Dans les documents relatifs à sa demande, elle a déclaré qu’elle était divorcée. Le 16 avril 2010, le consulat à Hong Kong (le consulat), après avoir traité sa demande, l’a informée par écrit qu’un visa de résidente permanente lui serait délivré ainsi qu’à sa fille.

 

[5]               Le 19 mai 2010, Mme Dong a épousé M. Long Yang. Une semaine plus tard, le 26 mai 2010, elle a reçu son visa ainsi que celui de sa fille. Avant d’arriver au Canada le 26 octobre 2010, elle n’a à aucun moment informé le consulat de son mariage avec M. Long.

 

[6]               Le 24 septembre 2010, M. Long a demandé un visa de résident temporaire (VRT) à l’ambassade canadienne à Beijing afin d’aider son épouse à s’établir au pays. M. Long a déclaré dans sa demande qu’il s’était marié avec Mme Dong le 19 mai 2010. On n’a pas fait droit à sa demande, car on jugeait qu’il était peu probable qu’il quitte le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

 

[7]               À son arrivée avec sa fille à l’aéroport international de Pearson à Toronto, Mme Dong a été interrogée par une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (agente de l’ASFC). Cet interrogatoire a fait naître des préoccupations quant (i) au fait que la demanderesse n’avait pas précédemment révélé son mariage avec M. Long et (ii) à la question de savoir si elle avait l’intention de s’établir à l’Île-du-Prince‑Édouard (IPÉ) ou plutôt à Vancouver. En raison de ces préoccupations, on a demandé à Mme Dong de se présenter le jour suivant pour un contrôle complémentaire.

 

[8]               Cependant, plutôt que de se présenter devant la Section de l’immigration pour y être entendue, Mme Dong a volontairement retiré sa demande d’entrée au Canada et a accepté de quitter le Canada sans délai. Elle est partie à Hong Kong le jour suivant.

 

[9]               Le 2 novembre 2010, l’ancien intermédiaire de Mme Dong a demandé par courriel à l’agente des visas de réexaminer sa décision. Le même jour, le consulat a reçu une lettre datée du 29 octobre 2010 dans laquelle Mme Dong présentait des excuses pour sa « négligence » et sollicitait la possibilité de [traduction] « soumettre des documents relatifs à son époux ». Selon ses allégations, Mme Dong n’aurait pas signé cette lettre et n’aurait pas été au courant de son existence avant que son ancien intermédiaire la lui envoie.

 

[10]           Le 3 novembre 2010, l’agente des visas, dans une lettre adressée à Mme Dong (la lettre de novembre), informait celle‑ci que sa demande ne serait pas rouverte et réétudiée, parce qu’elle n’avait pas déclaré son mariage avec M. Long bien qu’elle eût été clairement avertie de la nécessité de déclarer tout changement de sa situation de famille avant de prendre possession de son visa. L’agente des visas a en outre indiqué que, si le consulat avait été avisé de son mariage avec M. Long avant la délivrance de son visa, on aurait averti Mme Dong des exigences supplémentaires auxquelles elle devait satisfaire en raison de ce mariage. Elle a ajouté que, dans l’état des choses, Mme Dong ne satisfaisait pas aux exigences du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), parce qu’un membre de sa famille n’avait pas été contrôlé et qu’il était considéré comme interdit de territoire au Canada. On l’a en conséquence avisée de l’annulation du visa de résidente permanente qui lui avait été délivré.

 

[11]           Le 31 janvier 2001, le nouveau représentant de Mme Dong, M. Jean‑François Harvey, a fait valoir par écrit auprès du gestionnaire du programme d’immigration du consulat que [traduction] « les droits [de Mme Dong] de s’établir au Canada devraient être rétablis » (la lettre de M. Harvey).

 

II.        La « décision » contrôlée

 

[12]           Dans une lettre datée du 31 janvier 2001 (la lettre de janvier), l’agente des visas a informé M. Harvey et Mme Dong que la demande de Mme Dong ne serait pas rouverte et réétudiée. Après avoir donné un bref historique de la demande, l’agente des visas a réitéré que le consulat ne rouvrirait pas la demande et ne la réétudierait pas.

 

III.       Les questions en litige

            1.  Mme Dong a‑t‑elle présenté en retard sa demande de contrôle judiciaire?

 

2.  La « décision » de l’agente des visas était‑elle déraisonnable?

 

3.  Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers Mme Dong?

 

IV.       La norme de contrôle judiciaire

[13]           Pour savoir si Mme Dong a présenté en retard sa demande de contrôle judiciaire, il faut se demander si la lettre de janvier constituait une « décision ». À mon avis, il s’agit d’une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 55, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 44).

 

[14]           La seconde question est une question mixte de fait et de droit susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable. En bref, la décision de la Commission sera maintenue si elle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47), à la condition que « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité » (arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59).

 

[15]           La troisième question, qui a trait aux droits en matière d’équité procédurale de Mme Dong, est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (arrêts Dunsmuir, aux paragraphes 79 et 87 et Khosa, au paragraphe 43, précités).

 

V.        Analyse

A.     Mme Dong a‑t‑elle présenté en retard sa demande de contrôle judiciaire?

 

[16]           Le défendeur fait valoir que la lettre de janvier ne constituait pas une « décision » et qu’elle n’est donc pas susceptible de révision par la Cour. En résumé, le défendeur soutient que la lettre de janvier était seulement une [traduction] « lettre de courtoisie » en réponse à la lettre de M. Harvey. Selon le défendeur, la lettre de janvier visait seulement (i) à expliquer que la requête de Mme Dong pour que sa demande soit rouverte et réétudiée avait déjà été rejetée le 3 novembre 2010 et (ii) à réitérer ce qui avait déjà été expliqué à Mme Dong dans la lettre de novembre.

 

[17]           Mme Dong fait valoir que la lettre de janvier [traduction] « [avait] pour effet de rejet[er] la requête en réouverture du dossier » et « trait[ait] clairement de nouveaux points ». À cet égard, Mme Dong renvoie aux observations faites par M. Harvey selon lesquelles elle (i) [traduction] « avait dûment déclaré son nouvel époux » dans la demande qui avait été présentée pour le VRT de M. Long et que (ii) l’agente des visas avait [traduction] « semblé être dûment au courant de ce fait ». Mme Dong note aussi que, dans sa déclaration solennelle datée du 3 novembre 2010, elle avait donné un historique complet de la demande de VRT de son mari et elle soutient que son mari et elle [traduction] « n’ont jamais essayé de dissimuler des faits aux autorités de l’immigration ». De plus, Mme Dong fait observer que l’agente des visas, dans sa lettre d’accompagnement envoyée au greffe de notre Cour, à laquelle une copie de la lettre de janvier était annexée, qualifiait la lettre de janvier de « décision ».

 

[18]           Je ne suis pas d’accord avec la prétention de Mme Dong à cet égard.

 

[19]           Le fait qu’il est possible que l’agente des visas ait qualifié la lettre de janvier de décision ne permet pas de savoir si cette lettre constituait réellement une décision susceptible de révision par la Cour. Ce qui est déterminant, c’est la question de savoir si l’agente des visas a procédé à un « nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire » (Choudhary c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 843, aux paragraphes 15 et 16; Brar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1527, au paragraphe 8). De plus, s’il est juste d’affirmer que la lettre de M. Harvey requérait le rétablissement des [traduction] « droits [de Mme Dong] de s’établir au Canada », il faut se demander si l’agente des visas avait compétence pour rendre une décision sur le rétablissement de ces droits (décision Choudhary, précitée).

 

[20]           Je suis convaincu qu’il ressort clairement d’une simple lecture de la lettre de janvier que cette lettre ne traitait d’aucun nouvel argument ou élément de preuve qui n’avait pas déjà été examiné par l’agente des visas. En d’autres mots, rien dans la lettre de janvier ne permet de conclure que l’agente des visas a exercé de nouveau son pouvoir discrétionnaire en réponse à toute nouvelle observation présentée par Mme Dong.

 

[21]           Dans ses observations écrites initiales, Mme Dong a déclaré que [traduction] « la seule justification donnée [pour rejeter sa requête en réouverture de son dossier] était que le dossier était déjà fermé ». Cependant, lors de l’audition de la présente demande, l’avocat de Mme Dong a fait valoir que la lettre de janvier traitait des [traduction] « nouvelles » observations qui avaient été présentées dans la lettre de M. Harvey. Plus particulièrement, il a fait valoir que le passage suivant, qui se trouvait à la toute fin de la lettre de janvier, portait sur des arguments et des éléments de preuve qui n’avaient pas déjà été examinés par l’agente des visas :

 

[traduction] [...] Les éléments de preuve que vous avez soumis sont que vous vous êtes mariée le 19 mai 2010. Vous n’avez pas informé le présent bureau du changement de la composition de votre famille comme nous vous l’avons à plusieurs reprises demandé dans notre correspondance (lettre vous avisant de venir chercher le visa et une lettre jointe à votre visa de résidente permanente). Votre déclaration selon laquelle vous avez informé le présent bureau du changement de votre situation de famille n’est pas vraie. De plus, l’indication par votre nouvel époux dans sa demande de VRT présentée à Beijing qu’il vous avait épousée ne constitue pas une déclaration adressée au présent bureau par vous quant au changement de votre situation de famille.

 

[22]           Selon les notes consignées par l’agente des visas dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) utilisé par Citoyenneté et Immigration Canada pour traiter les demandes faites à l’extérieur du Canada, l’autorisation de s’établir au pays avait été refusée à Mme Dong pour deux motifs : (i) le fait qu’elle s’était mariée et n’avait pas informé le consulat du changement de sa situation de famille et (ii) le fait qu’il avait été établi qu’elle n’avait pas l’intention de résider à l’Île‑du‑Prince‑Édouard (IPÉ). La note suivante a été inscrite dans le STIDI : « VOIR LE COURRIEL AU COMPLET POUR PRENDRE CONNAISSANCE DE TOUT LE COMPTE‑RENDU DE LA RENCONTRE ENTRE LA DEMANDEURE ET L’AGENTE POWELL [DE L’ASFC] ».

 

[23]           Entre autres choses, le courriel de l’agente de l’ASFC à l’agente des visas faisait état de ce qui suit en ce qui a trait à la question du mariage de Mme Dong avec M. Long :

 

[traduction] Mme Dong confirme que, contrairement aux instructions écrites qui lui avaient été données, elle n’a pas avisé votre bureau du changement de sa situation de famille. Elle a d’abord déclaré qu’elle n’était pas au courant de cette exigence; cependant, elle a en sa possession les instructions écrites données par votre bureau, qui indiquent clairement que tout changement de la situation de famille DOIT être communiqué. Elle a alors déclaré que son consultant en immigration ne l’avait pas informée de cette exigence. Elle répond que oui, elle est une adulte qui sait lire et écrire. Elle confirme qu’elle est instruite et déclare qu’elle a un diplôme universitaire.

 

[....]

 

Il convient aussi de noter que, lorsqu’on lui a la première fois demandé la raison pour laquelle elle n’avait pas déclaré le changement de sa situation de famille, Mme Dong a répondu que c’était parce qu’elle n’allait pas parrainer son nouveau mari. On lui a alors demandé si son intention était de vivre dans un nouveau pays sans son mari. Elle a plus tard répondu que le consultant en immigration l’avait informée qu’elle pouvait attendre jusqu’à ce qu’elle soit établie et, alors, parrainer son mari à une date ultérieure.

 

[24]           En plus de ce qui précède, dans sa lettre adressée au consulat le 2 novembre 2010, Mme Dong relate sa surprise lorsque l’agente de l’ASFC a indiqué ne pas avoir été avisée du changement de sa situation de famille. La conséquence est qu’elle était surprise parce que son mariage avec M. Long avait été révélé dans la demande de VRT de ce dernier.

 

[25]           Me fondant sur ce qui précède, je suis convaincu que l’extrait de la lettre de janvier que Mme Dong tente d’interpréter comme traitant de nouveaux arguments ne comportait pas réellement de « nouveaux » arguments. Ma conclusion sur ce point est confortée par le fait que l’extrait de la lettre de janvier, auquel il est fait référence au paragraphe 21, apparaissait à la toute fin de cette lettre, après la déclaration de l’agente des visas selon laquelle la demande de Mme Dong ne serait pas rouverte et réétudiée.

 

[26]           En résumé, la lettre de janvier ne contenait aucune « décision » susceptible de révision par la Cour.

 

[27]           Outre ce qui précède, je suis convaincu qu’il était clairement demandé, dans la lettre de M. Harvey, le rétablissement des droits de Mme Dong de s’établir au pays et non la réouverture et le réexamen de la demande de visa de la demanderesse. Pour cette raison, l’agente des visas, qui exerce le pouvoir que lui délègue le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, n’avait pas compétence pour rendre une décision relativement à cette requête. Comme je l’ai indiqué précédemment, la décision de ne pas accorder à Mme Dong le droit de s’établir au pays a été prise par l’agente de l’ASFC, laquelle exerce le pouvoir que lui délègue le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (décision Choudhary, précitée).

 

[28]           De plus, le moment opportun pour contester la décision de l’agente de l’ASFC de refuser d’accorder à Mme Dong et à sa fille le droit de s’établir au pays était avant leur départ du Canada. Cependant, plutôt que de procéder à cette contestation, et après avoir été informée de son droit de se présenter devant la Commission de l’immigration pour un contrôle complémentaire le 27 octobre 2010, Mme Dong a expressément refusé d’exercer ce droit et a volontairement décidé de retourner à Hong Kong plus tard le même jour.

 

[29]           En conséquence, les seules « décisions » que Mme Dong pouvait contester étaient celles, contenues dans la lettre de novembre de l’agente des visas, (i) de refuser de rouvrir et de réétudier sa demande de résidence permanente et (ii) de révoquer son visa de résidente permanente. Malheureusement, Mme Dong ne les a pas contesté ni demandé une prorogation du délai pour le faire.

 

[30]           Il y a lieu d’établir une distinction entre la présente affaire et Marr c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 367 (paragraphe 56). Dans Marr, le demandeur sollicitait le contrôle de la décision initiale de l’agent des visas de refuser de lui accorder un visa au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés pour la raison qu’il n’avait pas soumis une lettre pour étayer ses prétentions sur son éducation. Le demandeur a immédiatement envoyé la documentation manquante et a demandé que sa demande soit réexaminée. Après le refus de l’agent des visas, le demandeur a sollicité le contrôle de la décision de l’agent des visas avant l’expiration du délai pour le dépôt d’une telle demande. Par comparaison, dans le cas présent, la demanderesse a été refusée parce qu’elle n’avait jamais donné avant son entrée au Canada une information qui avait été antérieurement demandée. Bien qu’elle affirme avoir soumis de nouvelles informations pertinentes après que l’agente des visas eut refusé de rouvrir sa demande, je suis convaincu qu’elle ne l’a pas fait.

 

[31]           Il découle de tout ce qui précède que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[32]           Vu conclusion sur ce point, il n’est pas strictement nécessaire que j’examine les autres observations de Mme Dong. Cependant, étant donné la nature de ces observations, j’estime opportun de le faire.

 

B.  La « décision » de l’agente des visas était-elle déraisonnable?

[33]           Dans la lettre de M. Harvey et dans ses observations écrites initiales, Mme Dong a déclaré qu’elle avait donné un avis approprié du changement de sa situation de famille dans la demande de VRT de son mari. Dans ses observations ultérieures, elle a toutefois reconnu que c’était son mari qui avait rédigé et présenté cette demande. Cela dit, elle a alors affirmé que son défaut de déclarer de manière appropriée le changement de sa situation de famille était attribuable à un malentendu et qu’elle n’avait jamais eu l’intention de tromper l’agente des visas ni quiconque au consulat. Elle a en outre soutenu que l’agente des visas était déjà au courant du changement de sa situation de famille au moment de son entrevue au point d’entrée au pays, lorsqu’elle est arrivée à Toronto le 26 octobre 2010. Maintenant, elle invoque également le principe de l’indivisibilité de la Couronne pour affirmer que le consulat a été valablement avisé du changement de sa situation de famille quand son mari a présenté sa demande de VRT. Dans ce contexte, elle soutient que la décision de l’agente des visas de refuser de rouvrir et de réétudier sa demande était déraisonnable.

 

[34]           Je ne suis pas d’accord.

 

[35]           Comme il ressort du texte cité au paragraphe 23, Mme Dong a donné au moins trois explications différentes de la raison pour laquelle elle n’avait pas révélé le changement de sa situation de famille conformément aux instructions qui lui avaient antérieurement été données. Elle a ultérieurement fourni une quatrième explication : elle croyait que l’avis requis avait été donné quand son mari avait soumis sa demande de VRT.

 

[36]           Dans son courriel envoyé à l’agente des visas, l’agente de l’ASFC qui a effectué l’entrevue au point d’entrée a décrit Mme Dong comme ayant [traduction] « tendance à répondre qu’elle ne savait pas » et comme étant [traduction] « évasive » et, de façon générale, comme [traduction] « manquant de crédibilité ».

 

[37]           Dans ce contexte, j’estime que la décision de l’agente des visas de ne pas rouvrir et réétudier la demande de résidence permanente de Mme Dong appartenait aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, précité). Comme il en sera question dans la section suivante, Mme Dong a été plusieurs fois informée de son obligation de déclarer tout changement de sa situation de famille. Elle a également été expressément avisée qu’elle avait l’obligation de déclarer un tel changement au consulat à Hong Kong. Elle doit supporter les conséquences de ne pas l’avoir fait.

 

C.  Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale envers Mme Dong?

 

[38]           Mme Dong fait valoir que l’agente des visas aurait dû lui envoyer une « lettre d’équité » afin de lui donner la possibilité de traiter expressément de la question du changement de sa situation de famille. À cet égard, elle affirme qu’on [traduction] « pouvait “s’attendre de façon légitime” ou “raisonnable” à ce qu’une demande soit traitée dans le respect des exigences en matière d’équité, en particulier lorsque les conséquences ont une telle importance pour le demandeur ». Elle soutient en outre qu’il [traduction] « semble probable que les observations de M. Harvey et la déclaration solennelle détaillée de la demanderesse qui y était annexée n’aient pas été du tout examinées puisque la seule réponse qui leur a été donnée était qu’une décision avait été prise ».

 

[39]           Je suis convaincu que les droits en matière d’équité procédurale de Mme Dong n’ont pas été violés par la manière dont elle a été traitée par l’agente des visas et par l’agente de l’ASFC.

 

[40]           Le contenu du devoir d’équité envers les demandeurs de visa se trouve à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41 (CA); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 345, aux paragraphes 30 à 32; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Patel, 2002 CAF 55, au paragraphe 10).

 

[41]           Le 27 août 2008, une lettre a été envoyée à Mme Dong pour l’aviser qu’elle avait été choisie comme candidate de la province de l’Île‑du-Prince‑Édouard. La lettre indiquait notamment ceci :

 

[traduction] Il est important que vous nous teniez informés [...] S’il se produit un changement quelconque dans votre situation de famille, à savoir décès, naissance ou mariage, il est très important que vous nous avisiez immédiatement ainsi que Citoyenneté et Immigration Canada. Si vous ne le faites pas, vous pourriez voir votre demande de résidence permanente refusée ou révoquée. Dès la délivrance de votre visa, veuillez nous faire savoir quand vous avez l’intention de vous établir à l’Île-du-Prince‑Édouard.

 

[42]           La lettre avisant Mme Dong de [traduction] « venir chercher » son visa lui a été envoyée le 16 avril, 2010. Il y était écrit :

 

[traduction] Vous devez déclarer à notre bureau par écrit tout changement en ce qui a trait à vos documents de voyage, la composition de votre famille et votre situation de famille avant de venir chercher votre (vos) visa(s) ou de présenter votre (vos) passeport(s). Cela comprend toutes les naissances, décès, mariages, divorces, nouvelles ententes de garde et adoptions qui vous concernent ou concernent vos personnes à charge. Des changements pourraient entraîner la nécessité de déposer une nouvelle demande et d’acquitter de nouveaux frais ainsi que la nécessité d’un parrainage. [Non souligné dans l’original.]

 

[43]           Il ressort très clairement de cette seconde lettre que tout changement de la situation de famille de Mme Dong devait être déclaré au consulat à Hong Kong, et non à un bureau quelconque de la Couronne.

 

[44]           Le 26 mai 2010, les visas de Mme Dong et de sa fille ont été délivrés avec des instructions. La lettre d’instructions de la même date envoyée par le consulat comportait l’avertissement suivant :

 

[Traduction] Votre visa n’est valide que si tous les membres de votre famille (époux, conjoint de fait, fils ou fille à charge) ont été déclarés et contrôlés. Vous êtes tenue de nous informer de tout changement de la composition de votre famille avant de venir chercher les visas. Le défaut de déclarer tout membre de votre famille pourrait vous empêcher d’obtenir la résidence permanente au Canada. Vous devez nous informer de tout changement de votre situation de famille ou de la composition de votre famille (mariage, relation de conjoint de fait, séparation, divorce, naissance d’un enfant, adoption, décès, etc.) AVANT de vous rendre au Canada. Nous vous ferons savoir si d’autres procédures sont requises. [Non souligné dans l’original.]

 

[45]           J’estime qu’il a été plus que satisfait, dans la présente affaire, à l’obligation d’équité procédurale envers Mme Dong puisqu’on (i) lui a pleinement donné la possibilité de présenter à l’agente des visas des éléments de preuve pertinents relativement à son cas, (ii) l’a avertie plusieurs fois, en termes très clairs, des conséquences qui découleraient du défaut d’aviser le consulat de tout changement de sa situation de famille, (iii) lui a donné la possibilité, lors de son entrevue au point d’entrée, de répondre à la question de savoir si elle avait donné un avis approprié du changement de son statut et que l’agente des visas (iv) a examiné les éléments de preuve qu’elle a présentés de façon complète et conforme aux exigences en matière d’équité. Des motifs justifiés, transparent et intelligibles expliquant pourquoi sa demande ne serait pas rouverte et réétudiée ont également été fournis à Mme Dong.

 

[46]           À mon avis, une fois que le demandeur de visa a été clairement avisé par écrit des conséquences du défaut de faire quelque chose, ses droits en matière d’équité procédurale ne vont pas jusqu’à lui permettre d’exiger que l’agent des visas lui envoie une « lettre d’équité » ou qu’on lui accorde une autre possibilité d’expliquer pourquoi il n’a pas fait ce qu’il lui avait été clairement demandé de faire. En conséquence, l’agente des visas n’avait pas, en l’espèce, l’obligation d’envoyer une lettre d’équité ou d’accorder des possibilités supplémentaires à Mme Dong de répondre à la question de savoir si elle avait donné un avis approprié du changement de sa situation de famille.

 

[47]           Il ressort du dossier que l’agente de l’ASFC a été informée du mariage de Mme Dong avec et M. Long lors de l’entrevue au point d’entrée. Cependant, même si elle avait déjà été informée du mariage, le fait demeure que Mme Dong a fait défaut de se conformer aux instructions claires qui lui avaient été données de déclarer le changement de sa situation de famille au consulat à Hong Kong. Le fait qu’il est possible que son mari ait déclaré le mariage dans sa demande de VRT n’était pas suffisant pour la libérer de l’obligation qui lui incombait d’informer elle‑même le consulat de ce changement de sa situation de famille.

 

[48]           Mme Dong fait valoir que l’agente des visas [traduction] « n’a pas considéré ou soupesé la possibilité de l’existence d’une erreur de bonne foi en l’espèce ». Cependant, rien dans le dossier ne donne à penser que l’agente des visas n’a pas tenu compte des diverses explications données par Mme Dong pour expliquer son défaut d’aviser le consulat du changement de sa situation de famille. L’agente de l’ASFC a immédiatement fait part à l’agente des visas des explications incohérentes données par Mme Dong lors de son entrevue au point d’entrée. L’ancien intermédiaire de Mme Dong a alors soumis une lettre, en date du 2 novembre 2010, qui expliquait plus à fond le point de vue de Mme Dong selon lequel elle n’avait jamais eu l’intention de dissimuler son mariage avec M. Long. Étant donné en particulier les explications incohérentes fournies par Mme Dong, il était loisible à l’agente des visas de refuser de rouvrir et de réétudier sa demande, sans répondre expressément à ces diverses explications ni dans sa lettre de novembre ni dans ses autres correspondances avec Mme Dong.

 

[49]           Mme Dong fait en outre valoir que l’interprète qui l’assistait dans son entrevue au point d’entrée ne maîtrisait pas parfaitement le mandarin. À cet égard, elle soutient que [traduction] « la déclaration n’indiquait pas que la personne était dûment accréditée pour cette langue, mais seulement qu’elle avait donné une interprétation fidèle ».

 

[50]           Cependant, l’extrait suivant de la note de l’agente de l’ASFC à l’agente des visas montre très clairement que Mme Dong comprenait parfaitement ce qui avait été communiqué au cours de son entrevue au point d’entrée.

 

[traduction] Nous avons eu recours à un interprète agréé du mandarin durant l’entrevue pour nous assurer qu’il n’y avait pas de malentendus. Étant donné la tendance de Mme Dong à répondre qu’elle ne savait pas et que personne ne le lui avait dit, ainsi que le caractère évasif de ses réponses (changement de sujet, réponses partielles, assertions inexactes etc.), on lui a dit qu’elle n’était pas crédible, ce qui jetait un doute sur la véracité de chacune de ses nouvelles déclarations. Par conséquent, pour nous assurer qu’elle comprenait parfaitement, il lui a été demandé de répéter ce qui avait été dit et d’expliquer dans ses propres mots ce qu’elle comprenait de ce qui lui avait été communiqué au cours du contrôle. Nous avons estimé que Mme Dong a quitté le bureau en comprenant parfaitement les préoccupations, les effets de la mise en liberté en vue d’un contrôle en application l’art. 23 de la Loi et les conséquences du défaut de se conformer à ce qui est demandé, les effets de l’autorisation de quitter et la nécessité de joindre votre bureau pour toute nouvelle directive. On l’a avisée que leurs cartes de RP respectives seraient retournées directement à votre bureau et non à elle.

 

[51]           Enfin, Mme Dong soutient que [traduction] « rejeter une personne hautement qualifiée du revers de la main en raison d’un simple malentendu de sa part va à l’encontre des objectifs généraux de la politique d’immigration et des besoins de la société canadienne ».

 

[52]           Je ne suis pas d’accord.

 

[53]           Étant donné les instructions claires et non équivoques qui ont été données à Mme Dong quant à son obligation de déclarer tout changement de sa situation de famille au consulat, son défaut de le faire ne saurait être qualifié de simple malentendu. En fait, le dossier de preuve contredit la prétention de Mme Dong.

 

[54]           Le défaut de Mme Dong de déclarer son mariage avec M. Long était incompatible non seulement avec les instructions claires qui lui ont été maintes fois données, mais aussi avec son « obligation de franchise», laquelle exige des étrangers qui désirent entrer au Canada de révéler les faits importants susceptibles d’avoir une incidence sur leur demande de résidence permanente (Haque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315, au paragraphe 13). Son omission était grave, car elle aurait pu donner lieu à une erreur importante dans l’application de la LIPR. En bref, comme elle n’a pas communiqué l’existence de son mariage, un nouveau membre de sa famille n’avait pas été contrôlé et on n’avait pas établi qu’il n’était pas interdit de territoire au Canada.

 

[55]           Quant aux objectifs généraux de la politique d’immigration du Canada et aux besoins de la société canadienne, j’adopte les commentaires suivants de mon collègue le juge Mosley formulés dans la décision Haque, précitée :

 

14     L’article 3 de la LIPR énumère des objectifs en matière d’immigration qu’il ne faut pas perdre de vue dans l’application de la Loi. Ces objectifs comprennent l’enrichissement et le développement du Canada socialement, économiquement et culturellement tout en assurant la protection et la sécurité des Canadiens. Les décisions en matière d’admissibilité, dont dépend la protection efficace des frontières canadiennes, reposent nécessairement, pour une bonne part, sur la capacité des agents d’immigration de vérifier les renseignements donnés par les demandeurs. Les omissions ou les fausses déclarations risquent d’engendrer des erreurs dans l’application de la Loi.

 

[56]           Le fait d’être admis au Canada au moyen d’une fausse déclaration ou d’une omission mine l’intégrité du système d’immigration du Canada (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Niaz, 2009 CarswellNat 5411, au paragraphe 30) ainsi que la crédibilité de ce système. Il en va de même lorsque des individus obtiennent le statut de résident permanent ou de citoyen en contrevenant à leur obligation de franchise.

 

[57]           Lorsqu’elle est tolérée, une telle conduite constitue une menace pour notre système d’immigration et une injustice pour ceux qui « suivent les règles ». Il faut par conséquent éviter la tolérance envers une telle conduite (décision Niaz, précitée, au paragraphe 40).

 

[58]           Éviter la tolérance envers une telle conduite se justifie également eu égard au grand nombre de gens qui veulent devenir résidents permanents ou citoyens du Canada en respectant les règles. Vu les intérêts légitimes de l’efficacité administrative et de l’équité envers ceux qui « suivent les règles », ceux qui ceux qui font défaut de les appliquer devraient en subir les conséquences, sans que des occasions additionnelles leur soient données d’expliquer ce défaut et ainsi d’imposer un fardeau supplémentaire à notre système d’immigration généreux.

 

[59]           Même si l’agente de l’ASFC savait, lors de l’entrevue de Mme Dong au point d’entrée, que M. Long avait déclaré son mariage avec Mme Dong, cela ne remédierait pas au défaut de Mme Dong d’aviser le consulat du changement de sa situation familiale conformément aux instructions qu’elle avait reçues. Il n’est pas loisible aux demandeurs du statut de résident permanent de tenter de justifier le défaut de donner des renseignements qu’ils sont tenus de donner en déclarant que les autorités de l’immigration ont reçu d’autres manières la communication de ces renseignements ou qu’elles auraient pu prendre connaissance de ces renseignements par d’autres moyens.

 

VI.       Conclusion

[60]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y aucune question à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

                                                                                                 « Paul S. Crampton »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1667-11

 

INTITULÉ :                                       YANJUN DONG c. LE MINISTRE

                                                            DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE:                  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Stephen J. Fogarty

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Michelle Joubert

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Étude légale Fogarty

Montréal (Québec)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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