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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110929


Dossier : T-514-11

Référence : 2011 CF 1120

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

BELL CANADA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE ET ROGERS COMMUNICATIONS INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

      MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, en vue : a) de faire annuler l’avis publié dans la Gazette du Canada du 19 mars 2011, sous le numéro DGTP‑002‑11 (l’avis), par le ministre de l’Industrie (le ministre) à l’égard de la demande (la demande) que Rogers Communications Inc. (Rogers) avait présentée le 26 janvier 2011 conformément aux paragraphes 12(1) et 12(4) de la Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38 (la Loi); b) d’interdire au gouverneur en conseil (le Cabinet) d’examiner la demande.

HISTORIQUE

[2]               En 2002, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (le CRTC) a rendu la décision 2002‑34, qui autorisait les entreprises de services locaux titulaires (les ESLT), y compris Bell Canada (Bell), à exiger plus que le tarif maximum autorisé. Même si ces ESLT étaient autorisées à exiger un prix plus élevé que le tarif, le montant excédentaire devait être inscrit dans un compte distinct (le compte de report) et être séparé des autres fonds. Le CRTC se réservait le pouvoir de déterminer l’utilisation de ces fonds à une date ultérieure.

[3]               Le 14 décembre 2006, par le décret C.P. 2006‑1534, DORS/2006‑355, le gouverneur en conseil a pris le Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication (les Instructions concernant la politique) en vertu de l’article 8 de la Loi. Entre autres choses, le CRTC devait, selon les Instructions concernant la politique, « se fier, dans la plus grande mesure du possible, au libre jeu du marché comme moyen d’atteindre les objectifs de la politique; [et] lorsqu’il a[vait] recours à la réglementation, prendre des mesures [...] qui ne f[aisaient] obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs ».

[4]               À compter de l’année 2006, le CRTC a pris une série de décisions qui établissaient les principes applicables à la distribution des fonds des comptes de report. Dans la décision 2006‑09, le CRTC a décidé que les fonds des comptes de report seraient utilisés à deux fins : (1) en vue d’améliorer l’accès des personnes handicapées; et (2) en vue d’assurer l’expansion des services Internet à large bande dans les collectivités rurales et éloignées. Les fonds excédentaires seraient remis aux clients (la remise). Plusieurs parties ont interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale : Bell a interjeté appel de la partie de la décision l’obligeant à remettre une partie des fonds aux clients, alors que d’autres parties en ont appelé de l’exigence voulant que les fonds soient utilisés aux fins de l’expansion des services à large bande. En fin de compte, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Bell Canada c Bell Aliant Communications régionales, 2009 CSC 40, a conclu que l’affectation de fonds par le CRTC aux fins de l’expansion des services à large bande, facilitant l’accès des personnes handicapées, et les remises accordées aux clients étaient valides, étant donné que l’affectation des fonds des comptes de report relève du pouvoir de tarification du CRTC.

[5]               Dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15, le CRTC avait rejeté la proposition selon laquelle les fonds des comptes de report devraient être mis à la disposition de toutes les entreprises de télécommunications et être alloués selon un processus concurrentiel d’appel d’offres. Rogers avait soutenu que ce processus concurrentiel d’appel d’offres respecterait le principe de la neutralité en matière de concurrence que le Groupe d’étude sur le cadre réglementaire des télécommunications avait recommandé au CRTC d’adopter dans son rapport final de 2006. Au lieu d’utiliser un processus concurrentiel d’appel d’offres qui, selon le CRTC, « serait plus complexe, retarderait la mise en œuvre de l’expansion de la large bande et alourdirait considérablement le fardeau administratif et réglementaire », le CRTC a opté pour le recours à des propositions. Dans le cadre du système de propositions, le CRTC examinerait les propositions soumises par les ESLT aux fins de l’utilisation des fonds des comptes de report et les approuverait ou les rejetterait compte tenu de leur conformité avec les conditions établies dans la décision 2006‑9. Dans la décision 2007‑15, le CRTC a approuvé l’utilisation des fonds des comptes de report aux fins de l’expansion des services à large bande dans 112 collectivités de l’Ontario. Dans la décision 2008‑1, le CRTC approuvait plusieurs propositions visant à étendre l’accessibilité aux services de télécommunication à l’aide des fonds des comptes de report et établissait également des principes additionnels au sujet de la façon dont les collectivités additionnelles seraient choisies aux fins de l’expansion ainsi qu’au sujet de la mise en œuvre de la technologie la moins coûteuse et du recouvrement des coûts non rentables.

[6]               En 2009, Bell a déposé auprès du CRTC une proposition visant l’utilisation d’une somme de 303,6 millions de dollars prélevée sur les fonds des comptes de report en vue d’étendre l’accès aux services à large bande à 112 collectivités de l’Ontario. Bell proposait d’étendre les services à large bande en utilisant la technologie évoluée d’accès haute vitesse par paquets (HSPA+) sans fil. Rogers, entre autres, s’est opposée à cette proposition, en partie parce qu’elle avait déjà mis en œuvre une technologie à large bande HSPA dans un certain nombre de ces collectivités. Rogers a soutenu que si le CRTC autorisait Bell à étendre son réseau en utilisant la technologie HSPA+, cela n’étendrait pas en fait l’accès aux services à large bande, de sorte que cela serait contraire aux principes établis par le CRTC dans les décisions 2006‑9, 2007‑15 et 2008‑1 (les décisions concernant les comptes de report).

[7]               Par la décision 2010‑637, le CRTC rejetait la proposition de Bell. Dans cette décision, le CRTC approuvait le prélèvement de 306,3 millions de dollars sur les fonds du compte de report pour étendre à 112 collectivités les services Internet à large bande. Toutefois, le CRTC ordonnait à Bell de procéder à l’expansion en utilisant la technologie filaire appelée ligne d’abonné numérique (LAN), au lieu de la technologie sans fil HSPA+. Le solde des fonds du compte de report, de 277 millions de dollars, devait être remis aux clients. Bell proposait de mettre en œuvre cette technologie sur une période de quatre ans, en l’offrant à 15 collectivités en 2011 et en terminant l’expansion au plus tard en 2015.

[8]               En 2010, compte tenu des progrès technologiques, Bell a présenté au CRTC une demande en vue de faire modifier la décision 2010‑637 et de lui permettre de procéder à l’expansion dans les collectivités approuvées en utilisant la technologie sans fil évoluée (HSPA+). Rogers s’est opposée à cette demande de modification en disant que la proposition de Bell n’était pas conforme aux lignes directrices établies dans les décisions concernant les comptes de report et qu’elle violait les Instructions concernant la politique. Dans la décision 2010‑805, le CRTC a approuvé la proposition de Bell de procéder à l’expansion en utilisant la technologie sans fil HSPA+ et a dit ce qui suit :

[...] il [le Conseil] a rejeté l’idée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑50 [sic], puisqu’elle ajoutait des complications importantes, retardait la mise en œuvre du déploiement des services à large bande et entraînait un fardeau administratif et réglementaire important. Le Conseil estime que les motifs de rejet demeurent fondés.

 

 

[9]               En réponse, le 26 janvier 2011, Rogers a présenté la demande auprès du greffier du Conseil privé en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi. Dans la demande, Rogers demande au gouverneur en conseil de modifier la décision 2010‑805 en vue de ramener le montant des fonds du compte de report qui avait été approuvé au montant nécessaire pour couvrir la partie non rentable de l’expansion de Bell dans les 15 premières collectivités visées par sa proposition. Rogers demande également au gouverneur en conseil de modifier la décision 2010‑805 en vue de permettre un processus concurrentiel d’appel d’offres aux fins de l’expansion dans les 97 autres collectivités approuvées.

[10]           Après avoir reçu la demande de Rogers, le ministre a publié l’avis dans l’édition de la Gazette du Canada du 19 mars 2011. L’avis informe le public que le ministre a reçu la demande, que la demande et les documents justificatifs peuvent être obtenus électroniquement sur le site Web Gestion du spectre et télécommunications d’Industrie Canada et que les observations concernant la demande doivent être soumises dans les trente jours de la publication de l’avis dans la Gazette. Par sa demande de contrôle judiciaire, Bell cherche à faire annuler la publication de cet avis. Bell demande également qu’il soit interdit au gouverneur en conseil d’examiner la demande.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[11]           Bell sollicite le contrôle judiciaire en vue de faire annuler l’avis publié par le ministre dans la Gazette du Canada. Le passage pertinent de l’avis est libellé comme suit :

 

Avis est par la présente donné que le gouverneur en conseil a reçu de la société de personnes Rogers Communications (ci‑après appelée Rogers), en vertu de l’article 12 de la Loi sur les télécommunications, une pétition concernant une décision rendue par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) concernant l’utilisation de la technologie sans fil et des fonds des comptes de report pour offrir le service à large bande aux collectivités approuvées.

 

Le paragraphe 12(1) de la Loi sur les télécommunications prévoit que, dans l’année qui suit la prise d’une décision par le CRTC, le gouverneur en conseil peut, par décret, soit de sa propre initiative, soit sur demande écrite présentée dans les 90 jours de cette prise, modifier ou annuler la décision ou la renvoyer au CRTC pour réexamen de tout ou partie de celle‑ci et nouvelle audience.

Dans sa pétition, datée du 26 janvier 2011, Rogers demande que le gouverneur en conseil modifie la décision de télécom CRTC 2010‑805, Bell Canada – Demandes de révision et de modification de certaines conclusions tirées dans la décision de télécom 2010‑637 concernant l’utilisation de la technologie sans fil d’accès haute vitesse par paquets et le solde du compte de report. Les motifs de cette demande sont énoncés dans la pétition de Rogers.

 

Les commentaires relatifs à cette pétition doivent être présentés dans les 30 jours suivant la publication du présent avis dans la Gazette du Canada. Tous les commentaires reçus seront affichés sur le site Web Gestion du spectre et télécommunications d’Industrie Canada au www.ic.gc.ca/spectre.

 

 

[12]           Bell demande également une ordonnance d’interdiction empêchant le gouverneur en conseil d’examiner et de trancher la demande de Rogers.

LES POINTS LITIGIEUX

[13]           Dans la présente demande, Bell soulève deux questions fondamentales :

                     i.                                                Le ministre avait‑t‑il compétence pour publier l’avis dans la Gazette du Canada?

                   ii.                                                Le gouverneur en conseil a‑t‑il compétence pour entendre la demande de Rogers?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]           Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes dans la présente instance sont les suivantes :

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« décision » Toute mesure prise par le Conseil,

quelle qu’en soit la forme.

 

[…]

 

 

 

 

 

 

 

POLITIQUE CANADIENNE DE TÉLÉCOMMUNICATION

 

7. La présente loi affirme le caractère essentiel des télécommunications pour l’identité et la souveraineté canadiennes; la politique canadienne de télécommunication vise à

 

 

[…]

 

c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

 

[…]

 

f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication

et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire;

 

[…]

 

Modification, annulation ou réexamen

 

12. (1) Dans l’année qui suit la prise d’une décision par le Conseil, le gouverneur en

conseil peut, par décret, soit de sa propre initiative, soit sur demande écrite présentée dans les quatre-vingt-dix jours de cette prise, modifier ou annuler la décision ou la renvoyer au

Conseil pour réexamen de tout ou partie de celle-ci et nouvelle audience.

 

[…]

 

(4) Dès réception de la demande, le ministre publie un avis dans la Gazette du Canada faisant état de la réception et indiquant où la demande, ou toute autre demande ou observation

présentées en réponse à celle‑ci peuvent être consultées et où il peut en être obtenu copie.

 

[…]

 

Réparation

 

60. Le Conseil peut soit faire droit à une demande de réparation, en tout ou en partie, soit accorder, en plus ou à la place de celle qui est demandée, la réparation qui lui semble justifiée, l’effet étant alors le même que si celle-ci

avait fait l’objet de la demande.

 

[…]

 

Révision et annulation

 

62. Le Conseil peut, sur demande ou de sa propre initiative, réviser, annuler ou modifier ses décisions, ou entendre à nouveau une demande avant d’en décider.

2. (1) In this Act,

 

 

 

“decision” includes a determination made by

the Commission in any form;

 

 

 

 

 

 

 

 

CANADIAN TELECOMMUNICATIONS POLICY

 

7. It is hereby affirmed that telecommunications

performs an essential role in the maintenance of Canada’s identity and sovereignty and that the Canadian telecommunications policy has as its objectives:

 

 

(c) to enhance the efficiency and competitiveness, at the national and international levels, of Canadian telecommunications

 

 

(f) to foster increased reliance on market forces for the provision of telecommunications services and to ensure that regulation, where required, is efficient and effective;

 

 

Variation, rescission or referral

 

12. (1) Within one year after a decision by the Commission, the Cabinet may, on Petition in writing presented to the Cabinet within ninety days after the decision, or on the Cabinet’s own motion, by order, vary or rescind the decision or refer it back to the Commission for reconsideration of all or a portion of it.

 

...

 

(4) On receipt of a Petition, the Minister shall publish in the Canada Gazette a notice of its receipt indicating where the Petition and any Petition or submission made in response to it may be inspected and copies of them obtained.

 

 

 

 

 

Partial or additional relief

 

60. The Commission may grant the whole or any portion of the relief applied for in any case, and may grant any other relief in addition to or in substitution for the relief applied for as if the application had been for that other relief.

 

 

 

 

Review of decisions

 

62. The Commission may, on application or on its own motion, review and rescind or vary any decision made by it or re-hear a matter before rendering a decision.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence passée, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs dont est composée l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[16]           Les deux points litigieux comportent des questions touchant véritablement à la compétence. Comme la Cour suprême du Canada l’a dit dans l’arrêt Dunsmuir, les questions touchant véritablement à la compétence commandent l’application de la norme de la décision correcte. De plus, au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a conclu ce qui suit :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

 

L’ARGUMENTATION

La demanderesse

 

[17]           Bell soutient qu’il devrait être interdit au gouverneur en conseil d’entendre la demande parce que le gouverneur en conseil n’a pas compétence étant donné que la demande ne se rapporte pas à l’objet de la décision 2010‑805, soit la décision qu’elle cherche à faire modifier, de sorte que le paragraphe 12(1) de la Loi ne s’applique pas à la demande. Bell fait également valoir que puisque le véritable objet de la demande se rapporte à la modification des décisions 2006‑9 et 2007‑15, la demande a été présentée après le délai imparti, de sorte que le gouverneur en conseil n’a pas compétence pour l’entendre.

[18]           En ce qui concerne l’avis, Bell soutient qu’il devrait être annulé par la Cour étant donné qu’il se rapporte à une instance sur laquelle le gouverneur en conseil n’a pas compétence. Le législateur ne peut pas avoir voulu que le paragraphe 12(4) de la Loi oblige le ministre à publier des avis sur lesquels le gouverneur en conseil n’a pas compétence puisqu’il voulait que le ministre agisse conformément à la compétence conférée au gouverneur en conseil.

Il devrait être interdit au gouverneur en conseil d’entendre la demande parce que celui‑ci n’a pas compétence

 

[19]           Bell affirme que le gouverneur en conseil, lorsqu’il exerce un pouvoir qui lui est délégué par la loi, doit le faire dans les limites du pouvoir qui lui est conféré. Tout exercice du pouvoir est susceptible de contrôle par la Cour et, lorsque le gouverneur en conseil cherche à exercer son pouvoir en dehors des limites établies à cet égard, la Cour peut intervenir en vue d’annuler ou, au besoin, d’interdire l’exercice de ce pouvoir.

[20]           Bell affirme également que, comme c’est le cas pour l’exercice d’un pouvoir délégué par un organisme, le gouverneur en conseil a uniquement compétence pour agir lorsque les conditions nécessaires sont remplies. Lorsque le gouverneur en conseil ne satisfait pas aux conditions prévues par la loi, tout exercice de ce pouvoir est ultra vires. En l’espèce, si l’exercice du pouvoir conféré au paragraphe 12(1) d’examiner la décision 2010‑805 exige que le gouverneur en conseil ne tienne pas compte d’une condition essentielle, la Cour devrait intervenir. À l’appui du recours à une interdiction en vue d’empêcher l’exercice illégitime du pouvoir délégué, Bell se reporte à l’arrêt que la Cour d’appel fédérale a rendu dans l’affaire Canada (Procureur général) c Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang [la Commission Krever]), [1997] 2 CF 36, [1997] ACF no 17 (CA), au paragraphe 28 :

Dans le cas présent, si le commissaire n’a pas la compétence d’énoncer dans son rapport les conclusions qu’il a annoncées dans les préavis, il s’agit d’un cas de manque de compétence apparent ou à tout le moins d’un cas où le commissaire [traduction] « est sans aucun doute sur le point d’excéder sa compétence ». Il serait odieux de forcer les appelants à attendre le dépôt du rapport avant de les autoriser à se plaindre : le mal sera dès lors plus grand et vraisemblablement irréparable.

 

 

Étant donné qu’en entendant la demande, le gouverneur en conseil excédera sa compétence, Bell soutient que l’interdiction constitue une réparation appropriée en l’espèce.

Le gouverneur en conseil n’a pas compétence parce qu’il ne satisfait pas aux conditions essentielles

 

 

[21]           Bell affirme également qu’il existe deux conditions essentielles (quoiqu’elles ne soient pas prévues par la loi) à l’exercice du pouvoir d’examen conféré au paragraphe 12(1) : (1) l’existence d’une décision du CRTC portant sur le même objet que la demande; (2) la modification de la décision du CRTC dans l’année qui suit la prise de cette décision. Étant donné qu’aucune de ces deux conditions n’est remplie en l’espèce, le gouverneur en conseil n’a pas compétence pour entendre la demande présentée en vertu du paragraphe 12(1) et il devrait lui être interdit de le faire.

                        L’existence d’une décision portant sur le même objet

[22]           Bell invoque l’arrêt Colombie-Britannique (Procureur général) c Canada (Procureur général), [1994] ACS no 35; [1994] 2 RCS 41, à l’appui de la thèse selon laquelle une demande présentée au gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 12(1) doit porter sur le même objet que la décision dont la modification est demandée. Comme la Cour suprême du Canada l’a dit au paragraphe 139 de cet arrêt :

Bien que le gouverneur en conseil puisse « à tout moment » modifier un arrêté, conformément à l’art. 64 de la Loi de 1987 sur les transports nationaux, et que le caractère vaste de la compétence visée à l’art. 64 ait été reconnu dans l’arrêt Inuit Tapirisat, [...] le pouvoir qui y est prévu ne peut être exercé que si la CCT ou l’ONT a pris une « ordonnance » ou un « arrêté » selon le cas.

 

 

[23]           Bell invoque également le passage suivant de l’arrêt Chambre de commerce de Jasper Park c Canada (Procureur général), [1983] 2 CF 98; [1982] ACF no 193, au paragraphe 9 :

Je suis d’accord avec l’avocat des appelantes que le gouverneur en conseil, en vertu du pouvoir qu’il tient du paragraphe 64(1), n’est pas autorisé, sous l’apparence de « modifications », à faire quelque chose de nature entièrement différente. Je conviens que sous le régime du paragraphe 64(1), lorsque le Cabinet modifie une ordonnance de la Commission, il est obligé de s’en tenir au même type ou genre d’ordonnance que celui qu’examinait la Commission. Je ne suis pas d’accord que le paragraphe 64(1) autorise le gouverneur en conseil à modifier n’importe quelle ordonnance et toutes les ordonnances de la Commission, quelle que soit la date où elles ont été rendues et sans distinction de leur objet. À mon avis, l’ordonnance R-22346 n’est pas une ordonnance concordante aux fins de l’ordre de suppression contenu à l’article 2 de l’annexe XV parce que, comme il a été exposé en détail ci-dessus, le service de trains de voyageurs qui faisait l’objet de l’ordonnance R-22346 n’est pas le même service de trains de voyageurs que celui dont la suppression a été ordonnée à l’article 2 de l’annexe XV.

 

 

[24]           Bell affirme que s’ils sont considérés ensemble, ces arrêts montrent que, pour que le gouverneur en conseil examine une décision en vertu du paragraphe 12(1), la demande doit porter sur le même objet que la décision à modifier.

[25]           En l’espèce, Bell soutient que l’objet de la demande est suffisamment différent de celui de la décision en question pour que cette demande ne soit pas assujettie à la compétence du gouverneur en conseil. Bell affirme que la décision 2010‑805 se rapportait uniquement au type de technologie qu’il faudrait utiliser dans le cadre de la mise en œuvre de l’expansion des services à large bande. Étant donné que, dans ses délibérations concernant la décision 2010-805, le CRTC n’a pas examiné la question de l’appel d’offres concurrentiel que Rogers cherche à faire inclure dans sa demande, l’objet de la demande et l’objet de la décision dont la modification est demandée sont différents. Bell fait remarquer que, dans ses décisions 2006‑9 et 2007‑15, le CRTC a examiné la question de l’appel d’offres concurrentiel et qu’il a rejeté ce processus et que, cela étant, le CRTC n’était pas saisi de cette question lors des audiences se rapportant à la décision 2010‑805.

Question soulevée d’une façon inappropriée lors des audiences

[26]           Bell fait également valoir que Rogers a soulevé d’une façon inappropriée la question de l’appel d’offres concurrentiel lors des audiences concernant la demande 2010‑805. En sa qualité de simple intervenante lors de l’audition de la demande que Bell avait présentée en vue de faire modifier la décision 2010‑637, qui a abouti à la prise de la décision 2010‑805, Rogers ne pouvait pas soulever, pour que le CRTC les examine, des questions nouvelles qui ne figuraient pas dans la demande initiale de Bell. Bell se fonde sur la remarque que la Cour suprême du Canada a faite dans le Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 RCS 445; [1992] ACS no 62, au paragraphe 76 :

Le statut d’intervenant est accordé lorsque notre Cour est d’avis que l’intervenant peut l’aider à trancher les principales questions qui lui sont présentées. Il n’est pas accordé pour permettre à l’intervenant de soulever des questions entièrement nouvelles, que les parties principales n’ont pas présentées.

 

 

Selon Bell, cela veut dire qu’un intervenant, dans une instance administrative, ne peut pas soulever de nouvelles questions devant le décideur.

 

[27]           Bell affirme également qu’il n’y a rien, dans la décision 2010‑805, qui donne à entendre que le CRTC voulait traiter du processus concurrentiel d’appel d’offres. Bell signale le paragraphe 23 de cette décision, qui est rédigé comme suit :

En ce qui a trait aux propositions en vue de permettre un appel à la concurrence afin de garantir l’utilisation de la technologie la moins coûteuse, le Conseil fait remarquer qu’il a rejeté l’idée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑50 [sic], puisqu’elle ajoutait des complications importantes, retardait la mise en œuvre du déploiement des services à large bande et entraînait un fardeau administratif et réglementaire important. Le Conseil estime que les motifs de rejet demeurent fondés.

 

Bell affirme que cette déclaration ne fait que réitérer une décision antérieure et qu’elle est assimilable à une lettre de politesse informant une partie d’une décision rendue antérieurement, ce qui démontre que le CRTC n’avait pas été saisi de la question de l’appel d’offres concurrentiel dans la décision 2010‑805. Puisque le CRTC n’était pas saisi de la question de l’appel d’offres concurrentiel dans la décision 2010‑805, la demande visant à faire modifier cette décision en vue d’y inclure cette question ne porte pas sur le même objet. Étant donné que l’objet n’est pas le même, la demande ne remplit pas une condition essentielle à l’exercice du pouvoir conféré au gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 12(1).

 

                        Modification de la décision dans un délai d’un an

[28]           Bell soutient en outre que la demande se rapporte quant au fond aux décisions 2006‑9 et 2007‑15 parce qu’elle a pour objet la question de l’appel d’offres concurrentiel, qui était également l’objet de ces décisions. Cela veut dire que la demande devrait être assujettie aux mêmes délais de prescription que ces décisions. Or, le délai de prescription applicable à la demande présentée au gouverneur en conseil aux fins de la modification de la décision 2007‑15 a pris fin le 12 juin 2007, et celui qui s’applique à la décision 2006‑9 a expiré le 17 mai 2006, de sorte que la demande, en l’espèce, a été présentée bien après l’expiration du délai imparti. Or, l’expiration d’un délai de prescription entraîne une perte de compétence.

 

[29]           Bell fait également valoir que le gouverneur en conseil ne possède pas le pouvoir discrétionnaire voulu pour proroger le délai de prescription, comme le montre l’historique législatif du paragraphe 12(1). La disposition antérieure, soit le paragraphe 64(1) de la Loi sur les transports nationaux, L.R.C. 1985, ch. N‑20, permettait au gouverneur en conseil de modifier une décision du CRTC en tout temps, alors que le paragraphe 12(1) actuel limite le délai de présentation de la demande à quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de la décision, le délai de prescription final étant d’un an. Étant donné qu’il existe une présomption selon laquelle le législateur veut que toute modification législative soit significative, le fait qu’un délai illimité est remplacé par un délai d’un an doit vouloir dire que le législateur voulait limiter la compétence du gouverneur en conseil, lorsqu’il s’agit de modifier les décisions du CRTC.

 

[30]           Bell fait également valoir que la décision Ontario Hydro c Cuddy International Corp., [1990] OJ No 676, établit le principe selon lequel, lorsqu’une décision ultérieure rendue par un office clarifie une décision antérieure dont l’objet est le même, tout en n’étant pas une décision entièrement nouvelle, le délai de prescription pour interjeter appel commence à courir à la date de la décision antérieure. Puisque la demande est en fait axée sur les décisions 2006‑9 et 2007‑15, le délai de prescription doit commencer à courir à ces dates antérieures.

 

[31]           Étant donné que la demande de modification de la décision du CRTC a été présentée en dehors du délai imparti, le gouverneur en conseil n’a pas compétence pour l’examiner et la Cour doit lui interdire de le faire.

 

L’avis publié dans la Gazette devrait être annulé

[32]           Bell affirme également qu’en plus d’interdire au gouverneur en conseil d’entendre la demande et de la trancher, la Cour devrait annuler l’avis qui a été publié dans la Gazette du Canada. Étant donné que le gouverneur en conseil n’a pas compétence pour entendre la demande, l’avis devrait être annulé. Bell fait remarquer que les tribunaux ont régulièrement annulé, avec raison, des avis portant sur des audiences considérées comme ne relevant pas de la compétence du décideur. En outre, le paragraphe 12(4) de la Loi, en vertu duquel le ministre a publié l’avis dans la Gazette, est une disposition à caractère obligatoire, mais Bell soutient que le législateur voulait que le ministre agisse conformément à la compétence conférée au gouverneur en conseil, étant donné que le ministre fait partie du Cabinet. Selon Bell, le législateur ne peut pas avoir voulu que le ministre publie des avis portant sur des audiences ne relevant pas de la compétence du gouverneur en conseil. Cela étant, l’avis devrait être annulé.

La défenderesse Rogers

[33]           Rogers affirme que la Cour devrait rejeter l’argument de Bell selon lequel la demande vise en fait à faire examiner par le gouverneur en conseil une question qui avait été traitée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15. Rogers invoque le paragraphe 12(1) de la Loi pour soutenir que les seules conditions prévues par la loi qui doivent être remplies pour que le gouverneur en conseil ait compétence sont les suivantes : le CRTC doit avoir rendu une décision et la réparation doit être demandée dans le délai de quatre-vingt-dix jours établi par la loi.

 

[34]           Rogers affirme que sa demande vise à faire modifier la décision 2010‑805 telle qu’elle se rapporte à la détermination de la disponibilité de services sans fil à large bande, à l’effet de la technologie HSPA+ sur la concurrence, aux répercussions du processus concurrentiel d’appel d’offres sur l’utilisation des fonds des comptes de report, ainsi qu’au refus du CRTC d’établir un processus concurrentiel d’appel d’offres aux fins de l’affectation de ces fonds. Selon Rogers, toutes ces questions ont été soulevées par les parties intéressées lors des audiences qui ont abouti à la décision 2010‑805 et le CRTC a tranché chacune de ces questions. Cela étant, la demande de modification a été présentée à juste titre et relève de la compétence du gouverneur en conseil.

 

[35]           Rogers affirme que le simple fait que des parties autres que Bell ont soulevé la question du processus concurrentiel d’appel d’offres lors des audiences ne veut pas pour autant dire que cela ne faisait pas partie de l’objet de la décision 2010-805. En outre, le CRTC a examiné la question de la mise en œuvre d’un processus concurrentiel d’appel d’offres et a rejeté cette idée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15, mais ces décisions n’empêchent pas l’examen du processus dans la décision 2010‑805. Le fait que le CRTC aurait pu établir un processus concurrentiel d’appel d’offres dans la décision 2010‑805, mais qu’il ne l’a pas fait, est une question qui relève de la compétence du gouverneur en conseil. Rogers affirme en outre que le CRTC n’est pas lié par ses propres précédents et ne peut pas limiter le pouvoir discrétionnaire qu’il possède de trancher chaque affaire dont il est saisi en se fondant sur une pleine appréciation des faits et du droit. Le CRTC a décidé de ne pas mettre en oeuvre un processus concurrentiel d’appel d’offres dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15, mais cela ne veut pas dire qu’il n’aurait pas pu le faire dans la décision 2010‑805.

 

[36]           Rogers fait également remarquer que Bell a qualifié de nouvelle demande sa propre demande dans la décision 2010‑805 ou, subsidiairement, qu’elle la considérait comme une demande en vue de l’examen et de la modification de la décision 2010‑637. En outre, lors des audiences, plusieurs entreprises, dont Rogers, se sont opposées à la demande visée par la décision 2010‑805 pour plusieurs motifs, et notamment parce que la proposition de Bell était incompatible avec les Instructions concernant la politique données par le gouverneur en conseil en 2006. Étant donné que la question dont le CRTC était saisi dans la décision 2010‑805 était de savoir si la demande de Bell satisfaisait aux lignes directrices énoncées aux fins de l’affectation des fonds des comptes de report conformément aux objectifs de la politique de télécommunication, le gouverneur en conseil a compétence pour entendre et trancher une demande fondée sur ces motifs. Tel est en fait l’objet de la demande présentée par Rogers et le gouverneur en conseil a compétence pour entendre et trancher l’affaire.

 

                        Le CRTC n’a pas pleinement examiné la question du processus concurrentiel d’appel d’offres

[37]           Rogers conteste l’argument de Bell selon lequel le CRTC a pleinement examiné la question du processus concurrentiel d’appel d’offres dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15. Rogers cite l’ouvrage Practice and Procedure before Administrative Tribunals, de Macauley et Sprague :

                        [traduction]

[…] la notion de stare decisis ne s’applique pas dans le domaine administratif. Non seulement les offices ont la faculté de ne pas considérer leurs décisions antérieures comme des précédents, mais ils ont aussi l’obligation absolue de ne pas le faire.

 

 

Rogers soutient que, bien que le CRTC ait antérieurement examiné, dans certains contextes et dans certaines décisions, la question du processus concurrentiel d’appel d’offres et qu’il ait rejeté cette idée, il n’était pas tenu de suivre ces décisions dans la décision 2010‑805. Le CRTC était autorisé à examiner la question de savoir si le processus concurrentiel d’appel d’offres devait être mis en œuvre dans la décision 2010‑805, et il l’a fait.

 

[38]           Rogers fait remarquer que selon l’arrêt Hopedale Developments c Oakville (Town) (1965), 47 DLR (2d) 482 (CA Ont), les tribunaux administratifs peuvent examiner, dans les affaires dont ils sont saisis, les principes qu’ils ont établis dans leurs décisions antérieures. Toutefois, ils doivent procéder à un examen complet de chaque nouvelle affaire. Par conséquent, bien que le CRTC ait antérieurement examiné la question du processus concurrentiel d’appel d’offres et qu’il ait rejeté cette idée, rien ne l’empêchait d’examiner la question dans la décision 2010-805.

[39]           Rogers fait ensuite valoir que les tribunaux administratifs tels que le CRTC doivent faire preuve de la souplesse voulue pour examiner chaque décision à la lumière de nouveaux faits. Dans la décision 2010‑637, le CRTC ne disposait pas de tous les faits qui étaient pertinents lorsqu’il s’agissait de décider si la technologie sans fil HSPA+ allait satisfaire aux critères établis, et notamment d’examiner son effet sur la concurrence. Même si le CRTC avait voulu décider une fois pour toutes, dans la décision 2010‑637, que le processus concurrentiel d’appel d’offres ne serait pas employé, il n’aurait pas pu le faire puisqu’il lui était impossible d’avoir à sa disposition tous les faits nécessaires en vue de trancher la question.

                        Le CRTC a été à juste titre saisi de la question du processus concurrentiel d’appel d’offres

[40]           Bell a soutenu qu’il ne convient pas pour les intervenants de soulever de nouvelles questions dans une instance, mais Rogers affirme que la jurisprudence citée par Bell à l’appui de cette thèse ne s’applique pas aux instances administratives. Rogers affirme en outre que, même si cette jurisprudence s’appliquait, elle était, ainsi que les autres entreprises de télécommunications, une partie intéressée dans l’instance qui a donné lieu à la décision 2010‑805 et qu’elle pouvait à juste titre soumettre au CRTC des questions pour examen.

[41]           Rogers affirme qu’il n’y a rien dans les règles du CRTC, passées ou présentes, qui l’empêcherait ou qui empêcherait un autre intervenant de soumettre des questions au CRTC pour examen. Contrairement à l’argument invoqué par Bell, à savoir que pour qu’une nouvelle question puisse être soulevée, il faudrait modifier les actes de procédure, selon les articles 13 et 27 des anciennes Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications, Rogers soutient que ces dispositions confèrent simplement au CRTC le pouvoir discrétionnaire voulu pour exiger la modification des actes de procédure lorsqu’il est nécessaire de le faire pour qu’une question puisse être complètement réglée. Étant donné que ces règles sont discrétionnaires, on ne peut pas dire que le CRTC ne voulait pas examiner la question de l’appel d’offres concurrentiel simplement parce qu’il n’a pas exigé la modification des actes de procédure. En outre, les parties autres que Bell ont soulevé les questions de neutralité en matière de concurrence et d’appel d’offres concurrentiel dans leurs observations.

[42]           Rogers fait en outre remarquer qu’en vertu de l’article 60 de la Loi, les pouvoirs du CRTC de modifier une ordonnance sont étendus. Étant donné que le CRTC aurait pu ordonner un processus concurrentiel d’appel d’offres en tant que modification apportée à la décision 2010‑637, et qu’il ne l’a pas fait, il s’agit d’une décision qui est à juste titre susceptible d’examen sur demande au gouverneur en conseil.

Le CRTC voulait rendre une nouvelle décision concernant le processus concurrentiel d’appel d’offres

[43]           Rogers affirme qu’en disant, au paragraphe 23 de la décision 2010‑805, que « les motifs de rejet demeurent fondés », le CRTC a tranché à nouveau la question de l’appel d’offres concurrentiel et que le gouverneur en conseil peut examiner la question. Rogers se fonde sur la décision que le juge Simon Noël a rendue dans l’affaire Dumbrava c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1238; (1995) 101 FTR 230, où le juge a dit ce qui suit au paragraphe 15 :

Chaque fois qu’une autorité décisionnaire qui y est habilitée accepte de revoir une décision à la lumière de faits nouveaux, il en résultera une nouvelle décision, que la décision initiale soit changée, modifiée ou maintenue [...] La question qui se pose est de savoir s’il y a nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, et il en sera toujours ainsi lorsque l’autorité décisionnaire accepte de revoir sa décision à la lumière de faits et d’arguments dont elle n’avait pas été saisie au moment de la décision initiale.

 

 

Étant donné qu’en l’espèce, le CRTC examinait la question de savoir si la décision 2010‑637 devait être modifiée compte tenu de la disponibilité de la nouvelle technologie HSPA+ et de ses répercussions sur la concurrence, le CRTC exerçait à nouveau son pouvoir discrétionnaire dans la décision 2010‑805, qui est susceptible d’examen par le gouverneur en conseil.

 

 

[44]           Rogers soutient également que les mots·« motifs » et « demeurent » au paragraphe 23 de la décision 2010‑805 démontrent qu’il s’agit d’un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire. Le mot « demeurent » se rapporte au fait que le CRTC rend maintenant une nouvelle décision. Le mot « motifs » montre que le CRTC ne reformule pas simplement ses décisions antérieures, mais qu’il adopte dans la décision 2010‑805 les motifs d’une décision antérieure.

Les défendeurs – Le ministre et le procureur général du Canada (le PGC)

[45]           Le ministre et le PGC (le Canada) ont soumis des observations conjointes qui étayent celles que Rogers a soumises et qui les complètent. Bref, le Canada dit en premier lieu que la publication d’un avis de demande en vertu du paragraphe 12(4) de la Loi est obligatoire et n’influe pas sur des droits ou ne porte pas sur des questions de fond. En second lieu, la marche à suivre consiste pour la Cour à refuser d’exercer son pouvoir en vue d’interdire au gouverneur en conseil d’examiner la demande parce que le gouverneur en conseil est autorisé à trancher des questions de compétence et qu’il serait prématuré pour la Cour d’intervenir à ce stade. De plus, étant donné que l’interdiction est une réparation exceptionnelle qui ne devrait être accordée que lorsque le défaut de compétence est évident, et puisque ce défaut n’est pas évident en l’espèce, l’interdiction ne devrait pas être ordonnée.

 

[46]           Selon le Canada, il existe trois voies de recours contre les décisions du CRTC : (i) le CRTC est autorisé, selon l’économie de la Loi, à réexaminer toute décision qu’il a rendue, sur demande d’une partie ou de sa propre initiative; (iii) une décision du CRTC peut également faire directement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale; (iii) une demande peut être déposée pour que le gouverneur en conseil modifie, annule ou renvoie la décision pour réexamen. En outre, sur consultation des provinces, le ministre peut recommander au CRTC la façon dont celui‑ci devrait exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

La publication d’un avis dans la Gazette est obligatoire

 

[47]           Compte tenu du libellé clair du paragraphe 12(4), le ministre ne possède pas le pouvoir discrétionnaire voulu pour décider si un avis de demande doit être publié une fois que les conditions prévues par la loi ont été remplies. Étant donné que la décision de publier est obligatoire et ne comporte pas l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, aucun certiorari ne peut être accordé en vue d’annuler cette décision.

[48]           Le Canada fait remarquer qu’un certiorari peut être accordé en vue d’annuler des décisions lorsqu’un décideur public a outrepassé ses pouvoirs. Dans l’arrêt Martineau c Institution de Matsqui, [1980] 1 RCS 602, à la page 628, le juge Dickson a dit ce qui suit :

Le certiorari peut servir de recours général pour la surveillance de l’appareil décisionnel gouvernemental. Tout organisme public qui a le pouvoir de trancher une question qui touche les droits, intérêts, biens, privilèges ou liberté d’une personne peut en faire l’objet. La vaste portée de ce recours se fonde sur l’obligation générale d’agir avec équité qui incombe à toutes les instances décisionnelles publiques.

 

 

Étant donné qu’en l’espèce, la décision de publier l’avis n’a aucun effet sur les droits de Bell ou de quelque autre personne, aucun certiorari ne peut être accordé en vue d’annuler l’avis. La publication de l’avis n’oblige pas le ministre ou le gouverneur en conseil à faire une recommandation ou encore à examiner et à trancher la demande; l’avis ne vise qu’à faire savoir que le ministre a reçu la demande et à donner la possibilité aux intéressés de soumettre des observations au sujet de la demande. Vu qu’aucune décision n’a été prise à ce stade, il ne convient pas d’annuler l’avis.

                        L’avis ne lie pas le ministre ou le gouverneur en conseil

[49]           Le Canada fait valoir qu’étant donné que la simple publication de l’avis dans la Gazette n’oblige pas le ministre ou le gouverneur en conseil à prendre une mesure ne relevant pas de sa compétence, un défaut de compétence justifiant la délivrance d’une ordonnance d’interdiction n’est pas évident. Le Canada fait remarquer que la publication de l’avis informe simplement le public de la réception de la demande par le ministre, indique l’endroit où la demande peut être consultée, et donne aux parties intéressées la possibilité de soumettre au gouverneur en conseil des observations au sujet de la demande. La publication de l’avis n’oblige pas le gouverneur en conseil à examiner ou à trancher la demande; le gouverneur en conseil est encore en mesure à ce stade de rejeter la demande pour le motif qu’elle ne relève pas de sa compétence, il peut entendre la demande et refuser de modifier la décision 2010‑805, ou il peut entendre la demande et modifier cette décision.

[50]           Le Canada fait également remarquer que les rôles du ministre et du gouverneur en conseil sont différents. Le ministre est membre du Cabinet et, en tant que tel, il participera à l’examen de la demande, mais les rôles de ces deux entités sont distincts en vertu du paragraphe 12(1). Le rôle du ministre lorsqu’il s’agit de publier l’avis est purement administratif, alors que le rôle du gouverneur en conseil consiste à délibérer. Cela étant, la compétence que possède le ministre de publier l’avis est distincte de la compétence que possède le gouverneur en conseil d’entendre et de trancher la demande. Étant donné que le ministre est tenu de publier l’avis en vertu du paragraphe 12(4), indépendamment de la compétence que possède le gouverneur en conseil d’entendre la demande, l’avis doit être maintenu.

Il est prématuré d’accorder un certiorari lorsque la mesure à annuler est de nature interlocutoire ou n’influe pas sur certains droits

 

[51]           Le Canada fait valoir que pour être susceptible d’examen par la Cour, une mesure doit influer réellement sur les droits des parties concernées, à défaut de quoi, aucun certiorari ne doit être accordé. En l’espèce, la publication de l’avis n’influe pas sur les droits de Bell; Bell peut soumettre au gouverneur en conseil des observations au sujet de la demande, y compris des observations portant sur la compétence. En outre, selon une présomption fondamentale, les tribunaux ne devraient pas fractionner des processus administratifs en cours en accordant des brefs de prérogative, en particulier lorsqu’il est peut-être inutile d’accorder un bref. En l’espèce, le gouverneur en conseil pourrait refuser d’entendre la demande puisqu’il a décidé qu’il n’a pas compétence à cet égard. Il est prématuré à ce stade de demander un certiorari et cela ne sert qu’à rendre inutilement le processus encore plus complexe.

 

[52]           Le Canada se fonde sur les remarques que la Cour d’appel fédérale a faites sur ce point aux paragraphes 29 et 30 de l’arrêt Krever, précité :

En principe, donc, j’estime qu’il est possible de demander l’annulation de préavis qu’un commissaire décide de donner en vertu de l’article 13. En pratique, toutefois, j’estime que les tribunaux doivent faire preuve de retenue extrême avant d’intervenir à ce stade. Les préavis ne font point état de l’opinion du commissaire; ils ne font état que de la possibilité que ce dernier émette l’opinion qu’une faute a été commise. Les allégations ne sont pas (ou ne devraient pas être) formulées dans un langage juridique et ne doivent pas être scrutées à la loupe. Lorsqu’un commissaire décide de regrouper plusieurs allégations dans un même préavis, ce dernier peut paraître plus accablant que ne le sera le rapport final dans lequel les conclusions de faute, s’il en est, seront vraisemblablement dispersées. Puisque, par définition, un préavis énonce des allégations possibles de faute, il est inévitable qu’il dépeigne défavorablement la conduite de son destinataire et que ce dernier croie sa réputation ternie du seul fait qu’un préavis lui a été envoyé. Autant de raisons, donc, pour la Cour de situer le préavis dans son contexte et de ne pas en dramatiser la portée.

 

Les tribunaux ne devraient intervenir que là où le contenu du préavis suppose un excès de compétence manifeste ou révèle un manquement flagrant aux règles de justice naturelle [...]

 

 

La publication d’un avis sert une fin publique importante en permettant aux parties intéressées de soumettre des observations au gouverneur en conseil, mais elle influe d’autre part fort peu, en pratique, sur les droits de Bell et l’avis ne devrait donc pas être annulé. En outre, étant donné que l’annulation de l’avis n’empêcherait pas le ministre de faire une recommandation au gouverneur en conseil en vertu de l’article 13 et n’empêcherait pas le gouverneur en conseil d’entendre et de trancher la demande, aucun certiorari ne devrait être accordé puisque l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire ne rimerait à rien.

 

Il n’existe aucun motif impérieux pour la Cour d’intervenir en vue d’interdire au gouverneur en conseil d’examiner la demande

 

[53]           Le Canada soutient que Bell n’a pas satisfait aux exigences justifiant l’octroi d’une ordonnance d’interdiction, puisqu’il n’est pas clair qu’en entendant et en tranchant la demande, le gouverneur en conseil excédera sa compétence. Étant donné que la demande se rapporte clairement à des questions qui ont été tranchées dans la décision 2010‑805, que le gouverneur en conseil peut entendre et régler des questions de compétence, et que les conditions prévues par la loi aux fins de l’audition d’une demande sont remplies, il n’existe aucun motif impérieux pour la Cour d’interdire au gouverneur en conseil d’entendre la demande.

Il n’existe aucun défaut de compétence évident

[54]           Le Canada fait également remarquer que le paragraphe 12(1) de la Loi confère au gouverneur en conseil un vaste pouvoir lorsqu’il s’agit de modifier les décisions du CRTC. En outre, seules les conditions prévues par la loi, soit l’existence d’une décision du CRTC qui est encore valable, et l’observation du délai de prescription, limitent ce pouvoir. Ces conditions sont remplies, de sorte que le gouverneur en conseil a compétence pour examiner et trancher la demande. Le Canada fait également remarquer que l’interdiction est une mesure draconienne qui ne doit être utilisée qu’avec prudence; cette réparation vise à empêcher les organismes administratifs d’outrepasser leur compétence et est utile à cette fin, mais elle ne devrait être accordée que lorsque le défaut de compétence est évident. Dans l’arrêt Krever, précité, la Cour d’appel fédérale a cité, au paragraphe 27, l’ouvrage Judicial Review of Administrative Action, de Smith, Woolf et Jowell : [traduction] « Si [l’absence de compétence] n’est pas évidente, la demande doit attendre jusqu’à ce que le tribunal ait effectivement excédé sa compétence […] »

 

La demande se rapporte à une conclusion figurant dans la décision 2010‑805 du CRTC

 

[55]           Le Canada affirme que la seule chose qui importe lorsqu’il s’agit de décider si une demande se rapporte à une conclusion du CRTC est de savoir si la réparation recherchée dans la demande se rapporte à une ordonnance du CRTC qui est toujours valable et pertinente. En l’espèce, la réparation sollicitée dans la demande, soit la mise en œuvre d’un processus concurrentiel d’appel d’offres, résulte du rejet exprès de ce processus dans la décision 2010‑805. Lorsque le CRTC a dit que « les motifs de rejet demeurent fondés », en ce qui concerne le rejet antérieur du processus concurrentiel d’appel d’offres, il se prononçait à nouveau sur la question.

[56]           Le Canada affirme également que Bell donne à la décision 2010‑805 une portée trop stricte. Bell a soutenu que cette décision se rapportait uniquement au type de technologie à utiliser aux fins de l’expansion des services à large bande dans les collectivités rurales et éloignées. Toutefois, la décision 2010‑805 portait non seulement sur la technologie à utiliser, mais aussi sur l’affectation des fonds du compte de report; puisque la demande vise à réduire le montant que Bell est autorisée à utiliser sur les fonds du compte de report et à assurer la mise en œuvre d’un processus concurrentiel d’appel d’offres aux fins de l’affectation des fonds du compte de report, la demande porte sur le même objet que la décision 2010‑805. Cela étant, le gouverneur en conseil a compétence pour examiner la demande.

 

Le Conseil était autorisé à examiner la question du processus concurrentiel d’appel d’offres dans la décision 2010-805

 

 

[57]           Dans la décision 2010‑805, il était loisible au CRTC d’établir un processus concurrentiel d’appel d’offres en vue d’allouer les fonds du compte de report. Comme les articles 60 et 62 de la Loi l’indiquent, le pouvoir du CRTC est étendu lorsqu’il s’agit de rendre ou de modifier une décision. En outre, il existe peu de restrictions à l’égard du pouvoir de tarification du CRTC en vertu des articles 24, 25 et 32 de la Loi, ce qui inclut, compte tenu de l’arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans l’affaire Bell Aliant, précitée, le pouvoir d’allouer les fonds du compte de report. Cela étant, il n’était pas nécessaire pour Rogers de présenter une demande distincte en vue de faire modifier la décision 2010‑637 pour qu’un processus concurrentiel d’appel d’offres y soit inclus. En outre, pour être en mesure de trancher la question du processus concurrentiel d’appel d’offres, le CRTC n’était pas tenu d’exiger que les parties modifient leurs actes de procédure dans la demande de modification de la décision 2010‑637.

[58]           Le Canada affirme que lorsque les lignes directrices du CRTC, en ce qui concerne l’examen, disent que pour faire modifier une décision, une partie intéressée doit « démontrer qu’il existe un doute réel quant au bien-fondé de la décision initiale », le fait que le CRTC n’a pas modifié la décision 2010‑637 dans la décision 2010‑805 démontre qu’il ne croyait pas qu’il avait été satisfait aux exigences préliminaires à remplir pour que sa décision antérieure puisse être modifiée.

Rien ne permet de croire que le gouverneur en conseil excédera sa compétence

[59]           Le Canada fait remarquer que l’avis publié dans la Gazette n’indique pas que le gouverneur en conseil examinera ou tranchera la demande et, comme il en a ci‑dessus été fait mention, le gouverneur en conseil n’est pas tenu d’examiner ou de trancher la demande. Le gouverneur en conseil excéderait peut-être sa compétence en entendant la demande, mais cela n’est pas certain. Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Singh (Re), [1989] 1 CF 430 (CAF), [1988] ACF no 414, à la page 438 :

Ce qui est important, c’est que la Cour ne devrait pas intervenir pour empêcher un organisme comme la Commission de s’acquitter de l’obligation que la Loi met à sa charge de faire enquête sur des questions qui peuvent vraisemblablement relever de sa compétence, à moins que la Cour puisse dire avec assurance que ces questions ne sont pas de la compétence de la Commission.

 

En l’espèce, la Cour ne peut pas dire avec assurance que les questions à examiner ne relèvent pas de la compétence du gouverneur en conseil, de sorte qu’elle ne doit pas intervenir. En outre, étant donné que le gouverneur en conseil est bien placé pour entendre et trancher les questions relatives à la compétence et qu’il est en mesure de le faire, la Cour ne doit pas intervenir à ce stade.

 

Le gouverneur en conseil devrait être autorisé à se prononcer sur le caractère suffisant de la demande avant qu’un contrôle judiciaire soit effectué

 

[60]           Étant donné que Bell n’a pas épuisé tous les recours administratifs dont elle dispose, il est prématuré pour elle de demander le contrôle judiciaire à ce stade. Le Canada fait remarquer que Bell peut soumettre des observations au gouverneur en conseil au sujet de la demande. Le Canada affirme que, cela étant, la présente demande de contrôle judiciaire est une contestation incidente d’une réparation prévue par la Loi. Le Canada invoque l’arrêt C.B. Powell Ltd. c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, paragraphes 30 et 31, à l’appui de la thèse selon laquelle il faut épuiser tous les recours administratifs avant de demander le contrôle judiciaire :

En principe, une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif. L’importance de ce principe en droit administratif canadien est bien illustrée par le grand nombre d’arrêts rendus par la Cour suprême du Canada sur ce point [...]

 

La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe: la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée: à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

 

Étant donné que le gouverneur en conseil a compétence pour entendre les questions de compétence et pour décider de ne pas entendre la demande s’il n’a pas compétence, Bell dispose d’un recours administratif. Puisqu’il reste un recours administratif adéquat, il n’existe aucun motif impérieux pour la Cour d’intervenir à ce stade.

 

ANALYSE

 

[61]           Les parties ont présenté à la Cour deux interprétations, ou caractérisations, antithétiques de la décision 2010‑805. L’interprétation qu’il convient de donner est importante parce que, selon Bell, la demande n’est pas fondée puisqu’elle vise à faire modifier la décision 2010‑805, dont l’objet était tout à fait différent, et qu’il s’agit au fond d’une tentative pour faire modifier deux décisions antérieures (les décisions 2006‑9 et 2007‑15) après l’expiration du délai de prescription d’un an prévu au paragraphe 12(1) de la Loi.

 

[62]           Bell affirme que la décision 2010‑805, qui est le soi-disant objet de la demande, découlait de la demande qu’elle avait présentée en vue de faire modifier une décision antérieure du CRTC lui ordonnant d’utiliser les fonds du compte de report en vue d’étendre aux collectivités rurales les services filaires à large bande. Bell affirme avoir demandé au CRTC de modifier cette décision parce qu’elle voulait utiliser la technologie sans fil plutôt que la technologie filaire aux fins de l’expansion des services à large bande.

 

[63]           Bell se plaint que Rogers est intervenue et a soulevé une toute nouvelle question, malgré l’objection qu’elle avait soulevée : à savoir si le CRTC devait établir un processus concurrentiel d’appel d’offres afin de déterminer si Rogers pouvait procéder à l’expansion des services à large bande à la place de Bell. Rogers avait en vain soulevé cette question plusieurs années auparavant dans le cadre des décisions 2006‑9 et 2007‑15, lorsque sa demande avait été rejetée par le gouverneur en conseil ainsi que par le CRTC. Bell signale que Rogers aurait pu interjeter appel, qu’elle aurait pu présenter une demande ou qu’elle aurait pu solliciter la révision des décisions 2006‑9 et 2007‑15 au moment approprié, mais qu’elle ne l’a jamais fait.

 

[64]           Selon Bell, la demande est en fait axée sur la modification des décisions 2006‑9 et 2007‑15 et la seule réparation sollicitée dans la demande est le recours à un processus concurrentiel d’appel d’offres que le CRTC a sommairement rejeté dans un seul paragraphe de la décision 2010‑805 pour le motif qu’il avait déjà été répondu à la question dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15.

 

[65]           Compte tenu de cette caractérisation, Bell demande à la Cour de conclure que la demande ne relève pas de la compétence du gouverneur en conseil parce qu’elle porte sur un objet différent (le processus concurrentiel d’appel d’offres) plutôt que sur l’objet de la décision 2010‑805 (l’utilisation par Bell des fonds de son compte de report pour la technologie sans fil). Bell affirme qu’il s’agit plutôt d’une tentative de la part de Rogers pour éviter le délai de prescription final d’un an prévu au paragraphe 12(1) de la Loi aux fins de la modification des décisions 2006‑9 et 2007‑15.

 

[66]           D’autre part, le Canada et Rogers disent que la demande se rapporte clairement à l’objet de la décision 2010‑805 et qu’il ne s’agit pas d’une tentative pour aborder la question du processus concurrentiel d’appel d’offres qui aurait dû être traitée par quelque autre moyen. Par conséquent, le gouverneur en conseil a compétence pour examiner la demande, y compris la question du processus concurrentiel d’appel d’offres.

 

[67]           Bell a en particulier attiré l’attention de la Cour sur le paragraphe 23 de la décision 2010‑805 :

En ce qui a trait aux propositions en vue de permettre un appel à la concurrence afin de garantir l’utilisation de la technologie la moins coûteuse, le Conseil fait remarquer qu’il a rejeté l’idée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑50, puisqu’elle ajoutait des complications importantes, retardait la mise en œuvre du déploiement des services à large bande et entraînait un fardeau administratif et réglementaire important. Le Conseil estime que les motifs de rejet demeurent fondés.

 

[68]           Bell affirme que le CRTC ne rend pas ici une nouvelle décision au sujet du processus concurrentiel d’appel d’offres; le CRTC attire plutôt simplement l’attention des parties sur le fait que la question du processus concurrentiel d’appel d’offres a déjà été traitée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15. Bell affirme que la décision 2010‑805 ne porte donc pas sur le processus concurrentiel d’appel d’offres et qu’en demandant au gouverneur en conseil d’examiner la question du processus concurrentiel d’appel d’offres, Rogers tente encore une fois de soulever une question qui a déjà été traitée dans des décisions antérieures et qui ne relève pas de la compétence du gouverneur en conseil parce que son objet est différent de celui de la décision 2010-805.

 

[69]           D’autre part, Rogers et le Canada disent que, dans la décision 2010‑805, le CRTC rend de fait une décision au sujet du processus concurrentiel d’appel d’offres. Il importe peu que la question ait peut-être déjà été soulevée et traitée parce que le CRTC n’est pas lié par ses décisions antérieures et que, de toute façon, le CRTC n’a pas traité la question dans le contexte de la proposition de Bell d’offrir des services sans fil HSPA+.

 

[70]           Les deux parties ont indiqué que le paragraphe 23 de la décision 2010‑805 doit être considéré et interprété compte tenu du contexte global d’une série de décisions et des débats, qui remontent à la décision 2002‑34, lorsque le CRTC a créé le cadre de réglementation des prix applicables aux services de télécommunications offerts par les ESLT, y compris Bell.

 

[71]           La Cour a maintenant examiné les interprétations contradictoires de la décision 2010‑805 préconisées par les parties. En particulier, elle s’est arrêtée à la décision 2010‑805 elle-même et à ce que cette décision révèle au sujet de l’intention du CRTC lorsqu’il parlait, dans cette décision, du processus concurrentiel d’appel d’offres, ainsi qu’à ce que le dossier révèle au sujet du contexte dans son ensemble et de la série de décisions qui ont mené à la décision 2010‑805, et à ce que cela nous apprend au sujet de la question de savoir si le CRTC rendait une nouvelle décision au sujet du processus concurrentiel d’appel d’offres, ou s’il attirait simplement l’attention des parties sur le fait que la question avait déjà été traitée dans des décisions antérieures.

 

La décision 2010-805

 

[72]           Au départ, il est reconnu, au paragraphe 23 de la décision 2010-805, que le CRTC a reçu, dans le cadre des discussions entourant cette décision, des « propositions en vue de permettre un appel à la concurrence afin de garantir l’utilisation de la technologie la moins coûteuse ». Ces propositions sont résumées au paragraphe 17 de la décision 2010‑805 :

Barrett, RCI et Vidéotron ont indiqué que la proposition révisée ne répond pas à certains autres principes énoncés dans les décisions sur les comptes de report puisqu’elle ne fait pas appel à la technologie la moins coûteuse pour le déploiement des services à large bande. Ces parties ont soutenu que d’autres fournisseurs de services à large bande pourraient offrir un service comparable à un coût nettement moindre que Bell Canada. Elles ont d’ailleurs signalé que si le Conseil approuvait la proposition révisée, il devrait lancer un appel à la concurrence pour vérifier si d’autres compagnies ne seraient pas en mesure de fournir le service HSPA+ à meilleur coût.

 

[73]           Le paragraphe 17 figure dans la section de la décision 2010‑805 qui porte sur la question suivante :

La proposition de Bell Canada d’utiliser la technologie d’accès sans fil à large bande HSPA+ est-elle conforme aux critères que le Conseil a fixés pour justifier l’utilisation des fonds afin d’étendre les services à large bande aux régions rurales et éloignées?

 

 

[74]           Il ressort du paragraphe 17 de la décision 2010‑805, dans le contexte de la demande de Bell (qui était une demande visant à faire modifier la décision 2010‑637 en autorisant entre autres les entreprises Bell à utiliser la technologie sans fil à large bande HSPA+ plutôt que la technologie filaire LAN afin de fournir les services à large bande aux collectivités antérieurement approuvées par le Conseil), que les parties qui se sont opposées à la demande que Bell avait présentée en vue de faire modifier la décision 2010‑637 estimaient qu’une telle modification ne serait pas conforme aux critères établis par le CRTC aux fins de l’utilisation des fonds du compte de report et que, cela étant, si le CRTC faisait droit à la demande de modification, il devrait examiner le processus concurrentiel d’appel d’offres « pour vérifier si d’autres compagnies ne seraient pas en mesure de fournir le service HSPA+ à meilleur coût ».

 

[75]           En d’autres termes, à première vue, et lorsque l’ensemble de la décision 2010‑805 est pris en compte, il me semble que le CRTC traite une demande que Bell a présentée en vue de faire modifier une décision antérieure (et qu’il rend donc une nouvelle décision au sujet de l’utilisation des fonds du compte de report) dans le cadre de laquelle on demandait au CRTC de déterminer si les modifications étaient conformes aux critères qu’il avait lui-même antérieurement établis et si, dans le cas où le CRTC était disposé à accueillir la nouvelle proposition ou la proposition révisée de Bell, il ne devait pas également permettre un processus concurrentiel d’appel d’offres pour vérifier si d’autres compagnies ne seraient pas en mesure de fournir le service HSPA+ à meilleur coût.

 

[76]           Dans la décision 2010‑805, le CRTC signale qu’il a déjà examiné la question du processus concurrentiel d’appel d’offres dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15 et qu’il a rejeté cette idée. Cependant, les décisions 2006‑9 et 2007‑15 n’ont pas été rendues dans un contexte où l’on demandait au CRTC d’examiner une demande de Bell en vue de l’utilisation de la technologie sans fil HSPA+.

 

[77]           Par conséquent, dans le contexte de la décision 2010‑805, je ne puis interpréter la remarque que le CRTC a faite au paragraphe 23, à savoir qu’« il a[vait] rejeté l’idée [de l’appel concurrentiel d’offres] dans les décisions 2006‑9 et 2007‑50 [sic] », comme indiquant qu’il n’a pas à examiner, et qu’il n’a pas examiné, les propositions concernant le processus concurrentiel d’appel d’offres que Barrett, RCI et Vidéotron avaient avancées, dans le contexte de la demande que Bell avait présentée en vue d’obtenir une modification lui permettant d’utiliser une technologie sans fil HSPA+. À mon avis, le paragraphe 17 dit simplement que le processus concurrentiel d’appel d’offres a été rejeté dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15 parce que le CRTC croyait qu’« [il] ajoutait des complications importantes, retardait la mise en œuvre du déploiement des services à large bande et entraînait un fardeau administratif et réglementaire important ». Le CRTC estime également que les motifs de rejet demeurent fondés dans le contexte de la décision 2010‑805 en dépit du fait que, comme les opposantes l’ont signalé, la demande de modification de Bell n’était pas conforme aux critères établis par le CRTC lui‑même et que, si le CRTC voulait procéder aux modifications, il devait permettre le recours à un processus concurrentiel d’appel d’offres comme moyen d’assurer la conformité avec les Instructions concernant la politique et avec les objectifs et critères qu’il avait lui-même antérieurement énoncés.

 

[78]           Par conséquent, je crois que la question du processus concurrentiel d’appel d’offres faisait vraiment partie d’une nouvelle décision que le CRTC a rendue dans la décision 2010-805 au sujet de la demande que Bell présentait à ce moment‑là et qui comportait l’utilisation de la technologie sans fil HSPA+. Je ne vois pas comment le CRTC pourrait dire que pour les besoins de la demande dont il était saisi, la question du processus concurrentiel d’appel d’offres avait déjà été traitée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de procéder à un examen plus poussé dans le contexte d’une demande dans laquelle l’utilisation de la technologie HSPA+ était maintenant proposée. La décision concernant la technologie HSPA+ est une décision que le CRTC n’avait pas auparavant rendue, de sorte que le CRTC était obligé de tenir compte des répercussions sur la concurrence dans ce contexte. À mon avis, le CRTC dit simplement que les justifications qu’il avait fournies antérieurement dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15 en vue de rejeter le processus concurrentiel d’appel d’offres sont également convaincantes dans la décision qu’il rend maintenant. Bell dit en fait à la Cour que le CRTC a rejeté l’idée d’un processus concurrentiel d’appel d’offres dans certaines décisions antérieures qui ne portaient pas sur la technologie sans fil HSPA+ et qu’il n’avait donc pas à examiner, et qu’il n’a pas examiné, la question du processus concurrentiel d’appel d’offres dans une demande qui porte sur la technologie sans fil HSPA+. Je ne puis accepter ce raisonnement et je ne crois pas que c’est ce que le CRTC a fait dans la décision 2010‑805. Le simple fait que le CRTC mentionne des décisions antérieures comme raisons pour lesquelles il ne convient pas de tenir un processus concurrentiel d’appel d’offres dans le contexte d’une nouvelle demande portant sur une nouvelle technologie ne veut pas dire qu’il n’a pas envisagé l’idée d’un processus concurrentiel d’appel d’offres dans le cadre de cette nouvelle demande, qui comporte un ensemble d’éléments que le CRTC n’avait pas antérieurement examiné.

 

Le contexte plus général

 

[79]           Je crois que la présente interprétation est également étayée par le contexte plus général dans lequel s’inscrit la décision 2010‑805. Dans l’ensemble, l’examen que j’ai fait du dossier mis à ma disposition confirme le raisonnement et la séquence exposés par Rogers et approuvés par le Canada.

 

[80]           Lorsque Bell a présenté la nouvelle demande, ou la demande de modification (ces deux demandes exigeant un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire que possédait le CRTC et une nouvelle décision de la part du CRTC) qui a abouti à la décision 2010‑805, Rogers et les autres parties qui s’opposaient à la demande de Bell avaient clairement dit au CRTC qu’à leur avis, si la proposition de Bell était acceptée, il y aurait absence de conformité avec les critères et principes établis par le CRTC lui-même, tels qu’ils avaient été élaborés et énoncés dans des demandes et décisions antérieures. Il faudrait rejeter la demande de Bell, ou réexaminer des questions telles que celle du processus concurrentiel d’appel d’offres, afin de maintenir la neutralité sur le plan de la concurrence (soit un principe établi par le CRTC) sur ce marché. Comme la décision 2010‑805 le montre, le CRTC n’était pas d’accord et il a entre autres rejeté la proposition selon laquelle le processus concurrentiel d’appel d’offres constituait une approche nécessaire ou souhaitable.

 

[81]           À la suite de la décision 2010‑805, Rogers croyait encore que le CRTC avait violé ses propres principes et que, si la demande de Bell concernant la technologie HSPA+ était approuvée, il fallait procéder à un réexamen de la question du processus concurrentiel d’appel d’offres. À mon avis, c’est essentiellement ce que dit la demande, et cela étant, elle se rattache de toute évidence directement à la décision 2010‑805. Entre autres choses, le gouverneur en conseil doit se demander s’il convient pour le CRTC de rejeter l’idée du processus concurrentiel d’appel d’offres dans un contexte qui fait appel à une nouvelle technologie, un service qui est déjà offert dans la plupart des collectivités en cause, et compte tenu du changement de situation qui s’est produit depuis que le CRTC a rejeté l’idée du processus concurrentiel d’appel d’offres dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15. La demande qui est faite au gouverneur en conseil dans la demande, à savoir envisager le recours à un processus concurrentiel d’appel d’offres comme moyen d’obtenir une réglementation neutre sur le plan de la concurrence, se rattache directement à mon avis à la décision 2010‑805 et, en particulier, aux paragraphes 17 et 23 de cette décision.

 

[82]           Le 26 janvier 2011, Rogers a soumis au gouverneur en conseil la demande par laquelle elle cherchait à faire modifier la décision. La demande vise à contester la conclusion à laquelle le CRTC est arrivé dans la décision, à savoir que la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ satisfait aux critères qu’il a établis à l’égard du financement des comptes de report, et notamment les conclusions sous-jacentes tirées par le CRTC dans la décision portant sur la disponibilité de services HSPA+ dans les collectivités approuvées et sur la distorsion du marché sans fil causée par l’approbation de la nouvelle proposition de Bell, ainsi qu’en ce qui concerne le rejet, dans la décision du CRTC, d’un processus concurrentiel d’appel d’offres.

 

[83]           La demande vise à faire modifier la décision 2010‑805 par le gouverneur en conseil et à faire confirmer que l’approbation de la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ donnerait lieu à des iniquités sur le plan de la concurrence et à la distorsion du marché, ce qui n’est pas conforme aux principes établis par le CRTC dans des décisions antérieures et aux Instructions concernant la politique du gouverneur en conseil, et que le recours à un processus d’adjudication concurrentiel est nécessaire en vue de satisfaire aux exigences de la neutralité en matière de concurrence et de la prestation de services à moindres coûts. Toutefois, la demande, dans laquelle il est reconnu qu’il est important de veiller à ce qu’il n’y ait pas de retard supplémentaire dans l’expansion des services à large bande, vise à faire modifier la décision 2010‑805 de façon que le CRTC approuve l’utilisation des fonds du compte de report de Bell aux fins de l’expansion du service aux emplacements que Bell se proposait de desservir en 2011 en utilisant la technologie HPSA+ et qu’il déclare qu’un processus d’adjudication concurrentiel sera utilisé en vue d’établir le financement approprié du compte de report aux fins de l’expansion du service à large bande aux autres collectivités approuvées que Bell se proposait de desservir.

 

[84]           Je suis d’accord avec Rogers et avec le Canada lorsqu’ils disent que la décision se passe de commentaires quant à son objet. Dans la décision et dans la réponse au dossier mis à sa disposition, le CRTC examinait la question de savoir si la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ était conforme aux critères qu’il avait établis aux fins de l’affectation des fonds du compte de report à l’expansion des services à large bande aux collectivités rurales et éloignées à la lumière d’un certain nombre de facteurs, notamment les répercussions de la proposition de Bell sur le plan de la concurrence et les coûts afférents à l’utilisation d’un processus concurrentiel d’appel d’offres. L’approbation par le CRTC de la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ se rattachait intégralement aux « conclusions » tirées par le CRTC à l’égard de ces facteurs et elle était fondée sur ces « conclusions ». C’est ce qui est clairement énoncé dans la section intitulée « Résultats de l’analyse du Conseil », aux paragraphes 21 à 24 de la décision :

En ce qui a trait aux observations des parties selon lesquelles les services au moyen de la technologie HSPA sont déjà offerts dans certaines des collectivités approuvées, le Conseil fait remarquer qu’il a établi, aux fins de garantir un processus équitable, prévisible et transparent, que le 19 février 2007 est la date limite pour les autres fournisseurs de services à large bande pour confirmer s’ils offrent ou prévoient offrir les services à large bande dans ces collectivités. Le Conseil fait remarquer qu’à cette date limite le service à large bande n’était pas offert dans les collectivités en question. De plus, le Conseil fait remarquer qu’aucune des entreprises qui offrent des services au moyen de la technologie HSPA dans les collectivités approuvées n’a démontré que leurs offres de services actuelles se comparaient à celle associée à la proposition révisée de Bell Canada.

 

En ce qui concerne les préoccupations des parties selon lesquelles la proposition révisée fausserait le marché des services téléphoniques mobiles, le Conseil fait remarquer que les services téléphoniques mobiles sont déjà offerts dans la vaste majorité des 112 collectivités approuvées. De plus, le Conseil estime qu’il y a de nombreux avantages économiques et sociaux associés à l’accès aux services à large bande dans ces collectivités, et que toute distorsion connexe du marché serait minime.

 

En ce qui a trait aux propositions en vue de permettre un appel à la concurrence afin de garantir l’utilisation de la technologie la moins coûteuse, le Conseil fait remarquer qu’il a rejeté l’idée dans les décisions 2006‑9 et 2007‑50, puisqu’elle ajoutait des complications importantes, retardait la mise en œuvre du déploiement des services à large bande et entraînait un fardeau administratif et réglementaire important. Le Conseil estime que les motifs de rejet demeurent fondés.

 

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que la proposition de Bell Canada en vue d’étendre les services à large bande au moyen de la technologie d’accès sans fil à large bande HSPA+ est conforme aux conclusions qu’il a tirées dans les décisions sur les comptes de report. Par conséquent, le Conseil approuve la proposition révisée.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[85]           Comme Bell et le Canada le soulignent, la demande vise à contester et à faire modifier les conclusions que le CRTC a tirées dans la décision 2010‑805 au sujet des répercussions qu’aurait l’approbation de la nouvelle proposition de Bell sur la concurrence sans fil, des coûts et avantages de la mise en œuvre d’un processus concurrentiel d’appel d’offres et de l’approbation de la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ en résultant.

 

[86]           Bref, les paragraphes 21 à 24 de la décision constituent l’objet de la demande.

 

Arguments de Bell

 

[87]           Bell a cherché à convaincre la Cour que l’interprétation susmentionnée de la demande, de la décision 2010‑805 et des décisions antérieures n’est pas la bonne, et ce, pour diverses raisons. À mon avis, aucune des objections avancées par Bell ne résiste à l’analyse.

 

[88]           Premièrement, Bell maintient que [traduction] « le CRTC a déjà procédé, dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15, à un examen exhaustif de la question du processus concurrentiel d’appel d’offres ». Toutefois, en droit, j’estime que bien que le CRTC puisse mentionner les décisions qu’il a déjà rendues et puisse s’en inspirer, ces décisions ne peuvent pas dicter ses décisions ultérieures. Le CRTC n’est pas lié par les précédents et il est légalement tenu de ne pas limiter son pouvoir discrétionnaire. Comme Macauley et Sprague l’ont dit dans l’ouvrage intitulé Practice and Procedure Before Administrative Tribunals :

                        [traduction]

[…] la notion de stare decisis ne s’applique pas dans le domaine administratif. Non seulement les offices ont la faculté de ne pas considérer leurs décisions antérieures comme des précédents, mais ils ont aussi l’obligation absolue de ne pas le faire.

[Non souligné dans l’original.]

 

[89]           Le principe selon lequel un tribunal administratif ne peut pas utiliser ses décisions antérieures pour limiter son pouvoir discrétionnaire a été établi dans l’arrêt Hopedale Developments Ltd. c Oakville (Town) (1965), 47 DLR (2d) 482 (CA Ont), à la page 486. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que la Commission des affaires municipales de l’Ontario aurait commis une erreur de droit en utilisant un précédent pour restreindre le nombre de questions qu’elle avait à examiner. Les tribunaux administratifs sont autorisés à se fonder sur les principes énoncés dans des décisions antérieures dans la mesure où ils procèdent [traduction] « à une audition et à un examen exhaustifs du problème dont ils sont saisis dans son ensemble ».

 

[90]           L’interdiction pour les tribunaux administratifs de se fonder exclusivement sur des décisions antérieures inclut non seulement des décisions factuelles et des décisions de principe, mais aussi des conclusions de droit, et elle est essentielle lorsqu’il s’agit de faire en sorte que les tribunaux administratifs bénéficient de la souplesse requise en vue de répondre à de nouvelles circonstances au cas par cas. La nécessité de faire preuve de souplesse est particulièrement pressante dans le cas de conclusions de principe et de conclusions factuelles, telles que celles qui sont en cause dans la décision 2010‑805 et dans la demande.

 

[91]           De plus, dans ses décisions antérieures, le CRTC n’avait pas devant lui la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+, laquelle selon Bell, établissait de nouveaux faits et justifiait à une nouvelle demande. À mon avis, le CRTC n’aurait pas pu examiner, dans ses décisions antérieures, la question du processus concurrentiel d’appel d’offres à la lumière de ces nouveaux faits, pas plus qu’il n’aurait pu examiner la question de la nouvelle technologie sans fil HSPA+ de Bell dans ses décisions antérieures. Bref, le CRTC n’avait pas antérieurement été saisi des faits pertinents.

 

[92]           Par conséquent, à mon avis, le CRTC ne peut pas, en droit, avoir « pleinement examiné » dans des décisions antérieures la question de savoir si le processus concurrentiel d’appel d’offres devait être utilisé afin d’allouer les fonds du compte de report à la lumière de la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+.

 

[93]           Deuxièmement, Bell affirme que [traduction] « le CRTC n’était pas dûment saisi dans la décision » de la question du processus concurrentiel d’appel d’offres parce que Rogers [traduction] « était intervenue » et avait soulevé la question [traduction] « malgré ses objections » [celles de Bell]. À l’appui de cet argument, Bell cite la jurisprudence traitant de la possibilité pour les intervenants de soulever devant le tribunal de nouvelles questions à l’audience et en appel. À mon avis, cette jurisprudence ne s’applique pas aux instances administratives et même si elle s’appliquait, Rogers, Barrett et Vidéotron – qui ont toutes demandé qu’un processus concurrentiel d’appel d’offres soit utilisé s’il était fait droit à la demande de Bell – n’étaient pas des intervenantes; elles étaient des parties intéressées aux décisions 2010‑637 et 2010‑805 et pouvaient à bon droit répondre à la demande de Bell en se fondant sur des motifs factuels et juridiques ainsi que sur des motifs de principe pertinents aux fins de l’examen par le CRTC de la question de savoir si la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ répondait aux critères établis par le CRTC à l’égard du financement du compte de report. Les observations des opposantes étaient expressément axées sur ces critères, y compris en particulier les objectifs voulant que le service soit étendu aux collectivités non desservies, que la neutralité en matière de concurrence soit assurée et que le service soit fourni à moindres coûts, et c’est dans ce contexte que le CRTC a examiné ces arguments.

 

[94]           Je suis d’accord avec Rogers et le Canada pour dire que les anciennes Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications (comme c’est le cas pour les nouvelles Règles de procédure du CRTC) n’interdisaient pas à une partie intéressée, dans une instance du CRTC, de soulever des arguments de principe, des arguments factuels ou des arguments juridiques que le demandeur n’avait pas expressément mentionnés dans sa demande. Les articles 13 et 27 des anciennes Règles de procédure du CRTC en matière de télécommunications que Bell a cités confèrent simplement au CRTC le pouvoir discrétionnaire voulu pour exiger que les parties clarifient certains points litigieux et pour ordonner les modifications nécessaires aux fins du règlement de la véritable question en litige. Or, le CRTC n’a pris aucune mesure de ce genre dans l’instance relative à la décision 2010‑805.

 

[95]           À mon avis, il n’existait pas non plus d’exigence pour Rogers ou pour d’autres parties intéressées de « demander formellement » la modification des décisions 2006‑9 et 2007‑15 dans les observations qu’elles ont soumises dans l’instance concernant la décision 2010‑805 ou au moyen d’une demande distincte. Les observations des opposantes font mention de la neutralité en matière de concurrence et d’un appel d’offres concurrentiel comme facteurs dont le CRTC devait tenir compte lorsqu’il se demandait si la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ était conforme aux critères qu’il avait établis aux fins du financement du compte de report.

 

[96]           À mon avis, il ne fait non plus aucun doute que le CRTC était autorisé à ordonner, dans sa décision, la mise en œuvre d’un processus concurrentiel d’appel d’offres s’il concluait qu’il fallait y avoir recours afin d’assurer la neutralité en matière de concurrence et/ou la prestation du service à moindres coûts. Sur ce point, l’article 60 de la Loi autorise expressément le CRTC soit à « faire droit à une demande de réparation, en tout ou en partie, soit [à] accorder, en plus ou à la place de celle qui est demandée, la réparation qui lui semble justifiée, l’effet étant alors le même que si celle‑ci avait fait l’objet de la demande ».

 

[97]           Selon le troisième argument de Bell, [traduction] « le texte de la décision 2010‑805 ne donne pas à entendre que le CRTC voulait rendre une nouvelle décision au sujet de l’appel d’offres concurrentiel ». Comme je l’ai déjà dit, j’estime qu’une décision est clairement et explicitement prise sur ce point dans la décision. Dans la décision, le CRTC s’est demandé s’il était opportun de mettre en œuvre un processus concurrentiel d’appel d’offres et il s’est prononcé sur ce point, comme il était tenu en droit de le faire, en mentionnant les conclusions qu’il avait antérieurement tirées, à savoir qu’un tel processus entraînerait des complications, des retards et un fardeau administratif et réglementaire important, et en concluant que « les motifs de rejet demeur[ai]ent fondés ».

 

[98]           Je ne crois pas que la chose puisse être qualifiée de [traduction] « réponse de politesse » à une demande d’examen ou de clarification des décisions antérieures du CRTC. La décision est intitulée : « Décision de télécom CRTC 2010‑805 », et il s’agit clairement d’une décision du CRTC à tous les égards. Sur ce point, il est intéressant de noter la remarque suivante que le juge Noël a faite dans la décision Dumbrava :

Chaque fois qu’une autorité décisionnaire qui y est habilitée accepte de revoir une décision à la lumière de faits nouveaux, il en résultera une nouvelle décision, que la décision initiale soit changée, modifiée ou maintenue. La question qui se pose est de savoir s’il y a nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, et il en sera toujours ainsi lorsque l’autorité décisionnaire accepte de revoir sa décision à la lumière de faits et d’arguments dont elle n’avait pas été saisie au moment de la décision initiale.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[99]           Le CRTC était autorisé à réexaminer, dans la décision 2010‑805, les décisions qu’il avait antérieurement rendues au sujet de l’appel d’offres concurrentiel, et il les expressément réexaminées, comme il était légalement tenu de le faire à la lumière des nouveaux faits et des arguments qui lui avaient été soumis. Ces faits et arguments, y compris la nouvelle proposition de Bell concernant la technologie sans fil HSPA+ et les observations des parties intéressées, n’avaient pas été soumis au CRTC dans les décisions 2006‑9 et 2007‑15. La conclusion du CRTC selon laquelle les motifs de rejet du recours au processus concurrentiel d’appel d’offres dans ses décisions antérieures « demeurent fondés » n’empêche pas la décision 2010‑805 d’être une décision du CRTC. C’est la question de savoir si le CRTC a exercé à nouveau son pouvoir discrétionnaire qui importe et, à mon avis, c’est ce qu’il a fait.

 

[100]       Je suis également d’accord avec Rogers et avec le Canada pour dire que sur le plan purement pratique, le CRTC ne pouvait pas avoir décidé, dans ses décisions antérieures, que l’analyse qu’il effectuait dans ces décisions « demeure[rait] » fondée dans une instance future, menée trois ou quatre ans plus tard, lorsqu’il s’agissait d’évaluer une proposition concernant une technologie fondamentalement différente aux fins de l’expansion du service à large bande aux collectivités rurales et éloignées. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, Bell elle-même a qualifié sa demande de nouvelle demande, pour le motif que sa nouvelle proposition concernant la technologie sans fil HSPA+ faisait état de nouveaux faits qui n’avaient pas antérieurement été portés à la connaissance du CRTC. Le CRTC n’aurait pas pu antérieurement décider s’il convenait d’utiliser le processus concurrentiel d’appel d’offres à la lumière de ces nouveaux faits.

 

[101]       Bell affirme également que, fondamentalement, la demande est tout simplement une contestation incidente de décisions antérieures, soumise en dehors des délais impartis. À vrai dire, le dossier montre que Rogers a de fait menacé de contester les décisions et de présenter une demande au gouverneur en conseil pour des motifs similaires et en utilisant les mêmes termes que ceux qui figurent dans la demande. Toutefois, à mon avis, le fait que Rogers a peut-être bien menacé de contester des décisions antérieures mais qu’elle n’a pas donné suite à ces menaces ne veut pas dire que la présente demande constitue une contestation incidente prescrite de ces décisions antérieures. Il est fort peu surprenant que des termes similaires aient été employés, ou que des décisions antérieures soient citées, puisque les questions soulevées sont les mêmes. Cependant, il reste que les décisions antérieures ne portaient pas sur la technologie sans fil HSPA+ et que dans la décision 2010‑805, on demandait au CRTC d’exercer son pouvoir discrétionnaire à nouveau en examinant cette nouvelle technologie et en se demandant si le fait de permettre le déploiement de cette technologie donnait maintenant lieu à la nécessité d’avoir recours à un appel d’offres concurrentiel afin d’assurer la neutralité et la conformité avec les politiques et principes établis par le CRTC lui‑même.

 

Conclusions

 

[102]       Je crois que les conclusions que j’ai jusqu’ici tirées règlent effectivement la demande et qu’il est inutile d’examiner les points additionnels soulevés par Bell ou par le Canada. La demande de Bell dit essentiellement que la décision 2010‑805 ne comporte pas un nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire que possède le CRTC d’examiner ou de réexaminer la question du processus concurrentiel d’appel d’offres. À mon avis, cette décision comporte un nouvel exercice de ce pouvoir discrétionnaire. La demande ne porte donc pas sur un objet qui n’a rien à voir avec la décision et n’est pas prescrite. Par conséquent, à mon avis, il ne se pose aucune question de compétence justifiant l’annulation de l’avis ou l’octroi d’une ordonnance interdisant au gouverneur en conseil d’examiner la demande conformément à la Loi.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Rogers et le ministre ont droit à leurs dépens dans la présente instance.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-514-11

 

INTITULÉ :                                                   BELL CANADA

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                        LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE et ROGERS COMMUNICATIONS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 12 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 29 septembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Finkelstein

Brandon Kain

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laurence J.E. Dunbar

Gerald Kerr-Wilson

Leslie Milton

 

Christine Mohr

Michelle Ratpan

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(Rogers Communications)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

(le procureur général et

le ministre de l’Industrie)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Fasken Martineau Dumoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(Rogers Communications)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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