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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110928


Dossier : IMM-183-11

Référence : 2011 CF 1116

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

Entre :

 

SELLATHAMBY VETHARANIYAM

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 10 décembre 2010, d’un agent des visas (l’agent) à Colombo, au Sri Lanka. L’agent a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur, Sellathamby Vetharaniyam, est un citoyen du Sri Lanka. Sa demande inclut deux personnes à charge, son épouse et son fils. Un autre fils, qui vit actuellement au Canada, a parrainé la famille.

 

[4]               L’agent a conclu que le demandeur avait omis de s’acquitter de l’obligation prévue au paragraphe 11(1) de le convaincre qu’il n’était pas interdit de territoire. L’agent ne possédait pas un tableau complet des antécédents de la famille. Il ne connaissait pas bien les antécédents du frère de l’épouse en matière d’immigration, les causes et les dates de décès de proches parents ni les changements d’adresse de la famille. En conséquence, l’agent n’était pas en mesure de faire une évaluation complète de l’admissibilité du demandeur.

 

[5]               L’agent a en outre conclu qu’en omettant de déclarer deux détentions antérieures (par l’armée sri lankaise, pour une période de deux à trois semaines en 1983, et par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET), pour une période de six mois en 1992, après avoir refusé de payer une rançon), le demandeur avait fait une présentation erronée sur des faits importants quant à l’objet pertinent qui risquait d’entraîner une erreur, en contravention de l’alinéa 40(1)a). L’agent n’a pas accepté la prétention du demandeur selon laquelle la présentation erronée était attribuable aux difficultés auxquelles il s’était heurté lorsqu’il a rempli le formulaire informatisé avec l’aide d’un ami. La question était claire et le demandeur a eu la possibilité de la revoir et de signer une attestation. Les antécédents en matière d’arrestation et de détention étaient jugés essentiels pour établir le risque que pouvait représenter le demandeur pour la sécurité du Canada. En raison de cette conclusion de l’agent, le demandeur a été interdit de territoire pour fausses déclarations pour une période de deux ans en vertu de l’alinéa 40(2)a) et il n’a pas été autorisé à interjeter appel.

 

[6]               De plus, l’agent a examiné des considérations d’ordre humanitaire en application du paragraphe 25(1). Ces considérations n’ont pas justifié l’octroi de la résidence permanente ou la levée des critères applicables de la LIPR.

 

II.         Questions en litige

 

[7]               La présente demande soulève les questions suivantes :

a)         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait omis de démontrer qu’il n’était pas interdit de territoire en vertu du paragraphe 11(1)?

b)         L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que l’omission de déclarer deux détentions antérieures constituait une présentation erronée sur un fait important en contravention de l’alinéa 40(1)a)?

c)         L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale dans son examen des motifs d’ordre humanitaire?

 

III.       Norme de contrôle

 

[8]               Les décisions des agents des visas concernant l’interdiction de territoire commandent la déférence et sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (voir Kumarasekaram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1311, [2009] A.C.F. no 1625, au paragraphe 8; Karami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 788, [2009] A.C.F. no 912, au paragraphe 14). Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[9]               Les questions d’équité procédurale sont toutefois examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, au paragraphe 43).

 

IV.       Analyse

 

Question A –   L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur avait omis de démontrer qu’il n’était pas interdit de territoire en vertu du paragraphe 11(1)?

 

[10]           Le demandeur conteste certaines conclusions tirées par l’agent. À titre d’exemple, il soutient que le nom exact des frères et sœurs de son épouse n’est pas pertinent pour se prononcer sur l’admissibilité en vertu du paragraphe 11(1). Néanmoins, le demandeur reconnaît expressément l’importance de la conclusion de l’agent selon laquelle ses adresses sont pertinentes pour la décision finale.

 

[11]           Comme le souligne le défendeur, le demandeur fait valoir que certaines conclusions sous‑jacentes ne sont pas pertinentes et demande à la Cour d’apprécier la preuve à nouveau. En outre, la conclusion concernant les adresses du demandeur est à elle seule suffisante pour fonder une conclusion d’interdiction de territoire.

 

[12]           Je suis d’accord avec le défendeur que cette preuve est suffisante. Il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur avait omis de le convaincre qu’il n’était pas interdit de territoire comme l’exige la LIPR, compte tenu de l’incertitude quant aux antécédents de la famille.

 

Question B –    L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que l’omission de déclarer deux détentions antérieures constituait une présentation erronée sur un fait important en contravention de l’alinéa 40(1)a)?

 

[13]           Selon Bellido c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, [2009] A.C.F. no 572, au paragraphe 27, le paragraphe 40(1) exige que deux éléments essentiels soient réunis : (1) le demandeur doit avoir fait de fausses déclarations; (2) ces fausses déclarations doivent être importantes en ce sens qu’elles risquent d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

 

(i)         Fausses déclarations relatives aux détentions

 

[14]           Je ne puis accepter la prétention du demandeur selon laquelle toute présentation erronée quant aux détentions était innocente et que, par conséquent, l’agent n’aurait pas dû conclure qu’il contrevenait à l’alinéa 40(1)a). Il s’appuie sur la décision Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, [2008] A.C.F. no 1152, aux paragraphes 25 à 29, dans laquelle la Cour a conclu qu’une erreur commise par inadvertance sur un formulaire d’immigration ne constituait pas une fausse déclaration. Toutefois, dans cette affaire, l’erreur sur le formulaire n’a pas été considérée comme étant intentionnelle parce que les renseignements pertinents avaient été communiqués antérieurement et l’agente les connaissait.

 

[15]           En l’espèce, selon les notes consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), l’agent n’a eu connaissance des renseignements relatifs à la détention du demandeur que lorsque ce dernier y a été confronté. L’agent a conclu qu’il était difficile de croire que le demandeur avait oublié qu’il avait déjà été détenu pendant une période de six mois. Il a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle l’erreur était attribuable à son manque de compétences en informatique, estimant que la question était claire et qu’il avait eu la possibilité de revoir ses réponses avant de signer l’attestation. Étant donné que les renseignements concernant la durée de la détention n’ont été mis au jour que lors de l’entrevue et qu’il y avait eu une possibilité de revoir le formulaire, il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure à l’existence d’une véritable fausse déclaration.

 

[16]           En outre, je ne peux accepter l’argument du demandeur portant qu’étant donné que les TLET ne sont pas un organe de l’État, il n’était pas nécessaire de divulguer la détention. Dans une décision récente, Gnanaguru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 536, [2011] A.C.F. no 678, aux paragraphes 25 et 26, notre Cour a conclu que le mot « détention » ne renvoyait pas aux forces gouvernementales du Sri Lanka et que l’omission de communiquer des renseignements concernant une détention antérieure par les TLET constituait une fausse déclaration.

 

[17]           Les arguments du demandeur ne me convainquent pas que cette décision ne devrait pas être suivie. Il allègue que, devant le formulaire d’immigration, tous les Tamouls interpréteraient la détention comme désignant uniquement les organes de l’État et non les TLET. Il fait également valoir que si la détention peut être étendue aux organes non étatiques, cela signifierait automatiquement qu’il faudrait mentionner quiconque a la capacité de détenir des personnes, y compris les ravisseurs, les groupes rebelles ou les criminels. La nature de ce qui devrait être divulgué de façon appropriée sera fonction de la situation particulière et son importance sera évaluée en conséquence. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’on mentionne également un groupe tel que les TLET, qui cherche à contrôler des régions du Sri Lanka et est doté de la capacité de détenir des personnes. Quoi qu’il en soit, si je choisissais de ne pas prendre en compte la décision Gnanaguru, précitée, cela ne modifierait pas nécessairement l’issue de la présente affaire.

 

[18]           Contrairement à l’affaire Gnanaguru, précitée, pendant son entrevue avec l’agent, le demandeur n’a jamais mentionné, à propos des TLET, que les formulaires n’indiquaient pas clairement ce qu’on entendait par « détention ». Il a simplement dit qu’il avait été difficile pour lui de remplir le formulaire informatisé et de cocher la bonne case. S’il avait mentionné le manque de clarté quant aux TLET, il serait difficile d’expliquer la raison pour laquelle le demandeur avait également omis de divulguer sa détention antérieure par l’armée du Sri Lanka, incontestablement un organe de l’État.

 

[19]           Fait peut-être plus important, selon les défendeurs, la détention par les TLET était au cœur du récit et de l’expérience du membre de la famille. Il était par conséquent raisonnable que l’agent conclue que l’omission de déclarer les détentions antérieures, par des organes étatiques et non étatiques tels que les TLET, constituait une présentation erronée.

 

(ii)        Importance

 

[20]           Je dois également conclure qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure que les fausses déclarations étaient importantes et risquaient d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

 

[21]           Le demandeur fait valoir que l’agent était tenu d’effectuer une analyse de la question de l’importance des fausses déclarations et qu’il a omis de la faire (Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 166, [2008] A.C.F. no 212, au paragraphe 3). Il renvoie également à la décision Koo, précitée, aux paragraphes 29 et 30, dans laquelle la Cour a conclu qu’une erreur commise par inadvertance n’était pas importante pour l’évaluation d’une demande.

 

[22]           L’agent a cependant expliqué pourquoi il estimait que les fausses déclarations concernant la détention antérieure étaient importantes. En effet, dans les notes du STIDI, il a indiqué : [traduction] « Les réponses aux questions ne sont pas dénuées d’importance. Les antécédents d’une personne en matière d’arrestation et de détention sont essentiels pour décider si elle constitue un risque pour la sécurité du Canada. » Même si les détentions ont eu lieu il y a un certain temps, il était quand même raisonnable que l’agent insiste sur l’importance d’être en mesure d’évaluer le niveau de risque de façon adéquate.

 

[23]           Comme le défendeur l’indique clairement, il n’appartient pas au demandeur de décider les questions auxquelles il doit répondre et ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Il n’a pas le droit de faire obstacle aux enquêtes que pourrait faire un agent. L’objectif de l’alinéa 40(1)a) est de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques (Bodine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, [2008] A.C.F. no 1069).

 

[24]           La Cour devrait également être guidée par le principe général mentionné dans Haque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315, [2011] A.C.F. no 394, au paragraphe 14 :

Les décisions en matière d’admissibilité, dont dépend la protection efficace des frontières canadiennes, reposent nécessairement, pour une bonne part, sur la capacité des agents d’immigration de vérifier les renseignements donnés par les demandeurs. Les omissions ou les fausses déclarations risquent d’engendrer des erreurs dans l’application de la Loi.

 

[25]           La conclusion de l’agent selon laquelle les fausses déclarations relatives aux détentions antérieures étaient importantes parce qu’elles avaient une incidence sur sa capacité d’évaluer les risques potentiels pour la sécurité était justifiée, transparente et intelligible.

 

Question C –   L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale dans son examen des motifs d’ordre humanitaire?

 

[26]           Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale dans l’examen des motifs d’ordre humanitaire en s’appuyant sur les renseignements fournis dans la demande de résidence permanente. Il fait valoir que l’agent aurait dû se demander si l’intérêt supérieur des enfants serait touché. Il s’appuie principalement sur la décision Gnanagura, précitée, dans laquelle la Cour a conclu à un manquement d’équité procédurale lors de l’examen des motifs d’ordre humanitaire, lequel avait eu lieu sans avis et sans que le demandeur ait eu la possibilité de présenter des observations supplémentaires.

 

[27]           En l’espèce cependant, l’agent a indiqué dans les notes du STIDI que le répondant avait demandé qu’on prenne en considération des motifs d’ordre humanitaire, à savoir l’effet du tsunami sur sa famille. Le demandeur a reconnu qu’il n’a jamais été touché par celui-ci. L’agent a indiqué que les membres de la famille avaient vécu et travaillé au Sri Lanka toutes leurs vies et qu’ils disposaient d’un soutien familial malgré la présence d’enfants à l’étranger. Il a été jugé que ces motifs d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur la nécessité de prouver l’admissibilité.

 

[28]           Dans la décision Gnanagura, précitée, la juge Judith Snider indique clairement que sa décision était fondée sur les faits inusités de l’affaire puisque le demandeur avait été approuvé en principe pour des motifs d’ordre humanitaire et avait prévu que l’admissibilité serait la seule question examinée. De tels faits n’existent pas en l’espèce. Compte tenu de la demande d’examen des motifs d’ordre humanitaire et de l’analyse effectuée par l’agent, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

V.        Conclusion

 

[29]           L’agent a raisonnablement conclu que le demandeur avait omis de démontrer qu’il n’était pas admissible en raison d’antécédents familiaux incertains. Il y avait de fausses déclarations importantes concernant des détentions antérieures. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire.

 

[30]           Le demandeur propose la question suivante aux fins de certification : l’omission de divulguer une détention par les TLET en réponse à la question de savoir si une personne a déjà été détenue ou emprisonnée constitue-t-elle une fausse déclaration au sens de l’article 40? Subsidiairement, le demandeur propose que la question soit formulée de façon plus large, soit la question de savoir si « être détenu » dans le contexte des formulaires de demande de l’immigration se rapporte à la détention par des agents d’un gouvernement légitime pendant une longue période ou au fait d’être détenu par n’importe qui.

 

[31]           Aucune de ces questions ne répond aux critères établis. Les deux se rapportent aux faits de l’espèce et ne soulèvent pas des questions graves ou de portée générale (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage, (1994), 176 N.R. 4, [1994] A.C.F. no 1637, aux paragraphes 4 à 6 (CAF)). De plus, elles ne règlent pas l’appel puisque la fausse déclaration concernant la détention par des organes non étatiques n’est pas la seule détention en cause (voir Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145, [2009] A.C.F. no 549, aux paragraphes 22 à 29).

 

[32]           En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les questions proposées ne peuvent être certifiées.


JUGEMENT

 

LA COUR statue que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


cour fédéralE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-183-11

 

Intitulé :                                                   VETHARANIYAM c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 septembre 2011

 

Motifs du jugement

et jugement :                                          le juge NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 septembre 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Micheal Crane

 

Pour le demandeur

David Joseph

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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