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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110927


Dossier : IMM-1055-11

Référence : 2011 CF 1107

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

JUAN JOSE ASENCIO VENTURA

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 7 janvier 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.                    Les faits

 

[3]               Le demandeur, Juan Jose Ascencio Ventura, est citoyen du Guatemala; il dit craindre d’être persécuté et exposé à un risque personnalisé de préjudice aux mains d’un gang criminel connu sous le nom de « Mara Salvatrucha » (MS-13).

 

[4]               Le demandeur exploitait un petit marché d’alimentation dans une banlieue de la ville de Guatemala. Le 1er mai 2008, circulant à bord d’un autobus, il a été abordé par un individu qui lui a dit qu’il s’appelait El Tata et qu’il était un chef du MS-13; il a dit aussi au demandeur qu’il savait qu’il était un homme d’affaires. Sous la menace d’une arme à feu, le demandeur s’est vu ordonner de payer une « taxe » de 500 quetzales sur-le-champ, de même que le premier jour de tous les mois suivants. Le demandeur n’avait pas l’argent sur lui, et l’individu lui a pris sa montre et son portefeuille.

 

[5]               Ce soir-là, le demandeur a signalé l’incident à la police, qui lui a dit que, sans plus de preuves, elle ne pouvait rien faire. Quatre jours plus tard, le demandeur a vendu le plus de marchandises possible qui se trouvaient dans son magasin, a fermé les portes de ce dernier et a déménagé à environ 50 kilomètres de l’endroit où il vivait.

 

[6]               Le 8 juin 2008, un membre inconnu du gang a tenté d’enlever le demandeur. Cet individu a laissé entendre que c’était à cause du signalement qui avait été fait à la police. Le demandeur est parvenu à s’échapper et à revenir dans son quartier, où il s’est caché dans la salle paroissiale d’une église.

 

[7]               Le demandeur a fui le Guatemala le 10 juin 2008, et il est arrivé aux États-Unis en passant par le Mexique. Il est entré au Canada le 2 octobre 2008 et a sollicité l’asile le 29 janvier 2009. Depuis son départ du Guatemala, il a appris par sa sœur que des inconnus demandent où il se trouve.

 

II.                 La décision

 

[8]               La Commission a conclu qu’il n’y avait pas de lien entre la crainte qu’avait le demandeur d’être persécuté par le MS-13 et l’un des motifs prévus par la Convention qui figurent à l’article 96. Les gestes du MS-13 étaient de nature purement criminelle. Les victimes d’actes criminels n’établissent généralement pas l’existence d’un lien avec un motif prévu par la Convention, comme la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social.

 

[9]               La Commission a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il appartenait au groupe social formé des personnes prises pour cible par le MS-13. Aucune preuve convaincante n’établissait que les citoyens guatémaltèques que l’on a pris pour cible parce qu’ils étaient perçus comme des gens d’affaires bien nantis ont été exposés à des violations de leurs droits fondamentaux de la personne d’une manière suffisamment répétée et soutenue pour qu’ils constituent un groupe social défini.

 

[10]           Par ailleurs, la Commission n’a pas considéré que le demandeur avait la qualité d’une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. Elle a reconnu que la violence sociale est omniprésente dans le pays et que le MS-13 prend plus souvent pour cible certaines professions, comme les marchands ambulants et les commerçants. Le demandeur a peut-être été personnellement exposé à un risque parce qu’on l’avait pris pour cible en se disant qu’il avait de l’argent, mais le risque précis auquel il était exposé – des actes d’extorsion et de violence de la part du MS-13 – n’était pas différent de celui auquel devait généralement faire face la population guatémaltèque.

 

III.               Les questions en litige

 

[11]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)         La conclusion de la Commission selon laquelle il n’y a aucun lien entre la crainte de persécution du demandeur et l’un des motifs prévus par la Convention est-elle raisonnable?

b)         La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 est-elle raisonnable?

 

IV.              La norme de contrôle applicable

 

[12]           Le lien avec un motif prévu par la Convention est une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Chekhovskiy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 970, [2009] A.C.F. no 1180, au paragraphe 18). Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’interprétation du risque visé à l’article 97 exige aussi que l’on applique la norme de la raisonnabilité (voir Acosta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 213, [2009] A.C.F. no 270, aux paragraphes 10 et 11; Guifarrao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, [2011] A.C.F. no 222, aux paragraphes 12 à 18).

 

[13]           Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

V.                 Analyse

 

Question no 1 :  La conclusion de la Commission selon laquelle il n’y a aucun lien entre la crainte de persécution du demandeur et l’un des motifs prévus par la Convention est-elle raisonnable?

 

[14]           Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission selon laquelle le fait de craindre des criminels ne constitue pas forcément un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Il propose cependant à la Cour de déterminer si les propriétaires d’entreprise tentant d’échapper au MS-13 en Amérique centrale établissent l’existence d’un lien en tant que « groupe social » au sens de l’article 96, car ces personnes risquent davantage d’être victimes d’extorsion.

 

[15]           Je conviens avec le défendeur qu’il n’existe aucun lien entre les personnes prises pour cible par le MS-13 et un groupe social particulier. Ces personnes ne satisfont pas aux critères établis dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74 (au paragraphe 70) :

[…]

 

(1)        les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

 

(2)        les groupes dont les membres s’associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

 

(3)        les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

 

[16]           Il était raisonnable que la Commission conclue que les personnes prises pour cible par le MS-13 n’appartiennent pas à un groupe social marginalisé qui fait l’objet d’une discrimination systématique. Quand on lui a demandé de clarifier pourquoi les gens d’affaires en particulier sont pris pour cible par le MS-13, la seule conclusion qu’a pu tirer le demandeur est que le gang prend pour cible les personnes qu’il considère comme des [traduction] « proie[s] ». Les gestes criminels, comme les actes d’extorsion auxquels se livre le MS-13, n’établissent généralement pas l’existence d’un lien entre une crainte de persécution et un motif prévu par la Convention (voir Kang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1128, [2005] A.C.F. no 1400).

 

Question no 2 :  La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 est-elle raisonnable?

 

[17]           Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) exige qu’une personne à protéger soit exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités, alors que « d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ».

 

[18]           Selon le demandeur, la Commission n’a pas tenu compte du risque accru d’être pris pour cible par le MS-13 auquel il s’exposait à titre de propriétaire d’une petite entreprise. Il invoque à cet égard la décision Pineda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 365, [2007] A.C.F. no 501, au paragraphe 15, où il a été conclu qu’un étudiant s’exposait à un risque supérieur à celui auquel s’exposait la population générale aux mains du MS-13.

 

[19]           Cependant, la décision Pineda, précitée, peut être distinguée de la présente espèce. Dans Pineda, l’étudiant avait été personnellement pris pour cible et sa famille avait été victime de menaces et d’attaques répétées pendant une période prolongée. Cela le situait en dehors du cadre du risque généralisé de violence qui régnait dans le pays. Au paragraphe 17 de cette décision, la Cour a clairement indiqué que le demandeur ne prétendait pas être exposé à un risque au sein d’une catégorie particulière en tant qu’étudiant, jeune ou membre d’une famille à l’aise financièrement.

 

[20]           En l’espèce, le demandeur a été pris pour cible au départ parce qu’il était perçu comme un propriétaire de petite entreprise bien nanti. Il dit avoir été victime d’une seconde attaque parce qu’il avait signalé le premier incident à la police. Indépendamment de cela, je conviens avec le défendeur que cela ne situe pas le demandeur en dehors du cadre d’un risque de nature généralisée. La Commission a reconnu que la violence à laquelle se livre le MS-13 est généralisée, mais que les commerçants sont plus souvent visés. Il n’est pas nécessaire que tout un chacun soit exposé au risque; il suffit que ce risque soit courant et répandu (voir Osorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1459, [2005] A.C.F. no 1792). Dans la décision Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, [2008] A.C.F. no 415, confirmée par 2009 CAF 31, [2009] A.C.F. no 143, la Cour a déclaré que l’on peut considérer que l’article 97 englobe un sous-groupe qui est exposé à un risque encore plus important que celui auquel est exposé le groupe plus étendu. Comme dans cette affaire-là, la perception que le demandeur était un homme d’affaires bien nanti était susceptible d’aggraver son risque de persécution, mais cela ne voulait pas dire que le risque n’était plus généralisé.

 

[21]           De plus, le fait que le demandeur a été menacé dans le passé par le MS-13 en tant que propriétaire d’une petite entreprise n’est pas forcément assimilable à un risque personnalisé (voir Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 991, [2010] A.C.F. no 1353, au paragraphe 18; Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1029, [2009] A.C.F. no 1275, au paragraphe 34; E.A.D.S. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 785, [2011] A.C.F. no 1110 au paragraphe 13).

 

[22]           Comme on peut considérer que le demandeur s’exposait au même risque généralisé que d’autres propriétaires de petite entreprise, il était loisible à la Commission de conclure que ce dernier n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97.

 

VI.              Conclusion

 

[23]           La Commission a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention ou de risque qui ferait du demandeur une personne à protéger.

 

[24]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1055-11

 

INTITULÉ :                                       JUAN JOSE ASENCIO VENTURA c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Near

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 27 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffery

 

POUR LE DEMANDEUR

Susan Gans

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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