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Federal Court

 

Cour fédérale

Date : 20110927


Dossier : IMM-7327-10

Référence : 2011 CF 1103

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

LUIS ALBERTO HERNANDEZ FEBLES

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                   INTRODUCTION

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire présentée par Luis Alberto Hernandez Febles (le demandeur) vise la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 27 octobre 2010, concluant que le demandeur est exclu du régime applicable aux réfugiés ou aux personnes à protéger par application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et de la section Fb) de l’article premier (section 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6 (la Convention).

 

[2]               Au nom du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, le sous‑procureur général (le défendeur) conteste cette demande.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.                CONTEXTE

 

A.                 LES FAITS

[4]               Le demandeur est un citoyen cubain. Il est né le 4 décembre 1954.

 

[5]               Suivant le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, celui‑ci a quitté Cuba le 14 mai 1980 parce qu’il s’opposait au système politique répressif en place. À son arrivée aux États‑Unis, le demandeur a présenté une demande d’asile, laquelle a été accueillie la même année.

 

[6]               Le 2 juillet 1984, le demandeur, qui habitait chez un couple, a attaqué le mari avec un marteau alors que le couple était couché. Le mari a couru vers le salon où le demandeur l’a poursuivi. Le mari s’est enfui chez un voisin. Au lieu de le poursuivre, le demandeur a démoli le pare‑brise de l’auto de sa victime à coups de marteau. Il est ensuite retourné à l’appartement, s’est changé et a pris la fuite. Après avoir couru quelque temps, il a appelé la police d’une cabine téléphonique pour se rendre.

 

[7]               Il a été accusé de tentative de meurtre. Le 20 novembre 1984, il a plaidé coupable à une accusation de voies de fait avec une arme meurtrière autre qu’une arme à feu, portée en vertu du sous‑alinéa 245a)(1) du Penal Code of California. Il a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement assortie de trois ans de probation. Le demandeur croit que c’est à cause de cette déclaration de culpabilité qu’il a perdu son droit d’asile.

 

[8]               Entre 1985 et 1989, le demandeur a été déclaré coupable de plusieurs infractions, dont celles de vol simple, bris de probation, vol, agression et voies de fait.

 

[9]               Le 3 octobre 1993, le demandeur buvait avec son colocataire. La petite amie de ce dernier est arrivée et a commencé à l’insulter. Elle accusait le demandeur d’encourager le colocataire à coucher avec d’autres femmes. En colère, le demandeur a intimidé la femme avec un couteau et a menacé de la tuer.

 

[10]           Il a été accusé de tentative de meurtre et de voies de fait avec une arme meurtrière autre qu’une arme à feu. Il a plaidé coupable le 8 octobre 1993 à la seconde infraction et a été condamné à deux ans d’emprisonnement et trois ans de probation.

 

[11]           La période de probation a pris fin en 1998, et le demandeur a alors été placé en détention par les autorités de l’Immigration des États‑Unis jusqu’en 2002. De 2002 à 2005, il a obtenu des visas de travail et a exercé divers emplois. Après 2005, le demandeur a continué à travailler, mais sans visa.

 

[12]           Devant la Commission, le demandeur a témoigné au sujet de son alcoolisme, qui a été la cause de ses bris de probation et qui a finalement entraîné sa deuxième condamnation criminelle pour voies de fait avec une arme meurtrière. Le demandeur affirme qu’il ne consomme plus d’alcool depuis le mois d’août 1993, et qu’il a suivi tout le programme des Alcooliques anonymes pendant son incarcération de 1998 à 2002.

 

[13]           Le demandeur a voulu venir au Canada le 29 février 2008, mais il a été refoulé. Il a alors été détenu par les autorités américaines de l’Immigration jusqu’en juillet 2008. Il est ensuite entré illégalement au Canada le 12 octobre 2008 et il a présenté une demande d’asile le 14 octobre 2008.

 

[14]           Au 26 juillet 2010, il était sous le coup d’une mesure de renvoi prise contre lui aux États‑Unis en 1998.

 

B.        Historique procédural

 

[15]           L’agent d’immigration Carl St.-Laurent a procédé à l’entrevue du demandeur le 15 décembre 2008, lors de laquelle ce dernier a réitéré sa demande d’asile.

 

[16]           Le 8 avril 2009, un rapport a été établi contre le demandeur sous le régime de l’article 44 de la LIPR. Le 3 juin 2010, le commissaire Yves Dumoulin a conclu que le demandeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, du fait qu’il avait commis un crime grave de droit commun. Une mesure d’exclusion a donc été prononcée contre lui.

 

[17]           La Commission a reçu le FRP du demandeur le 8 janvier 2009. Le 2 août 2010, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a déposé un avis d’intervention alléguant que le demandeur est exclu du régime de protection des réfugiés par application de la section 1Fb) de la Convention.

 

[18]           Le 14 octobre 2010, la Commission a tenu une audience afin de trancher la question de l’exclusion du demandeur du régime de protection des réfugiés par application de la section 1Fb) de la Convention.

 

III.       LA DÉCISION EN CAUSE

 

[19]           Dans sa décision, la Commission a exposé les circonstances ayant entouré les déclarations de culpabilité de 1984 et 1993, puis elle s’est reportée à l’article 98 de la LIPR et à la section 1Fb) de la Convention et a cité l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390, 190 DLR (4th) 128, de la Cour d’appel fédérale, selon lequel « un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s’il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans » (décision de la Commission, par. 17). La Commission a ensuite cité l’alinéa 245a)(1) du California Penal Code et l’article 267 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, et signalé que le demandeur n’avait pas contesté l’affirmation du ministre que ces deux dispositions s’équivalaient.

 

[20]           La Commission s’est également appuyée sur le paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, [2008] ACF no 1740 (QL), 305 DLR (4th) 630 [Jayasekara], et a indiqué que le critère de la peine de 10 ans d’emprisonnement qui, selon le demandeur, serait injuste, est un indicateur de la gravité du crime, mais n’est pas décisif.

 

[21]           La Commission a conclu que l’infraction ayant entraîné la déclaration de culpabilité de 1984 était en elle‑même un crime grave de droit commun. Elle a pris note de l’alcoolisme antérieur du demandeur et du fait qu’il avait purgé la totalité de ses peines et qu’il avait « saisie [sic] la deuxième chance que la vie lui a offerte, il y a dix-sept ans, et choisit [sic] de marcher dans le droit chemin » (décision de la Commission, par. 24), mais elle n’en a pas moins conclu qu’elle devait « s’en remettre à la législation et à l’état de la jurisprudence actuelle qui prévoit qu’une personne trouvée coupable d’avoir commis un crime grave de droit commun, comme c’est le cas en l’espèce, doit être exclue de l’application de la Convention » (décision de la Commission, par. 24). 

 

IV.       Les questions en litige

 

[22]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions.

 

(1)        Quelles sont les normes de contrôle applicables?

 

(2)        La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en n’établissant pas, avant de conclure à l’exclusion, si le demandeur constituait un danger pour la sécurité publique ou s’il avait été réhabilité?

 

(3)        La Commission a‑t‑elle illégalement limité son pouvoir discrétionnaire en ne prenant pas en compte que, du fait de sa réhabilitation, le demandeur ne présentait aucun danger pour la sécurité publique?

 

V.                ARGUMENTS ET ANALYSE

 

(1)        Quelles sont les normes de contrôle applicables?

 

Arguments du demandeur 

 

[23]           Selon le demandeur, la deuxième question a trait à une erreur d’interprétation de la loi qui, compte tenu du l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 [Khosa], appelle l’application de la norme de la décision correcte.

 

[24]           Le demandeur soutient que la question de savoir s’il est visé par la section 1Fb) étant une question mixte de fait et de droit, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique (Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, [2008] ACF no 299 (QL), par. 10).

 

[25]           Le demandeur n’a soumis aucun argument explicite au sujet de la norme de contrôle applicable à la troisième question.

 

Arguments du défendeur

 

[26]           Le défendeur n’a soumis aucun argument concernant les normes de contrôle applicables.

 

Analyse

 

[27]           Relativement à la deuxième question, le demandeur conteste le critère appliqué par la Commission à la question de savoir s’il avait commis un crime grave de droit commun. Comme le critère à appliquer est établi par la LIPR et la Convention, cette question en est une d’interprétation législative.

 

[28]           Dans Smith c. Alliance Pipeline Ltd, [2011] 1 R.C.S. 160, 2011 CSC 7, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada a statué ainsi :

. . . l’interprétation qu’un tribunal administratif fait de sa loi constitutive — la question en litige en l’espèce — entraîne en principe l’application de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 54), sauf lorsque la question soulevée est constitutionnelle, revêt une importance capitale pour le système juridique ou délimite la compétence du tribunal concerné par rapport à celle d’un autre tribunal spécialisé . . .

 

[29]           Il ne fait aucun doute que la LIPR est la « loi constitutive » de la Commission, et il est tout aussi clair que la question soulevée n’est pas d’ordre constitutionnel, qu’elle ne revêt pas d’importance capitale pour le système juridique pas plus qu’elle ne se rapporte à la compétence de la Commission. C’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

 

[30]           L’argument de la limitation illégale du pouvoir discrétionnaire également invoqué par le demandeur soulève une question d’équité procédurale, dont le contrôle s’effectue suivant la norme de la décision correcte (Khosa, par. 43).

 

(2)        La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit en n’établissant pas, avant de conclure à l’exclusion, si le demandeur constituait un danger pour la sécurité publique ou s’il avait été réhabilité?

 

Arguments du demandeur

 

[31]           Citant Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, 160 DLR (4th) 193, paragraphes 56 et 57, le demandeur soutient que la Convention est un instrument relatif aux droits de la personne qui doit être interprété en conséquence. Selon lui, les lois doivent être interprétées d’une manière conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11, et, plus précisément, que la section 1Fb) doit recevoir une interprétation qui ne soit ni vague ni trop large, afin de ne pas enfreindre l’article 7 de la Charte.

 

[32]           Après avoir passé en revue ce qu’il décrit comme les trois périodes jurisprudentielles concernant la section 1Fb) de la Convention, le demandeur conclut que Jayasekara et Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178, [2003] ACF no 565 (QL), 229 DLR (4th) 235, sont à présent les arrêts faisant autorité. Selon lui, ces décisions démontrent que la protection de la société contre les individus dangereux est un facteur important à considérer lorsqu’il s’agit de déterminer s’il faut exclure une personne du régime de protection des réfugiés en application de la section 1Fb).

 

[33]           Le demandeur invoque les paragraphes 28 et 29 de Jayasekara, précité, où la Cour d’appel fédérale a entériné la définition formulée par le juge Décary de l’objet principal de la section 1Fb) de la Convention dans son rapport, en particulier, au quatrième objectif mentionné au paragraphe 28, à savoir :

. . . les signataires, s’ils sont prêts à sacrifier leur souveraineté, voire leur sécurité, quand il s’agit d’auteurs de crimes politiques, entendent au contraire les préserver, pour des raisons de sécurité et de paix sociale, quand il s’agit d’auteurs de crimes ordinaires graves. Ce quatrième objectif indique aussi que les signataires ont voulu s’assurer que la Convention soit acceptée par la population d’accueil qui ne risque pas d’être forcée, sous le couvert du droit d’asile, à côtoyer des individus particulièrement dangereux.

 

[34]           Selon le demandeur, le sens du jugement de la Cour d’appel fédérale est que la section 1Fb) peut être appliquée aux demandeurs d’asile qui ont purgé leur peine, qu’ils soient fugitifs ou non. Il soutient donc que cette disposition doit recevoir une interprétation qui soit compatible avec le quatrième objectif et avec l’harmonisation du droit des réfugiées et du droit en matière d’extradition.

 

[35]           Le demandeur reconnaît que l’analyse requise par la section 1Fb) n’appelle pas de mise en balance de la gravité du crime et du risque afférent à l’exclusion du régime de protection des réfugiés (Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2004] ACF no 1142 (QL) [Xie]), mais il soutient que cela n’empêche pas de se demander, lors de l’examen de la question de savoir si l’intéressé a commis un crime grave de droit commun, s’il représente actuellement un danger pour la société.

 

[36]           Le demandeur affirme que l’examen de la dangerosité d’une personne pour la société suppose nécessairement l’évaluation de l’expiation et de la réhabilitation et qu’en conséquence il faut tenir compte des facteurs liés à la réhabilitation, l’expiation, la récidive et la persistance du danger pour rendre une décision en vertu de la section 1Fb). À l’appui de cette position, il cite de la jurisprudence internationale, émanant principalement de l’Australie (Dhayakpa v. Minister of Immigration and Ethnic Affairs, [1995] FCA 1653, Ovcharuk v. Minister for Immigration and Multicultural Affairs, [1998] FCA 1314 et Minister for Immigration and Multicultural Affairs v. Singh, [2002] HCA 7, (2002), 186 ALR 393). Il soutient essentiellement que les tribunaux d’autres pays de common law ont statué que la protection de la société dans le pays hôte est l’objet prédominant de la section 1Fb), dont on a souvent dit qu’elle instituait un compromis entre le besoin de protection du demandeur d’asile et le degré de danger qu’on pouvait demander à la société hôte de tolérer.

 

[37]           Le demandeur a également invoqué les Principes directeurs sur la protection internationale : Application des clauses d’exclusion : article 1F de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés (les principes directeurs) du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Le paragraphe 23 de ces principes directeurs explique ce qui suit :

23. Lorsque l’on considère que le crime a été expié, l’application des clauses d’exclusion ne semble plus être justifiée. Cela peut être le cas lorsque la personne a purgé une peine pour le crime en question ou éventuellement lorsqu’une période importante de temps s’est écoulée depuis que l’infraction a été commise. Les facteurs pertinents à prendre en compte sont la gravité de l’infraction, la période de temps écoulée et toute manifestation de regret exprimée par la personne concernée.

 

[38]           Le demandeur soutient que, compte tenu des faits en cause, la Commission a commis une erreur en n’examinant pas la possibilité que la section 1Fb) soit inapplicable du fait qu’il avait purgé sa peine et s’était réhabilité.

 

[39]           Il a ajouté, dans sa réponse, que l’on aboutirait à une application mécanique de la section 1Fb) de la Convention si l’on retenait la position du défendeur, ce qu’il faut éviter puisque cela va à l’encontre de l’esprit de la LIPR.

 

Les arguments du défendeur

 

[40]           Le défendeur a cité de nombreux passages de l’arrêt Xie, précité, de la Cour d’appel fédérale, pour souligner les différences entre le pouvoir discrétionnaire exercé par le défendeur à l’égard d’une demande de protection visée à l’article 112 de la LIPR dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi et la compétence exercée par la Commission sous le régime de l’article 98. Le défendeur a le mandat d’examiner si une personne interdite de territoire pour cause de grande criminalité constitue un danger pour la sécurité publique au Canada tandis qu’il est interdit à la Commission de le faire.

 

[41]           Le défendeur a également cité le paragraphe 73 de Zrig, précité, soutenant que la Cour d’appel fédérale a explicitement statué que la Commission doit limiter son examen à la question de l’existence de raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun.

 

[42]           Il fait également valoir qu’un principe élémentaire d’interprétation des lois s’oppose à ce qu’on récrive la section 1Fb) pour y inclure l’examen de la question du danger posé à la sécurité publique. Le texte de la Convention et l’esprit de la Loi sont clairs. Il n’est pas nécessaire d’y faire d’ajout.

 

[43]           S’appuyant sur le paragraphe 44 de Jayasekara, le défendeur soutient que la Commission ayant conclu que le demandeur avait commis un crime grave de droit commun, elle ne pouvait rien examiner de plus. Le fait que le demandeur a purgé sa peine n’écarte pas en soi l’application de la section 1Fb).

 

Analyse

 

[44]           L’article 98 de la LIPR énonce ce qui suit :

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[45]           La section 1Fb) de la Convention est ainsi conçue :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

. . .

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

[46]           Dans Xie, précité, la Cour d’appel fédérale a décrit ainsi, au paragraphe 39, les différences qui existent entre le rôle de la Commission dans l’application de l’article 98 de la LIPR et celui du défendeur lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’une demande d’examen des risques avant renvoi :

. . . L’exclusion porte sur le refus d’accorder l’asile. Il est toujours possible de réclamer de la protection du ministre, sous réserve toutefois de facteurs ayant trait à la sécurité du public et à celle du Canada. La pondération exigée par les sous-alinéas 113d)(i) et (ii) peut fort bien faire l’objet d’un contrôle judiciaire pour vérifier si ces facteurs constituent des « circonstances exceptionnelles » au sens de l’arrêt Suresh. Mais cette analyse aura lieu lors de l’examen, par le ministre, de la demande de protection à l’étape de l’ERAR. La Section de la protection des réfugiés ne procède pas à cette pondération lors de son examen de l’application des cas d’exclusion énumérés à l’article 98 de la Loi. Cette conclusion va dans le sens de la jurisprudence de notre Cour sur la pondération qu’il y a lieu de faire lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exclusion visée aux sections E et F de l’article premier de la Convention (voir l’arrêt Gil, précité, et Malouf, précité)

 

[47]           Dans l’affaire Xie, la Commission avait examiné le risque de torture couru par un demandeur d’asile qui avait, selon ce qu’elle avait conclu, commis un crime grave de droit commun. La Cour d’appel fédérale a statué qu’elle avait en cela commis une erreur.

 

[48]           Le demandeur reconnaît qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération le risque afférent au renvoi dans le pays d’origine pour déterminer si l’exclusion s’impose, mais Xie indique, plus largement, que l’unique obligation de la Commission à cet égard est d’établir si le demandeur d’asile a commis ou non un crime de droit commun. La réhabilitation et l’actualité du danger pour la sécurité publique n’ont pas de valeur probante pour ce qui est de cette décision.

 

[49]           Dans Jayasekara, la Cour d’appel fédérale a statué ainsi :

[41]     Je suis d’accord avec l’avocate de l’intimé pour dire que, si aux termes de la section Fb) de l’article premier de la Convention, il faut tenir compte de la durée de la peine infligée ou du fait qu’elle a été purgée, il ne faut pas considérer ces facteurs isolément. Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une peine clémente peut effectivement être prononcée même pour un crime grave, ce qui ne diminue en rien la gravité du crime commis. En revanche, une personne peut encourir dans certains pays des peines d’emprisonnement prolongées pour des actes qui ne sont pas considérés criminels au Canada.

 

. . .

 

[44]     Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité [...] En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine. . . . [Citations omises]

 

[50]           Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a une fois de plus souligné que la Commission ne doit pas tenir compte de « facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité » dans l’application de la section 1Fb). En conséquence, le fait que le demandeur a entièrement purgé sa peine aux États‑Unis peut être pris en considération en tant qu’il se rapporte à la perpétration d’un crime grave de droit commun mais non pour ce qui tient à la réhabilitation, l’expiation, la récidive et la persistance du danger.

 

[51]           Le paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara de la Cour d’appel fédérale n’étaye pas l’argument du demandeur que la Commission aurait dû examiner s’il constituait actuellement un danger pour la société, ce qui supposait l’évaluation de sa réhabilitation. La seule appréciation autorisée doit porter sur les circonstances sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité et à l’accomplissement de la peine, non celles qui se sont produites par la suite.

 

[52]           En outre, la Cour souscrit entièrement au raisonnement tenu par le juge Mosley dans la décision récente Camacho c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 789, [2011] ACF no 994 (QL), au paragraphe 16, pour réfuter l’argument du demandeur que le cinquième facteur énuméré dans Jayasekara permettait au demandeur d’établir qu’il s’était repris en main :

. . . Je ne partage pas son avis. Ce dont il est question dans Jayasekara, ce sont les circonstances atténuantes et aggravantes quant à la nature des crimes commis; il ne s’agit pas de facteurs postérieurs à la perpétration à prendre en compte pour juger de la réadaptation du délinquant demandeur d’asile. Aux fins ainsi d’établir si la clause d’exclusion est applicable, il ne suffit pas pour un demandeur d’asile de dire qu’il regrette maintenant ses actions passées et qu’il a repris sa vie en main si ses actions, lorsqu’il les a commises, constituaient un crime grave de droit commun.

 

[53]           La Cour ne peut retenir l’argument du demandeur que la Commission devait appliquer le paragraphe 23, précité, des principes directeurs de l’UNHCR, puisqu’il est établi qu’il ne s’agit pas de principes impératifs mais de simples lignes directrices (voir Jayasekara, par. 39).

 

[54]           Comme la Commission elle-même l’a indiqué, il se peut que le demandeur trouve cela injuste puisqu’il s’est repris en main, mais il demeure exclu du régime de protection des réfugiés. Compte tenu des dispositions législatives applicables et de la jurisprudence, il est clair que la décision de la Commission de ne pas se prononcer sur la question du danger actuel posé par le demandeur est raisonnable.

 

(3)        La Commission a‑t‑elle illégalement limité son pouvoir discrétionnaire en ne prenant pas en compte que, du fait de sa réhabilitation, le demandeur ne présentait aucun danger pour la sécurité publique?

 

Les arguments du demandeur

 

[55]           Le demandeur soutient que si la Commission n’était pas tenue de statuer sur la question du danger actuel qu’il pouvait poser pour la sécurité publique elle devait néanmoins faire intervenir ce facteur dans son analyse et que, puisqu’il appert clairement des motifs de la Commission qu’elle a estimé être obligée d’exclure le demandeur bien qu’il semblât s’être réhabilité, elle a limité son pouvoir discrétionnaire. 

 

Les arguments du défendeur

 

[56]           Le défendeur n’a soumis aucun argument sur ce point.

 

Analyse

 

[57]           La limitation d’un pouvoir discrétionnaire survient généralement lorsqu’un décideur administratif attache trop d’importance à des lignes directrices. Dans Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, [2009] ACF no 1643 (QL), la Cour fédérale a indiqué ce qui suit :

[33] Un décideur administratif ne peut pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à moins qu’il n’y soit autorisé par une loi. Cependant, il n’est pas fautif pour un décideur administratif de prendre en compte les lignes directrices et les politiques susceptibles d’accroître la qualité des décisions administratives par des moyens propres à uniformiser le traitement des demandes. Si le décideur administratif traite les lignes directrices ou les politiques comme des instruments immuables sans qu’il soit nécessaire d’examiner d’autres facteurs qui peuvent s’appliquer aux circonstances particulières d’une cause, alors on peut conclure que le décideur a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire  [citation omise].

 

[58]           On peut ainsi concevoir que la Commission pourrait limiter son pouvoir discrétionnaire à l’égard de la section 1Fb) en appliquant le critère de la peine maximale d’au moins dix ans sans tenir compte d’autres facteurs pouvant indiquer que le crime n’était pas grave ou qu’il ne s’agissait pas d’un crime de droit commun.

 

[59]           En l’espèce, le demandeur fait valoir que la Commission aurait dû prendre en considération qu’il s’était réhabilité et examiner la question du danger qu’il pouvait poser pour la sécurité publique. Comme la Cour l’a mentionné à l’égard de la deuxième question, la Commission n’est pas habilitée à tenir compte de tels facteurs puisqu’ils ne se rapportent pas à la question de savoir si le demandeur a commis un crime grave de droit commun. Par conséquent :

 

·                    La Cour conclut que la commission n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire en n’examinant pas ces questions.

 

·                    Le choix des facteurs à prendre en considération effectué par la Commission était raisonnable, et celle‑ci n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire.

 

VI.       QUESTION PROPOSÉE POUR CERTIFICATION

 

[60]           Le demandeur demande la certification de la question suivante :

 

Lorsque la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié applique la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés dans un cas où l’intéressé ne cherche pas à fuir la justice et a purgé sa peine, la réhabilitation de l’intéressé depuis la perpétration des crimes en cause et, par suite, le fait qu’il ne constitue plus un danger pour la sécurité publique sont‑ils des facteurs pertinents à prendre en considération?

 

[61]           Il soutient que cette question satisfait au critère applicable en matière de certification parce qu’elle transcende l’intérêt des parties, a une portée générale et est déterminante pour l’issue de l’affaire.

 

[62]           Le défendeur, pour sa part, s’oppose à la certification d’une question en faisant valoir que, pour ce qui concerne l’objet du présent litige, le libellé de la section 1Fb) de la Convention est clair, et il réitère, à cet égard l’argumentation soumise à l’audience ainsi que dans son mémoire. Il conclut enfin, dans sa lettre du 2 août 2011, que si la Cour devait néanmoins conclure à l’opportunité de certifier une question, c’est la question suivante qui devrait être certifiée :

 

Lorsque la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié applique la section Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés la réhabilitation de l’intéressé depuis la perpétration des crimes en cause est‑elle un facteur pertinent à prendre en considération?

 

[63]           Dans Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 1 R.C.F. 129, 2009 CAF 145, notre Cour a déclaré au paragraphe 29 qu’une question grave de portée générale découle des questions en litige dans l’affaire et non des motifs du juge. En l’espèce, la Cour estime qu’il existe une question grave, et que cette question satisfait également au deuxième volet du critère établi par l’alinéa 74d) de la LIPR en ce qu’elle a une portée générale.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  la question suivante est certifiée :

Lorsque la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié applique la section Fb) de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies la réhabilitation de l’intéressé depuis la perpétration des crimes en cause est‑elle un facteur pertinent à prendre en considération?

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.


Cour fÉdÉrale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-7327-10

 

INTITULÉ :                                       LUIS ALBERTO HERNANDEZ FEBLES

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                            DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 19 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      le 27 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jared Will et Peter Shams

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Normand Lemyre

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jared Will

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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