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Date : 20110920

Dossier : IMM‑494‑11

Référence : 2011 CF 1079

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ZOJA ZOJA (alias ZOJA PERKOVIQ) ROBERT PERKOVIQ,

ELIZABETH DUSEVIC,

CHRISTIAN MARK DUSHAJ fils,

SHPRESA PERKOVIQ,

GJERGJ PERKOVIQ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Contexte

 

[1]               Les demandeurs sont les membres d’une famille de demandeurs d’asile ayant quitté le Kosovo pour les États‑Unis en 1986. Ils ont vécu illégalement aux États‑Unis après le rejet de leur demande d’asile en 1989. En 2008, ils sont entrés clandestinement au Canada.

 

[2]               La famille est composée de Mme Zoja Zoja (alias Zoja Perkoviq), son mari, Gjergj Perkoviq, leur fils, Robert, leurs filles, Shpresa et Elizabeth, et du fils d’Elizabeth, Christian. (Zoja et Gjergj ont deux autres fils, Alfred et Kastriot Perkoviq, mais ces derniers ne sont pas parties à la présente demande). Les demandeurs sont citoyens du Kosovo, à l’exception de Shpresa et de Christian qui sont citoyens américains.

 

[3]               La demande des demandeurs était fondée sur leur appartenance ethnique mixte et leur religion. Ils sont des ressortissants albanais, portent un nom de famille serbe et pratiquent la religion catholique. Ils affirment que la majorité albanaise les considère comme des Serbes, tandis que la minorité serbe les considère comme des Albanais. De plus, Zoja a affirmé être persécutée parce qu’elle est une femme, soutenant que les femmes au Kosovo ont un statut social précaire, qu’elles sont mal traitées et qu’elles reçoivent une protection moindre de l’État. Gjergj a également prétendu que sa famille était la cible de la vengeance d’une famille portant le nom Leshaj.

 

[4]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande des demandeurs principalement au motif que la preuve qu’ils ont présentée n’était pas crédible. Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la Commission concernant leur crédibilité sont erronées, qu’elle n’a pas procédé à une analyse complète de leur demande, que la décision rendue est déraisonnable, et qu’elle n’a pas suffisamment motivé sa décision. Ils demandent à la Cour d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner le renvoi de l’affaire à la Commission pour une nouvelle audience devant un autre tribunal.

 

[5]               Je suis d’accord avec les demandeurs que la Commission a mené une analyse incomplète de l’affaire et j’accueillerai leur demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs soulevés par les demandeurs.

 

II.         La décision de la Commission

 

[6]               Étant donné que Shpresa et Christian sont tous deux citoyens américains, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas lieu de leur accorder l’asile au Canada. Les demandeurs ne contestent pas cette conclusion.

 

[7]               La Commission a également rejeté les demandes des autres demandeurs, principalement au motif que leurs témoignages étaient invraisemblables et non crédibles. La Commission a particulièrement mis en doute le témoignage de Gjergj. Gjergj a affirmé dans sa déclaration écrite que la famille ne pouvait pas retourner au Kosovo parce qu’elle est la cible de la vengeance de la famille Leshaj. Il n’a toutefois pas fait mention de cette situation lorsqu’il s’est présenté au point d’entrée (PDE). La Commission a considéré que cette omission était incompatible avec sa déclaration voulant que la conduite de la famille Leshaj soit la principale raison pour laquelle la famille avait quitté le Kosovo en 1986.

 

[8]               Gjergj a déclaré que ses fils Alfred et Kastriot avaient été expulsés des États‑Unis en 2007 et que, à leur retour au Kosovo, des inconnus les avaient attaqués dans la rue et avaient incendié leur appartement. Selon Gjergj, ses fils s’étaient fait dire qu’il s’agissait d’un message de la famille Leshaj. Toutefois, la Commission a conclu que Gjergj « est resté vague et évasif » dans ses réponses et a estimé que son témoignage n’était ni digne de foi ni crédible.

 

[9]               Le témoignage d’Elizabeth n’a pas convaincu la Commission. Cette dernière n’était pas très au courant du conflit avec la famille Leshaj et n’en avait rien dit à sa mère. La Commission a estimé que ce témoignage n’était « pas du tout digne de foi ». La Commission s’est aussi montrée préoccupée par le fait que Zoja n’ait pas fait mention du conflit dans son témoignage. Les principaux motifs de crainte qu’elle avait invoqués étaient l’appartenance ethnique albanaise de la famille, sa religion catholique et son nom de famille serbe. Qui plus est, aucun des demandeurs n’a fait mention du conflit avec la famille Leshaj au PDE.

 

[10]           La Commission a aussi mis en doute le témoignage de Robert. Au moment où il a été interrogé au PDE, il s’est dit incapable de retourner au Kosovo parce qu’il serait loin de sa femme (celle‑ci étant citoyenne américaine), qu’ils attendaient un enfant, qu’il ne parlait pas couramment la langue, et que son frère qui avait été déporté en 2007 lui avait parlé des piètres conditions de vie au Kosovo. Robert n’a pas mentionné la persécution comme étant l’un de ses motifs de ne pas vouloir retourner au Kosovo.

 

[11]           Mme Megan Perkoviq, citoyenne américaine mariée à Alfred, a témoigné qu’elle était au Kosovo en 2007 au moment où Alfred et Kastriot avaient été attaqués et que leur appartement avait été incendié. Elle n’était toutefois pas au courant des menaces de la famille Leshaj. Le tribunal a tiré une inférence défavorable de son témoignage et a conclu que la famille avait inventé l’histoire du conflit avec la famille Leshaj pour justifier sa demande d’asile.

 

[12]           En ce qui concerne la crainte des demandeurs relative à la persécution fondée sur leur appartenance ethnique, Zoja, Elizabeth et Robert ont tous trois témoigné que les frères avaient été attaqués par de jeunes Albanais en raison de leur accent, de leur nom serbe et du fait qu’ils ne vivaient pas au Kosovo. Toutefois, ayant estimé qu’aucun élément de preuve n’étayait ces allégations, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’une agression fortuite.

 

[13]           En ce qui concerne la question de la protection de l’État, la Commission a conclu que la police avait pris certaines mesures. La Commission a constaté que la protection de l’État au Kosovo « présente certaines faiblesses », mais elle a par ailleurs souligné que cette protection n’a pas à être parfaite, et qu’il incombe aux demandeurs de réfuter la présomption de protection de l’État. La Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté de preuve claire et convaincante de l’incapacité du Kosovo à protéger ses propres citoyens.

 

[14]           La Commission a tiré une inférence défavorable des divergences et des fréquentes contradictions dans les témoignages des demandeurs au soutien de leur demande d’asile. Elle a conclu que la volonté des demandeurs de s’installer au Canada n’était pas motivée par la crainte, mais par leur incapacité d’acquérir un statut aux États‑Unis et leur aspiration à une vie meilleure. En outre, la Commission a conclu que la preuve des demandeurs ne démontrait pas qu’ils courraient un risque de persécution s’ils retournaient au Kosovo. En conséquence, elle a rejeté leurs demandes.

 

III.       La Commission a‑t‑elle omis de faire une analyse complète de la demande des demandeurs?

 

[15]           Le ministre soutient que la Commission a examiné le bien‑fondé de la demande des demandeurs. En outre, le ministre avance que la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle en ne procédant pas à l’analyse de la question de la condition de la femme puisque de toute évidence il ne s’agissait pas du motif principal de la demande de Zoja.

 

[16]           La Commission n’a manifestement pas ajouté foi à la preuve relative au conflit entre les familles. Toutefois, j’estime que la Commission a omis d’examiner les autres motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leur demande, soit ceux relatifs à l’appartenance ethnique mixte et à la religion. En fait, la décision de la Commission ne contient aucune évaluation des risques courus par les demandeurs à cet égard, et ce, malgré la preuve déposée devant la Commission que l’agression des frères était effectivement liée à l’appartenance ethnique. En effet, une insulte raciste avait été peinte sur la porte de leur appartement.

 

[17]           De plus, des preuves documentaires auxquelles la Commission ne fait pas référence appuyaient cet aspect de la demande. Le rapport de 2009 sur le Kosovo du Département d’État américain constate que les catholiques, les Serbes d’origine albanaise et les personnes nées de mariages mixtes qui sont considérées comme étant Serbes sont exposés à des risques particuliers. Une réponse à une demande d’information fait état de la vulnérabilité des Kosovars albanais dans des mariages mixtes et de leur besoin de protection internationale. Qui plus est, l’UNHCR dans ses Principes directeurs en matière d’éligibilité pour évaluer le besoin de protection internationale des Kosovars estime que les personnes engagées dans un mariage mixte ou les enfants nés d’un mariage mixte constituent l’un des quatre groupes qui courent le plus de risques au Kosovo.

 

[18]           En ce qui concerne la question de la condition de la femme, la Commission a simplement omis de traiter de cet aspect de la demande, malgré la preuve qui lui a été présentée. Un rapport de 2009 du Département d’État américain indique qu’au Kosovo les femmes sont victimes de persécution, de violence conjugale, de harcèlement sexuel et de discrimination.

 

[19]           À mon avis, la Commission a porté son attention uniquement sur la partie de la demande relative à un conflit de longue date avec une autre famille. À cet égard, la Commission était en droit de conclure que la preuve des demandeurs à ce sujet n’était pas crédible. Toutefois, elle avait également le devoir de considérer les autres motifs présentés par les demandeurs et d’examiner leur bien‑fondé. L’absence de force probante de la preuve des demandeurs relative au conflit n’était pas digne de foi n’autorisait pas la Commission à ne pas considérer les autres motifs. Comme je l’ai exposé dans Joseph c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 548, au par. 11 :

 

Le Tribunal doit se garder de rejeter une demande d’asile parce qu’il ne croit pas certaines parties du témoignage du demandeur ou des éléments de preuve qui ne touchent pas l’essentiel de la demande. Parfois, le demandeur peut embellir son récit ou oublier certains détails secondaires. Il est déraisonnable pour le Tribunal de rejeter une demande seulement parce qu’il estime que des preuves en marge de l’affaire ne sont pas crédibles ou fiables. Même si le Tribunal conclut que certains éléments de preuve ne sont pas crédibles, il doit poursuivre son analyse pour déterminer s’il subsiste des éléments de preuve crédibles étayant le bien‑fondé d’une crainte de persécution.

 

[20]           Dans sa décision, la Commission a omis d’examiner s’il restait des éléments de preuve fiables confirmant la crainte de persécution des demandeurs fondée sur l’appartenance ethnique mixte, la religion et le sexe. Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle est, pour ce motif, déraisonnable.

 

IV.       Conclusion et dispositif

 

[21]           La Commission a omis d’analyser des aspects importants de la demande d’asile des demandeurs. Par conséquent, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable et je dois, pour ce motif, accueillir la demande de contrôle judiciaire des demandeurs. Aucune partie n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et aucune question n’est énoncée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission pour une nouvelle audience devant un autre tribunal.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑494‑11

 

INTITULÉ :                                                   ZOJA ZOJA, ET AL. c.
MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 13 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’REILLY

 

DATE :                                                           Le 20 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

POUR LES DEMANDEURS

 

Suran Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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