Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110908

Dossier : IMM-1613-11

Référence : 2011 CF 1063

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Crampton

 

 

ENTRE :

 

KLODJAN TRAKO

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Klodjan Trako, est un citoyen albanais qui craint d’être tué par des membres de la famille Fidas, qui, selon lui, ont déclaré une vendetta contre sa famille.

 

[2]               Il soutient que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a commis une erreur en rejetant sa demande d’asile, parce que :

 

i.         elle a conclu que certains éléments de preuve présentés par M. Trako n’étaient pas crédibles et elle ne lui pas donné la possibilité de dissiper ses doutes quant à la crédibilité;

 

ii.       elle a conclu qu’il n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État; et

 

iii.      elle a apprécié sa crainte subjective dans le cadre de son analyse fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

 

I.          Contexte

[4]               En 2005, M. Trako a fui l’Albanie après avoir été agressé par des policiers armés et masqués qui l’ont menacé en raison de son appui au Parti démocratique. À son arrivée aux États‑Unis, il a été arrêté et détenu pendant six mois. Il a déposé une demande d’asile et s’est installé dans le Wisconsin après sa libération.

 

[5]               En novembre 2006, il a commencé à vivre avec Enkeleda Hervert et la fille qu’elle avait eue d’un mariage antérieur. Mme Hervert est également d’origine ethnique albanaise.

 

[6]               En mars 2007, M. Trako et Mme Hervert ont mis fin à leur relation amoureuse, mais ont continué de vivre ensemble.

 

[7]               En juin 2008, la mère de Mme Hervert, alors en visite aux États‑Unis, a appris que sa fille avait eu une liaison avec M. Trako. Peu après, le père de Mme Hervert, Defrim Fidas, qui vit en Albanie, a dit à M. Trako qu’il ne pouvait pas se séparer de sa fille sans porter atteinte à l’honneur de la famille Fidas. Peu de temps après, M. Trako aurait appris qu’un représentant de la famille Fidas avait déclaré une vendetta entre les deux familles.

 

[8]               Après avoir été agressé par deux Albanais qui lui auraient dit que l’agression était un message de M. Fidas, M. Trako s’est enfui au Canada et a présenté sa demande d’asile en avril 2010. Sa demande reposait sur deux moyens : (i) une crainte de persécution fondée sur ses opinions politiques, et (ii) une crainte d’être tué par des membres de la famille Fidas.

 

II.        Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               La Commission a jugé que la protection de l’État était la question déterminante et a finalement conclu que M. Trako n’avait pas établi au moyen d’une preuve claire et convaincante qu’il ne pourrait bénéficier d’une protection adéquate de l’État s’il devait retourner en Albanie et demander une telle protection.

 

[10]           La Commission a également rejeté le volet de la demande d’asile de M. Trako fondé sur ses activités politiques en Albanie. La Commission a conclu que le demandeur avait donné un compte rendu dans l’ensemble crédible des faits survenus en Albanie avant sa fuite pour les États‑Unis, mais elle a noté que le Parti démocratique, qu’il appuyait, était actuellement au pouvoir. La Commission a conclu qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de ce volet particulier de la demande. M. Trako n’a pas contesté cet aspect de la décision de la Commission devant la Cour.

 

[11]           Dans sa décision, la Commission a également tiré plusieurs conclusions quant à la crédibilité. En particulier, elle a mis en doute la crédibilité : (i) d’une lettre de Gjin Marku, président du Comité de réconciliation nationale (CRN), attestant l’existence d’une vendetta entre les familles Fidas et Trako, et (ii) d’une lettre dans laquelle le père de M. Trako affirme qu’un membre de la famille Fidas a communiqué avec lui pour déclarer une vendetta.

 

[12]           En outre, la Commission a conclu que le départ de M. Trako des États‑Unis, où il avait vécu depuis février 2005 et où il avait une demande d’asile en instance, ne concordait pas avec une crainte subjective de subir des mauvais traitements ou d’être tué en cas de retour en Albanie.

 

[13]           Quoi qu’il en soit, la Commission a souligné que, même si elle avait conclu que M. Trako était crédible, la protection de l’État pourrait raisonnablement être assurée s’il retournait en Albanie.

 

III.       Norme de contrôle

[14]           Sauf une exception, les questions que M. Trako a soulevées sont des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 51 à 55). En bref, la décision de la Commission sera maintenue à moins qu’elle n’appartienne pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle ne soit pas suffisamment justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[15]           La question d’équité procédurale et de justice naturelle que M. Trako a soulevée est  contrôlable selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 55 et 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

IV.       Analyse

A.  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que certains éléments de preuve présentés par M. Trako n’étaient pas crédibles et en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses doutes quant à la crédibilité?

 

[16]           M. Trako soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission de mettre « sérieusement en doute [l]a crédibilité » de la lettre d’attestation de M. Marku, alors que :

 

i.         une réponse récente à une demande d’information figurant sur le site Web de la Commission reconnaît que le CRN « est la seule organisation consacrée aux vendettas qui a l’autorisation du gouvernement pour confirmer l’authenticité des cas de vendetta et délivr[er] des lettres d’attestation »;

 

ii.       d’autres documents sur le site Web de la Commission indiquent qu’un représentant de l’ambassade du Canada, qui se trouve probablement en Albanie, « a affirmé qu’il est possible de faire confirmer l’authenticité d’un cas de vendetta en communiquant avec le président du [CRN]; et

 

iii.      la Cour a à de nombreuses reprises conclu que M. Marku et le CRN étaient crédibles et s’est fondée sur des éléments de preuve fournis par M. Marku ou d’autres personnes liées au CRN pour annuler des décisions de la Commission.

 

[17]           Je ne suis pas d’accord.

 

[18]           La Commission a indiqué très clairement que, même si elle avait conclu à la crédibilité des allégations de M. Trako relativement à la vendetta, une protection de l’État pourrait raisonnablement lui être assurée s’il retournait en Albanie.

 

[19]           Cela étant dit, le fait que le CRN puisse être reconnu par la Commission comme étant la seule organisation à être autorisée par le gouvernement albanais à confirmer l’authenticité des cas de vendetta n’empêche pas la Commission dans certains cas de mettre en doute la crédibilité de lettres d’attestation écrites par M. Marku au nom du CRN. Comme l’a concédé l’avocat de M. Trako durant l’audition de la présente demande, les lettres d’attestation écrites par M. Marku ou d’autres personnes au nom du CRN ne sont pas des éléments de preuve déterminants pour établir l’existence d’une vendetta. De telles lettres devront souvent se voir accorder un poids considérable, mais il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il sera raisonnablement loisible à la Commission de mettre en doute leur crédibilité, en particulier lorsque leur contenu ne concorde pas avec ce qu’indique la prépondérance des autres éléments de preuve soumis à la Commission. C’est précisément ce qui s’est passé en l’espèce.

 

[20]           Comme l’ont reconnu M. Marku et la Commission, les faits à l’appui de la demande en l’espèce sont inhabituels. Notamment, la vendetta en question aurait été déclarée après que M. Trako eut vécu aux États‑Unis pendant plus de deux ans. En outre, d’autres lettres fournies par M. Trako à la Commission ne faisaient aucune mention de la vendetta. En particulier, ni la lettre écrite par Mme Hervert datée du 27 novembre 2010 ni la lettre non datée écrite par le cousin de M. Trako, Hasime Trako, ne faisaient référence à la vendetta. De plus, aucune lettre ni aucun autre élément de preuve n’ont été fournis pour le compte des amis qui, selon les allégations, auraient été témoins de l’agression commise contre M. Trako par deux Albanais aux États‑Unis, laquelle, selon M. Trako, aurait précipité sa fuite au Canada. La lettre de la communauté de Lazarat, confirmant que le père de M. Trako ne vit plus dans ce village, ne faisait pas non plus référence à la vendetta.

 

[21]           En bref, on n’a pas expliqué pourquoi les éléments de preuve qui semblaient pouvoir corroborer l’existence de la vendetta n’ont pas été produits. En conséquence, les seuls éléments corroborant l’existence de cette vendetta étaient la lettre d’attestation écrite par M. Marku et la lettre du père de M. Trako.

 

[22]           La Commission a consacré presque quatre pages de sa décision à l’analyse de la lettre d’attestation de M. Marku et d’une deuxième lettre, très longue, écrite par M. Marku au professeur Philip Alston, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Cette deuxième lettre, datée du 16 avril 2010, répondait à un courriel du 9 mars 2010 et semble faire partie d’une longue correspondance entre M. Marku et le professeur Alston. Malheureusement, bien que la lettre elle‑même ait fait partie du Cartable national de documentation de la Commission, la correspondance pertinente n’a pas été produite à la Commission. En conséquence, la Commission a noté à bon droit qu’elle se trouvait dans une situation difficile, car elle devait analyser « la lettre de M. Marku sans contexte complet et approprié, et sans être en mesure de voir la correspondance écrite par le professeur Alston ». Vu la nature et la longueur de la réponse de M. Marku au professeur Alston, il est raisonnable de se demander ce que le professeur Alston peut bien avoir dit sur le CRN pour avoir provoqué une telle réponse.

 

[23]           La Commission a aussi fait remarquer à bon droit que la lettre de M. Marku contenait divers renseignements et de nombreuses statistiques, mais peu d’indications concernant la source de ces renseignements. À cet égard, la Commission a souligné que M. Marku avait fortement mis en doute (i) les statistiques relatives aux vendettas tirées des données du gouvernement albanais, et (ii) certaines conclusions tirées par M. Alston dans un rapport qu’il était alors en train de rédiger et qu’il a finalement terminé le 10 mai 2010 (le rapport Alston). La Commission s’est ensuite demandé pourquoi M. Marku n’avait pas fourni la source des renseignements qui, selon lui, devraient être retenus.

 

[24]           Se fondant sur le rapport Alston, la Commission a exprimé des réserves quant à « l’objectivité de M. Marku relativement aux vendettas ». Plus particulièrement, la Commission a fait observer que le rapport Alston avait relevé « des divergences importantes dans les statistiques concernant les vendettas », ce qu’il attribuait, en partie, « à la motivation des organisations non gouvernementales à exagérer l’ampleur du problème des vendettas dans le but d’obtenir des fonds ». La Commission a souligné que « d’autres sources ont fait des critiques similaires, dont l’une fait référence au fait que les “[…] groupes de réconciliation gonflent le nombre des vendettas afin de justifier leur implication continue dans ce domaine”, tandis qu’une autre affirme que certains comités de réconciliation s’efforcent surtout de réunir des fonds pour leur organisation ».

 

[25]           Dans son rapport, le professeur Alston n’a pas expressément décrit le CRN comme un groupe de réconciliation qui, selon lui, pouvait gonfler ses statistiques, mais la Commission a indiqué que la lettre de M. Marku au professeur ne prenait pas acte et ne traitait pas de « la preuve objective qui indique que son organisation reçoit un soutien financier de la part d’organisations non gouvernementales et de gouvernements et organismes étrangers ». Selon la preuve dont elle était saisie, la Commission a conclu que « M. Marku et son organisation s[on]t incités financièrement à exagérer l’ampleur du problème des vendettas ».

 

[26]           Compte tenu de tout ce qui précède et du fait que « rien n’indique que le professeur Alston manque d’objectivité », la Commission a décidé d’accorder plus de poids au rapport de ce dernier qu’à la lettre que lui avait écrite M. Marku. Ce rapport indique notamment que le professeur Alston [traduction] « estime, après mûre réflexion, que […] le nombre exact [de vendettas au cours des dernières années] se rapproche davantage des données fournies par le gouvernement, en particulier en ce qui concerne les meurtres ».

 

[27]           À mon avis, pour les motifs exposés par la Commission, il était raisonnablement loisible à la Commission d’accorder plus de poids au rapport Alston qu’à la lettre écrite par M. Marku au professeur Alston et à d’autres documents antérieurs au rapport Alston. Cela étant, il était également raisonnablement loisible à la Commission de mettre en doute la crédibilité de la lettre d’attestation de M. Marku, qui indiquait notamment que le [traduction] « nombre de vendettas a[vait] augmenté en Albanie dernièrement ». Cette affirmation était directement contredite par (i) la déclaration du professeur Alston selon laquelle [traduction] « le nombre de meurtres liés aux vendettas en Albanie a diminué de façon constante au cours des cinq dernières années […] », et par (ii) d’autres documents sur le pays, cités par la Commission, selon lesquels le nombre de meurtres liés aux vendettas « est passé à près de zéro au cours des dernières années ».

 

[28]           Il convient de souligner qu’il ne faudrait pas interpréter ma conclusion sur ce point comme indiquant de quelque façon que ce soit qu’il sera raisonnablement loisible à la Commission de mettre systématiquement en doute la crédibilité des lettres d’attestation de M. Marku ou d’autres personnes liées au CRN, en se fondant uniquement sur le contenu du rapport Alston. Chaque affaire repose sur des faits qui lui sont propres et sur le dossier de preuve dans son ensemble.

 

[29]           En l’espèce, la Commission a dû choisir entre, d’une part, une allégation inhabituelle et difficile à croire et, d’autre part, des lettres d’attestation de M. Marku et du père de M. Trako. Vu les faits particuliers de la présente affaire, je suis convaincu que la Commission pouvait raisonnablement accorder à ces deux lettres d’attestation moins de poids que ce qu’il aurait pu être justifié de leur accorder dans d’autres circonstances. Je suis convaincu que la décision de la Commission était justifiée, transparente et intelligible. Elle appartenait aussi aux issues acceptables en fait et en droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[30]           Après que la Commission eut raisonnablement soulevé un doute quant à la crédibilité de la preuve présentée par M. Marku, la lettre du père de M. Trako était le seul élément de preuve restant pour corroborer l’allégation de M. Trako relativement à la vendetta. Dans les circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de rejeter cette lettre pour y préférer la prépondérance de la preuve restante qui n’étayait pas la crédibilité des allégations de M. Trako. En rejetant cette lettre, la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a fait remarquer que le père de M. Trako avait un intérêt dans l’issue de l’affaire et n’avait pas pu être contre‑interrogé sur sa lettre.

 

[31]           Le principe de la courtoisie judiciaire n’est d’aucune utilité à M. Trako, en particulier en raison (i) de la nature inhabituelle de l’allégation de M. Trako, (ii) du fait que le rapport Alston a été publié après le prononcé de nombreuses décisions invoquées par M. Marku, et (iii) du fait que rien n’indique que le rapport Alston faisait partie du dossier de preuve dans les décisions restantes (y compris Murati c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1324) citées par M. Marku (Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, au paragraphe 62).

 

[32]           M. Trako soutient également que la Commission a manqué aux principes de justice naturelle à son endroit en ne lui donnant pas la possibilité de dissiper ses doutes quant à la crédibilité de la lettre d’attestation de M. Marku.

 

[33]           Je ne suis pas d’accord.

 

[34]           Le rapport Alston figurait dans le Cartable national de documentation accessible au public daté du 29 octobre 2010, environ deux mois avant l’audience de la Commission sur la présente affaire, qui a eu lieu le 23 décembre 2010. Comme il s’agissait d’une preuve sur la situation dans le pays facile à obtenir, la Commission n’avait pas à en traiter expressément durant l’audition de la demande de M. Trako. Il était entièrement loisible à la Commission de mettre en doute la crédibilité de la lettre de M. Marku, après avoir examiné le contenu du rapport Alston, sans donner à M. Trako la possibilité de traiter expressément de la question des raisons possibles pour lesquelles M. Marku voulait confirmer l’existence d’une vendetta qui n’avait pas par ailleurs été confirmée par la prépondérance de la preuve.

 

B.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que M. Trako n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État?

 

[35]           M. Trako a prétendu que la Commission avait commis une erreur parce qu’elle n’avait pas apprécié adéquatement d’importants éléments de preuve contradictoires en concluant qu’il pourrait raisonnablement se prévaloir de la protection de l’État s’il retournait en Albanie. À cet égard, il réitère essentiellement ses observations selon lesquelles il était déraisonnable pour la Commission de ne pas accorder de valeur probante aux lettres de son père et de M. Marku. Il a également souligné que la Commission n’avait pas pris en considération un document en particulier qui indiquait que la police albanaise attend souvent qu’un crime soit commis avant de se mêler des vendettas.

 

[36]           Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs exposés à la partie IV.A ci‑dessus, je suis convaincu que la Commission n’a pas commis d’erreur en n’accordant pas plus de poids aux lettres d’attestation du père de M. Trako et de M. Marku.

 

[37]           En tirant sa conclusion sur la protection de l’État, la Commission s’est référée abondamment à un document intitulé 2009 Human Rights Report: Albania, établi par le Département d’État des États‑Unis. Elle s’est aussi référée à un Exposé de 2008 publié par la Commission, au rapport Alston, à un document émanant du United Kingdom Border Protection, et à d’autres sources.

 

[38]           Je suis convaincu que la Commission a traité la documentation sur le pays mentionnée précédemment de façon équitable, équilibrée et raisonnable. La Commission a traité expressément de certains éléments qui n’appuyaient pas la conclusion qu’elle a tirée relativement au caractère adéquat de la protection offerte par l’État albanais. Elle a notamment fait remarquer ce qui suit :

 

i.         Il existe des préoccupations au sujet de la corruption et de l’impunité policière, et le rendement global de l’application de la loi est faible.

 

ii.       Les problèmes persistent malgré les réformes du système judiciaire qui ont donné lieu à des améliorations.

 

iii.      En raison de la corruption et des pressions économiques, le système judiciaire ne fonctionne pas toujours de manière indépendante.

 

iv.     Les efforts déployés par la police pour lutter contre les vendettas ne sont pas toujours appuyés par les procureurs ou les tribunaux.

 

v.       Dans bien des cas, les assassins sont arrêtés, poursuivis en justice et condamnés; toutefois, certains cas demeurent non résolus.

 

[39]           Après avoir examiné la documentation sur le pays, la Commission a souligné expressément que les « éléments de preuve objectifs concernant la protection de l’État en Albanie sont contradictoires ». En bref, la Commission a souligné que bien que différentes mesures prises par l’État en vue de protéger ses citoyens aient obtenu un certain succès, un certain nombre de faiblesses demeuraient apparentes.

 

[40]           Ayant pris en considération l’ensemble de la preuve, dont le fait que le nombre de meurtres liés aux vendettas est passé à près de zéro au cours des dernières années, la Commission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que M. Trako n’avait pas présenté une preuve claire et convaincante permettant de réfuter la présomption selon laquelle il pourrait bénéficier d’une protection adéquate de l’État s’il retournait en Albanie.

 

[41]           Eu égard à la preuve dont était saisie la Commission en l’espèce, je suis convaincu que conclusion de la Commission sur ce point (i) appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits, et (ii) était suffisamment justifiée, transparente et intelligible.

 

[42]           Il incombait à M. Trako de présenter une preuve claire et convaincante propre à convaincre la Commission selon la prépondérance de la preuve qu’il ne pourrait vraisemblablement pas se prévaloir d’une protection adéquate de l’État s’il devait retourner en Albanie (Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 54; Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 30). En l’espèce, la Commission a raisonnablement conclu que M. Trako ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

 

[43]           À l’audition de la présente demande, M. Trako a également fait valoir que la Commission avait commis une erreur en ne traitant pas expressément de la preuve produite par son père selon laquelle à un certain moment, lorsqu’il avait informé la police de la vendetta en question, on lui avait tout simplement dit de s’adresser au CRN. Compte tenu des faits particuliers de la présente affaire, je suis convaincu que cela ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle, en particulier parce que la Commission a expressément noté dans son appréciation de la question de la protection de l’État que (i) « [l]a police a collaboré avec des organisations non gouvernementales de réconciliation en vue de lutter contre les vendettas », et qu’(ii) à la fin des années 90, il y avait plus de quarante meurtres liés aux vendettas par année, mais que ce nombre est passé à près de zéro au cours des dernières années.

 

C.  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en appréciant la crainte subjective dans le cadre de son analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR?

 

[44]           M. Trako soutient que la Commission a commis une erreur en appréciant sa crainte subjective après avoir conclu qu’il n’avait pas établi de lien avec l’un des motifs de persécution reconnus par la Convention, lesquels sont énoncés à l’article 96 de la LIPR. Il prétend qu’à tout le moins, l’analyse de sa crainte subjective par la Commission est confuse et inintelligible et contrevient à l’obligation de la Commission de fournir des motifs adéquats, intelligibles et transparents.

 

[45]           Je ne suis pas d’accord.

 

[46]           Dans sa décision, la Commission a dit expressément que la protection de l’État était la question déterminante en l’espèce. Pour les motifs exposés à la partie IV.B ci‑dessus, j’estime que cette partie de la décision de la Commission était suffisamment justifiée, transparente et intelligible. De plus, pour les motifs exposés à la partie IV.A ci‑dessus, la façon dont la Commission a évalué la crédibilité de la seule preuve qui corroborait les allégations de M. Trako était également suffisamment justifiée, transparente et intelligible. Le fait que la Commission ait pu aussi évaluer la crainte subjective de M. Trako ne rendait pas déraisonnable sa décision par ailleurs raisonnable.

 

[47]           Cela étant dit, après avoir lu la décision dans son ensemble, il ressort clairement que la Commission a évalué la crainte subjective de M. Trako dans la première partie de son appréciation de la crédibilité de l’allégation relative à la vendetta.

 

[48]           Au paragraphe 16 de sa décision, la Commission a affirmé ce qui suit : « En ce qui concerne la crédibilité, j’examinerai d’abord les allégations d[e M. Tracko] relativement aux événements survenus en Albanie avant qu’il entre aux É.‑U. J’examinerai la crédibilité relativement à sa crainte liée à la plus récente vendetta plus loin au cours des présents motifs. » En ce qui a trait aux événements qui ont eu lieu en Albanie avant son départ de ce pays, la Commission a conclu que M. Trako était en général digne de foi. Cependant, elle a estimé que le Cartable national de documentation n’appuyait pas son allégation de crainte de persécution par des personnes liées au Parti socialiste.

 

[49]           La Commission s’est ensuite penchée sur les allégations de M. Trako relatives à la vendetta. C’est à cet endroit de la décision que la Commission a expliqué en trois courts paragraphes pourquoi elle estimait qu’il ne s’était pas comporté comme une personne qui craignait d’être tuée ou de subir d’autres mauvais traitements en cas de retour en Albanie. Entre autres choses, la Commission a souligné qu’il s’était désisté de sa demande d’asile en instance aux États‑Unis et qu’il n’avait pas signalé aux autorités l’agression dont il aurait fait l’objet dans ce pays. La Commission a ensuite immédiatement traité de la preuve documentaire qu’il avait produite à l’appui de son allégation de vendetta.

 

[50]           Au paragraphe 44 de sa décision, la Commission a énoncé sa conclusion quant à la crédibilité de l’allégation de M. Trako relative à la vendetta. Après avoir brièvement souligné qu’elle avait examiné la preuve documentaire produite par M. Trako et qu’elle avait jugé qu’il n’avait pas agi comme une personne craignant subjectivement d’être persécutée en cas de retour en Albanie, la Commission a affirmé que, d’après elle, les allégations de vendetta n’étaient pas crédibles. À mon avis, il était raisonnablement loisible à la Commission d’examiner, dans ce contexte, la façon d’agir de M. Tracko et de se demander si elle était compatible avec ses allégations de vendetta.

 

V.        Conclusion

[51]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et la présente affaire n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

« Paul S. Crampton »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1613-11

 

INTITULÉ :                                       KLODJAN TRAKO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Crampton

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 8 septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Bjorn Harsanyi

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Bjorn Harsanyi

Avocat

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.