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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110902

Dossier : T-800-10

Référence : 2011 CF 1046

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

AMARE SHIFERAW

 

demandeur

 

et

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.                    Aperçu

 

[1]               M. Amare Shiferaw a travaillé pour la Société canadienne des postes (Postes Canada) de 1999 à 2008. Il s’est blessé au dos en 2006 et soutient qu’à partir de ce moment-là, Postes Canada a fait preuve de discrimination à son endroit. Il a déposé un certain nombre de griefs contre son employeur, et il a également porté plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La Commission a étudié la plainte et a ensuite conclu qu’elle ne devait pas y donner suite principalement parce que M. Shiferaw avait déjà accès à la procédure de règlement des griefs pour régler ses préoccupations. Elle a également conclu que certains aspects de la plainte de M. Shiferaw n’étaient pas liés à un motif de distinction illicite, ou étaient frappés de prescription.

 

[2]               Selon M. Shiferaw, la Commission a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, a commis des erreurs de fait, a été partiale à son égard et a rendu une décision déraisonnable. Il me demande d’annuler la décision et de lui accorder diverses réparations. Cependant, je ne puis trouver aucun motif pour infirmer la décision de la Commission et il me faut donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               Les questions en litige sont les suivantes :

 

1.         La Commission a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve pertinents?

2.         La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait erronées?

3.         La Commission a-t-elle été partiale à l’égard de M. Shiferaw?

4.         La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

II.                 Le contexte factuel et procédural

 

[4]               M. Shiferaw soutient qu’après qu’il s’est blessé au dos, Postes Canada l’a transféré d’une installation à une autre, l’a accusé d’insubordination et l’a finalement licencié. La plainte qu’il a déposée auprès de la Commission fait état d’un certain nombre d’incidents censément survenus au travail :

 

                     Postes Canada l’a affecté à des tâches qui ont aggravé ses lésions et qui ne [traduction] « correspondaient pas à ses limites »;

 

                     en février 2008, un surintendant l’a accusé à tort d’avoir proféré des menaces contre un gestionnaire;

 

                     Postes Canada l’a harcelé en exigeant qu’il communique des renseignements médicaux à l’appui de sa prétention selon laquelle il n’était pas en mesure de s’acquitter de toutes les fonctions rattachées à son poste;

 

                     Postes Canada l’a obligé à signer un formulaire d’obtention de renseignements médicaux (ORM) dévoilant ses antécédents médicaux;

 

                     son supérieur a fait preuve de partialité à son endroit et a tenté de trouver un moyen de le licencier;

 

                     en mars 2008, il a soumissionné avec succès pour obtenir une mutation à une installation différente (l’installation VISTA) en date d’avril 2008, mais on a modifié ses documents;

 

                     quand il s’est présenté à l’installation VISTA, on l’a renvoyé chez lui lorsqu’il a informé son superviseur de ses limites physiques;

 

                     il a essayé de revenir travailler à son ancienne installation, mais on lui a demandé de quitter les lieux après une altercation;

 

                     les tentatives qu’il a faites pour déposer un grief au sujet de ces questions et d’autres par l’entremise de son syndicat ont été rejetées.

 

[5]               M. Shiferaw a déposé par l’entremise de son syndicat un certain nombre de griefs, dont deux au moins avaient été réglés au moment où la Commission a rendu sa décision.

 

[6]               Dans le premier des griefs, M. Shiferaw se plaignait des renseignements médicaux que demandait Postes Canada. Il a soutenu que ces renseignements avaient déjà été transmis à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) de l’Ontario. Ce grief s’est soldé par un engagement de la part de Postes Canada à traiter tous les employés de manière juste et raisonnable, et à retirer les lettres offensantes du dossier de M. Shiferaw.

 

[7]               Dans le second grief, M. Shiferaw se plaignait de l’avis qu’il avait reçu de Postes Canada après avoir censément proféré des menaces contre un gestionnaire. Il demandait que la lettre soit retirée de son dossier. Postes Canada a accepté de le faire.

 

[8]               À l’époque où la Commission a rendu sa décision, il y avait encore, semble-t-il, deux autres griefs en suspens. Dans le premier, M. Shiferaw se plaignait que Postes Canada avait négligé de prendre des mesures d’adaptation liées à son invalidité. Le second avait trait à son licenciement.

 

[9]               M. Shiferaw a déposé sa plainte auprès de la Commission sous une forme acceptable, le 10 février 2009. Postes Canada a répondu le 17 août 2009, faisant remarquer que M. Shiferaw avait accès à une procédure interne de règlement des griefs et que, en fait, il s’en était prévalu pour contester les mêmes questions que celles dont sa plainte faisait état. De plus, Postes Canada a fait remarquer que les allégations de M. Shiferaw à propos du processus de soumission n’étaient liées à aucun motif de distinction illicite. Enfin, Postes Canada a déclaré qu’un grand nombre des faits allégués étaient survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte et qu’il y avait donc prescription. M. Shiferaw a déposé une longue réfutation à la réponse de Postes Canada.

 

[10]           À ce stade, la Commission a demandé à un enquêteur d’établir un [traduction] « rapport fondé sur les articles 40 et 41 ». Cet enquêteur a conclu que M. Shiferaw avait eu pleinement accès à la procédure de règlement des griefs et qu’il s’en était prévalu pour les mêmes questions que celles qui figuraient dans la plainte déposée auprès de la Commission. De plus, les allégations liées au processus de soumission n’avaient trait à aucun motif de distinction illicite et excédaient la compétence de la Commission. Enfin, un certain nombre d’allégations de M. Shiferaw étaient frappées de prescription.

 

[11]           Les deux parties ont eu la possibilité de répondre au rapport. Le 12 avril 2010, la Commission a décidé de ne pas donner suite à la plainte de M. Shiferaw principalement parce que l’enquêteur avait conclu que celui-ci avait accès à la procédure de règlement des griefs pour traiter de ses doléances, que certains aspects de sa plainte excédaient la compétence de la Commission et que d’autres éléments étaient frappés de prescription (se fondant en cela sur la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6, alinéas 41(1)a), c)et e) (la LCDP)).

 

III.               La question no 1 – La Commission a-t-elle fait abstraction d’éléments de preuve pertinents?

 

[12]           M. Shiferaw soutient que la Commission a fait abstraction d’[traduction] « éléments de preuve solides et prépondérants ». Il n’a pas indiqué quels étaient ces éléments.

 

[13]           La Commission est tenue d’enquêter sur une plainte de façon neutre et rigoureuse. Cependant, elle n’a pas à faire référence à chacun des éléments de preuve. Ce n’est que dans les cas où une enquête a omis des éléments de preuve importants qu’il est possible d’annuler la décision que rend la Commission en vertu de l’article 41 (Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), (1994), 73 FTR 161 (CAF)).

 

[14]           M. Shiferaw n’a relevé aucune omission sérieuse dans le rapport de l’enquêteur. Il a eu amplement l’occasion de répondre à ce rapport et la Commission a tenu compte de ses observations avant de se prononcer. Je ne puis trouver aucune erreur susceptible de contrôle de la part de la Commission.

 

IV.              La question no 2 – La Commission a-t-elle tiré des conclusions de fait erronées?

 

[15]           M. Shiferaw allègue que la Commission a conclu à tort qu’il n’avait pas remporté un processus de soumission, alors qu’en fait il s’agissait du contraire. Il conteste également la conclusion de la Commission selon laquelle il aurait dû épuiser les mécanismes internes de règlement des griefs que prévoyait la convention collective avant de déposer sa plainte. Selon lui, le processus de règlement des griefs était insatisfaisant : son syndicat avait soit ignoré ses griefs, soit refusé de l’aider à les présenter.

 

[16]           La Commission n’a peut-être pas décrit de manière exacte le processus de soumission, mais elle a principalement conclu que la plainte de M. Shiferaw au sujet de ce processus n’était pas liée à un motif de distinction illicite et pouvait être réglée par la voie d’un grief. Il était donc peu important pour la conclusion de la Commission que le motif du différend de M. Shiferaw ait été décrit de façon erronée.

 

[17]           Quant au processus de règlement des griefs, la Commission a clairement indiqué que si M. Shiferaw était insatisfait de l’issue de ses griefs, il pouvait demander à la Commission de rouvrir sa plainte. Le fait que la Commission ait conclu que M. Shiferaw devrait d’abord épuiser le processus de règlement des griefs ne cause à celui-ci, selon moi, aucun préjudice.

 

V.                 La question no 3 – La Commission a-t-elle été partiale à l’égard de M. Shiferaw?

 

[18]           M. Shiferaw allègue que la Commission et l’enquêteur ont fait preuve de partialité à son égard du fait de sa race ou de son origine nationale ou ethnique.

 

[19]           La question est celle de savoir à quelle conclusion en arriverait dans les circonstances une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. En d’autres termes, cette personne penserait-elle que le décideur trancherait l’affaire de manière inéquitable (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394)? Le critère minimal à respecter pour établir la partialité est rigoureux : R. c. S. (RD), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 113.

 

[20]           La Commission a manifestement traité les parties de manière équitable, donnant aux deux la possibilité d’examiner le rapport de l’enquêteur et de formuler ensuite des observations. De plus, il n’y a rien dans le dossier qui corrobore une prétention de partialité ou de préjugés raciaux. Il n’y a pas lieu, selon moi, d’annuler la décision de la Commission pour ce motif.

 

VI.              La question no 4 – La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

[21]           M. Shiferaw soutient que la Commission a conclu de manière déraisonnable que les aspects de sa plainte survenus avant 2007 étaient frappés de prescription. En fait, dit-il, ses allégations concernant la période de 2004 jusqu’au début de 2007 font état d’une conduite discriminatoire constante de la part de Postes Canada. En outre, il prétend ne pas avoir déposé sa plainte parce qu’il tentait de régler les divers différends sans devoir recourir aux tribunaux ou à la Commission.

 

[22]           Le délai de prescription précisé dans la LCDP a pour but d’éviter de causer un préjudice et une injustice par suite de l’écoulement du temps et de la perte d’éléments de preuve.

 

[23]           La nature des allégations de M. Shiferaw, soit avant 2007 soit après, était essentiellement la même : le défaut de Postes Canada de reconnaître ses limites physiques et de prendre des mesures d’adaptation connexes. Par conséquent, le fait d’exclure certaines de ces allégations parce qu’elles étaient frappées de prescription n’empêchait pas la Commission d’étudier la plainte générale de M. Shiferaw. Cette dernière a clairement examiné le fond de la plainte et a traité des divers motifs applicables qui sont énoncés à l’article 41. Les motifs pour lesquels elle a décidé de ne pas donner suite à la plainte de M. Shiferaw étaient transparents, justifiés et intelligibles.

 

[24]           Je ne puis donc conclure que la décision de la Commission était déraisonnable. Cette décision appartenait aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

VII.            Conclusion et décision

 

[25]           Je ne suis pas persuadé que la Commission a commis une erreur dans la façon dont elle a traité les éléments de preuve ou qu’elle a rendu une décision déraisonnable. De plus, l’allégation de partialité est sans fondement. De ce fait, je me dois de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


Annexe « A »

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch. H-6

 

Irrecevabilité

 

 41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

 

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Canadian Human Rights Act, RSC 1985, c H-6

 

 

Commission to deal with complaint

 

 41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

 

 

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

 

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-800-10

 

INTITULÉ :                                       AMARE SHIFERAW c.
SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 SEPTEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amare Shiferaw

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

Michael J. Torrance

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Amare Shiferaw

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Ogilvy Renault, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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