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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date: 20110909


Dossier : IMM-7536-10

Référence : 2011 CF 1065

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

MARIA ADRIANA TORRES MARTINEZ CANDIDO JULIAN TORRES MARTINEZ ANGEL ADRIAN TORRES TORRES

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Pour qu’un État soit en mesure de protéger ses citoyens, l’État doit savoir de qui où de quoi protéger ses citoyens. Sans savoir qui sont les persécuteurs, même l’État qui devrait (selon les termes de la décision classique en Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF 1189 (QL/Lexis)), protéger ses citoyens, ne pourrait pas les protéger.

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR], d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 29 novembre 2010, refusant aux demandeurs le statut de réfugié et de personnes à protéger, parce qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve clairs et convaincants qui démontraient par prépondérance de preuve que dans leur cas, la protection de l’État était inadéquat.

 

III.  Faits

[3]               Les demandeurs sont Maria Adriana Torres Martinez, née le 1er juillet 1984, son époux Candido Julian Torres Martinez, né le 2 février 1984, et leur fils mineur Angel Adrian Torres Torres, né le 3 septembre 2006. Ils sont tous citoyens mexicains et proviennent de la ville et de l’État de Quérétaro.

 

[4]               Les demandeurs allèguent craindre un dénommé Ugo Hernandez. Ce dernier aurait tenté de se venger suite à une altercation qu’il aurait eue avec le frère du demandeur principal. Le frère du demandeur principal s’est réfugié au Canada en avril 2007 après avoir vécu quelque temps avec les demandeurs au Mexique.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent que des personnes auraient perpétré une tentative d’enlèvement sur leur fils le 2 juin 2007 et que ces individus ont par la suite essayé de les approcher en tentant de se faire passer pour des photographes. Ils auraient également reçu de nombreux appels téléphoniques d’inconnus les recherchant et tentant de se faire passer pour des amis, et ce, à leur propre domicile puis à celui de la mère de la demanderesse où cette dernière se serait réfugiée après l’évènement du 2 juin 2007.

 

[6]               La demanderesse est la première à avoir quitté le pays pour le Canada. Elle était accompagnée de son fils Angel Adrian. Ils sont arrivés le 17 juillet 2007 et ont demandé l’asile le même jour. Le demandeur principal, monsieur Candido Julian Torres Martinez, a pour sa part quitté le Mexique le 5 août 2007 et a aussi demandé l’asile au Canada.

 

IV.  Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[7]               La SPR a déterminé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger. Elle a jugé que les demandeurs étaient crédibles, mais que la question déterminante était néanmoins, dans ce cas, celle de la protection de l’État. 

 

[8]               La SPR a également constaté que selon la preuve documentaire l’État mexicain faisait des efforts pour enrayer la corruption. La procédure à suivre pour effectuer une plainte est également explicite dans la preuve documentaire.

 

[9]               La SPR a soulevé le fait que les demandeurs avaient expliqué avoir porté plainte après la tentative d’enlèvement de leur fils, ainsi que suite aux menaces qu’ils ont reçues, mais que le policier qui a traité leur plainte leur aurait dit qu’il ne pouvait faire enquête si la demanderesse ne pouvait donner une meilleure description des agresseurs. À cette époque les demandeurs ne connaissaient pas l’identité de l’agresseur et ne savaient pas qu’il s’agissait en fait du voisin de leur fils. En réponse à cette préoccupation, la SPR a déterminé que les policiers n’auraient pas de problème à déterminer l’identité de l’agresseur puisque, dans ce cas, les demandeurs savaient, depuis leur arrivée au Canada, qu’il s’agissait en l’espèce du voisin du frère du demandeur et que ce problème était dès lors, résolue.

 

[10]           La SPR a en outre noté que si les demandeurs étaient insatisfaits des services d’un des policiers, ils pouvaient s’adresser à un de ses confrères ou encore, porter plainte auprès du service des affaires internes du bureau du procureur général de l’État ou encore, auprès de la Commission des droits de la personne de l’État. 

 

V.  Point en litige

[11]           La décision de la SPR relativement à la protection adéquate de l’État du Mexique est-elle entachée d’une erreur de fait ou de droit justifiant l’intervention de la Cour?

 

VI.  Dispositions législatives pertinentes

[12]           Les articles 96 et 97 de la LIPR s’appliquent au présent cas :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection

 

VII.  Position des parties

[13]           Les demandeurs soumettent que la SPR a omis de prendre en considération la preuve documentaire contradictoire. Selon eux, il est clair que la décision de la SPR est déraisonnable compte tenu de la preuve que la SPR avait devant elle. Les demandeurs soulignent que la SPR n’a pas mis en doute la crédibilité des demandeurs.

 

[14]           Quant au défendeur, il soutient que la décision de la SPR s’appuie sur la preuve présentée, s’en infère raisonnablement et respecte les principes de droit applicables. Selon lui, les demandeurs ont porté plainte à une occasion contre leurs agresseurs, mais ils n’ont pas produit d’éléments de preuve clairs et convaincants, démontrant par la prépondérance des probabilités, que dans leur situation particulière, la protection mexicaine serait inadéquate.

 

VIII.  Norme de contrôle

[15]           Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable dans le cadre de questions relatives à la protection de l’État est celle de la raisonnabilité :

[5]        La norme de contrôle applicable en matière de protection de l’État – une question mixte de fait et de droit – est celle la décision raisonnable. Suivant cette norme, la Cour ne doit pas intervenir lorsque la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

(Dosantos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1174).

 

IX.  Analyse

[16]           La Cour considère que les motifs de la SPR relativement à la protection de l’État étaient bien fondés en fait et en droit. Il ressort clairement que la SPR a pris en compte tous les faits particuliers à la situation des demandeurs. La SPR s’est également référée à une vaste preuve documentaire dans sa décision : au Cartable national de documentation sur le Mexique du 17 mars 2010, onglet 2.1 : « Country Reports on Human Rights Practices for 2009 »; l’onglet 9.5 du 5 juin 2006 « Information sur les procédures à suivre pour déposer une plainte au bureau du procureur général de la République »; et l’onglet 7.4 du 8 juin 2009 « Information sur les enlèvements contre rançon, y compris les types d’enlèvements, la protection offerte aux victimes, l’efficacité des mesures de lutte contre les enlèvements et la complicité de certains agents de police » (Décision aux pp 4-5).

[17]           La SPR a mentionné que la corruption demeure un problème au Mexique; elle a cependant bien pris la peine d’étudier les moyens déployés par le Mexique afin de lutter contre les organisations criminelles. La SPR a aussi raisonnablement étudié la preuve documentaire qui révélait que le Mexique est un état démocratique qui respectait en règle générale les droits de ses citoyens et qui possédait les ressources nécessaires pour assurer un certain degré de protection aux Mexicains, et plus spécifiquement quant aux faits entourant la situation des demandeurs. 

 

[18]           Face à l’incapacité de la demanderesse de décrire les agresseurs et au manque d’information sur les agresseurs, les policiers n’ont pas pu faire efficacement enquête au sujet des agresseurs qui s’en sont pris aux demandeurs. La Cour souscrit à l’avis de la SPR à l’effet que la découverte de l’identité de monsieur Ugo Hernandez, ainsi que des motifs de ses actions, permettra aux forces policières de réagir plus efficacement.

 

X.  Conclusion

[19]           Pour toutes ces raisons, la Cour est d’avis que les demandeurs n’ont pas fait valoir de motifs sérieux nécessitant l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7536-10

 

INTITULÉ :                                       MARIA ADRIANA TORRES MARTINEZ

CANDIDO JULIAN TORRES MARTINEZ

ANGEL ADRIAN TORRES TORRES

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 1 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 septembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Manuel Centurion

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Steve Bell

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Manuel Centurion, avocat

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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