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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20110829

Dossier : T-1373-11

Référence : 2011 CF 1024

Montréal (Québec), le 29 août 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

VOLTAGES PICTURES LLC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

M. OU MME UNTEL

 

 

 

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

 

[1]               La violation des droits d’auteur donne lieu aux mesures extraordinaires pour retrouver les parties coupables de cette violation.

 

II.  Introduction

 

[2]               Dans la décision BMG Canada inc. c John Doe, 2005 CAF 193, [2005] 4 RCF 81, la Cour d’appel fédérale a confirmé :

[42]      [...] dans les cas où les demandeurs démontrent la légitimité de leur prétention selon laquelle des personnes inconnues violent leurs droits d'auteur, ils ont le droit que l'identité de ces personnes leur soit révélée afin d'être en mesure d'intenter une action [...]

 

[3]               La Cour accepte la position de la partie demanderesse appuyant sa requête selon les termes suivants :

(i)   une ordonnance permettant la tenue d’un interrogatoire préalable par écrit de Bell Canada, Cogeco Câble inc. et Vidéotron s.e.n.c. afin que celles-ci identifient les noms et les adresses reliées à leurs comptes clients associés aux adresses IP aux heures spécifiées à l'Annexe A de la Déclaration déposée au présent dossier; et

(ii)  une ordonnance obligeant Bell Canada, Cogeco Câble inc. et Vidéotron s.e.n.c. de divulguer à Voltage Pictures LLC les noms et les adresses reliés à leurs comptes clients associés aux adresses IP aux heures spécifiées à l'Annexe A de la Déclaration déposée au présent dossier.

 

[4]               Voltage Pictures LLC est le propriétaire des droits d’auteur du le film « Hurt Locker ». Les défendeurs copient et distribuent ce film via des réseaux internet sans l’autorisation de Voltage Pictures LLC.

 

[5]               Voltage Pictures LLC a identifié les adresses IP utilisées par les défendeurs, mais seuls leurs fournisseurs de services internet peuvent les identifier plus précisément.

 

[6]               Voltage Pictures LLC demande la permission d’interroger les fournisseurs de service internet au préalable par écrit afin que ceux-ci divulguent les noms et les adresses des clients qui correspondent aux adresses IP déjà obtenues.  Une fois ces clients identifiés, Voltage Pictures LLC pourra envoyer des mises en demeure et, le cas échéant, ajouter ces personnes comme défendeurs à cette action.

 

III.  Faits

 

[7]               Les défendeurs ont téléchargé, copié et distribué le film « Hurt Locker » par le biais de réseaux poste-à-poste sur internet, et ce, sans l’autorisation de Voltage Pictures LLC. Ils le font de façon anonyme; ils ne peuvent être identifiés que par leurs adresses IP (Affidavit de Daniel Arheidt, assermenté le 24 août 2011 aux para 23-25).

 

[8]               Une adresse IP n’est qu’une série de chiffres, tel qu’il appert du tableau joint comme Annexe A à la Déclaration du 20 juin 2011.

 

[9]               Les adresses IP en question appartiennent à Bell Canada, Cogeco Câble inc. et Vidétron s.e.n.c. [fournisseurs de service internet] et sont utilisées par un client lorsque celui-ci accède à l’internet. Les fournisseurs de service internet enregistrent l’emploi de leurs adresses IP et peuvent identifier celui qui a utilisé une adresse IP à une heure et à une date précise (Affidavit de Daniel Arheidt au para 23).

 

[10]           Voltage Pictures LLC doit donc faire appel aux fournisseurs de service internet afin d’obtenir les noms et adresses qui correspondent aux adresses IP qu’elle a déjà obtenues en consultant des sources publiques.

 

[11]           Sans ces informations, Voltage Pictures LLC n’est pas en mesure d’identifier ceux qui violent ses droits d’auteur et se voit privée de son droit de les poursuivre.

 

IV.  Analyse

 

Le paragraphe 7(3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, ch. 5

 

[12]           Voltage Pictures LLC demande aux fournisseurs de service internet de divulguer les noms et adresses de certains de leurs clients qui auraient violé ses droits d’auteur. 

 

[13]           Le paragraphe 7(3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5, permet la divulgation de renseignements personnels sur ordonnance d’un tribunal :

7.      (3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé et sans son consentement que dans les cas suivants :

 

 

[...]

 

c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;

7.      (3) For the purpose of clause 4.3 of Schedule 1, and despite the note that accompanies that clause, an organization may disclose personal information without the knowledge or consent of the individual only if the disclosure is

 

 

(c) required to comply with a subpoena or warrant issued or an order made by a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information, or to comply with rules of court relating to the production of records;

[14]           Selon la Cour d’appel fédérale, il est indiqué de procéder à un interrogatoire préalable par écrit des fournisseurs de service internet lorsque leurs clients violent les droits d’auteur de la partie demanderesse :

[25]      Toutefois, les demandeurs ont prétendu que la principale question soulevée par la requête était l'identité de chacune des personnes qui viole les droits d'auteur des demandeurs. Je souscris à cette opinion et je conclus que, étant donné que cette question tombe inévitablement sous le coup du libellé du paragraphe 238(1) des Règles comme étant "une question litigieuse soulevée dans l'action", l'article 238 des Règles a un sens suffisamment large pour que l'on puisse permettre l'interrogatoire préalable dans des cas comme celui de l'espèce.

 

[...]

 

[41]      La technologie moderne comme l'Internet a procuré des avantages extraordinaires à la société, notamment des moyens de communication plus rapide et plus efficace visant des auditoires de plus en plus vastes. On ne doit pas permettre que cette technologie oblitère les droits en matière de biens personnels que la société considère important. Bien que les questions se rapportant au respect de la vie privée doivent également être prises en compte, il me semble qu'elles doivent céder le pas aux préoccupations publiques quant à la protection des droits de propriété intellectuelle dans des situations où la violation menace de diminuer ces droits.

 

[42]      Par conséquent, selon moi, dans les cas où les demandeurs démontrent la légitimité de leur prétention selon laquelle des personnes inconnues violent leurs droits d'auteur, ils ont le droit que l'identité de ces personnes leur soit révélée afin d'être en mesure d'intenter une action. Toutefois, les cours de justice doivent faire preuve de prudence lorsqu'elles ordonnent une telle divulgation pour s'assurer que l'on empiète le moins possible sur le droit à la vie privée.

 

(BMG, ci-dessus).

 

[15]           Ces principes s’appliquent autant au présent dossier.

 

Règle 238 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106

 

[16]           Afin de pouvoir obtenir le nom et l’adresse d’un client d’un fournisseur de service internet, un demandeur doit prouver qu’il a une demande légitime contre ce client et qu’il satisfait aux critères de la Règle 238 des Règles des Cours fédérales (BMG, ci-dessus, aux para 33 et 34).

 

[17]           Voltage Pictures LLC a une demande légitime contre les défendeurs : elle les poursuit pour avoir violé ses droits d’auteur lorsqu’ils ont copié et distribué au public le film « Hurt Locker ».

 

[18]           La Règle 238 des Règles des Cours fédérales permet la tenue d’un interrogatoire préalable d’une tierce partie lorsque celle-ci possède des renseignements pertinents à une question en litige :

238.      (1) Une partie à une action peut, par voie de requête, demander l’autorisation de procéder à l’interrogatoire préalable d’une personne qui n’est pas une partie, autre qu’un témoin expert d’une partie, qui pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action.

 

[…]

 

(3) Par suite de la requête visée au paragraphe (1), la Cour peut autoriser la partie à interroger une personne et fixer la date et l’heure de l’interrogatoire et la façon de procéder, si elle est convaincue, à la fois :

 

a)  que la personne peut posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l’action;

 

b)  que la partie n’a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d’une autre source par des moyens raisonnables;

 

c) qu’il serait injuste de ne pas permettre à la partie d’interroger la personne avant l’instruction;

 

d)  que l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux parties.

238.      (1) A party to an action may bring a motion for leave to examine for discovery any person not a party to the action, other than an expert witness for a party, who might have information on an issue in the action.

 

 

 

 

 

(3) The Court may, on a motion under subsection (1), grant leave to examine a person and determine the time and manner of conducting the examination, if it is satisfied that

 

 

(a)  the person may have information on an issue in the action;

 

 

 

(b) the party has been unable to obtain the information informally from the person or from another source by any other reasonable means;

 

(c) it would be unfair not to allow the party an opportunity to question the person before trial; and

 

(d) the questioning will not cause undue delay, inconvenience or expense to the person or to the other parties.

 

[19]           Ces critères sont factuels et sont appréciés selon chaque cas d’espèce.

 

L’alinéa 238(3)(a) des Règles des Cours fédérales – les fournisseurs de services internet possèdent des renseignements pertinents

 

[20]           Voltage Pictures LLC ne connaît pas les noms et adresses des défendeurs. Puisqu’ils sont tous des clients des fournisseurs de service internet, ceux-ci peuvent associer les adresses IP identifiées par Voltage Pictures LLC à leurs registres internes et fournir les noms et adresses des défendeurs.

 

[21]           En effet, ces informations sont pertinentes à ce litige.

 

 

 

L’alinéa 238(3)b) des Règles des Cours fédérales – Voltage Pictures LLC n’a pu obtenir ces renseignements de façon informelle

 

[22]           Les fournisseurs de service internet ne peuvent divulguer les noms et adresses de leurs clients sans une ordonnance de cette Cour.

 

L’alinéa 238(3)c) des Règles des Cours fédérales - il serait injuste de ne pas permettre à Voltage Pictures LLC d’interroger les fournisseurs de service internet

 

[23]           Dans la décision BMG, ci-dessus, la Cour d’appel fédérale a confirmé :

[42]      [...] dans les cas où les demandeurs démontrent la légitimité de leur prétention selon laquelle des personnes inconnues violent leurs droits d'auteur, ils ont le droit que l'identité de ces personnes leur soit révélée afin d'être en mesure d'intenter une action [...]

 

[24]           Voltage Pictures LLC ne peut pas faire valoir ses droits d’auteur ni intenter une action contre les défendeurs si elle ne connaît pas leurs noms et leurs adresses. 

 

[25]           Des défendeurs ne devraient pas avoir la possibilité de se cacher derrière l’anonymat de l’internet et de continuer à violer les droits d’auteur de Voltage Pictures LLC.

 

L’alinéa 238(3)d) des Règles des Cours fédérales – l’interrogatoire n’occasionnera pas de retards, d’inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux parties

 

[26]           Voltage Pictures LLC accepte de rembourser les frais raisonnables qu’encourront les fournisseurs de service internet pour réunir les renseignements recherchés.

 

[27]           L’obtention des noms et adresses des défendeurs accélère la poursuite de cette action. Sans ces informations, Voltage Pictures LLC ne peut pas revendiquer ses droits.

 

[28]           Voltage Pictures LLC demande à la Cour que les informations minimales et nécessaires à faire valoir ses droits contre les défendeurs lui soit divulguées.

 

IV.  Conclusion

 

[29]           La Cour accorde la demande de Voltage Pictures LLC sans frais de cour étant donné que la requête de la partie demanderesse n’est pas contestée par aucun des fournisseurs de service internet.

 


JUGEMENT

            Suite à l’analyse entreprise, la Cour ordonne que :

 

  1. Voltage Pictures LLC procède à un interrogatoire préalable par écrit de Bell Canada, Cogeco Câble inc. et Vidéotron s.e.n.c. dans le but d’obtenir les noms et les adresses reliés à leurs comptes clients associés aux adresses IP aux heures spécifiées à l'Annexe A joint à l’Avis de requête.

 

  1. Dans un délai de deux semaines, Bell Canada, Cogeco Câble inc. et Vidéotron s.e.n.c. divulgue à Voltage Pictures LLC les noms et les adresses reliés à leurs comptes clients associés aux adresses IP aux heures spécifiées à l'Annexe A. Cette divulgation sera en format Microsoft Excel, avec droits d’édition, crypté sur disque compact ou tout autre support électronique.

 

  1. Voltage Pictures LLC rembourse les frais raisonnables qu’encourront Bell Canada, Cogeco Câble inc. et Vidéotron s.e.n.c. pour réunir les renseignements personnels identifiés au paragraphe 1 de cette ordonnance.

 

  1. Le tout sans frais.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1373-11

 

INTITULÉ :                                       VOLTAGE PICTURES LLC c

                                                            M. OU MME UNTEL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 29 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 29 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Greg Moore

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Non présent

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goudreau Gage Dubuc, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Non présent

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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