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Federal Court

 

Cour fédérale

 

 

 Date: 20110826

Dossier : IMM-6635-10

Référence : 2011 CF 1022

Ottawa (Ontario), le 26 août 2011

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

 

BOUBAKAR TRAORÉ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               La Cour d’appel fédérale, saisie d’un appel, portant sur l’interprétation de l’alinéa 113(a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], s’est exprimée ainsi en ce qui concerne le droit de l’agent de l’examen des risques avant renvoi [ERAR] de refuser de trancher à nouveau des allégations dont la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada avaient été saisies:

[12]      La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques’uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR. Cette limite se trouve à l’alinéa 113a) de la LIPR, ainsi formulé [...]

 

[13]      Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

 

1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent-elles la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3. Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

 

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

 

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

 

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

5. Conditions légales explicites :

 

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

[14]      Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

 

[15]      Je ne dis pas que les questions énumérées ci-dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d'ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d'ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci-dessus.

 

[16]      L’un des arguments étudiés par le juge Mosley dans la présente affaire est le point de savoir si un document qui est apparu après l’audition de la demande d’asile constitue, pour cette unique raison, une « preuve nouvelle ». Il est arrivé à la conclusion que le caractère nouveau ou non d’une preuve documentaire ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi. Je partage cet avis. Ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire.

 

[17]      L’avocat de M. Raza et de sa famille a fait valoir que les preuves que l’on entend présenter au soutien d’une demande d’ERAR ne peuvent pas être rejetées au seul motif qu’elles [traduction] « concernent le même risque » que celui qu’a évalué la SPR. Je partage cet avis. Cependant, l’agent d'ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR.

 

[18]      En l’espèce, M. Raza et sa famille ont produit au soutien de leur demande d’ERAR plusieurs documents. Tous les documents ont été établis après le rejet de leur demande d’asile. L’agent d'ERAR a conclu que l’information contenue dans les documents se limitait pour l’essentiel à répéter l’information que la SPR avait eue devant elle. À mon avis, cette conclusion était raisonnable. Les documents ne sont pas aptes à établir que la protection offerte par l’État au Pakistan, protection que la SPR avait jugé suffisante, n’était plus suffisante à la date de la demande d’ERAR. Par conséquent, les prétendues preuves nouvelles ne sont pas recevables au regard de la quatrième question de la liste ci-dessus. [La Cour souligne].

 

(Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385; également, Parshottam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 51, 164 ACWS (3d) 840; Ould c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 83, 161 ACWS (3d) 960 aux para 16-19).

 

II.  Introduction

[2]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision d’ERAR, rendue le 16 septembre 2010, remise au demandeur, le 27 octobre 2010.

 

[3]               Par cette décision, l’agente d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de personne à protéger conformément aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[4]               Essentiellement, le demandeur plaide que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’aurait pas pris en compte les éléments nouveaux soumis par le demandeur et que l’agente aurait manqué aux principes de justice naturelle en ne tenant pas une entrevue.

 

[5]               La Cour donne raison à la position du défendeur comme plaidée par Me Michèle Joubert.

 

[6]               En plus, le demandeur a aussi déposé une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la déléguée du Ministre rejetant la demande de résidence permanente du demandeur pour des considérations d’ordre humanitaire.

 

III.  Les faits en résumé

[7]               La présente demande d’ERAR concerne un ressortissant de la Côte d’Ivoire, monsieur Boubakar Traoré, né le 24 juin 1961 à Abidjan, Côte d’Ivoire. Il est veuf et père de 4 enfants nés entre 1983 et 1995, demeurés en Côte d’Ivoire. Il n’a aucune famille au Canada.

 

[8]               Le demandeur est un homme d’affaires qui a beaucoup voyagé entre 2002 et 2005, séjournant en France, au Royaume Uni, en Suisse et à Dubaï pour affaires.  

 

[9]               Le 2 juin 2005, il obtient un visa de résident temporaire pour le Canada afin de venir au Canada pour affaires. Il s’agit du troisième visa canadien émis au demandeur, les deux autres ayant été inutilisés.

 

[10]           Le 20 juin 2005, il quitte le Mali la France et ensuite le Canada.

 

[11]           Le 21 juin 2005, il obtient l’admission au Canada à titre de résident temporaire jusqu’au 20 juillet 2005.

 

[12]           Le 27 juin 2005, il se présente à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] à Montréal pour revendiquer le statut de réfugié.

[13]           Le 10 janvier 2006, une audience est tenue devant la SPR. Le 23 janvier 2006, le conseillé du demandeur, Me Nino Karamaoun, demande à la Commission un délai de huit semaines pour éclaircir les circonstances de l’assassinat de l’épouse du demandeur en date du 15 janvier 2006. Le 22 mars 2006, Me Karamaoun fait parvenir les documents au tribunal.

 

[14]           Le 12 mai 2006, la SPR rejette la demande d’asile précisant que le tribunal a affaire à une histoire fabriquée de toutes pièces et que le demandeur était en fait un immigrant déguisé.

 

[15]           Le 14 juin 2006, une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SPR est déposée à la Cour fédérale.

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée par la Cour fédérale, le 29 janvier 2007.

 

[17]           Le 11 avril 2007, le demandeur dépose une demande d’ERAR.

 

[18]           Le 28 avril 2007, les observations additionnelles accompagnées de nombreux éléments de preuve sont reçus pour les fins d’ERAR.

 

[19]           Tel que réitéré par l’agente, le 12 mai 2006, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, jugeant son histoire dénuée de toute crédibilité.

 

[20]           Comme déjà spécifié, le 29 janvier 2007, la juge Danièle Tremblay-Lamer a rejeté la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur à l’encontre de la décision de la SPR.

[21]           Dans le cadre de sa demande d’ERAR, le demandeur a fait parvenir à l’agente d’ERAR des observations écrites, un affidavit et de nombreux documents, dont, entre autres, quatre sont déposés au dossier du demandeur.

 

[22]           Le 11 mai 2007, le demandeur a également présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire, laquelle demande comportait, entre autres, les observations écrites et documents déposés au soutien de la demande d’ERAR (Notes au dossier, dossier du tribunal [DT] à la p 4 et dossier du demandeur [DD] à la p 7).

 

[23]           Le 4 décembre 2007, les autorités locales ont confirmé à l’Ambassade du Canada qu’elles n’avaient pas trouvé de traces de deux des documents soumis par le demandeur, soit le procès-verbal no 286 et le « Soit Transmis » no 298 (Lettre du 4 décembre 2007, DD à la p 39).

 

[24]           Le 13 décembre 2007, l’agente d’ERAR a écrit au demandeur pour lui demander ses commentaires quant à la lettre du 4 décembre 2007, reçue d’Abidjan (Lettre du 13 décembre 2007 et pièces, DT aux pp 88 à 92 et DD (copie incomplète) aux pp 37 à 39).

 

[25]           Le 1er avril 2008, le demandeur a à nouveau écrit à l’agente d’ERAR lui faisant également parvenir des documents par télécopieur; ces documents furent ajoutés au dossier du demandeur (Lettre du 1er avril 2008, DT aux pp 34 à 37 et DD aux pp 72 à 75; Réponse du 2 avril 2008, DD à la p 78).

 

[26]           Le 24 mars 2010, le demandeur a fait parvenir une nouvelle lettre et d’autres documents (Lettre du 24 mars 2010, DT aux pp 23 à 33).

 

[27]           Le 16 septembre 2010, la demande d’ERAR fut rejetée (Lettre du 16 septembre 2010, DD à la p 5; Notes au dossier, DD aux pp 6 à 15).

 

[28]           L’agente d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de personne à protéger conformément à l’article 96 et aux alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR (Notes au dossier, DT aux pp 3 à 12 et DD aux pp 6 à 15).

 

[29]           Tout d’abord, l’agente d’ERAR a expliqué pourquoi elle avait considéré que certains des documents qui accompagnaient initialement la demande d’ERAR ne rencontraient pas les critères de l’alinéa 113a) de la LIPR (Notes au dossier, DT aux pp 4 et 5 et DD aux pp 9 et 10).

 

[30]           L’agente mentionne en particulier plusieurs des nouveaux documents soumis par le demandeur dans son analyse des faits et elle explique pourquoi elle n’a pas donné de valeur probante à ces documents.

 

[31]           Finalement, l’agente a traité de la partie de la demande d’ERAR faisant état des « risques liés au VIH » (Virus de l’immunodéficience humaine) (Notes au dossier, DT aux pp 10 et 11 et DD aux pp 13 et 14).

 

[32]           Le demandeur ne conteste pas le bien-fondé de la dernière conclusion de l’agente d’ERAR concernant les « risques liés au VIH ».

 

[33]           Essentiellement, le demandeur plaide que :

a)   la décision est déraisonnable parce que l’agente n’aurait pas pris en compte les éléments nouveaux que le demandeur avait soumis; et,

b)   l’agente aurait manqué aux principes de justice naturelle en ne tenant pas une entrevue.

 

IV.  Dispositions législatives pertinentes

[34]           Les alinéas 113a) et b) de la LIPR se lisent comme suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

[35]           Les facteurs pour décider si la tenue d’une audience est requise sont prescrits à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement]:

167. Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci-après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant's credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

 

V.  Analyse

[36]           Les facteurs énumérés à l’article 167 du Règlement sont cumulatifs et le demandeur doit les rencontrer tous pour avoir droit à une audience.

 

[37]           Le demandeur allègue que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’aurait pas pris en compte les éléments nouveaux que le demandeur avait soumis.

 

[38]           Il est bien établi que, dans une demande d’ERAR, le demandeur ne peut normalement inclure que des éléments de preuve survenus depuis la décision de la SPR. 

 

[39]           Comme démontré par les extraits suivants cités, le juge Simon Noël a traité et rejeté la demande de contrôle judiciaire dans laquelle la demanderesse reprochait à l’agent d’ERAR d’avoir omis d’examiner la preuve déposée au soutien de la demande d’ERAR et le juge Noël a spécifié et même répondu que :

[2]        Les questions suivantes sont soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire :

 

(1) Est-ce que l’agent ERAR a erré dans son évaluation des nouveaux documents déposés par la demanderesse?

 

[...]

 

[3]        Étant donné la multitude de questions suggérées pour fin de certification par la demanderesse, je les inclus sous cette rubrique :

 

1)  Pour l’application de l’alinéa 113a) de la LIPR, les « éléments de preuve survenus depuis le rejet » englobent-ils uniquement les éléments de preuve qui sont postérieurs à ceux dont disposait la SPR et qui diffèrent substantiellement de ceux-ci?

2)  La norme régissant la réception de nouveaux éléments de preuve en vertu de l’al. 113a) de la LIPR oblige-t-elle l’agent d’ERAR à accepter tout élément de preuve survenu après la décision de la SPR, même les éléments normalement accessibles au demandeur ou ceux qu’il aurait vraisemblablement pu présenter à l’audience concernant la demande d’asile?

 

[...]

 

III.  La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

 

[15]      L’agent d’ERAR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve suffisante pouvant démontrer que la demanderesse risquait d’être exposée à de la torture, à des peines, à des traitements cruels ou inusités, ou à la mort si elle retournait en Iran ou encore qu’elle fait partie d’un groupe pouvant être assujetti à ce genre de sévices et/ou traitements.  En conséquence, la demande de l’ERAR fut rejetée.

 

[16]      Pour en arriver à une telle conclusion, l’agent d’ERAR a examiné les 36 documents déposés par la demanderesse et il en a tiré plusieurs déterminations :

 

[1]        Les documents 12 à 36 ne constituent pas de la nouvelle preuve pour les raisons suivantes :

 

a.   Les documents 15 à 36 sont antérieurs à la décision de rejet prononcée par la SPR et la demanderesse n’a pas démontré que ces documents n’étaient pas alors  normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’elle les ait présentés au moment du rejet;

 

[...]

 

[25]      Dans un jugement (Raza et al c. MCI et al, 2006, FC 1385 au paragraphe 22) où les faits en partie s’apparentent à la situation de la présente, le juge Mosley décrivait la nouvelle information de la façon suivante:

 

“It must be recalled that the role of the PRRA officer is not to revisit the Board's factual and credibility conclusions but to consider the present situation. In assessing "new information" it is not just the date of the document that is important, but whether the information is significant or significantly different than the information previously provided: Selliah, above at para. 38. Where "recent" information (i.e. information that post-dates the original decision) merely echoes information previously submitted, it is unlikely to result in a finding that country conditions have changed. The question is whether there is anything of "substance" that is new: Yousef, above at para.27.”

 

[26]      Tout récemment, la Cour d’appel rendit un jugement suite à la certification de deux questions du juge Mosley concernant l’article 113 de la LIPR (voir Raza et al. c. MCI, 2007, FCA 385). Madame la juge Sharlow au nom de la Cour, rejeta l’appel, adopta le raisonnement de monsieur le juge Mosley (voir le paragraphe 16) et informa quant au contenu de l’article 113 de la LIPR (voir le paragraphe 13). Elle prit la peine d’indiquer à nouveau que la procédure de l’ERAR n’était pas un appel ou encore, une demande de révision de la décision de la SPR étant donné que le législateur a clairement voulu limiter la preuve présentable dans le cadre d’une telle procédure (voir le paragraphe 12).

 

[27]      Ce que le législateur ne veut pas est que la demande d’un ERAR ne devienne une deuxième demande d’asile sous forme déguisée. En limitant ainsi la preuve à de l’information nouvelle pour la demande d’un ERAR par un demandeur d’asile débouté, on indique clairement que l’objectif visé est d’analyser la demande de protection en tenant compte de la situation après la décision de la SPR, le tout sujet à certaines adaptations concernant certaines preuves antérieures selon le libellé de l’article 113 de la LIPR et l’interprétation donnée par madame la juge Sharlow et monsieur le juge Mosley.

 

[28]      Ayant à l’esprit ce qui est mentionné ci-haut au sujet de l’alinéa 113a) de la LIPR et le jugement Raza (supra) de la Cour d’appel, je constate que l’agent d’ERAR a pris le temps d’analyser la documentation soumise au soutien de la demande de l’ERAR et qu’il a expliqué de façon détaillée ses conclusions quant à leur valeur probante (la crédibilité de la preuve, tout en considérant la source et les circonstances entourant l’existence de l’information, la fiabilité de celle-ci, son élément de nouveauté et son degré élevé d’importance). Il l’a fait en prenant en considération non seulement la date de l’information mais aussi l’aspect nouveauté ou pas de celle-ci ayant comme point de référence la preuve devant la SPR, les conclusions de celle-ci et la disponibilité ou pas de l’information au moment de l’audition de la SPR ainsi que la raisonnabilité de s’attendre à ce qu’elle ait présenté ladite information à la SPR. Une telle analyse rencontre les normes contenues à l’alinéa 113a) de la LIPR et la Cour n’a aucune raison pour intervenir car la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable. L’agent Perreault a pris en considération l’information pertinente et il a fait les déterminations appropriées tenant compte des circonstances du dossier.

 

[29]      J’ajoute, comme il a été mentionné dans l’arrêt Colindres, supra,  dans des circonstances s’apparentant au présent cas, que le fait que la demanderesse soit en désaccord avec les conclusions de l’agent d’ERAR ne rend pas la décision de l’agent d’ERAR déraisonnable. À mon avis, la demanderesse dans ses soumissions demande en réalité à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle faite par l’agent. Ceci n’est pas le rôle de la Cour à cette étape-ci de l’historique du dossier de la demanderesse (Gonzalez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2006] ACF No 1592, 2006 CF 1274 au paragraphe 17; Maruthapillai c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2000] FCJ No. 761 au paragraphe 13). [La Cour souligne].

 

(Abdollahzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1310, 325 FTR 226).

 

[40]           Le demandeur réitérait les faits et risques allégués dans sa demande d’asile et faisant l’objet de la décision de la SPR; une partie de la preuve documentaire soumise pour l’ERAR était antérieure à la décision de la SPR et la Cour fédérale avait déjà rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre de la décision de la SPR. La décision de l’agente d’ERAR est conforme aux principes élaborés par la jurisprudence de cette Cour comme spécifié, y compris ceux de l’arrêt Raza, ci-dessus.

 

[41]           Le demandeur n’a présenté, au soutien de sa demande d’ERAR, aucune nouvelle preuve ayant une force probante qui aurait permis de remettre en question la décision de la SPR. En conséquence, les arguments du demandeur et la jurisprudence citée ne sont pas pertinents.

 

[42]           L’agent était en droit de soupeser la preuve présentée conformément à son expertise particulière, et a fourni des motifs pour expliquer quel poids était accordé à chaque élément. Ce procédé est en conformité avec les enseignements de la Cour selon Abdollahzadeh, ci-dessus :

[29]      J’ajoute, comme il a été mentionné dans l’arrêt Colindres, supra, dans des circonstances s’apparentant au présent cas, que le fait que la demanderesse soit en désaccord avec les conclusions de l’agent d’ERAR ne rend pas la décision de l’agent d’ERAR déraisonnable. À mon avis, la demanderesse dans ses soumissions demande en réalité à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle faite par l’agent. Ceci n’est pas le rôle de la Cour à cette étape-ci de l’historique du dossier de la demanderesse (Gonzalez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2006] ACF No 1592, 2006 CF 1274 au paragraphe 17; Maruthapillai c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2000] FCJ No. 761 au paragraphe 13). [La Cour souligne].

 

[43]           L’agent a pris en compte tous les risques et documents reliés aux risques invoqués par le demandeur; les arguments du demandeur n’ont pas été retenus.

 

[44]           Le demandeur allègue que l’agente a erré en faisant une analyse « morcelée » de la preuve en omettant d’énumérer certains documents et a  rendu une décision déraisonnable.

 

[45]           Contrairement à ce que plaide le demandeur, l’agente a écrit plus qu’un paragraphe au sujet de la preuve « nouvelle » qu’il a fournie.

 

[46]           En fait, tel que le démontre la lecture des pages 6 à 8 des notes au dossier, l’agente consacre 11 paragraphes de sa décision dans lesquels elle cite deux extraits de la preuve « nouvelle » à son analyse de cette preuve pour appuyer sa conclusion qu’elle ne lui accorde peu de force probante.

 

[47]           Le demandeur suggère que l’agente a omis d’autres éléments de preuve parce qu’elle en cite certains et pas d’autres.

 

[48]           L’agente d’ERAR est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve :

[64]      L’agent d’ERAR est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et qu’il n’est pas nécessaire qu’il mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont il disposait (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. No. 598; Ramirez Chagoya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 721, [2008] A.C.F. no 908).

 

(Andrade c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1074).

 

[49]           D’abord, tel qu’il appert de la lettre du 4 décembre 2007, relativement aux résultats des vérifications par les autorités ivoiriennes, le Chef de service a déclaré que les documents soumis sont des faux, ce qui est venu confirmer l’opinion émise par un fonctionnaire de l’ambassade, le 8 novembre 2007, dans un courriel à madame Anne-Marie Loungnarath (Résultats des vérifications, DT à la p 91; Courriel du 8 novembre 2007, DT du dossier IMM-6633-10 à la p 336).

 

[50]           De plus, tel qu’il appert de la lettre du 30 janvier 2008 de madame Loungnarath en réponse à celle du procureur du demandeur, en date du 28 décembre 2007, non seulement le nom du demandeur est un nom extrêmement commun en Côte d’Ivoire, mais, de plus, aucun autre renseignement permettant de l’identifier ne fut fourni pas plus que les noms des autres personnes impliquées (Lettre du 30 janvier 2008 et documents, DT aux pp 45 à 51 et DD aux pp 40 à 55; Lettre du 28 décembre 2007, DT aux pp 52 à 54 et 65 à 77 et DD aux pp 40 à 55).

 

[51]           Le demandeur s’est prévalu à quatre reprises des occasions fournies pour répondre aux préoccupations du décideur quant à l’authenticité des documents qu’il avait fournis avec sa demande d’ERAR du 26 avril 2007. Ainsi, le demandeur a pu répondre en décembre 2007, en février 2008, en mars 2008 et en avril 2008 et a pu envoyer d’autres documents. (Lettre datée du 28 décembre 2007 et documents, DT aux pp 52 à 54 et 65 à 77 et DD aux pp 40 à 55; Lettre du 14 février 2008, DT aux pp. 42 à 44 et DD aux pp 63 à 65; Lettre du 10 mars 2008, DT aux pp 38 et 39 et DD aux pp 69 à 71; Lettre du 1er avril 2008, DT aux pp 34 à 37 et DD aux pp 72 à 77).

 

[52]           Le dépôt de ces documents confirme l’absence de crédibilité du demandeur, constatée par la SPR et la Cour fédérale, et ne permettait pas à l’agente d’ERAR d’arriver à une conclusion différente de celle de la SPR (Motifs de la décision de la SPR, DT aux pp 243 à 253; Ordonnance de la Cour, dossier IMM-3225-06).

 

[53]           La conclusion de l’agente d’ERAR relativement à ces documents est raisonnable, d’autant plus que les récentes élections en Côte d’Ivoire ont amené un changement de gouvernement.

 

Absence d’entrevue

[54]           Le demandeur allègue que l’agente aurait manqué aux principes de justice naturelle en ne tenant pas une entrevue.

 

[55]           Il faut noter, que dans cette affaire, le demandeur a eu l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées, en particulier, suite à la lettre des autorités ivoiriennes de décembre 2007, lettre qui avait été transmise au demandeur pour ses commentaires.

 

[56]           La Cour reconnait que le demandeur a aussi bénéficié de plusieurs délais supplémentaires pour envoyer ses réponses et des documents supplémentaires.

 

[57]           En conséquence, le demandeur n’a pas démontré que l’agente a manqué aux principes de justice naturelle en n’accordant pas d’entrevue orale, d’autant plus que le demandeur ne précise pas en quoi cette entrevue lui aurait été plus favorable que les quatre possibilités de s’expliquer par écrit dont il a bénéficié.

 

[58]           De plus, cette Cour a décidé que le fait que l’agent d’ERAR ne donne pas d’entrevue ne viole pas nécessairement les principes de justice naturelle (Younis c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 266, 348 FTR 186; Sylla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 475, 135 ACWS (3d) 472; Allel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 533, 124 ACWS (3d) 754; Matano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1290 aux para 13 à 20).

 

[59]           Pour ces raisons, l’agente n’a pas manqué aux principes de justice naturelle en n’accordant pas d’entrevue. Elle a respecté l’esprit et la lettre de l’alinéa 113b) de la LIPR. Une entrevue n’était pas nécessaire dans ce cas compte tenu des multiples possibilités données au demandeur de fournir des explications et documents supplémentaires.

 

VI.  Conclusion

[60]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Aucune question d’importance générale à certifier.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6635-10

 

INTITULÉ :                                       BOUBAKAR TRAORÉ c

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 août 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 26 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nino Karamaoun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Michèle Joubert

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KD Lawyers - Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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