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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110728

Dossier : IMM-5723-10

Référence : 2011 CF 952

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

QIHONG ZHU

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 14 septembre 2010 d’une agente d’immigration refusant l’examen de la demande de résidence permanente de Mme Qihong Zhu présentée à partir du Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). L’agente a conclu qu’il n’y avait suffisamment de motifs permettant d’établir l’existence de difficultés excessives et justifiant l’accueil de la demande.

 

 

I.          Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Chine âgée de 71 ans qui est venue au Canada au titre d’un visa temporaire pour rendre visite à son fils le 3 novembre 2008. Trois semaines plus tard, le 26 novembre 2008, son époux est décédé subitement en Chine. Son fils est un citoyen canadien qui vit à Edmonton avec son épouse et son enfant. La demanderesse est une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial qui pourrait être parrainée depuis l’étranger si sa demande de résidence permanente présentée à partir du Canada n’était pas traitée.

 

[3]               La demanderesse a déposé sa demande CH le 5 janvier 2009. Le 9 août 2010, avant de traiter sa demande, la Section de l’immigration lui a envoyé une lettre lui demandant de mettre à jour ses observations et ses éléments de preuve au soutien de sa demande; elle prétend ne pas avoir reçu cette lettre.

 

[4]               Les parties ne s’entendent pas sur le reste des faits.

 

[5]               Dans ses motifs de rejet de la demande CH, l’agente a conclu que la demanderesse était raisonnablement en bonne santé et capable de prendre soin d’elle-même, qu’elle avait des économies, une propriété et une pension en Chine, et qu’elle y était mieux établie qu’au Canada. En bref, l’agente a conclu que la demanderesse pouvait vivre en Chine sans éprouver de difficultés excessives.

 

[6]               Par contraste, dans un affidavit établi au soutien de la demande de contrôle judiciaire devant la Cour, la demanderesse soutient que, depuis le décès de son époux en 2008, elle n’a aucune raison de retourner en Chine puisque ses seuls parents là-bas sont des sœurs aînées trop frêles pour s’occuper d’elle. Elle soutient que le délai de traitement des demandes faites à l’étranger à partir de la Chine au titre de la catégorie du regroupement familial est d’en moyenne six ans, de sorte qu’elle aurait vraisemblablement 77 ans avant de pouvoir revenir au Canada. Elle n’a jamais vécu seule de sa vie, elle est déprimée, et elle commence à avoir des troubles de mémoire, de sorte qu’elle doute de pouvoir se débrouiller seule en Chine.

 

[7]               En outre, le fils de la demanderesse prétend, dans un affidavit produit au soutient de la présente demande à la Cour, que la demanderesse risquerait de décéder prématurément en Chine parce qu’elle est trop frêle et âgée pour y vivre de manière autonome. En particulier, son fils prétend qu’elle souffre de démence sénile précoce, qu’elle a perdu sa pension de retraite parce que la société qui la verse est en faillite, qu’elle ne peut pas prendre soin d’elle-même, qu’elle n’a nulle part où vivre en Chine en raison d’un litige concernant sa propriété, et que ses sœurs en Chine souffrent également de démence et ne peuvent pas prendre soin d’elle.

 

II.        La décision contestée

[8]               L’agente a communiqué à la demanderesse la décision rejetant la demande CH par lettre datée du 14 septembre 2010. L’agente y énonce avec passablement de détails les différents facteurs dont elle a tenu compte pour prendre sa décision, notamment les relations personnelles de la demanderesse, son petit-fils au Canada, les difficultés qu’elle éprouverait si elle retournerait en Chine et le degré relatif d’établissement dans les deux pays. L’agente énumère les facteurs qui militent en faveur d’une décision positive et ceux qui militent en sens contraire.

 

[9]               L’agente reconnaît la dépression de la demanderesse, le fait qu’elle compte sur sa famille au Canada pour du soutien émotionnel, les intérêts supérieurs de son petit-fils canadien, le fait que son fils se sente obligé d’aider sa mère et le dossier civil sans tache de cette dernière. L’agente note que ces facteurs militent en faveur d’une décision positive. Toutefois, elle conclut que, malgré ces facteurs, la demande devrait être rejetée parce que des difficultés excessives n’ont pas été démontrées, et ce, pour plusieurs raisons. La demanderesse a une propriété, une pension et des économies en Chine; elle est admissible au parrainage depuis l’étranger  à titre de membre de la catégorie du regroupement familial; les préoccupations relatives à l’aggravation de sa dépression causant éventuellement son décès prématuré si elle est renvoyée en Chine ne sont que spéculatives; il n’y a pas suffisamment de preuves qu’elle ne peut pas être prise en charge ou recevoir un soutien émotionnel en Chine pendant le temps que prendrait le traitement de sa demande au titre de la catégorie du regroupement familial; les parents de son petit-fils et une garderie à Edmonton peuvent prendre soin de l’enfant; et la demanderesse n’a pas démontré que sa situation différait de celle d’autres personnes âgées en Chine. L’agente développe chacune de ces idées de manière passablement détaillée.

 

III.       Les questions en litige

[10]           La Cour est appelée à examiner deux questions :

a.       L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en omettant d’évaluer adéquatement les difficultés liées au fait de déposer une demande de résidence depuis la Chine, où le délai de traitement est long?

 

b.      Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle parce que la demanderesse n’a pas reçu la lettre de la Section de l’immigration l’invitant à ajouter d’autres observations et éléments de preuve à sa demande?

 

IV.       Analyse

[11]           Après avoir examiné les arguments des deux parties, j’en suis venu à la conclusion que l’intervention de la Cour n’était pas justifiée. J’examinerai tour à tour chacune des questions en litige pour expliquer comment j’en suis venu à cette conclusion.

a.      L’agente a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en omettant d’évaluer adéquatement les difficultés liées au fait de déposer une demande de résidence depuis la Chine, où le délai de traitement est long?

 

 

[12]           Cette question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, puisqu’elle concerne l’évaluation que l’agente a faite des éléments de preuve relatifs aux difficultés que pourrait éprouver la demanderesse. L’évaluation des éléments de preuve relatifs aux difficultés relève du domaine de compétences spécialisées de l’agente : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 51 à 56.

 

[13]           Je ne trouve pas convaincant l’argument de la demanderesse selon lequel lorsque l’agente a évalué les difficultés, elle a commis une erreur en omettant de tenir compte du long délai de traitement des demandes au titre de la catégorie du regroupement familial en Chine.

 

[14]           Les motifs de l’agente sont complets, clairs et bien organisés, et l’agente soupèse soigneusement les différents facteurs avant d’en arriver à la conclusion qu’un retour en Chine ne causerait pas de difficultés excessives à la demanderesse. Bien que l’agente ne mentionne pas expressément que le délai de traitement en Chine pourrait être de six ans, l’ensemble de son analyse tend à démontrer qu’elle reconnaît la probabilité que sa décision puisse avoir comme conséquence que la demanderesse retourne en Chine à titre à tout le moins semi-permanent. L’évaluation générale que l’agente fait de la santé, des finances et de l’établissement de la demanderesse en Chine implique une compréhension de la possibilité que la vie en Chine puisse être une réalité à long terme pour la demanderesse. L’agente ne dit nulle part [traduction] « Étant donné que la demanderesse ne retournera en Chine que pour une brève période […] » ou quoi que ce soit du genre. L’agente a évalué les difficultés éventuelles liées à un retour permanent en Chine, bien qu’elle ait noté que ces difficultés pourraient être atténuées à un certain stade par l’accueil d’une demande au titre de la catégorie du regroupement familial. Je ne vois pas comment l’évaluation de l’agente pourrait être annulée comme étant déraisonnable sur ce point.

 

[15]           J’examinerai maintenant la deuxième question en litige.

b)      Y a-t-il eu manquement à la justice naturelle parce que la demanderesse n’a pas reçu la lettre de la Section de l’immigration l’invitant à ajouter d’autres observations et éléments de preuve à sa demande?

 

[16]           Il s’agit d’une question d’équité procédurale. Il est de droit constant que les questions relevant de cette catégorie sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir, par exemple, Syndicat canadien de la Fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, au paragraphe 53. Lorsqu’elle applique la norme de la décision correcte, la Cour ne doit faire preuve d’aucune retenue.

 

[17]           Tel qu’indiqué précédemment, le 9 août 2010, la Section de l’immigration a envoyé à la demanderesse une lettre lui demandant de mettre à jour les observations et les éléments de preuve au soutien de sa demande. La demanderesse prétend ne pas avoir reçu cette lettre. Pour ce motif, elle prétend qu’elle a subi un déni d’équité procédurale, d’où s’est ensuivi un manquement à la justice naturelle. Elle soutient que, parce qu’elle n’a pas reçu la lettre, elle n’a pas communiqué des renseignements pertinents dont l’agente aurait dû disposer et qui auraient pu modifier le sort de sa demande.

 

[18]           Voici les renseignements qu’elle prétend qu’elle aurait communiqués si la lettre lui était parvenue :

 

·        Elle souffre de démence (alors que l’agente a conclu qu’elle était en santé);

·        Elle n’a aucune pension en Chine en raison de la faillite récente de la société payeuse (alors que l’agente a conclu que la demanderesse aurait accès à des revenus grâce à cette pension);

·        Elle serait sans domicile en Chine parce que la propriété dont elle est ostensiblement propriétaire est actuellement l’objet d’un litige avec un dirigeant du Parti communiste (alors que l’agente a conclu qu’elle aurait un endroit où vivre);

·        Elle serait seule en Chine puisque ses seuls parents, trois sœurs aînées, souffrent également de démence et sont incapables de lui fournir du soutien (alors que l’agente a conclu qu’elle bénéficierait du soutien de sa famille);

·        En raison de ses obligations filiales, le fils de la demanderesse pourrait devoir quitter son emploi pour s’occuper de sa mère si celle-ci retournait en Chine, ce qui causerait un préjudice à son épouse et à son enfant (alors que l’agente n’était pas au courant de ce fait).

 

La demanderesse soutient que l’agente ne disposait d’aucun de ces renseignements parce que la demanderesse ne savait pas qu’une mise à jour avait été demandée. Elle soutient que cela lui a causé un préjudice parce que d’importants renseignements étaient manquants lors du processus décisionnel.

 

[19]           La demanderesse soutient également qu’étant donné que le ministère de l’Immigration a pour politique générale d’envoyer ces lettres demandant des mises à jour avant de traiter les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, elle avait le droit d’en recevoir une, et, puisqu’elle n’en a pas reçu, elle a été traitée de manière inéquitable.

 

[20]           Indépendamment de toute pratique que pourrait avoir le ministère de demander ces mises à jour (pratique qui n’a pas été prouvée dans tous les cas), le droit établit clairement qu’il incombe à la demanderesse d’établir le bien-fondé de sa demande : Owusu c. Canada (MCI), 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635, au paragraphe 8, Bernard c. Canada (MCI), 2001 CFPI 1068, [2001] A.C.F. n1474, au paragraphe 23. L’agente n’avait aucune obligation de demander des documents ou des faits additionnels pour compléter les renseignements que la demanderesse avait communiqués : Bernard, précité, au paragraphe 24, Ly c. Canada (MCI), (2000) 194 F.T.R. 123, au paragraphe 20 (C.F. 1re inst.), [2000] A.C.F. no 1965. La même règle s’applique aux agents des visas : Tahir c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 1354, 159 F.T.R. 109 (C.F., 1re inst.), au paragraphe 8, et Lam c. Canada (MCI), [1998] A.C.F. no 1239, 152 F.T.R. 316 (C.F., 1re inst.), au paragraphe 4.

 

[21]           Comme la Cour l’a affirmé dans la décision Owusu, précitée, « puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c'est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites ». Il est clair qu’il incombait à la demanderesse de communiquer tous les renseignements pertinents à l’agente. Étant donné que la demanderesse prétend que sa situation avait changé de façon si importante depuis le moment de sa demande initiale, il aurait été prudent qu’elle mette son dossier à jour de sa propre initiative, mais elle a omis de le faire. Le défaut de l’agente de faire parvenir avec succès la lettre, chose qu’elle n’avait aucune obligation de faire, ne saurait être considéré comme un manquement à l’équité procédurale dans ces circonstances, surtout étant donné que la preuve démontre qu’une tentative d’envoyer la lettre a été faite.

 

[22]           Par ailleurs, les éléments de preuve nouveaux relatifs aux changements dans la situation de la demanderesse ne sont pas particulièrement convaincants, étant donné qu’ils ne sont corroborés par aucun élément de preuve documentaire, mais ne consistent qu’en de simples affirmations de fait. Pour ce motif, il n’est pas clair que, même si l’agente avait disposé de ces renseignements, cela aurait changé le sort de la demande.

 

V.                 Conclusion

 

[23]           Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Aucune question n’a été proposée à des fins de certification, et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5723-10

 

INTITULÉ :                                       QIHONG ZHU c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 juin 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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