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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110719

Dossier : IMM-5071-10

Référence : 2011 CF 900

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

 

GASTON VÉZINA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’examiner la légalité d’une décision rendue le 21 juillet 2010 par la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) et rejetant l’appel porté par le demandeur, en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi), à l’encontre du refus de délivrer un visa de résidence permanente à son épouse (la requérante), une citoyenne de Cuba.

 

[2]               Un bref rappel des faits pertinents s’impose pour comprendre la nature de l’appel ayant été porté par le demandeur devant le tribunal.

 

[3]               Le demandeur est un citoyen canadien, né au Canada en 1937. Il plaide coupable en 2004 à des infractions d’ordre sexuel impliquant une mineure; les actes en question remontent à plus de 20 ans et la victime est la nièce de son ancienne épouse. Ayant été condamné à purger une peine de deux ans moins un jour de prison, suivie d’une période deux ans de probation, le demandeur est libéré conditionnellement en 2005 et finit de purger sa peine en décembre 2006; les deux ans de probation se terminent en décembre 2008.

 

[4]               Environ un an avant sa condamnation, le demandeur qui se rendait souvent à Cuba pour son ancien employeur, rencontre la requérante en février 2003. La requérante qui a environ 25 ans à l’époque, est alors mariée, mais obtiendra son divorce en septembre 2003. Ceci dit, depuis février 2003, le demandeur a effectué environ 22 voyages à Cuba et a versé environ 20 000 $ à la requérante pour l’aider financièrement. Le demandeur et la requérante, qui avaient déjà conclu une « promesa » à l’effet qu’ils se fréquenteront exclusivement, se marient finalement à Cuba en décembre 2006.

 

[5]               Entretemps, la requérante demande un visa de visiteur en mars 2004 pour venir au Canada, indiquant que le demandeur n’est qu’un simple ami. En juillet 2004, elle fait une deuxième demande, dans laquelle elle affirme être en relation romantique avec le demandeur depuis 2003. Elle admet avoir menti et est empêchée de déposer une nouvelle demande de visa pendant une période de deux ans. Deux autres demandes de visa seront éventuellement faites par la requérante en 2006 et 2008, mais celles-ci seront également refusées par l’agent des visas.

 

[6]               De son côté, en mai 2007, le demandeur qui est alors âgé de 70 ans et n’a pas l’intention de s’établir à Cuba, fait une première demande de parrainage de la requérante. La demande est rejetée au motif que le sous-alinéa 133(1)e)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) empêche une personne ayant été déclarée coupable d’une infraction criminelle à caractère sexuel d’en parrainer une autre.

 

[7]               Toutefois, le demandeur a toujours le loisir de déposer une nouvelle demande de parrainage en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. C’est ce qu’il décide de faire en mars 2009, mais cette deuxième demande est rejetée par l’agent des visas, cette fois en raison de l’absence de considérations humanitaires. En septembre 2009, le demandeur fait appel et soumet au tribunal un dossier contenant une quarantaine de lettres, courriels et télécopies qui ont été échangés entre la requérante et lui-même, ainsi que des factures de téléphone énumérant les appels interurbains. Il témoigne également à l’audition.

 

[8]               L’appel est contesté par le défendeur qui, d’abord, ne voit aucun motif humanitaire suffisant, et en avril 2010, le tribunal accepte également l’ajout d’un deuxième moyen de rejet, à savoir que le mariage n’est pas authentique et vise principalement l’obtention d’un statut au Canada. En juillet 2010, le tribunal rejette l’appel du demandeur, d’une part, parce que celui-ci n’a pas su démontrer, selon la balance des probabilités, que sa relation avec la requérante n’en est pas une qui est visée par l’article 4 du Règlement, et d’autre part, parce qu’il n’y a pas suffisamment de motifs humanitaires pour pallier au motif de refus en vertu du sous-alinéa 133(1)e)(i) du Règlement.

 

[9]               Le paragraphe 4(1) du Règlement prescrit :

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

b) n’est pas authentique.

 

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

(b) is not genuine.

 

 

 

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire porte essentiellement sur le fait que le tribunal a décidé que la requérante est une personne exclue de la catégorie de regroupement familial. Le demandeur prétend que le tribunal a omis de se prononcer sur l’authenticité du mariage, et que la conclusion du tribunal à l’effet que le mariage vise principalement l’acquisition d’un statut, est également déraisonnable. Le défendeur soumet qu’il faut lire la décision dans son ensemble, alors que le tribunal n’a commis aucune erreur révisable et que les conclusions du tribunal sont raisonnables à tous égards.

 

[11]           Rappelons qu’aux termes de l’article 4 du Règlement, le tribunal doit vérifier si le mariage est authentique et si celui-ci a été contracté principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège aux termes de la Loi (Mohamed c Canada (Ministre de citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 696 au para 35). À cet égard, le tribunal doit tenir compte de la relation telle qu'elle existe à l'heure actuelle, de sorte qu'une relation qui n'était peut-être pas « authentique » au départ l'est peut-être devenue. D’un autre côté, la conclusion négative du tribunal quant à l’authenticité du mariage crée une présomption que le deuxième volet du test est satisfait (Sharma c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 1131 au para 18; Kaur c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2010 CF 417 aux paras 15-17).

 

[12]           Qu’il s’agisse de l’authenticité d’un mariage, des intentions réelles de l’étranger ou de l’existence de motifs d’ordre humanitaire, le tribunal est le mieux placé pour trancher ces questions. Bref, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit soulevées en l’espèce par le demandeur sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 SCC 9 au para 47; Bodine c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 FC 848 au para 17, et Singh c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2010 FC 378 au para 12).

 

[13]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[14]           D’une part, le tribunal n’a pas omis de se prononcer sur les deux volets du test. Bien que le tribunal n’utilise jamais l’expression « mariage non-authentique » dans ses motifs de décision, la Cour considère que la phrase « manque de bonne foi », utilisée à maintes reprises par le tribunal, vise bien l’authenticité du mariage. D’autre part, la conclusion générale du tribunal m’apparait raisonnable à la lumière de la preuve au dossier et du droit applicable, même s’il ne s’agit peut-être pas de la seule issue possible.

 

[15]           Dans une attaque tous azimuts concernant le poids accordé par le tribunal à son témoignage, ainsi qu’aux documents qu’il a déposés à l’appui de son appel, le demandeur conteste toutes les conclusions adverses du tribunal portant sur la bonne foi de leur relation et l’authenticité du mariage, de même que sur les intentions réelles de la requérante.

 

[16]           Le demandeur reproche notamment au tribunal de ne pas avoir explicitement parlé dans ses motifs du passeport du demandeur démontrant les 22 visites qu’il a faites à Cuba. Le tribunal a bien fait état du soutien financier de 17 143 $ qu’il a envoyé à la requérante mais, selon le demandeur, ce dernier n’a pas suffisamment accordé de poids à cet élément. Le même reproche vaut pour le peu de considération du tribunal à l’égard des échanges écrits entre le demandeur et la requérante (sauf la lettre du 30 décembre 2007 qui est mentionnée), les quelque 2 000 $ de frais téléphoniques pour des appels à Cuba et la quarantaine de photos montrant les partenaires ensemble durant les années 2003 à 2009.

 

[17]           Le demandeur soumet également qu’il n’a jamais eu l’intention de s’établir à Cuba; il était donc normal que son épouse veuille venir au Canada. Le demandeur soumet également que le tribunal s’est trompé en concluant qu’une demande de mariage a eu lieu entre les parties en 2003, deux mois après leur rencontre, alors que la « promesa » a été conclue en 2004. Le demandeur prétend qu’il a témoigné clairement qu’il existe une différence entre la nature d’une demande en mariage et la nature d’une « promesa » en espagnol, ce dernier indiquant simplement une relation exclusive.

 

[18]           Le demandeur prétend également qu’il était déraisonnable de la part du tribunal de tirer une conclusion négative de la réaction de la requérante aux crimes du demandeur; le demandeur rappelle que cette dernière était triste et lui avait demandé des explications. Finalement, le demandeur admet qu’à l’audition, il a bien dit au tribunal qu’il laisserait à la requérante sa liberté si son appel n’était pas accueilli, mais ceci démontrait simplement son découragement et son intention de ne pas être un fardeau si le couple ne pouvait pas vivre ensemble au Canada.

 

[19]           En somme, le demandeur invite aujourd’hui cette Cour à reprendre l’analyse de toute la preuve au dossier et à se substituer au tribunal. Ce n’est tout simplement pas notre rôle au niveau de l’examen de la légalité de la décision sous étude. Le tribunal est maître des faits et il est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve et le simple fait de ne pas mentionner les éléments de preuve dans les motifs ne suffit pas pour annuler la conclusion générale du tribunal et renvoyer l’affaire pour nouvel examen (Florea c Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)).

 

[20]           Bien que le tribunal semble s’être trompé dans ses motifs de décision en notant que la « promesa » avait été conclue seulement quelques semaines après la première rencontre des époux (et non un an après), cette erreur n’est pas déterminante en l’espèce. Hormis la confusion de dates, le tribunal pouvait assimiler la « promesa » à une demande de mariage, la requérante, dans son formulaire de demande signé le 10 mars 2009 ayant elle-même mentionné que c’était bien une demande en mariage. Le fait demeure que la demande de mariage était hâtive et que si le mariage n’a pas eu lieu avant décembre 2006, c’est tout simplement parce que le demandeur était en prison en 2004 et 2005.

 

[21]           Il appartenait au demandeur de se décharger de son fardeau de preuve en vertu de l’article 4 du Règlement, et le cas échéant, de convaincre le tribunal qu’il y avait des motifs humanitaires pour pallier, entre autres, au fait que le demandeur est inadmissible à titre de répondant en vertu du sous-alinéa 133(1)e)(i) du Règlement. Le tribunal a dûment considéré l’ensemble du témoignage et les explications du demandeur et les a néanmoins rejetées en se fondant sur la preuve au dossier et en motivant sa décision, ce qui est suffisant en l’espèce.

 

[22]           Enfin, il apparait également à la Cour que l’audience a été équitable envers le demandeur. Dès le début de l’audition, le demandeur a été avisé par le tribunal que la bonne foi du mariage était une question en litige. Si le demandeur n’a pas compris à l’époque l’importance de faire témoigner la requérante par téléphone, ceci ne résulte pas d’un défaut du tribunal. Les intentions prêtées par le tribunal à la requérante ont été déterminantes et le tribunal pouvait raisonnablement conclure que de son côté, le but principal du mariage était l’obtention d’un statut du Canada.

 

[23]           Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire doit échouer. Les procureurs ont convenu à l’audience devant la Cour qu’aucune question grave de portée générale ne se soulève dans le présent dossier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5071-10

 

INTITULÉ :                                       GASTON VÉZINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               21 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      19 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Annie Bélanger

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Ian Demers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bélanger, Fiore, Avocats

St-Laurent (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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