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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20110810

Dossier : T-2172-10

Référence : 2011 CF 984

[TRADUCTION  FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 août 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

AHMAD AL-DARAWISH

 

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Al-Darawish interjette appel de la décision du juge de la citoyenneté, R. Monteith, rendue le 5 novembre 2011 et rejetant sa demande de citoyenneté canadienne au motif que le demandeur était assujetti à une période de probation d’un an imposée le 20 juillet 2010 et était donc inadmissible à la citoyenneté en vertu du sous-alinéa 22(1)a)(ii) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).

 

[2]               Le juge de la citoyenneté a également conclu que le demandeur n’avait pas une connaissance adéquate du Canada et des responsabilités conférées par la citoyenneté parce qu’il avait été incapable de répondre correctement à des questions relatives à l’histoire et à la géographie du Canada, à son gouvernement et aux responsabilités conférées par la citoyenneté. Le juge de la citoyenneté a refusé de formuler une recommandation favorable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel d’exempter le demandeur des conditions relatives aux connaissances pour des motifs d’ordre humanitaire. Il a avisé M. Al-Darawish que celui-ci pourrait faire une nouvelle demande de citoyenneté lorsqu’il satisferait aux exigences de la Loi.

 

[3]               M. Al-Darawish interjette appel de la décision au motif qu’il souffre d’une invalidité grave découlant de blessures graves subies lors d’un accident de voiture, d’une maladie et d’expériences traumatiques. Il affirme que sa période de probation a pris fin le 19 juillet 2011 et qu’il est maintenant admissible à la citoyenneté.

 

[4]               Je n’ai d’autre choix que de conclure que le juge de la citoyenneté avait raison en ce qu’en vertu de l’alinéa 22(1)a)(ii) de la Loi, M. Al-Darawish n’était pas admissible à l’attribution de la citoyenneté pendant qu’il était sous le coup d’une période de probation. Mes motifs sont exposés ci‑dessous.

 

[5]               Étant donné l’effet du sous-alinéa 22(1)a)(ii), le juge de la citoyenneté n’était pas tenu de conclure que M. Al-Darawish était inadmissible en raison d’une connaissance inadéquate du Canada. Mais, chose plus importante, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, je suis d’avis que le cas de M. Darawish en est un où il y a lieu d’envisager de lui accorder une exemption des conditions relatives aux connaissances pour des motifs d’ordre humanitaire maintenant que M. Al-Darawish n’est plus sous le coup d’une période de probation.

 

Le contexte

 

[6]               Le demandeur est né le 20 août 1957 à Doura (Hébron), en Cisjordanie. Il aura 55 ans le 20 août 2012. Le défendeur m’avise que l’âge de 55 ans est important parce qu’il doit être envisagé d’exempter un demandeur des conditions relatives aux connaissances aux fins de l’attribution de la citoyenneté dans le cas des demandeurs qui sont âgés de 55 ans ou plus. L’ennui tient au fait que le demandeur, qui se représente lui-même, craint de ne pas vivre jusqu’à cet âge.

 

[7]               Le demandeur demande la citoyenneté canadienne dans le cadre des dispositions qu’il prend pour sa famille; son épouse est malade, et il a plusieurs enfants qui sont encore mineurs.

 

[8]               Le demandeur a été médecin. Il a été diplômé de l’Université de Bethléem en Israël et a travaillé aux Émirats arabes unis pendant de nombreuses années avant de déménager au Canada. Lui et son épouse ont 13 enfants. Il est résident permanent et vit au Canada avec son épouse depuis le 5 juin 2006.

 

[9]               Le demandeur, son épouse et trois de leurs enfants ont été impliqués dans un grave accident de voiture le 26 septembre 2008. Le demandeur a subi de graves blessures qui ont nécessité une intervention chirurgicale. En outre, on lui a diagnostiqué un cancer qui a mené à une autre opération. Il souffre d’une invalidité permanente, et il dit éprouver des troubles de mémoire depuis l’accident.

 

[10]           Le demandeur a demandé la citoyenneté le 22 juillet 2009.

 

[11]           Le demandeur a également reconnu sa culpabilité au titre d’une infraction de voie de faits punissable par voie de procédure sommaire en vertu de l’article 266 du Code criminel du Canada. Il a obtenu une absolution conditionnelle et a été assujetti à une ordonnance de probation le 20 juillet 2010. L’absolution conditionnelle a comme conséquence que le demandeur est réputé ne pas avoir été déclaré coupable d’une infraction criminelle aux termes de sa période de probation pourvu qu’il ait respecté toutes les conditions assortissant l’ordonnance de probation.

 

[12]           Le demandeur a produit plusieurs rapports médicaux dans le cadre du présent appel, dont une note de son médecin de famille, qui écrivait, le 25 octobre 2010 : [traduction] « La présente note confirme que vous éprouvez une multitude de problèmes de santé qui pourraient nuire à votre capacité à réussir votre examen relatif à la citoyenneté canadienne. » Cependant, cet élément de preuve ne semble pas avoir fait partie du dossier dont disposait le juge de la citoyenneté.

 

[13]           Le demandeur a été entendu lors d’une audience devant le juge de la citoyenneté le 4 novembre 2010. Il a subi un test de connaissances verbal, qu’il a échoué.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[14]           Le juge de la citoyenneté a informé le demandeur par lettre datée du 5 novembre 2010 que sa demande de citoyenneté canadienne avait été refusée au motif que le demandeur avait été déclaré coupable de voies de fait en vertu de l’article 266 du Code criminel et était sous le coup d’une ordonnance d’interdiction. Le juge de la citoyenneté a expliqué que le paragraphe 22(1) de la Loi sur la citoyenneté interdisait l’attribution de la citoyenneté au demandeur.

 

[15]           Le juge de la citoyenneté a également conclu que le demandeur n’avait pas une connaissance adéquate du Canada et des responsabilités et privilèges conférés par la citoyenneté comme l’exigeait l’alinéa 5(1)e) de la Loi sur la citoyenneté parce qu’il avait été incapable de répondre correctement à l’audience à des questions portant sur l’histoire et la géographie du Canada, les trois paliers de gouvernement et les responsabilités et privilèges conférés par la citoyenneté canadienne.

 

[16]           Le juge de la citoyenneté a examiné la question de savoir s’il devrait formuler ou non une recommandation favorable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou 5(4) de la Loi sur la citoyenneté, mais il a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de circonstances particulières qui justifieraient la formulation d’une telle recommandation.

 


Les dispositions légales pertinentes

 

[17]           La Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 énonce :

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[…]

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

[…]

(3) Pour des raisons d’ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter :

a) dans tous les cas, des conditions prévues aux alinéas (1)d) ou e);

b) dans le cas d’un mineur, des conditions relatives soit à l’âge ou à la durée de résidence au Canada respectivement énoncées aux alinéas (1)b) et c), soit à la prestation du serment de citoyenneté;

c) dans le cas d’une personne incapable de saisir la portée du serment de citoyenneté en raison d’une déficience mentale, de l’exigence de prêter ce serment.

 

Cas particuliers

 

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

[…]

15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s’il y a lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

[…]

22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre des paragraphes 5(1), (2) ou (4) ou 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :

a) pendant la période où, en application d’une disposition législative en vigueur au Canada :

[…]

(ii) il est sous le coup d’une ordonnance de probation,

 

[Non souligné dans l’original]

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship;

[…]

(3) The Minister may, in his discretion, waive on compassionate grounds,

(a) in the case of any person, the requirements of paragraph (1)(d) or (e);

(b) in the case of a minor, the requirement respecting age set out in paragraph (1)(b), the requirement respecting length of residence in Canada set out in paragraph (1)(c) or the requirement to take the oath of citizenship; and

(c) in the case of any person who is prevented from understanding the significance of taking the oath of citizenship by reason of a mental disability, the requirement to take the oath.

 

Special cases

 

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

[…]

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.

[…]

22. (1) Despite anything in this Act, a person shall not be granted citizenship under subsection 5(1), (2) or (4) or 11(1) or take the oath of citizenship

(a) while the person is, pursuant to any enactment in force in Canada,

[...]

(ii) under a probation order,

 

 

 

(emphasis added)

 

La question en litige

 

[18]           Je formulerais la question comme suit : le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu que le demandeur était interdit d’attribution de la citoyenneté, et, dans la négative, le juge a-t-il commis une erreur lorsqu’il a également évalué les connaissances qu’avait le demandeur du Canada et a refusé de recommander une exemption de cette condition?

 

Analyse

 

[19]           Le demandeur prie la Cour d’examiner sa situation au regard de son invalidité permanente. Il dit qu’il éprouve depuis son accident des troubles de mémoire qui l’ont empêché de réussir l’examen pour l’obtention de la citoyenneté. Le demandeur soutient que le juge de la citoyenneté n’a examiné aucun des rapports médicaux qu’il avait amenés avec lui à l’audience.

 

[20]           Le défendeur reconnaît que le juge de la citoyenneté a peut-être commis des erreurs en ce qui a trait à la conclusion selon laquelle il n’y avait pas lieu en l’espèce de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Cependant, le défendeur soutient que le fait que le demandeur ait été sous le coup d’une ordonnance de probation est la question déterminante, puisque, de ce fait, le demandeur était clairement visé par le paragraphe 22(1), qui interdit l’attribution de la citoyenneté à une personne qui est sous le coup d’une ordonnance de probation.

 

[21]           Le sous-alinéa 22(1)a)(ii) exclut clairement l’attribution de la citoyenneté lorsqu’un demandeur est sous le coup d’une ordonnance de probation. En effet, cette disposition énonce : « Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre des paragraphes 5(1), (2) ou (4) ou 11(1) […] pendant la période où […] il est sous le coup d’une ordonnance de probation. »

 

[22]           En conséquence, je conclus que le juge de la citoyenneté a conclu à juste titre que la citoyenneté ne pouvait pas être attribuée au demandeur pendant que celui-ci était sous le coup d’une période de probation.

 

[23]           Compte tenu de ma conclusion, il était superflu et injustifié dans tous les cas que le juge de la citoyenneté procède ensuite à l’analyse de la question au regard des connaissances du demandeur ainsi qu’à l’évaluation de la question de savoir s’il y avait lieu de recommander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’exempter le demandeur des conditions relatives aux connaissances pendant que le demandeur était sous le coup de l’ordonnance de probation.

 

[24]           Dans la décision Frankowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 187 FTR 92, le juge Rothstein a examiné le conflit apparent entre le paragraphe 5(4) de la Loi sur la citoyenneté, qui confère au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire d’attribuer la citoyenneté et qui comporte les mots « malgré les autres dispositions de la présente loi », et une autre disposition, le paragraphe 22(2), qui interdit l’attribution de la citoyenneté « [m]algré les autres dispositions de la présente loi » si la personne en cause a été déclarée coupable d’un acte criminel. Le juge Rothstein a noté que lorsque deux dispositions sont incompatibles, la disposition spécifique, soit le paragraphe 22(2), doit être appliquée à l’exclusion du paragraphe 5(4) plus général.

 

[25]           Aussi, je considère que le paragraphe 22(1), plus précisément le sous-alinéa 22(1)a)(ii), est applicable pour des motifs analogues, de sorte qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un cas d’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 5(3) pendant que le demandeur était sous le coup d’une ordonnance de probation.

 

Conclusion

 

[26]           En conséquence, l’appel du demandeur doit être rejeté.

 

[27]           Cependant, l’affaire ne s’arrête pas là. Bien que j’aie conclu que l’appel doit être rejeté, je considère qu’il est indiqué de recommander qu’une attention appropriée soit portée en temps opportun à la nouvelle demande de citoyenneté du demandeur.

 

[28]           L’ordonnance de probation a pris fin le 19 juillet 2011, et elle ne fait plus obstacle à ce que le demandeur fasse sa demande de citoyenneté, pourvu qu’il soit satisfait par ailleurs aux autres exigences.

 

[29]           Comme les motifs qui précèdent le démontrent, il y a des éléments de preuve qui invitent à envisager de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre d’exempter le demandeur des conditions de l’alinéa 5(1)e) relatives aux connaissances.

 

[30]           Le demandeur est un homme qui a accompli de grandes choses, qui a décroché un diplôme en médecine et qui a exercé cette profession pendant de nombreuses années, mais qui a subi une blessure et souffre d’une maladie qui l’ont rendu invalide en permanence. Il n’est plus l’homme qu’il était. Sa mémoire, qui l’a bien servi à l’époque où il pratiquait la médecine, n’est pas fiable. Ses résultats dans le cadre du test de connaissances le démontrent. Il est âgé de 53 ans, mais il en paraît 20 de plus. Sa santé est précaire. Il craint de ne pas vivre jusqu’au jour où il obtiendra sa citoyenneté canadienne si le processus devait traîner en longueur, et que les avantages en découlant soient refusés à sa famille.

 

[31]           Il convient de noter que le demandeur a bien répondu à une question corsée lors de son test de connaissances verbal. En effet, il a pu nommer deux libertés fondamentales dont jouissent les Canadiens : la liberté d’expression et la liberté de croyance. Il a ensuite ajouté : [traduction] « Meilleur pays au monde ».

 

[32]           À mon avis, la compassion constitue une des valeurs essentielles qui font du Canada le meilleur pays au monde.

 

[33]           Puisque toutes les conditions légales sont remplies, je recommande que la demande renouvelée de citoyenneté du demandeur soit traitée rapidement et qu’il soit dûment envisagé d’exempter le demandeur des conditions relatives aux connaissances.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

 

1.                  L’appel est rejeté.

2.                  La demande renouvelée de citoyenneté du demandeur devra être traitée en temps opportun en examinant s’il y a lieu d’exempter le demandeur des conditions de l’alinéa 5(1)e) relatives aux connaissances prévues par la Loi.

3.                  Il n’y a aucune adjudication de dépens.

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2172-10

 

INTITULÉ :                                       AHMAD AL-DARAWISH c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 AOÛT 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 AOÛT 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ahmad Al-Darawish

 

POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Deborah Drukarsh

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ahmad Al-Darawish

Niagara Falls (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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