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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110809

Dossier : IMM-7356-10

Référence : 2011 CF 980

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

JIN ZHONG

 

 

 

demandeur

 

ET

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision en date du 30 septembre 2010 (la décision) par laquelle une agente d’immigration désignée du Consulat général du Canada à Hong Kong a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

 

CONTEXTE

 

[2]               Par l’intermédiaire d’un consultant en immigration, le demandeur a déposé au Bureau de réception centralisée de Citoyenneté et Immigration Canada (BRC), au mois de février 2009, une demande de résidence permanente ressortissant à la catégorie des travailleurs qualifiés, en déclarant la profession de gestionnaire de systèmes informatiques (CNP 0213). Au cours du même mois, le BRC a informé le demandeur, par l’intermédiaire de son consultant, qu’il fallait soumettre une demande complète au Consulat général du Canada à Hong Kong (Consulat général). Le demandeur a obtempéré le 10 juin 2009.

 

[3]               La demande complète incluait un avis sur emploi réservé positif émanant de Service Canada et confirmant l’offre d’emploi permanent faite au demandeur par M. Ping Hay Szeto, propriétaire de Gip Sing International Ltd. (Gip Sing), établie à Oakville, en Ontario.

 

[4]               Par lettre en date du 30 septembre 2010, l’agente d’immigration désignée du Consulat général (l’agente) a refusé la demande parce que le demandeur n’avait pas obtenu le minimum requis de 67 points. Elle n’a attribué aucun point au demandeur pour l’avis sur emploi réservé, estimant que l’offre de M. Szeto n’était pas une véritable offre d’emploi et qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur l’accepte et exerce cet emploi au Canada. C’est cette décision qui fait l’objet du contrôle.

 

DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

 

[5]               L’agente a indiqué dans sa décision qu’elle avait évalué la demande en fonction de tous les documents et renseignements soumis. La lettre en date du 28 janvier 2010 de l’employeur potentiel du demandeur, M. Szeto, décrivant la nature et la taille de son entreprise de gestion immobilière à Oakville revêtait une grande importance. Voici les conclusions formulées par l’agente compte tenu des renseignements fournis dans cette lettre :

 

[traduction] [C]ompte tenu [...] du fait qu’il [l’employeur canadien éventuel] semble être le seul dirigeant de l’entreprise de gestion immobilière et qu’il l’exploite à partir de ses numéros de téléphone cellulaire et résidentiel personnels, je ne suis pas convaincue qu’il a véritablement besoin de vous pour accomplir les fonctions énumérées dans la lettre d’offre d’emploi au Canada datée du 30 mars 2009 et dans la lettre d’explication en date du 28 janvier 2010 envoyée à notre bureau. Il existe des motifs raisonnables de croire que ces deux lettres exagèrent les fonctions de l’emploi pour faciliter l’acceptation de votre demande d’immigration au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Je ne suis donc pas convaincue qu’il s’agisse d’une véritable offre d’emploi au Canada ni que vous accepterez de l’exercer. Je ne vous ai donc attribué aucun point au chapitre de l’emploi réservé. Vous n’avez pas obtenu suffisamment de points pour répondre aux exigences relatives à l’immigration au Canada, les exigences minimales étant de 67 points. Vous n’avez pas obtenu suffisamment de points pour me convaincre que vous serez en mesure de réussir votre établissement économique au Canada.

 

[6]               En décembre 2009, l’agente avait, par lettre, demandé ce qui suit à M. Szeto :

 

[traduction] Des pièces démontrant que votre entreprise a les ressources suffisantes pour employer le demandeur si celui‑ci obtient la résidence permanente. Veuillez fournir le plus récent avis de cotisation de votre société ainsi que les documents de Revenu Canada indiquant le nombre total d’employés ayant travaillé pour la société au cours des douze derniers mois ou du dernier exercice ainsi que la preuve que les bureaux de l’entreprise sont établis au 579, rue Kerr, à Oakville et que c’est à cette adresse que ses activités/projets sont exercés.

 

M. Szeto a donné suite à cette demande de renseignements dans deux lettres distinctes, toutes deux datées du 28 janvier 2010.

 

[7]               L’agente a estimé que le demandeur ne remplissait pas les exigences de la Loi et elle a, en conséquence, refusé la demande.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               Le demandeur soulève les questions suivantes :

i.         La décision de l’agente est‑elle raisonnable compte tenu de la preuve soumise?

ii.       L’agente a-t-elle suffisamment motivé sa décision?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[9]               Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) s’appliquent à la présente instance.

 

Définition : emploi réservé

 

 

82. (2) Dix points sont attribués au travailleur qualifié pour un emploi réservé appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions, s’il est en mesure d’exercer les fonctions de l’emploi et s’il est vraisemblable qu’il acceptera de les exercer, et que l’un des alinéas suivants s’applique :

 

[…]

 

 

c) le travailleur qualifié n’a pas l’intention de travailler au Canada avant qu’un visa de résident permanent ne lui soit octroyé, il n’est pas titulaire d’un permis de travail et les conditions suivantes sont réunies :

 

[…]

 

(ii) un agent a approuvé cette offre sur le fondement d’un avis émis par le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, à la demande de l’employeur, à sa demande ou à celle d’un autre agent, où il est affirmé que :

 

(A) l’offre d’emploi est véritable ….

 

Definition — arranged employment

 

82.  (2) Ten points shall be awarded to a skilled worker for arranged employment in Canada in an occupation that is listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix if they are able to perform and are likely to accept and carry out the employment and

 

 

[…]

 

 

(c) the skilled worker does not intend to work in Canada before being issued a permanent resident visa and does not hold a work permit and

 

 

 

[…]

 

(ii) an officer has approved that offer of employment based on an opinion provided to the officer by the Department of Human Resources and Skills Development at the request of the employer or an officer that

 

 

(A) the offer of employment is genuine ….

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[10]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme applicable à la question dont le tribunal est saisi est bien établie en jurisprudence, celui‑ci peut l’adopter. Ce n’est que lorsque la recherche de la norme applicable est infructueuse qu’il doit entreprendre l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[11]           La première question met en jeu la raisonnabilité de la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur ne pouvait obtenir le statut de résident permanent au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Le contrôle d’une telle décision s’effectue en fonction de la norme du caractère raisonnable. Voir Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, paragraphe 22.

 

[12]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique au contrôle d’une décision, l’analyse se rapporte « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’intervient que si la décision est déraisonnable, au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[13]           La seconde question concerne la suffisance des motifs qui, relevant de l’équité procédurale, fait donc intervenir la norme de la décision correcte. Voir Miranda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 424, paragraphe 10, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 43.

 

ARGUMENTATION

            Le demandeur

Insuffisance des motifs

 

[14]           Il ressort clairement de la décision que l’agente a refusé de considérer comme valide l’offre d’emploi faite au demandeur en raison de la conclusion défavorable reposant sur les trois facteurs suivants qu’elle avait tirée : la nature et la taille de Gip Sing, qui ne justifient pas selon elle l’embauche du demandeur, le fait que M. Szeto est le seul dirigeant de la société et le fait qu’il exploite l’entreprise à partir de son propre téléphone résidentiel et téléphone cellulaire.

 

[15]           Le demandeur fait valoir que, dans la lettre du 28 janvier 2010 répondant à la demande de renseignements de l’agente, M. Szeto a donné de l’information détaillée concernant Gip Sing et ses activités, dont la date de sa constitution en société, la valeur de l’entreprise et la taille du parc immobilier à Oakville (6 millions de dollars, et un centre commercial de 14 unités) et le nombre total d’employés (6). M. Szeto a également expliqué qu’il se servait de son numéro de téléphone cellulaire pour Gip Sing afin que ses locataires puissent communiquer facilement avec lui, étant donné qu’il était souvent en déplacement et absent du centre commercial. C’est pareillement pour que ses locataires puissent communiquer le mieux possible avec lui qu’il fournit son numéro de téléphone résidentiel comme numéro de télécopieur.

 

[16]           Bien que l’agente ait fait mention des explications de M. Szeto dans les notes qu’elle a consignées au STIDI, elle n’a pas indiqué pourquoi elle a considéré préoccupants les trois facteurs susmentionnés ni en quoi ils étayent sa conclusion que la nature et la taille de l’entreprise de M. Szeto ne justifient pas l’embauche du demandeur. M. Szeto a fourni une explication tout à fait raisonnable, mais l’agente n’a pas indiqué pourquoi elle a jugé cette explication non satisfaisante.

 

[17]           Pour être considérés suffisants, les motifs d’une décision doivent indiquer à la personne dont les droits, privilèges ou intérêts sont touchés comment et pourquoi la décision a été rendue, permettant ainsi l’exercice du contrôle judiciaire. Selon le demandeur, les motifs formulés par l’agente sont insuffisants parce qu’ils n’établissent aucun lien entre les faits exposés dans la demande et les explications fournies par M. Szeto d’une part, et la décision rendue, d’autre part.

 

[18]           L’agente ne peut se contenter de simplement énumérer les facteurs susmentionnés et tirer une conclusion. Elle doit traiter des principaux points en cause. Voir VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports (2000), [2001] 2 CF 25, [2000] A.C.F. no 1685 (QL) (CAF).

 

[19]           Le demandeur soutient que l’agente, en ne motivant pas suffisamment sa décision, a manqué à l’obligation d’équité. Voir Clifford c. Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670.

 

L’agente n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve

 

[20]           Selon le demandeur, l’agente a mal apprécié les faits et, compte tenu de l’ensemble de la preuve, elle a formulé des conclusions déraisonnables.

 

Le défendeur

            La décision est raisonnable et respecte l’équité procédurale

 

[21]           Le défendeur soutient que l’agente a raisonnablement conclu que M. Szeto n’avait pas besoin que le demandeur exécute les fonctions énumérées et que cette énumération était exagérée. L’agente a à bon droit effectué cette analyse en application de la division 82(2)c)(ii)(A) du Règlement, laquelle pose qu’une offre d’emploi doit être véritable.

 

[22]           Les notes versées au STIDI font état des fonctions énumérées dans la lettre d’offre du 30 mars 2009 et dans les lettres explicatives du 28 janvier 2010. Il appert de la première lettre que le demandeur serait appelé à [traduction] « former et gérer des équipes d’employés affectés aux systèmes informatiques, en vue de la conception, de l’élaboration, de la mise en œuvre, de l’exploitation et de l’administration de logiciels, de réseaux et de systèmes informatiques » et « recruter et encadrer des techniciens en informatique et de superviser leur formation ». Ces fonctions n’ont pas été répétées dans les lettres subséquentes; l’employeur y a indiqué que le demandeur devait [traduction] « créer, mettre en place et maintenir un système informatique pour l’entreprise » et « établir les logiciels et le système informatique, afin de permettre à l’entreprise de classer les renseignements relatifs aux locataires, aux genres de services et d’entreprises, aux clients, constituer et analyser des modèles de données, analyser le mode d’exploitation de l’entreprise, en prédire le développement commercial futur et fournir des données pour la prise de décisions ».

 

[23]           Selon le défendeur, il était raisonnable pour l’agente de conclure que, compte tenu de la nature et de la taille de l’entreprise, il y avait eu exagération dans la description des fonctions afin de faciliter l’immigration du demandeur au Canada. Étant donné que M. Szeto était le seul dirigeant de l’entreprise, qu’il l’exploitait seul à partir de ses numéros personnels de téléphone résidentiel et cellulaire et que le bien-fonds commercial en question ne comptait que 14 unités à un seul emplacement, il y avait peu de chances que le demandeur ait à entraîner et gérer des équipes d’employés, à recruter et encadrer des techniciens en informatique et à contrôler le budget et les dépenses afférents aux projets de l’entreprise.

 

[24]           Il incombe au demandeur d’établir les principaux éléments nécessaires pour que sa demande soit accueillie. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau en l’espèce.

 

[25]           L’agente a suffisamment motivé sa décision. La lettre de refus et les notes versées au STIDI font état de ses conclusions de fait, des principaux éléments de preuve les étayant et des principales questions en cause. Les raisons exposées indiquent au demandeur pourquoi l’offre d’emploi n’a pas été jugée véritable. Le critère établi dans VIA Rail, précité, en matière de suffisance des motifs, a donc été rempli.

 

[26]           L’agente a aussi donné au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations relatives à l’offre d’emploi, puis elle a examiné et soupesé les documents fournis, et a conclu que l’offre n’était pas véritable. Le processus suivi était équitable, et la décision, raisonnable.

 

Réponse du demandeur

 

[27]           Le demandeur conteste que la description des fonctions figurant dans la lettre du 30 mars 2009 de M. Szeto différait sensiblement de celle des lettres du 28 janvier 2010. Quoi qu’il en soit, si écart il y a, il n’a joué aucun rôle dans la décision de l’agente. Celle‑ci s’est contentée de faire ainsi mention des lettres dans ses notes au STIDI :

[traduction] Compte tenu de la taille et de l’exploitation de l’entreprise de gestion immob. de l’employeur can, il existe des motifs raisonnables de croire que l’offre d’emploi et les lettres d’explication de l’employeur can. exagèrent les fonctions de l’emploi pour faciliter l’acceptation de la demande d’immigration au Can. au titre de la cat. des trav. qual.  (Je souligne.)

 

Il est clair que la décision de l’agente était fonction de la nature et de la taille de l’entreprise de gestion immobilière et de sa conclusion que l’offre d’emploi n’était pas véritable. Elle n’avait rien à voir avec de prétendues divergences entre les lettres susmentionnées.

 

            Mémoire supplémentaire du défendeur

 

[28]           Le défendeur soutient en outre qu’il ne faut pas examiner la décision à la loupe. Lorsqu’on lit la décision et les notes du STIDI comme un tout, les motifs de l’agente sont clairs.

 

[29]           L’agente a constaté que l’entreprise de gestion immobilière de M. Szeto se rapporte à 14 unités, dont l’une n’est pas louée. Elle a 11 locataires, et emploie quatre personnes en moyenne. M. Szeto est le seul dirigeant et, de toute évidence, il est la seule personne ressource, puisqu’il fournit son numéro de téléphone cellulaire personnel pour que ses locataires puissent le joindre lorsqu’il est en voyage. Les fonctions décrites dans la lettre du mois de mars 2009 diffèrent de celles dont font état les lettres de janvier 2010, et l’on peut raisonnablement inférer du résumé que l’agente a fait de ces lettres dans ses notes au STIDI qu’elle les a comparées. Contrairement à celle du mois de mars 2009, les lettres du mois de janvier 2010 ne font pas mention de la formation et de la gestion d’équipes d’employés affectés aux systèmes informatiques ni du recrutement et de l’encadrement des techniciens en informatique et de la supervision de leur formation.

 

[30]           Ces éléments d’information constituent manifestement les facteurs que l’agente a pris en compte pour évaluer si elle avait affaire à une offre d’emploi véritable pour une entreprise de la taille, de la nature et du mode d’exploitation de Gip Sing . Il s’impose de faire preuve de déférence à l’égard de l’appréciation de la preuve par l’agente.

 

ANALYSE

 

[31]           Selon le demandeur, l’agente a insuffisamment motivé sa décision :

[traduction] Bref, le demandeur soutient que Mme Tsang a erré, en ce que ses motifs n’indiquent pas pourquoi elle n’a pas accepté l’emploi réservé du demandeur. Il ajoute qu’en ne fournissant pas de motifs valables ou suffisants, Mme Tsang a manqué à l’obligation d’équité procédurale.

 

 

[32]           Le demandeur cite une jurisprudence connue concernant l’appréciation de la suffisance des motifs, notamment l’arrêt Via Rail, précité, de la Cour d’appel fédérale, où l’on peut lire ce qui suit, au paragraphe 22 :

On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

 

 

[33]           Il est bien établi, également, que les motifs ont une double raison d’être. Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au paragraphe 46:

Deux objectifs sous‑tendent son obligation [de motiver] : permettre à l’intéressé de comprendre la décision et à la cour de révision d’apprécier le bien‑fondé de celle‑ci. Les motifs doivent clairement indiquer que le ministre a pris en considération les arguments défavorables à l’extradition présentés par l’intéressé et permettre de comprendre pourquoi il les a rejetés ….

 

 

[34]           Il est tout aussi bien établi qu’un décideur ne doit pas se contenter de récapituler la preuve en lui ajoutant une conclusion. Il doit effectuer une analyse qui lie les conclusions de faits aux éléments de la décision étayés par ces faits. Dans Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 565, paragraphes 14 et 20, la juge Anne Mactavish décrit ainsi cette analyse :

À mon avis, ces « motifs » n’en sont pas du tout. Il s’agit plutôt essentiellement d’un résumé des faits et de l’énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celle-ci. L’agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Elle n’a cependant pas expliqué pour quelles raisons. Or, cela n’est pas suffisant puisque les demandeurs se trouvent ainsi dans une position peu enviable où ils ignorent pourquoi leur demande a été rejetée.

 

[…]

 

En l’espèce par contre, l’agente a examiné la preuve de l’établissement au Canada produite par les demandeurs au soutien de leurs demandes et a simplement conclu que cette preuve n’était pas suffisante. Il ressort de ses motifs qu’elle ne pensait pas que les demandeurs subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leurs demandes de résidence permanente de l’extérieur du Canada. Ces motifs n’indiquent pas cependant pourquoi elle est arrivée à cette conclusion.

 

[35]           En l’espèce, les motifs sont exposés dans la lettre de l’agente en date du 30 septembre 2010 et complétés par les notes consignées au STIDI. Il s’agit, en bref, de ce qui suit :

[traduction] J’ai évalué votre demande d’immigration en fonction de l’ensemble des documents et renseignements que vous avez soumis à notre bureau à l’appui de celle‑ci. Votre employeur éventuel, (Szeto) Ping Hay de Gip Sing International Ltd, a expliqué dans sa lettre la nature et les activités de son entreprise de gestion immobilière à Oakville en Ontario. Compte tenu de ce qu’il a dit lui‑même au sujet de la nature et de la taille de son entreprise de gestion immobilière, du fait qu’il semble être le seul dirigeant de l’entreprise de gestion immobilière et qu’il l’exploite à partir de ses numéros de téléphone cellulaire et résidentiel personnels, je ne suis pas convaincue qu’il a véritablement besoin de vous pour accomplir les fonctions énumérées dans la lettre d’offre d’emploi au Canada datée du 30 mars 2009 et dans la lettre d’explication en date du 28 janvier 2010 envoyée à notre bureau. Il existe des motifs raisonnables de croire que ces deux lettres exagèrent les fonctions de l’emploi pour faciliter l’acceptation de votre demande d’immigration au Canada au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral). Je ne suis donc pas convaincue qu’il s’agisse d’une véritable offre d’emploi au Canada ni qu’il soit vraisemblable que vous accepterez de l’exercer. Je ne vous ai donc attribué aucun point au chapitre de l’emploi réservé. Vous n’avez pas obtenu suffisamment de points pour répondre aux exigences relatives à l’immigration au Canada, les exigences minimales étant de 67 points Vous n’avez pas obtenu suffisamment de points pour me convaincre que vous serez en mesure de réussir votre établissement économique au Canada

 

Aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement, lesquels seront délivrés sur preuve que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la Loi. Suivant le paragraphe 2(1), toute mention de la Loi vaut également mention des règlements pris sous son régime, à moins d’indication contraire.

 

Après avoir examiné votre demande, je ne suis pas convaincue que vous remplissez les exigences de la Loi et de ses règlements d’application, pour les motifs expliqués précédemment. Je refuse donc votre demande.

 

 

Notes du STIDI :

 

[traduction] Pas convaincue de l’authenticité de l’offre d’emploi au Can.

Pas de rens. du domaine public ou ds les Pages Jaunes concernant une entreprise du nom de « Gip Sing International Ltd » à Scarborough (Ont.).

Le no de tél. indiqué sur le papier à lettre de l’offre d’emploi de l’employeur can. est un no de tél. cell. de Toronto. Appelé le no de télécop. indiqué sur le papier à lettre; constaté que ce n’est pas un no de télécop. mais bien un no de tél. résidentiel de Markham (Ont.).

 

Constaté que l’adr. de l’entreprise indiquée sur le papier à lettre de l’employeur can. est une case postale, non l’adr. d’un bureau commercial réel.

 

Noté que l’offre d’emploi à l’IP est gestionnaire de systèmes inf.

Noté que les fonctions de l’emploi comprennent la formation et la gestion d’équipes d’employés de systèmes inf. en vue de la conception, de l’élaboration, de la mise en œuvre, de l’exploitation et de l’administration de logiciels, de réseaux et de systèmes d’information, l’encadrement de techniciens en inf. et la supervision de leur formation.

Noté que le lieu de travail est censé être le bureau de Gip Sing Intl Ltd, situé au 579, rue Kerr, à Oakville.

Les rens. du domaine public indiquent que « 579, rue Kerr » est l’adresse de magasins de détail, restaurants et épiceries à Oakville.

Les rens. du domaine public au sujet de « 579, rue Kerr » indiquent qu’il n’y a qu’un détaillant informatique situé à cette adresse, qu’il n’appartient pas à l’employeur can. de l’IP et qu’il fournit des services de vente, réparation et nettoyage.

 

Préparé et versé au dossier une lettre de préoccupations.

 

GFK :  SVP 1) Envoyer lettre de préoccupations au dossier

                     2) Envoyer à l’employeur can. lettre demandant dernier AC, doc. de Rev. Can. indiquant le nombre total d’employés de l’entreprise dans les 12 derniers mois ou ex. fin. et la preuve de l’adresse de l’entreprise et que des activités comm. ont lieu au 579, rue Kerr, à Oakville.

 

17-DÉC.-2009

 

Lettre de préoccupations envoyée

Lettre à l’employeur can. envoyée

 

17-DÉC-2009

 

Réponse à la lettre de préoccupations reçue

 

Prop. de l’employeur can., Gip Sing International Ltd, M. Szeto a fourni les doc. suivants pour établir que sa société est une entreprise en exploitation.

 

Profil d’entreprise en date du 13 janv. 2010 émanant de la province de l’Ontario indiquant que l’entreprise est « en exploitation » et que l’adresse du siège social est 1711, McCowan Rd, à Scarborough.

 

Attestation du statut juridique en date du 13 janvier 2010 délivrée par la province de l’Ontario indiquant que la société « n’a pas été dissoute ».

M. Szeto indique que Gip Sing a été constituée le 26 août 2004, et possède un centre commercial au 579, rue Kerr, à Oakville, dont les unités sont louées à diverses entreprises.

 

M. Szeto a confirmé l’authenticité de l’offre d’emploi faite à l’IP.

 

M. Szeto a confirmé que les nos de tél. et de télécop. figurant à l’offre d’emploi sont ses nos directs, pour qu’il puisse donner suite directement à toutes les questions.

 

Le prop. a fourni les doc. suivants pour établir l’existence de ressources suffisantes pour embaucher l’IP

 

-         AC de 2007 et de 2008

-         feuillets T4 – 2009 pour 6 employés de Gip Sing Int’l Ltd produits à l’ARC

-         Copie de l’état de compte des retenues à la source de Gip Sing pour 2009

-         Compte de taxe foncière de Gip Sing indique que l’adresse de Gip Sing est 579, rue Kerr, à Oakville

-         Copie d’un bail entre Gip Sing et un restaurant-buffet au loyer annuel de 19 000 $ CDN.

 

11 fév. 2010

 

Reçu une télécop. du cons. daté du 15 sept. 2010 concernant l’état du dossier, disant qu’ils n’ont pas eu de nos nouvelles depuis qu’ils ont produit les doc. il y a 8 mois

 

21 sept. 2010

 

Examiné les doc. comm. de l’employeur can. et les explications fournies dans la lettre en date du 28 janv. 2010 envoyée à notre bureau.

 

L’employeur can, (Szeto) Ping Hay of Gip Sing International Ltd, a expliqué dans la lettre envoyée à notre bureau que :

 

1.                  Sa société possède un centre commercial au 579, rue Kerr, à Oakville (Ont.), comptant 14 unités pouvant être louées.

2.                  L’activité de sa société, Gip Sing Intl ltd, est la gestion immobilière.

3.                  Il est président, dirigeant, secrétaire et trésorier de sa société.

4.                  Le no de tél. de sa société est son no de tél. cell. personnel, parce qu’il n’est pas tjrs au 579, rue Kerr, à Oakville, mais veut donner suite à toutes les questions se rapportant à son entreprise, qui est la gestion immobilière.

5.                  Le no de télécop. de sa société est son no de tél. résidentiel, parce qu’il n’est pas tjrs au 579, rue Kerr, à Oakville, mais veut donner suite à toutes les questions se rapportant à son entreprise, qui est la gestion immobilière.

 

L’employeur can. dit que 13 des 14 unités du centre commercial sont louées et a fourni une liste de 11 locataires commerciaux.

 

L’employeur can. dit qu’il a besoin de l’IP pour travailler sur les lieux, dans l’unité 14, au 579, rue  Kerr, à Oakville (Ont.).

 

L’employeur can. dit qu’il a besoin de l’IP pour exécuter les fonctions suivantes :

 

a.                   Créer, mettre en place et maintenir un système inf. pour l’entreprise 

b.                  Établir les logiciels et le système inf., afin de permettre à l’entreprise de classer les renseignements relatifs aux locataires, aux genres de services et d’entreprises, aux clients, constituer et analyser des modèles de données, analyser le mode d’exploitation de l’entreprise, en prédire le développement commercial futur et fournir des données pour la prise de décisions.

 

L’offre d’emploi de l’employeur can. datée du 30 mars 2009, au dossier, indique les fonctions de l’emploi de l’IP sont

 

a.                   Planifier, organiser, élaborer, diriger, contrôler et évaluer le fonctionnement des systèmes informatiques de l’entreprise.

 

b.                  Rencontrer le directeur de l’entreprise pour discuter des exigences, spécification, coûts et échéanciers.

 

c.                   Former et gérer des équipes d’employés affectés aux systèmes informatiques, en vue de la conception, de l’élaboration, de la mise en œuvre, de l’exploitation et de l’administration de logiciels, de réseaux et de systèmes informatiques.

 

d.                  Contrôler le budget et les dépenses des projets de la société.

 

e.         Recruter et encadrer des techniciens en informatique et superviser leur formation.

 

 

L’employeur can. a fourni une copie de l’état de compte de Rev. Can. des retenues à la source pour divers mois de 2009, indiquant qu’il verse des cotisations pour 4 employés en moyenne.

 

Compte tenu des doc. comm. de l’employeur au dossier, je suis convaincue de l’existence d’une entreprise de location immob. comm.

 

Toutefois, compte tenu de ce qu’a lui‑même dit l’employeur can. au sujet de la nature et de la taille de l’entreprise, du fait qu’il semble être le seul dirigeant de l’entreprise de gestion immobilière et qu’il l’exploite à partir de ses nos de téléphone cellulaire et résidentiel personnels, je ne suis pas convaincue qu’il a véritablement besoin de l’IP pour accomplir les fonctions énumérées dans la lettre d’offre d’emploi au Can. du 30 mars 2009 envoyée à l’IP et dans la lettre d’explication de l’employeur can. du 28 janvier 2010.

 

Compte tenu de la taille et de l’exploitation de l’entreprise de gestion immob. de l’employeur can, il existe des motifs raisonnables de croire que l’offre d’emploi et les lettres d’explication de l’employeur can. exagèrent les fonctions de l’emploi pour faciliter l’acceptation de la demande d’immigration au Can. au titre de la cat. des trav. qual.

 

Je ne suis donc pas convaincue qu’il s’agisse d’une véritable offre d’emploi au Canada ni qu’il soit vraisemblable que l’IP acceptera d’exercer cet emploi.

 

Aucun des 10 points n’est attribué à l’IP.

 

 

[36]           Il appert clairement des notes au STIDI que l’agente a examiné tous les éléments de preuve. Le raisonnement qu’elle a suivi apparaît clairement lui aussi : lorsque l’on confronte la taille de l’entreprise et la façon dont elle est exploitée dans les faits à la liste des fonctions de l’emploi, il est raisonnable de conclure qu’une entreprise de la taille et de la nature de Gip Sing International Ltd. n’a probablement pas besoin de quelqu’un pour :

[traduction]

a.                   Planifier, organiser, élaborer, diriger, contrôler et évaluer le fonctionnement des systèmes informatiques de l’entreprise

 

b.                 

 

c.                   Former et gérer des équipes d’employés affectés aux systèmes informatiques, en vue de la conception, de l’élaboration, de la mise en œuvre, de l’exploitation et de l’administration de logiciels, de réseaux et de systèmes informatiques

 

d.                 

 

e.                   Recruter et encadrer des techniciens en informatique et superviser leur formation.

 

 

La preuve établissant que Gip Sing avait versé des cotisations pour une moyenne de seulement quatre employés, il était peu probable en effet qu’elle ait besoin du demandeur pour [traduction] « former et gérer des équipes d’employés affectés aux systèmes informatiques, en vue de la conception, de l’élaboration, de la mise en œuvre, de l’exploitation et de l’administration de logiciels, de réseaux et de systèmes informatiques », par exemple, particulièrement lorsqu’on examine et prend en compte la façon dont le propriétaire exploite l’entreprise dans les faits.

 

[37]           D’autres énoncés de fonctions ne semblent pas exagérés :

[traduction]

b.        Rencontrer le directeur de l’entreprise pour discuter des exigences, spécifications, coûts et échéanciers

 

 

d.        Contrôler le budget et les dépenses des projets de la société.

 

 

[38]           Le pluriel utilisé dans la description de fonctions donne une impression très différente de ce qui ressort des faits colligés par l’agente au sujet de l’entreprise telle qu’elle est exploitée dans les faits. Il semble y avoir eu passablement d’exagération. Les faits établis au sujet de l’entreprise permettent raisonnablement de conclure qu’elle n’a pas besoin que le demandeur exécute toutes les fonctions énumérées dans la liste des tâches qui a été fournie à l’agente.

 

[39]           Il y a bien plus qu’un exposé des faits suivi d’une conclusion laconique. La décision expose que la comparaison de la liste des tâches avec la taille réelle de l’entreprise et la façon dont elle est exploitée dans les faits met en évidence un écart inexpliqué pouvant raisonnablement mener à la conclusion que l’entreprise n’a pas vraiment besoin que le demandeur accomplisse toutes les tâches énumérées, et que l’exagération de ces tâches avait pour but de faciliter l’immigration du demandeur au Canada.

 

[40]           À mon avis, on peut difficilement être plus clair. Les motifs ne sont pas détaillés, mais ils sont suffisants parce qu’ils permettent au demandeur de voir comment l’agente est parvenue à la décision et pour quelles raisons et à la Cour d’en évaluer la validité. Pour reprendre les mots du juge Robert Hughes dans Rachewiski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 244, paragraphe 24, « [j]e suis convaincu que ces motifs considérés dans leur ensemble sont suffisamment intelligibles, transparents et raisonnés pour que les demandeurs comprennent ce que l’agente a pris en compte et les conclusions auxquelles elle est arrivée quant aux questions pertinentes ».

 

[41]           Les motifs sont suffisants, et lorsqu’on examine les conclusions de l’agente à la lumière de la preuve dont elle disposait, ils sont raisonnables. Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7356-10

 

INTITULÉ :                                       JIN ZHONG

                                                           

                                                            et

                                                           

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT               LE JUGE RUSSELL

ET JUGEMENT :                             

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ian Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ian Wong

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

FOR THE APPLICANT

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

FOR THE RESPONDENT

 

 

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