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Date : 20110804

Dossier : IMM‑6803‑10

Référence : 2011 CF 976

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 août 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

NABIL ALKHALIL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), vise la décision par laquelle un représentant du ministre a tranché que le demandeur, Nabil Alkhalil, constitue un danger pour le public au Canada conformément à l’alinéa 115(2)a) de la LIPR.

 

[2]               Compte tenu des motifs exposés ci‑dessous, la demande sera rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[3]               Le demandeur, Nabil Alkhalil, est arrivé au Canada en 1990 à l’âge de 14 ans, avec son père, sa mère et ses frères et sœurs qui ont demandé l’asile à leur arrivée à l’aéroport de Mirabel. Il semble n’y avoir aucun renseignement émanant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) concernant les circonstances de la demande présentée par la famille, mais le ministère du Procureur général de la Colombie‑Britannique a signalé que la famille Alkhalil avait immigré au Canada après avoir quitté l’Arabie saoudite pour échapper à la guerre du Golfe et en raison de l’insuffisance des ressources en matière d’éducation qui s’offraient à leurs enfants. Le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention le 29 août 1991 et il est devenu résident permanent le 16 avril 1992.

 

[4]               Le père du demandeur a été déplacé pendant le conflit israélo‑arabe de 1948 et il s’est enfui au Liban en tant que réfugié palestinien. Par la suite, il a déménagé en Arabie saoudite. Par conséquent, bien qu’il soit né en Arabie saoudite, le demandeur n’est pas un citoyen de ce pays et il n’est pas non plus un citoyen libanais. Il est apatride. Néanmoins, le demandeur a le droit de retourner au Liban en sa qualité de descendant d’un réfugié palestinien inscrit auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche‑Orient (l’UNRWA). Il est marié à une citoyenne canadienne et sa fille est née au Canada.

 

[5]               Le demandeur a fait l’objet d’un premier rapport d’interdiction de territoire le 12 avril 1998, après avoir été condamné en 1997 pour introduction par effraction avec l’intention de commettre un acte criminel. Un mandat d’arrestation a été délivré à son endroit à la suite de son défaut de comparaître à une enquête en matière d’immigration en février 1999. Le mandat a été exécuté lors de son arrestation par la police de Vancouver le 5 janvier 2000. Il a été accusé d’agression armée, en conséquence de quoi son expulsion a été ordonnée. Il a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la CISR et, le 19 septembre 2000, il a été sursis à la mesure de renvoi sous réserve de certaines conditions.

 

[6]               Le demandeur a fait l’objet d’un second rapport d’interdiction de territoire le 14 mai  2001, à la suite d’une condamnation pour agression armée et infliction de lésions corporelles. Le 20 juin 2002, la SAI a décidé de prolonger de six autres années le sursis à la mesure de renvoi qui avait été accordé antérieurement, sous réserve des mêmes conditions.

 

[7]               Certains des antécédents criminels du demandeur pour la période en cause auraient un lien avec le meurtre de l’un de ses frères perpétré en 2001. Un autre de ses frères a été tué par balle en 2003. En 2004, le demandeur et sa famille ont quitté la Colombie‑Britannique pour aller habiter à Ottawa, où le demandeur avait prévu [traduction] « recommencer sa vie ». Malheureusement, en 2005, l’une de ses entreprises de vente d’automobiles a connu des difficultés financières. Il a alors accepté une somme de 2 500 $ d’une connaissance pour transporter de la drogue de Toronto à Ottawa, mais cela ne s’est pas déroulé comme prévu. Le véhicule du demandeur a été intercepté par la police sur la 401 et, après une poursuite à grande vitesse sur des routes provinciales, des chemins de canton et des rues résidentielles, le demandeur qui avait abandonné son véhicule pour prendre la fuite à pied a été retrouvé par une unité canine. La police a saisi un sac de sport contenant 11 kilogrammes de cocaïne. La valeur de revente de la drogue s’élevait à plus de 330 000 $.

 

[8]               Le 12 février 2008, le demandeur a été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic et de conduite dangereuse d’un véhicule à moteur. Par conséquent, le sursis a été annulé et un troisième rapport d’interdiction de territoire a été établi contre lui pour grande criminalité. Il a par la suite fait l’objet d’une ordonnance d’expulsion.

 

[9]               Le 7 janvier 2009, le demandeur a été avisé que le ministre avait l’intention de recourir à un avis de danger en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Le demandeur a été invité à présenter des observations sur les questions de savoir s’il constituait un danger pour le public, dans quelle mesure il serait exposé à un risque de préjudice s’il était renvoyé du Canada et s’il pouvait invoquer des motifs d’ordre humanitaire. Les observations du demandeur ont été versées au dossier le 6 juillet 2009. Après qu’on lui ait communiqué, en mai 2010, le dossier de la [traduction] « Demande d’avis ministériel », le demandeur a présenté d’autres observations que le défendeur a reçues le 22 septembre 2010 et le 6 octobre 2010.

 

B.         Dispositions législatives

 

[10]           Le principe de non‑refoulement a été incorporé au droit canadien par l’adoption du paragraphe 115(1) de la LIPR qui interdit le renvoi d’une personne ayant obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention ou d’une personne jugée à protéger dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités. Cependant, le paragraphe 115(2) fait expressément entorse à ce principe : a) dans le cas de l’interdit de territoire pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada; b) dans le cas de l’interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

C.        Décision contestée

 

[11]           Le ministre a rédigé une décision de 25 pages comportant de multiples sections. Il a d’abord examiné les dispositions applicables de la LIPR et l’historique du demandeur en matière d’immigration, ainsi que ses antécédents criminels. Le ministre a ensuite procédé à l’évaluation de la dangerosité du demandeur. Il a examiné la preuve visant à démontrer que le demandeur avait tenté de se réadapter, mais il a conclu que la quantité d’infractions commises et leur gravité croissante, celles‑ci allant de la possession de biens volés d’une valeur supérieure à 1 000 $ à la possession de 11 kilogrammes de cocaïne en vue d’en faire le trafic, témoignaient d’une augmentation du niveau de violence et de la dangerosité. Le ministre était d’avis que les condamnations répétées pour des infractions graves démontraient que le demandeur n’était pas réadapté. Sur la foi de la preuve établissant que le demandeur constituait un danger pour le public et en raison du fait qu’il n’était pas réadapté, le ministre a conclu que le demandeur représentait un danger présent et futur pour le public canadien et que sa présence au Canada posait un risque inacceptable.

 

[12]           Le ministre a ensuite évalué le risque de préjudice auquel le demandeur serait exposé le cas advenant qu’il soit renvoyé du Canada. Il a examiné les arguments selon lesquels le demandeur, du fait de sa qualité de réfugié palestinien au Liban, serait assujetti à des restrictions importantes sur le plan de ses droits sociaux, politiques et civils. Le ministre a cité de longs extraits d’un rapport publié en 2007 par Amnistie Internationale qui avait été soumis par le représentant du demandeur. Il a tenu compte de l’argument du demandeur selon lequel, en raison de l’effet cumulatif des actes de discrimination dont sont victimes les réfugiés palestiniens, il serait exposé à un risque pour sa sécurité personnelle et que les privations qu’il connaîtrait par suite de son renvoi au Liban heurteraient la conscience du public canadien.

 

[13]           Le ministre a fait ses propres recherches sur la situation des réfugiés palestiniens, et fait référence à un document de Forced Migration Online et à un rapport de l’agence frontalière du Royaume‑Uni. Il a conclu que le demandeur serait victime de discrimination, mais que les actes discriminatoires auxquels il serait exposé ne constituaient pas de la persécution. De plus, le ministre a estimé que, si son épouse et sa fille l’accompagnaient, comme elles ont dit en avoir l’intention, ils seraient en mesure de louer et d’acheter une propriété. Le demandeur ne serait donc pas nécessairement contraint de vivre dans un camp de réfugiés. Le ministre a également noté que le demandeur serait en mesure d’obtenir un permis de travail dans son domaine, à savoir la rénovation résidentielle et sans doute d’avoir accès à des services de soins de santé supplémentaires. Sur la foi de la preuve dans son ensemble, le ministre a conclu que le demandeur ne risquait pas personnellement d’être exposé à une menace à sa vie ou d’être soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités, et qu’il n’existait guère plus qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à la persécution s’il était renvoyé au Liban.

 

[14]           Comme le ministre était d’avis que le demandeur ne serait pas exposé aux risques décrits aux articles 96 et 97 de la LIPR et qu’il constituait un danger pour le public au Canada, la balance penchait en faveur du renvoi du demandeur. Le ministre a ensuite examiné la question de l’intérêt supérieur de l’enfant et d’autres considérations d’ordre humanitaire. Il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que, si le demandeur était renvoyé au Liban, les difficultés auxquelles lui et sa famille se heurteraient ne l’emportaient pas sur le danger qu’il représentait pour le public au Canada.

 

II.         Questions en litige

 

[15]           Le demandeur soulève sept questions dans sa demande de contrôle judiciaire :

a)         Le ministre a‑t‑il porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur en s’appuyant sur une preuve extrinsèque?

b)         Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas compte, comme il se devait, des incidences du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur?

c)         Le ministre a‑t‑il omis de tenir compte de certains éléments de preuve en vue de déterminer si le demandeur constituait un danger pour le public?

d)         Le ministre a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer si le demandeur serait exposé à un danger s’il était expulsé?

e)         Les motifs du ministre concernant le risque de persécution auquel le demandeur serait exposé sont‑ils suffisants?

f)          Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit en accordant de l’importance à des considérations dépourvues de pertinence dans l’examen de la question de savoir si le demandeur constitue un danger pour le public?

g)         Le ministre a‑t‑il adéquatement tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

III.       Norme de contrôle applicable

 

[16]           Les conclusions tirées par le ministre dans un avis de danger constituent des questions mixtes de fait et de droit et elles commandent donc une grande retenue judiciaire. La décision du ministre est susceptible de contrôle suivant la norme de la raisonnabilité (Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52, au paragraphe 32).

 

[17]           Le demandeur allègue que le ministre n’a pas appliqué le bon critère pour déterminer s’il serait exposé à un danger en cas d’expulsion et que les motifs concernant les risques sont insuffisants. Il s’agit de questions de droit susceptibles de contrôle suivant la norme de la décision correcte (Nagalingam, précité, au paragraphe 34).

 

IV.       Argumentation et analyse

 

A.        Le ministre a‑t‑il porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur en s’appuyant sur une preuve extrinsèque?

 

[18]           Le demandeur soutient que pour arriver à sa conclusion le ministre s’est appuyé considérablement sur la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) de juillet 2010. Le demandeur a déclaré dans son affidavit que cette décision n’avait pas été portée à sa connaissance avant novembre 2010, soit après la décision du ministre. Par voie de conséquence, le demandeur prétend qu’il y a eu atteinte à son droit à l’équité procédurale parce que le ministre s’est appuyé sur une preuve extrinsèque qui ne lui avait pas été communiquée et qu’il s’est vu priver de la possibilité de présenter des observations relativement au contenu de cette preuve.

 

[19]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cet argument est sans fondement. Contrairement à ce que le demandeur a déclaré sous serment, le dossier indique qu’une copie de la décision de la CNLC lui a été envoyée le 21 juillet 2010. Le défendeur a porté à l’attention de la Cour un avis de livraison contenu dans le dossier certifié du tribunal (DCT) qui confirme que le demandeur avait reçu une copie de la décision, en personne, le 26 juillet 2010, à l’Établissement de Joyceville où il était alors incarcéré (DCT, pages 94 à 98). Le ministre ne s’est donc pas appuyé sur une preuve extrinsèque.

 

B.         Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit en ne tenant pas, comme il se devait, des incidences du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur?

 

[20]           Le demandeur soutient que le ministre a commis une erreur en ne partant pas, dans son analyse des risques auxquels le demandeur serait exposé en cas d’expulsion, de la prémisse qu’en tant que personne qui s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention et qui détient toujours ce statut, il sera exposé à un danger advenant son expulsion. Le demandeur avance que, dans la présente affaire, le ministre a complètement fait abstraction de son statut de réfugié au sens de la Convention et a omis d’accorder l’importance voulue à la présomption de risque de préjudice découlant de ce statut.

 

[21]           À l’appui de cet argument, le demandeur invoque deux arrêts récents de la Cour suprême concernant l’extradition des réfugiés au sens de la Convention : Gavrila c. Canada (Justice), 2010 CSC 57, [2010] 3 R.C.S. 342, et Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281. En fait, le demandeur fait valoir, comme il a été décidé dans Németh, que, étant donné qu’il s’est vu reconnaître le statut de réfugié sous le régime des lois canadiennes, il peut prétendre à l’existence à première vue d’un droit à la protection contre le refoulement. Dans sa décision, le ministre devait accorder à cette reconnaissance l’importance qui lui revient (voir Németh, au paragraphe 106). Le demandeur soutient que, au lieu de présumer qu’il serait en danger, le ministre a minimisé l’incidence de son statut de réfugié au sens de la Convention.

 

[22]           Il ressort clairement de la décision du ministre qu’il a apprécié l’importance du statut de réfugié du demandeur. Comme l’exige le libellé clair du paragraphe 115(2) de la LIPR, le ministre était conscient du fait que le demandeur ne pouvait être renvoyé au Liban que s’il était visé par l’exception au principe de non‑refoulement énoncée à l’alinéa 115(2)a). L’alinéa 115(2)a) suit le paragraphe 115(1) qui confirme l’adhésion du Canada au principe de non‑refoulement de façon générale. Il est évident que, en utilisant les dispositions législatives de la LIPR comme cadre d’analyse, le ministre partait du principe que le demandeur, en tant que réfugié au sens de la Convention, risquait d’être persécuté.

 

[23]           Le ministre a d’abord cité le paragraphe 115(1) puis il a mentionné ce qui suit :

[traduction]

Je note que l’alinéa 115(2)a) de la LIPR crée une exception à la protection générale conférée aux personnes ayant qualité de réfugié au sens de la Convention, à savoir qu’elles ne soient pas renvoyées dans le pays où elles seraient exposées à un risque de persécution (possibilité élevée ou risque raisonnable de persécution). Cette disposition incorpore à la législation canadienne le paragraphe 33(2) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés qui prévoit ce qui suit :

 

Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

 

[24]           Avec égards pour le demandeur qui s’est efforcé d’établir une analogie entre les arrêts Németh et Gavrila, précités, et la présente affaire pour attaquer la décision du ministre, il me faut souligner que l’alinéa 115(2)a) de la LIPR fait partie d’un régime législatif très particulier. Par sa structure même l’article 115 exige que le ministre parte de la prémisse que le demandeur est soit un réfugié au sens de la Convention, soit une personne à protéger. De plus, les arrêts Németh et Gavrila, précités, découlent d’un contexte factuel différent. Dans ceux‑ci, la Cour suprême a accueilli les appels interjetés à l’encontre de la décision du ministre de permettre l’extradition de réfugiés au sens de la Convention en vertu de la Loi sur l’extradition. Le ministre avait commis une erreur en fixant un critère trop strict pour déterminer si les appelants risquaient d’être persécutés une fois renvoyés dans leur pays d’origine, de sorte qu’il n’avait pas accordé l’importance voulue à leur statut de réfugié. Il en est cependant tout autrement pour l’avis de danger établi sous le régime de la LIPR. La Cour suprême a reconnu que la LIPR accorde la priorité à la sécurité des Canadiens et que ses dispositions doivent être interprétées suivant cette intention législative. On réalise cet objectif, en procédant au renvoi des demandeurs ayant des antécédents criminels et en insistant sur l’obligation qu’ont les résidents permanents de se conformer à la loi pendant qu’ils sont au Canada (Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, [2005] A.C.S. no 31 (QL)).

 

[25]           En ce qui a trait à l’avis de danger, ce n’est que par l’application de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés que le ministre qui délivre, en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR, un avis autorisant le refoulement d’une personne protégée est tenu d’évaluer le danger auquel cette personne serait exposée. De toute évidence, le ministre se doit d’être réceptif et attentif aux motifs ayant mené à l’octroi de la protection. Toutefois, par contraste avec les demandes visant la perte du droit d’asile en application de l’article 108 ou l’annulation du statut de réfugié en application de l’article 109 de la LIPR, qui exigent que le ministre fasse valoir des motifs justifiant sa position, le paragraphe 115(2) n’a pas pour effet d’annuler le statut de réfugié ou de personne à protéger d’un sujet. L’alinéa 115(2)a) permet expressément qu’il soit dérogé au principe de non‑refoulement. Suivant la jurisprudence de notre Cour, une fois établi que le demandeur constitue un danger pour le public, il lui revient de démontrer qu’il serait exposé à un risque s’il était renvoyé au Liban (Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1069, 339 F.T.R. 21, aux paragraphes 19 à 22). La Cour d’appel fédérale a confirmé dans Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, [2009] 2 R.C.F. 52, au paragraphe 44, que « le réfugié au sens de la Convention ou la personne protégée ne peut s’autoriser de son statut pour réclamer l’application de l’article 7 de la Charte ». Ni Németh ni Gavrila ne peuvent être considérés comme ayant pour effet de renverser la charge de la preuve en matière de risque en ce qui concerne la délivrance d’un avis de danger sur le fondement du paragraphe 115(2) de la LIPR.

 

[26]           Le demandeur soutient également que le ministre s’en est remis uniquement à des conjectures quant aux circonstances entourant sa demande d’asile et qu’il s’est appuyé sur un document peu fiable du ministère du Procureur général de la Colombie‑Britannique, ce qui selon le demandeur ne fait qu’exacerber le défaut du ministre de ne pas avoir dûment tenu compte des incidences de son statut. N’ayant relevé aucune erreur commise par le ministre, il m’est impossible de conclure que son analyse du risque fondée sur l’alinéa 115(2)a) comporte quelque lacune que ce soit. Il semble que le ministre a demandé à la CISR des informations sur la demande d’asile de la famille du demandeur, mais qu’aucun renseignement n’était disponible. Le ministre s’est appuyé sur d’autres documents dans le but évident de comprendre la nature de la demande initiale de protection.

 

C.        Le ministre a‑t‑il omis de tenir compte de certains éléments de preuve en vue de déterminer si le demandeur constituait un danger pour le public?

 

[27]           Le demandeur soutient que le ministre a négligé de prendre en compte des éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion selon laquelle il n’avait pas démontré qu’il était réadapté. Le demandeur prétend que le ministre est parvenu à cette conclusion en se fondant en grande partie sur un rapport établi en 2009 par le Service correctionnel du Canada qui soulignait que le demandeur n’avait pas terminé les programmes requis dans le plan correctionnel. Cependant, le ministre a omis de faire état d’une évaluation réalisée par la CNLC en mars 2010 qui précisait que, en raison d’un changement dans les lignes directrices effectué après la prise en charge du demandeur, celui‑ci ne satisfaisait plus aux critères de sélection du Programme de prévention de la violence – Intensité modérée (PPV‑IM) ou du Programme Alternatives, Attitudes et Fréquentations (AAF).

 

[28]           Le défendeur réplique que le ministre ne s’est pas fondé sur le fait que le demandeur n’avait pas suivi les programmes requis pour conclure qu’il n’est pas réadapté. Les motifs révèlent plutôt que c’est la tendance du demandeur à ne pas respecter les conditions prévues par les ordonnances de mise en liberté en continuant de se livrer à des activités illicites qui a été prise en considération. De plus, le défendeur allègue que le fait que le demandeur ait été plus tard exclu des deux programmes susmentionnés ne change rien au fait que, après avoir suivi deux autres programmes liés à une infraction antérieure, sa semi‑liberté avait été révoquée parce qu’il avait été arrêté en possession d’une arme de poing chargée et de marijuana.

 

[29]           Je ne suis pas convaincu que le ministre a négligé de prendre en compte des éléments de preuve. En tout état de cause, je retiens l’argument du défendeur selon lequel l’élément de preuve auquel le demandeur fait référence – l’évaluation de la CNLC de mars 2010 – ne contredit pas la conclusion du ministre concernant sa réadaptation. Certes, le demandeur indique que l’évaluation de mars 2010 apporte des précisions, mais il en est de même de la décision du 21 juillet 2010 de la CNLC, sur laquelle le ministre s’est largement appuyé, celle‑ci comportant, suivant les propres observations du demandeur, d’autres précisions sur l’état d’avancement de sa réadaptation. La CNLC s’est exprimée en ces termes :

[traduction]

Suivant l’évaluation initiale relative à votre peine actuelle, vous avez réussi les programmes requis pendant que vous purgiez la peine fédérale qui vous avait été infligée antérieurement, mais la semi‑liberté qui vous avait été accordée à l’égard de cette peine a été ultérieurement révoquée. De plus, comme vous avez de nouveau commis des infractions qui témoignent d’une sous‑culture de violence, la Commission accorde peu de poids aux interventions antérieures. À cet égard, vos besoins de traitement en matière de prévention de la violence demeurent considérables, comme le révélait le rapport d’étape du programme correctionnel de mars 2010. Les changements apportés aux critères d’admission aux programmes du Service correctionnel du Canada et le fait que ces programmes ne vous sont plus recommandés ne sont pas au centre des préoccupations de la Commission; la Commission doit examiner la question de savoir si, en l’absence d’une condition de résidence, vous constituerez un risque inconsidéré pour la société en commettant une infraction prévue à l’annexe I avant la date d’expiration du mandat.  (DCT, page 96)

 

[30]           Il ressort de cet autre document de la CNLC que, peu importe que le demandeur n’ait pas suivi les programmes PPV‑IM et AAA parce qu’il avait lui‑même décidé de ne pas y participer ou parce que le Service correctionnel du Canada (le SCC) avait apporté des changements imprévus à ses politiques après son évaluation initiale, il n’en demeurait pas moins que le ministre pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas établi qu’il était réadapté.

 

D.        Le ministre a‑t‑il appliqué le mauvais critère juridique pour déterminer si le demandeur serait exposé à un danger s’il était expulsé?

 

[31]           Le demandeur soutient que le ministre a appliqué le mauvais critère. L’article 115 prévoit qu’une personne ayant le statut de réfugié au sens de la Convention ou une personne protégée ne sera pas renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités. Reprenant ce principe, le ministre a plutôt écrit :

[traduction]

En analysant les documents qui me permettront de déterminer s’il se peut que M. Alkhalil soit exposé à un risque s’il est renvoyé au Liban, je dois tenir compte des facteurs énoncés à l’article 97 de la LIPR. Sous le régime de cette disposition, il doit s’agir d’un risque auquel la personne serait « exposée en tout lieu [dans le pays vers lequel elle serait renvoyée] alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas ». Même si la question de savoir si M. Alkhalil peut être renvoyé du Canada dépend principalement de l’importance du risque auquel il serait exposé suivant l’article 97 de la LIPR, je vais également tenir compte du risque de persécution suivant l’article 96 de la LIPR.

 

[32]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la formulation employée par le ministre pour établir le critère n’est pas claire. Il est préférable que les décideurs évitent ce genre d’imprécision. Toutefois, je n’arrive pas à voir quel effet important cela a pu avoir sur l’analyse ou la conclusion finale du ministre. Le demandeur n’a pas expliqué à la Cour les conséquences préjudiciables que cette formulation vague avait eues sur sa cause, si ce n’est qu’il a affirmé que la décision démontre clairement que le ministre est d’avis que l’analyse des risques sous le régime de l’article 96 est subordonnée à l’analyse des risques sous le régime de l’article 97 étant donné qu’il a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir le fait que le demandeur serait [traduction] « personnellement exposé à un risque » au Liban du fait de sa qualité de réfugié palestinien.

 

[33]           Il ne fait pas de doute que le ministre a évalué les deux catégories de risque et employé les critères appropriés pour ce faire, à savoir, pour ce qui est de l’article 96, le critère de l’existence de [traduction] « plus qu’une simple possibilité » de persécution et, pour ce qui est du préjudice au titre de l’article 97, le [traduction] « critère de la prépondérance des probabilités ». L’assertion selon laquelle le demandeur ne serait pas [traduction] « personnellement exposé à un risque » se rapporte à la conclusion du ministre concernant l’article 97. Le ministre a d’abord conclu que la discrimination dont serait victime le demandeur ne constituerait pas de la persécution au sens de l’article 96 et, par la suite, il a répété qu’il n’existait guère plus qu’une simple possibilité qu’il soit exposé à de la persécution, une autre conclusion que le demandeur conteste.

 

[34]           À tous égards importants, le ministre a appliqué le bon critère. Le demandeur n’a donc pas réussi à démontrer que l’intervention de la Cour est justifiée.

 

E.         Les motifs du ministre concernant le risque de persécution auquel le demandeur serait exposé sont‑ils suffisants?

 

[35]           Le demandeur soutient que le ministre n’a pas tenu compte de l’effet cumulatif de la discrimination dont sont victimes les réfugiés palestiniens au Liban. Le ministre a reconnu que les réfugiés palestiniens sont traités différemment des citoyens libanais à bien des égards. Il a par ailleurs conclu que cette discrimination ne constituait pas de la persécution. Le demandeur n’est pas d’accord et il cherche à attaquer la décision du ministre en alléguant que ses motifs ne justifiaient pas pareille conclusion. Le demandeur prétend également que les motifs du ministre n’expliquent pas pourquoi il a préféré s’appuyer sur sa propre preuve documentaire plutôt que sur les rapports qu’il lui a soumis.

 

[36]           Il est évident que le demandeur ne jouira pas au Liban du mode de vie qu’il a au Canada. À la lecture de la décision, il est clair que le ministre, après avoir analysé la situation qui règne dans ce pays, reconnaît que le demandeur sera victime de discrimination du fait qu’il est un réfugié palestinien. Le ministre ne fait pas abstraction ni ne rejette les observations du demandeur. En fait, il parle longuement du rapport d’Amnistie Internationale. Le ministre ne conteste pas les faits présentés dans les observations du demandeur concernant la situation dans laquelle se trouvent les réfugiés palestiniens, et la preuve documentaire dont il fait état dans son analyse ne contredit pas la situation décrite dans les rapports sur lesquels le demandeur s’appuie. Le rapport de l’agence frontalière du Royaume‑Uni auquel le ministre fait référence dans son analyse reconnaît les difficultés auxquelles les réfugiés palestiniens font face, comme l’indiquent les autres rapports, et il fait état également des progrès qui ont été réalisés. Le ministre fait sienne la conclusion du rapport, à savoir que les réfugiés palestiniens sont traités différemment des citoyens libanais, mais que ce traitement discriminatoire, qui prend certes de nombreuses formes, n’est pas de nature telle qu’il constitue de la persécution.

 

[37]           Le demandeur fait valoir que les motifs du ministre ne sont pas adéquats. Je ne suis pas d’accord. Le ministre avait sans aucun doute l’obligation de fournir des motifs transparents justifiant sa difficile décision. Or, à la lecture de la décision, une personne raisonnable serait en mesure de savoir ce que le ministre a pris en compte et de comprendre ses conclusions et les motifs sous‑jacents.

 

[38]           Outre sa preuve documentaire indiquant que la discrimination n’est pas telle qu’elle constitue de la persécution, le ministre a souligné que l’épouse du demandeur, qui a l’intention de l’accompagner le cas advenant qu’il soit renvoyé, ne ferait pas l’objet des mêmes restrictions que le demandeur et devrait être en mesure de louer un logement, ce qui permettrait au demandeur de vivre ailleurs que dans un camp de réfugiés. Le demandeur et son épouse travaillent dans des domaines ouverts aux étrangers, de sorte qu’ils ne seraient pas privés d’un emploi lucratif. Certes, les soins de santé constituent une charge additionnelle mais, comme le demandeur et son épouse ont tous les deux exprimé la volonté de travailler, ils devraient être en mesure d’avoir accès à des services de soins de santé, outre ceux offerts par l’UNRWA. Ainsi, le ministre explique que, en raison de la situation particulière du demandeur, la discrimination à laquelle il se heurterait ainsi que son effet cumulatif seraient atténués.

 

[39]           La décision du ministre est minutieusement motivée. Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, [2007] 1 R.C.F. 490, au paragraphe 15 :

[15]      Il est également important de souligner que la cour de révision doit faire preuve de réalisme lorsqu’elle décide si les motifs fournis par un tribunal administratif sont juridiquement suffisants. C’est là un principe fondamental bien connu. Il convient de lire les motifs dans leur ensemble, et non pas de les analyser de près, phrase par phrase, pour y rechercher des erreurs ou des omissions; il faut les lire en essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse.

 

[40]           La Cour ne peut substituer son jugement à celui du ministre. Convaincue que les motifs du ministre satisfont à la norme de suffisance, la Cour n’interviendra pas.

 

F.         Le ministre a‑t‑il commis une erreur de droit en accordant de l’importance à des considérations dépourvues de pertinence dans l’examen de la question de savoir si le demandeur constitue un danger pour le public?

 

[41]           Le demandeur soutient que le ministre a commis une erreur en tenant compte d’un article publié dans le Vancouver Sun et d’autres éléments de preuve anecdotiques pour déterminer si le demandeur était réadapté. L’article de journal portait à croire que la famille Alkhalil était à l’origine du meurtre, commis par vengeance, de l’homme accusé d’avoir tué le frère du demandeur en 2001. L’accusé Michael Naud avait été acquitté parce que la preuve démontrait qu’il avait agi en légitime défense. L’avocat de M. Naud a écrit une lettre qu’il a envoyée à l’établissement où le demandeur était détenu pour signaler les menaces que ce dernier avait proférées. Le demandeur soutient que le ministre a commis une erreur en parlant de ces événements parce qu’aucune accusation n’a été portée contre lui en rapport avec ces événements et que, par conséquent, toute allégation relative à son implication n’est que pure conjecture.

 

[42]           Encore une fois, je ne suis pas convaincu que le ministre a commis une erreur. Si les éléments conjecturaux concernant l’intimidation et le meurtre de M. Naud constituaient la seule preuve sur laquelle s’est appuyé le ministre pour conclure que le demandeur n’était pas réadapté, on aurait pu soutenir que la conclusion du ministre était déraisonnable. Toutefois, l’article de journal et les éléments de preuve anecdotiques avaient été fournis à titre de preuve additionnelle visant à démontrer que le demandeur avait récidivé.

 

[43]           Le ministre a fait état d’un rapport du SCC expliquant que, même si le demandeur avait réussi les programmes requis au cours de son incarcération en 2002, sa semi‑liberté avait été plus tard révoquée lorsqu’il avait été arrêté en possession d’une arme de poing chargée et de marijuana et pour avoir proféré des menaces de violence pour se venger de l’acquittement de M. Naud. En 2006, le demandeur a été mis en liberté sur cautionnement, mais il a plus tard été jugé qu’il avait manqué à son engagement. Il a été accusé d’avoir eu en sa possession de l’ecstasy et d’avoir commis une infraction relative aux armes à feu ainsi qu’une infraction en matière de conduite automobile. Il semble qu’il y ait eu arrêt des procédures relativement à ces accusations.

 

[44]           Contrairement à ce que le demandeur affirme dans ses observations, la Cour d’appel fédérale a confirmé que, dans une affaire en matière d’immigration, le ministre peut examiner les circonstances sous‑jacentes au retrait ou au rejet d’accusations, mais qu’il ne peut utiliser ces accusations comme seule preuve de la criminalité d’une personne (Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, [2007] 3 R.C.F. 198, aux paragraphes 50 et 51; Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 687, 62 Imm LR (3d) 271, aux paragraphes 34 à 38). La juge Anne Mactavish a établi la distinction entre l’utilité d’une preuve établissant uniquement qu’une personne a fait l’objet d’une accusation et l’utilité de la preuve sous‑jacente à une accusation dans Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, 251 F.T.R. 282, au paragraphe 35 :

[35]      Dans les affaires La, Bakchiev, Bertold et Dokmajian, le délégué du ministre s’était fondé sur des accusations en instance pour émettre un avis de danger. Dans chacune de ces affaires, la Cour a statué qu’il s’agissait d’une erreur justifiant l’annulation de l’avis de danger. À mon avis, il faut établir une distinction entre le fait de se fonder sur le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous‑tend les accusations en question. Le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction ne prouve rien : il s’agit seulement d’une allégation. Par contre, la preuve sous‑tendant l’accusation peut être suffisante pour justifier qu’un avis selon lequel une personne constitue un danger présent ou futur pour autrui au Canada soit émis de bonne foi.

 

[45]           De plus, le ministre n’est pas lié par les règles de preuve applicables devant un tribunal pénal et il peut s’appuyer sur une preuve pertinente, fiable et digne de foi (Krishnan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 846, 63 Imm LR (3d) 38, au paragraphe 15). Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire où le ministre cherche à justifier son avis de danger par l’existence d’accusations criminelles en instance. Compte tenu de la preuve dans son ensemble, je ne suis pas convaincu que la prise en considération par le ministre des événements décrits dans l’article de journal à l’égard desquels aucune accusation n’a été portée contre le demandeur constitue une erreur donnant matière à révision. Le ministre n’a pas accordé une importance exagérée à cet article de journal. Il lui était raisonnablement loisible de conclure que le demandeur n’avait pas démontré qu’il était réadapté compte tenu de ses antécédents criminels, la condamnation la plus récente étant survenue après qu’il eut déménagé à l’autre bout du pays pour recommencer sa vie.

 

G.        Le ministre a‑t‑il adéquatement tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant?

 

[46]           Le demandeur soutient que le ministre n’a pas accordé l’importance voulue à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il n’a pas fait une analyse adéquate des difficultés que son enfant éprouverait s’il était expulsé du pays.

 

[47]           Le demandeur est le père d’une fillette de cinq ans qui est née au Canada. Pendant son incarcération, la fillette a vécu avec sa mère (son épouse) chez des membres de la famille du demandeur. Le ministre a souligné que le demandeur a été arrêté pour des infractions relatives à la drogue et à la conduite dangereuse d’un véhicule à moteur peu de temps avant la naissance de sa fille en 2005. Il a été mis en liberté sur cautionnement avant sa naissance, mais il n’a pas respecté les conditions dont cette mise en liberté était assortie. Il est incarcéré depuis le 30 juillet 2006. Par conséquent, le demandeur a passé un peu moins de 12 mois avec sa fille. Le ministre a souligné que le demandeur n’avait pas été dissuadé de se livrer à des activités criminelles sachant que cela aurait pour effet de le priver de la présence de sa fille et que l’enfant ne connaîtrait pas vraiment son père. Le ministre a reconnu que son renvoi du Canada porterait un coup dur à la famille; toutefois, compte tenu du fait que la mère et l’enfant ont décidé d’accompagner le demandeur advenant son renvoi, le ministre a conclu que l’enfant ne souffrirait pas outre mesure.

 

[48]           Le demandeur soutient que le temps passé avec l’enfant n’est pas un facteur pertinent pour déterminer ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant et que l’analyse du ministre est inappropriée. De l’avis du demandeur, le ministre aurait dû tenir compte du fait que le demandeur sera victime de discrimination au Liban et qu’il ne sera pas en mesure de subvenir aux besoins de son enfant de la même manière qu’il le pourrait s’il restait au Canada.

 

[49]           Le ministre a spécifiquement examiné la question de l’intérêt supérieur de la fille du demandeur et a examiné les observations du demandeur sur cette question. Le ministre a conclu que les circonstances d’ordre humanitaire ne l’emportaient pas sur le danger que le demandeur représente pour le public au Canada. La Cour ne réexaminera pas les facteurs dont le ministre a tenu compte, mais elle doit s’assurer qu’il n’a pas fait abstraction de facteurs pertinents, et ainsi commis une erreur susceptible de contrôle. Je conviens avec le défendeur que, en l’espèce, aucune erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire n’a été commise. Le ministre a examiné les différents éléments et conclu que, puisque l’enfant accompagnerait sa mère et son père au Liban, elle ne souffrirait pas indûment de la situation. Le demandeur n’est pas d’accord avec cette conclusion, mais il ne lui revient pas de déterminer comment l’analyse aurait dû être faite. À ce stade, le ministre n’a pas mentionné expressément qu’il serait plus difficile pour le demandeur de subvenir aux besoins de sa fille au Liban, mais il avait déjà reconnu qu’il n’y jouirait pas des mêmes libertés qu’au Canada. Le demandeur disposera néanmoins d’une certaine liberté et son épouse et sa fille, en tant que citoyennes canadiennes, ne seront pas victimes de la discrimination que lui pourrait subir au Liban.

 

[50]           L’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur à prendre en considération, mais il n’est pas le seul facteur déterminant de l’affaire. Après avoir résumé la jurisprudence concernant l’intérêt supérieur de l’enfant dans Khoja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 142, le juge Michel Shore, au paragraphe 43, a rappelé ce qui suit :

[43]      D’après les arrêts Hawthorne et Legault, précités, même si l’intérêt supérieur de l’enfant penche en faveur d’une décision favorable au demandeur, cela ne donne pas au demandeur le droit d’obtenir un tel résultat. Dans la plupart des situations, il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant que ce dernier demeure au Canada avec ses parents; toutefois, il ne s’agit que d’un des facteurs que doit apprécier l’agent pour parvenir à sa décision.

 

[51]           La question de l’intérêt supérieur de l’enfant ne peut éclipser le reste de l’analyse du ministre. Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que la conclusion du ministre fait partie des issues acceptables et qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

 

V.        Conclusion

 

[52]           Compte tenu des conclusions précédentes, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[53]           Le demandeur a demandé la certification d’une question advenant le rejet de la demande de contrôle judiciaire. Il est clair que la question serait semblable à la seconde question proposée en vue de la certification dans la décision Hasan, précitée :

2.         Dans le cadre de cette mise en balance, lorsque l’intéressé est un réfugié au sens de la Convention, est‑ce à lui qu’incombe le fardeau de démontrer que le risque ayant conduit à l’octroi de l’asile continue d’exister, ou la conclusion tirée qu’un intéressé est un réfugié au sens de la Convention crée‑t‑elle une présomption réfutable selon laquelle il courra un risque en cas de renvoi?

 

Le demandeur ajouterait la question suivante :

L’arrêt Németh, précité, modifie‑t‑il le droit antérieur relativement à cette question?

 

[54]           À mon avis, pour les motifs exposés précédemment, il est clair que l’arrêt Németh, précité, n’a pas eu d’incidence sur la jurisprudence en ce qui concerne l’application de l’alinéa 115(2)a) et l’exception qu’il crée quant au principe de non‑refoulement énoncé au paragraphe 115(2). Par conséquent, je souscris à l’opinion exprimée par la juge Judith Snider dans Hasan, précitée, sur une question semblable, selon laquelle il n’y a pas lieu de certifier une question qui a été réglée par la jurisprudence.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6803‑10

 

INTITULÉ :                                                   ALKHALIL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 8 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 4 août 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Hicks

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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