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Date : 20110725


Dossier : T-2072-10

Référence : 2011 CF 919

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et MERCK SHARP & DOHME CORP.

 

 

 

demanderesses

et

 

 

 

MYLAN PHARMACEUTICALS ULC et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Motifs confidentiels de l’ordonnance et ordonnance rendus le 21 juillet 2011)

 

[1]               Bristol-Myers Squibb Canada Co. et Merck Sharp & Dohme Corp. (les demanderesses) interjettent appel d’une ordonnance par laquelle le protonotaire Aalto a rejeté la requête des demanderesses en rapport avec la production de certains documents à utiliser dans le cadre d’une instance engagée sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Ce faisant, le protonotaire Aalto a conclu que les demanderesses n’avaient pas établi que les documents en litige étaient soit importants, soit nécessaires.

 

[2]               Les demanderesses soutiennent que le protonotaire leur a imposé un fardeau de preuve indûment strict et irrégulier pour justifier l’obligation de produire des informations se trouvant en la possession de Mylan Pharmaceuticals ULC (Mylan). Le protonotaire a aussi commis une erreur, d’après les demanderesses, en interprétant mal le témoignage d’expert de M. Allan Myerson. Cela a amené le protonotaire à conclure erronément que la théorie des demanderesses, à savoir que le [*] efavirenz utilisé comme matière de base dans le produit de Mylan pouvait se transformer en la forme cristalline (forme I) de l’efavirenz revendiquée par le brevet en litige lors du procédé de fabrication, était conjecturale.

 

[3]               Les demandeurs soutiennent également que les faits de l’espèce sont fort semblables à ceux dont il est question dans l’affaire Glaxosmithkline Inc. c. Pharmascience Inc., 2002 CFPI 683, [2002] A.C.F. no 925, et que le protonotaire Aalto a commis une erreur en omettant de suivre cette décision-là.

 

[4]               Enfin, les demanderesses disent que le protonotaire a commis une erreur en tenant compte du fait que Mylan avait déjà produit une quantité importante de documents dans la présente affaire, étant donné qu’aucun des documents n’était lié au procédé de fabrication utilisé par Mylan ou à la structure cristalline de l’efavirenz dans les comprimés de Mylan.

 

[5]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que le protonotaire Aalto a commis une erreur, comme il est allégué. Par conséquent, l’appel des demanderesses sera rejeté.

 

 

La norme de contrôle

[6]               La première mesure que doit prendre la Cour consiste à déterminer la norme de contrôle à appliquer à la décision du protonotaire. L’ordonnance que ce dernier a rendue en l’espèce était de nature discrétionnaire. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 F.C.R. 459, aux paragraphes 17 à 19, il ne convient pas d’intervenir dans l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire qui est portée en appel, sauf si les questions soulevées dans la requête sont indispensables au règlement définitif de l’affaire ou si les ordonnances sont manifestement erronées, en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

 

[7]               Je ne conviens pas avec les demanderesses que les questions soulevées dans la requête sont à ce point indispensables au règlement définitif de l’affaire que la Cour devrait se lancer dans une nouvelle audition de l’affaire. La question soulevée par la requête soumise au protonotaire consistait simplement à savoir s’il fallait ordonner la production de certains documents. Cette question n’est pas indispensable au règlement définitif de l’affaire : voir, par exemple, Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 226, [2009] A.C.F. no 296, au paragraphe 27.

 

[8]               En conséquence, la question soumise à la Cour consiste à savoir si l’ordonnance par laquelle le protonotaire Aalto a rejeté la requête en production des demanderesses a été fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits. Pour répondre à cette question, il faut tout d’abord d’examiner les règles de droit régissant la production de documents sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

La production de documents sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)

[9]               Les instances engagées sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le RMBAC) sont destinées à être de nature sommaire, et les parties n’ont pas les mêmes droits de communication qu’elles auraient dans le cas d’une action en contrefaçon ou en invalidation : Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Abbott Laboratories, Ltd. (2000), 7 C.P.R. (4th) 264, à la page 270, [2000] A.C.F. no 941, aux paragraphes 11 et 12 (C.A.F.).

 

[10]           Le paragraphe 6(7) du RMBAC prévoit ceci :

6. (7) Sur requête de la première personne, le tribunal peut, au cours de l’instance :

 

a) ordonner à la seconde personne de produire les extraits pertinents de la présentation ou du supplément qu’elle a déposé pour obtenir un avis de conformité et lui enjoindre de produire sans délai tout changement apporté à ces extraits au cours de l’instance;

 

 

 

b) enjoindre au ministre de vérifier si les extraits produits correspondent fidèlement aux renseignements figurant dans la présentation ou le supplément déposé.

6. (7) On the motion of a first person, the court may, at any time during a proceeding,

 

(a) order a second person to produce any portion of the submission or supplement filed by the second person for a notice of compliance that is relevant to the disposition of the issues in the proceeding and may order that any change made to the portion during the proceeding be produced by the second person as it is made; and

 

(b) order the Minister to verify that any portion produced corresponds fully to the information in the submission or supplement.

 

 

[11]            Comme la Cour d’appel fédérale le fait remarquer dans l’arrêt Novartis, une condition préalable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire que prévoit le paragraphe 6(7) du RMBAC est que les renseignements demandés doivent être pertinents. Lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 6(7), il faut aussi décider, selon la prépondérance des probabilités, si les renseignements demandés sont « importants » ou « nécessaires ».

 

Le protonotaire a-t-il imposé un fardeau de preuve indûment strict?

[12]           Le protonotaire Aalto a reconnu que les renseignements que sollicitaient les demanderesses étaient pertinents à l’égard des questions soulevées dans la demande, mais il a conclu qu’ils n’étaient ni importants ni nécessaires. Les demanderesses sont d’avis que le protonotaire Aalto a commis une erreur en concluant qu’elles ne s’étaient pas acquittées de leur fardeau de preuve au vu du témoignage non contesté de leur expert, M. Myerson.

 

[13]           À l’appui de leur argument selon lequel le protonotaire Aalto a appliqué un mauvais principe en imposant un fardeau de preuve indûment strict, les demanderesses font état de la déclaration de ce dernier selon laquelle M. Myerson [traduction] « n’a pas déclaré sans équivoque dans les documents, à propos de cette théorie de la conversion en rapport avec le [*] efavirenz, que celui-ci se convertit effectivement » [non souligné dans l’original] : voir la page 3 de la transcription des motifs oraux du protonotaire Aalto.

 

[14]           Selon les demanderesses, cette déclaration montre que le protonotaire Aalto a exigé à tort que les demanderesses fournissent une [traduction] « preuve non équivoque » ou une [traduction] « preuve convaincante » que le [*] efavirenz utilisé par Mylan comme matière de base se convertira en la forme cristalline (forme I) de l’efavirenz que revendique le brevet en litige.

 

[15]           Je ne suis pas d’accord pour dire que le protonotaire a commis une erreur en rapport avec le fardeau de preuve. Le commentaire qu’ont invoqué les demanderesses doit être lu dans le contexte des motifs du protonotaire dans leur ensemble. Aux pages 5 et 6 de la transcription de ses motifs oraux, le protonotaire se reporte à la décision Novartis, précitée, et indique avec raison que le fardeau de preuve est la prépondérance des probabilités. Par ailleurs, il ressort clairement d’un examen des motifs dans leur ensemble que c’est en ayant ce critère à l’esprit que le protonotaire Aalto a examiné le témoignage de M. Myerson.

 

Le protonotaire a-t-il mal apprécié le témoignage de M. Myerson?

[16]           Les demanderesses soutiennent qu’en concluant que le témoignage de M. Myerson était conjectural, le protonotaire Aalto a commis une erreur en appréciant mal le témoignage d’expert incontesté qui avait été fait devant lui. Elles disent que le protonotaire a fait abstraction de plusieurs des déclarations dans lesquelles M. Myerson a clairement fait état de son opinion d’expert, à savoir que le [*] efavirenz utilisé comme matière de base dans la fabrication du produit de Mylan se convertirait en la forme cristalline (forme I) de l’efavirenz que revendique le brevet en litige.

 

[17]           M. Myerson a déclaré, tant dans son affidavit qu’en contre-interrogatoire, que le [*] efavirenz [traduction] « peut » se convertir, sous certaines conditions, en la forme cristalline (forme I) de l’efavirenz. Il a émis l’hypothèse que cela surviendrait dans le cas du [*] parce que d’autres formes cristallines de l’efavirenz se convertissent en la forme I plus stable quand on applique de l’énergie.

 

[18]           Je ne suis pas convaincue que le protonotaire Aalto a mal apprécié le témoignage de M. Myerson ou qu’il a commis une erreur en qualifiant la théorie de la conversion de M. Myerson de [traduction] « conjecturale ». M. Myerson était [traduction] « sûr » que [traduction] « une certaine forme de l’efavirenz » se convertirait en la forme I si l’on y appliquait de l’énergie en moulant la matière avec un mortier et un pilon. Cependant, comme l’a fait remarquer le protonotaire Aalto, M. Myerson a également reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas vraiment de renseignements sur le [*] efavirenz.

 

[19]           M. Myerson n’a pas n’ont plus mené d’études sur le [*] efavirenz. Il dit qu’il était question dans la documentation spécialisée du comportement de formes de l’efavirenz autres que la forme I lorsqu’on y appliquait de l’énergie. Cependant, il ignorait si cette documentation spécialisée avait expressément porté sur le comportement du [*] efavirenz : voir les questions 153 à 155 du contre‑interrogatoire de M. Myerson.

 

[20]           Dans ces circonstances, il était loisible au protonotaire Aalto d’apprécier le témoignage de M. Myerson au sujet de sa théorie de la conversion et de conclure que les demanderesses n’avaient pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que les éléments de preuve demandés étaient importants ou nécessaires.

 

 

Le protonotaire a-t-il commis une erreur en omettant de suivre la décision Glaxosmithkline?

[21]           Les demanderesses soutiennent que le protonotaire Aalto a commis une autre erreur en omettant de suivre la décision du juge Blanchard dans l’affaire Glaxosmithkline, précitée.

 

[22]           Glaxosmithkline avait trait aussi à une requête en production présentée en vertu du paragraphe 6(7) du RMBAC. Pharmascience soutenait, dans son avis d’allégation, qu’il n’y aurait pas de contrefaçon du brevet en question, parce que ses comprimés étaient faits à partir de chlorhydrate de paroxétine anhydre, et non du chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté qui était revendiqué dans le brevet. Les demanderesses ont soutenu que les comprimés de Pharmascience pouvaient contenir le médicament breveté. Elles ont produit une preuve d’expert indiquant que la conversion de la matière anhydre de Pharmascience en chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté cristallin pouvait avoir lieu lors de la transformation.

 

[23]           Au vu de la preuve d’expert qui lui était soumise, le juge Blanchard s’est dit convaincu que les renseignements et les échantillons demandés à Pharmascience étaient pertinents à l’égard de la question de la non-contrefaçon dans cette affaire, et que le chlorhydrate de paroxétine anhydre avait la réputation de se convertir en chlorhydrate de paroxétine semi-hydraté dans certaines conditions. Il s’agissait là d’une décision de fait, fondée sur l’appréciation que le juge Blanchard avait faite de la preuve d’expert produite dans cette affaire.

 

[24]           Je conviens avec Mylan que le protonotaire Aalto a distingué convenablement la présente espèce d’avec Glaxosmithkline, au motif que, dans la présente affaire, la preuve d’expert concernant la question de la conversion était plus équivoque et conjecturale. Je ne suis donc pas persuadée que le protonotaire a commis une erreur en omettant de suivre le résultat obtenu dans Glaxosmithkline.

 

L’importance des autres documents produits par Mylan

[25]           Enfin, les demanderesses disent que le protonotaire Aalto a commis une erreur en tenant compte du fait que Mylan avait déjà produit une quantité importante de documents en rapport avec cette affaire et qu’elle avait convenu de produire des renseignements additionnels. Il s’agit là d’une erreur, disent les demanderesses, car aucun des éléments de preuve documentaires que Mylan a produits n’avait trait à son procédé de fabrication ou à la structure cristalline de l’efavirenz présent dans ses comprimés.

 

[26]           Selon moi, le protonotaire Aalto ne dit pas, dans ses motifs, qu’il rejetait la requête des demanderesses parce que ces dernières avaient déjà reçu - ou allaient recevoir - des documents concernant le procédé de fabrication de Mylan ou la structure cristalline de l’efavirenz présent dans le produit fini de Mylan. Il a simplement signalé que Mylan avait déjà communiqué de nombreux documents au cours de l’instance.

 

[27]           Même s’il est établi que les renseignements demandés sont pertinents, cela ne se soldera pas forcément par une ordonnance de production. Comme il a été dit plus tôt, les instances menées sous le régime du RMBAC sont destinées à être réglées de façon sommaire. En exerçant le pouvoir discrétionnaire dont il disposait pour décider s’il était nécessaire de rendre une ordonnance de production en l’espèce, il était loisible au protonotaire Aalto de tenir compte de l’étendue des documents déjà produits, ou que Mylan s’était engagée à communiquer : voir la décision Pfizer Canada Inc., précitée, au paragraphe 23.

 

Conclusion

[28]           Pour ces motifs, l’appel sera rejeté. Les parties ont convenu que celles qui auraient gain de cause auraient droit à leurs dépens d’un montant de 2 500 $, indépendamment de l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté, avec dépens en faveur des défendeurs fixés à 2 500 $ et payables indépendamment de l’issue de la cause.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2072-10

 

INTITULÉ :                                       BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. ET AL c. 

                                                            MYLAN PHARMACEUTICALS ULC ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 JUILLET 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 25 JUILLET 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick Kierans

Amy Grenon

 

POUR LES DEMANDERESSES

Bryan Norrie

Vincent de Grandpré

 

POUR L DÉFENDERESSE

(MYLAN PHARMACEUTICALS ULC)

Personne n’a comparu

POUR LE DÉFENDEUR

(LE MINISTRE DE LA SANTÉ)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Norton Rose Or LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Osler Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(MYLAN PHARMACEUTICALS ULC)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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