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Date : 20110728

Dossier : IMM‑6845‑10

Référence : 2011 CF 961

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ERROL THEOPHILE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à la décision, en date du 20 octobre 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande présentée par le demandeur afin que la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger lui soit reconnue en vertu des articles 96 et 97 de la Loi (la décision).

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur, un citoyen de la Dominique, est un ancien membre du Dominica Labour Party (le DLP). Il allègue avoir été persécuté dans son pays d’origine pour des motifs politiques par des hommes de main appartenant à un parti politique d’opposition, l’United Workers Party (l’UWP).

 

[3]               Le demandeur a commencé à mener des activités politiques en 1980. Il a fait campagne pour Roosevelt Douglas et, après que ce dernier a été élu premier ministre, il s’est occupé de sa sécurité personnelle. Après le décès de M. Douglas en 2000, le demandeur s’est adressé au nouveau premier ministre, Pierre Charles, qui l’a aidé à obtenir le poste d’ingénieur mécanicien principal de la Dominica Air and Seaport Authority. Le demandeur était un mécanicien expérimenté, mais il ne possédait pas la formation qui est habituellement exigée des titulaires de ce poste. Il a obtenu le poste par favoritisme et il était très bien payé.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’en 2001, des hommes de main de l’UWP ont démoli l’un de ses véhicules et ont coupé les conduites de frein d’un autre. En conséquence, le demandeur a eu un accident et a passé trois mois à l’hôpital.

 

[5]               Il allègue que des hommes de main de l’UWP l’ont attaqué en 2006 pendant qu’il travaillait avec des amis à sa nouvelle maison. Il a été blessé et a eu besoin de huit points de suture. Il pense que les hommes de main étaient jaloux de la richesse dont il jouissait en raison de son emploi à la Dominica Air and Seaport Authority. Il allègue qu’il a été attaqué à nouveau deux mois plus tard par des hommes de main qui sont entrés de force dans sa maison, l’ont battu, puis l’ont abandonné. Il a repris conscience trois jours plus tard et est resté à l’hôpital durant six semaines.

 

[6]               Le demandeur allègue que des hommes de main de l’UWP s’en sont pris à lui à nouveau en 2007, cette fois avec des couteaux, et qu’il a été hospitalisé pendant près de trois semaines. Il affirme qu’il a signalé chacun de ces incidents à la police, mais que celle‑ci n’a pas donné suite à ses plaintes parce que la majorité des officiers supérieurs avaient été nommés par l’ancien gouvernement de l’UWP.

 

[7]               Le demandeur a fui la Dominique en novembre 2007. Il est entré aux États‑Unis avec un visa de visiteur en février 2008. Son visa a ensuite expiré et il a été détenu jusqu’en juin 2008, lorsque les autorités américaines lui ont ordonné de quitter le pays. Il est venu au Canada et a demandé l’asile en juillet 2008.

 

[8]               Le demandeur a comparu devant la SPR le 16 septembre 2010. Il était représenté par un conseil et aucun interprète n’était présent à l’audience. La SPR a conclu qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la Loi, ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 97 de la Loi. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

            Fondement de la crainte de persécution

 

[9]               La SPR a conclu que la crainte subjective du demandeur n’avait pas de fondement objectif parce que ce dernier n’avait pas réussi à démontrer la continuité du risque. Elle a affirmé :

 

La définition de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » est de nature prospective; ainsi, le fait qu’un demandeur d’asile ait déjà été persécuté par le passé ne mène pas automatiquement à la conclusion qu’il subira nécessairement un tel traitement dans l’avenir. Pour qu’un acte de persécution subi par le passé permette d’établir que la crainte d’être persécuté dans l’avenir est fondée, il faut qu’il y ait suffisamment d’éléments de preuve démontrant la continuité du risque. [Voir Mileva c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 204, [1991] 3 C.F. 398 (C.A.F.).]

 

[10]           Le demandeur n’a pas mis les pieds à la Dominique depuis trois ans. Il n’a produit « aucun élément de preuve convaincant » indiquant que les hommes de main de l’UWP le recherchent encore activement ou projettent de le tuer advenant son retour dans ce pays. Comme le demandeur n’a pas démontré la continuité du risque, la SPR a conclu que sa crainte subjective de persécution n’était pas fondée.

 

Examen de la preuve documentaire

 

[11]           La SPR a examiné les documents sur les conditions existant à la Dominique en 2009. Elle a constaté que ce pays est une démocratie parlementaire multipartite. Des observateurs de la Communauté des Caraïbes (la Caricom) et de l’Organisation des États américains (l’OEA) ont déclaré que l’élection parlementaire de 2009 avait été juste et transparente, en dépit des allégations de l’opposition et d’organisations non gouvernementales selon lesquelles des principes démocratiques fondamentaux n’avaient pas été respectés. La Police dominicaine, qui est le service de sécurité national, relève du cabinet du premier ministre. Elle s’acquitte efficacement de son mandat de maintenir l’ordre public. La corruption policière n’est pas un problème. Une procédure est prévue pour les personnes qui veulent porter plainte contre la police et il n’y a eu aucun cas de mauvaise conduite en 2009. Selon la SPR, la prépondérance de la preuve documentaire ne permettait pas de conclure que :

 

des membres ou des partisans du DLP, hauts placés ou non, qui ont été nommés à des postes enviables au sein d’organismes gouvernementaux grâce à des faveurs politiques, sont la cible d’attaques ou d’actes de violence généralisés ou systématiques perpétrés par des hommes de main affiliés au parti de l’opposition, l’UWP.

 

 

[12]           La SPR a aussi passé en revue la preuve documentaire du demandeur, en faisant expressément référence au contenu de chacun des cinq articles mentionnés par celui‑ci. Elle a conclu que quatre de ces articles n’établissaient pas que les hommes de main de l’UWP avaient fait enquête sur des membres ou des partisans du DLP ou s’étaient pris à eux. Elle a cependant considéré que le cinquième article, qui laissait entendre que l’UWP pouvait être l’auteur des menaces de mort proférées contre de hauts fonctionnaires du gouvernement, avait une « valeur probante […] très limitée » parce qu’il avait été écrit sept ans plus tôt et qu’il ne démontrait pas que les hommes de main de l’UWP menacent ou agressent systématiquement les partisans du DLP actuellement. Selon la SPR, aucun des articles n’établit donc des motifs objectifs justifiant la crainte du demandeur d’être persécuté par les hommes de main de l’UWP.

 

Conclusion

 

[13]           À la lumière de l’analyse qui précède, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention. En outre, la preuve était insuffisante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que, si le demandeur devait retourner à la Dominique aujourd’hui, il serait exposé à une menace à sa vie, au risque de torture ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités de la part des hommes de main de l’UWP. En conséquence, la demande fondée sur l’article 97 de la Loi a aussi été rejetée.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[14]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

i.         Les conclusions de fait de la SPR étaient‑elles raisonnables?

ii.       La SPR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve objectifs concernant le risque couru par le demandeur?

iii.      La SPR a‑t‑elle privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale en ne procédant pas à une analyse distincte concernant l’article 97?

 


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[15]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

  

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

  

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           La Cour suprême du Canada a statué dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle dans tous les cas. En effet, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question en litige est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette recherche se révèle vaine que la cour de révision doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[17]           Les deux premières questions ont trait à la conclusion de fait de la SPR et à son traitement de la preuve. Ces questions relèvent de l’expertise de la SPR et la Cour doit faire montre de retenue à leur égard. Elles sont assujetties à la norme de la raisonnabilité. Voir Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 53; Ched c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1338, au paragraphe 11.

 

[18]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse portera sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision n’est pas raisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[19]           La troisième question a trait à l’équité de l’audience. C’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions d’équité procédurale. Voir Khosa, précité, au paragraphe 43.

 

LES PRÉTENTIONS

            Le demandeur

                        Les conclusions de fait de la SPR étaient déraisonnables

                       

[20]           En traitant du fondement de la demande du demandeur, la SPR a affirmé que, comme trois ans s’étaient écoulés depuis la dernière fois que le demandeur avait été attaqué (de 2007 à 2010), il ne serait plus en danger s’il retournait à la Dominique. Le demandeur prétend que cette conclusion est déraisonnable. Le demandeur n’a pas été attaqué depuis trois ans parce qu’il n’était pas à la Dominique. Pendant qu’il vivait dans ce pays, il a été attaqué à deux reprises en 2001 et, malgré une période de paix relative de cinq ans, il a été attaqué à de multiples occasions entre 2006 et 2007. La SPR a agi de manière déraisonnable en concluant que le danger avait disparu au cours des trois dernières années alors que, dans le passé, il avait reparu après une période de cinq ans. La SPR n’a pas examiné ce point.

 

La SPR a omis de tenir compte d’une preuve objective du risque couru par le demandeur

 

[21]           Le demandeur affirme que l’analyse de la SPR se fonde uniquement sur la documentation sur les conditions existant à la Dominique. Rien n’indique que la SPR a pris en considération la preuve démontrant que le demandeur avait réellement subi un préjudice. Elle n’a pas non plus concilié ce préjudice avec sa conclusion selon laquelle le demandeur ne courrait aucun risque s’il devait retourner à la Dominique.

 

[22]           Le demandeur a produit deux rapports concernant ses blessures. Le premier a été rédigé par le médecin qui s’est occupé de lui à la Dominique et le deuxième, par un médecin canadien qui a examiné ses blessures et les photographies de celles‑ci et qui a émis l’avis que les blessures auraient pu être causées par de grands couteaux. Cette preuve était clairement pertinente au regard de la demande d’asile du demandeur. Plus la preuve est importante aux fins de la demande, plus l’erreur commise par le tribunal en n’y faisant pas référence est grande. Voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL). Le demandeur affirme que c’est particulièrement le cas lorsque des documents propres au demandeur font état du préjudice subi. De plus, comme la SPR n’a pas apprécié la crédibilité, elle est présumée avoir ajouté foi au témoignage du demandeur.

 

La SPR était tenue de procéder à une analyse distincte concernant l’article 97

 

[23]           Le demandeur soutient que, peu importe sa conclusion concernant l’article 96, la SPR était tenue d’examiner la menace à sa vie ou le risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 auquel il était exposé. La SPR n’a pas effectué l’analyse appropriée lorsqu’elle a conclu que le défaut d’établir le bien‑fondé d’une demande en vertu de l’article 96 entraîne le rejet de la demande au regard de l’article 97 également. La SPR n’a pas motivé de manière adéquate sa décision à cet égard.

 

[24]           Le juge Yves de Montigny a affirmé ce qui suit aux paragraphes 51 et 52 d’Anthonimuthu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 141 :

 

La demanderesse prétend également que la Section de la protection des réfugiés a commis une erreur en n’évaluant pas sa demande au regard de l’article 97 de la LIPR, en ce que la SPR a tenu pour acquis que la demanderesse ne pouvait établir le risque d’être soumise à une menace à sa vie ou à des peines ou traitements cruels ou inusités ou à la torture si elle n’établissait pas qu’elle craignait avec raison d’être persécutée. La Cour a dit, à plusieurs reprises, que l’analyse en vertu de l’article 97 était différente de l’analyse en vertu de l’article 96 et que des demandes fondées sur ces deux dispositions devaient faire l’objet d’une analyse distincte. La Cour a dit, dans l’affaire Bouaouni, précitée, au paragraphe 41 :

 

[...] Il s’ensuit qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l’article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien‑fondé d’une revendication aux termes de l’article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l’article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d’elles soit considérée distincte [...]

 

La Section de la protection des réfugiés peut être dispensée d’effectuer une analyse distincte en vertu de l’article 97 uniquement s’il n’y a absolument aucune preuve susceptible d’établir que la personne a besoin d’être protégée : Soleimanian, 2004 CF 1660, au paragraphe 22. [Non souligné dans l’original.]

 

 

En outre, dans Vaval c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 160, le juge Simon Noël a affirmé, au paragraphe 12, qu’il était « tout à fait d’accord » avec les observations du juge de Montigny, puis il a ajouté :

 

Il me semble que la SPR a prise pour acquis que l’analyse sous l’article 96 de la LIPR s’appliquait automatiquement à celle de l’article 97. Il s’agit de questions distinctes de droit qui nécessitent un traitement différent. Ça n’a pas été fait pour les fins de l’analyse de l’article 97 de la LIPR.

 

 

[25]           Le demandeur prétend qu’il a prié la SPR d’examiner la demande au regard de l’article 97 en évaluant ses blessures et le risque qu’il en subisse d’autres s’il devait retourner à la Dominique. Le demandeur était personnellement visé; il ne s’agissait pas d’un cas de risque généralisé. En outre, il a signalé ces attaques à la police, qui a systématiquement perdu la trace de sa plainte. Si la SPR a accepté la preuve objective démontrant que le demandeur avait été blessé, puis a rejeté sa prétention selon laquelle les blessures étaient le résultat de la persécution dont il avait été victime pour des motifs politiques, elle devait évaluer les autres risques sous le régime de l’article 97. Elle a commis une erreur susceptible de contrôle en ne le faisant pas.

 

Le défendeur

            Les conclusions factuelles étaient étayées par la preuve

 

[26]           Contrairement à ce que le demandeur laisse entendre, la SPR n’a pas affirmé que, comme trois ans s’étaient écoulés depuis la dernière attaque, le demandeur ne serait pas en danger s’il retournait à la Dominique. La SPR a plutôt considéré que le demandeur n’avait pas produit d’éléments de preuve démontrant la « continuité du risque ». Le demandeur n’a produit aucune preuve indiquant qu’il est encore recherché activement par les hommes de main de l’UWP ou que ceux‑ci projettent de le tuer s’il retourne à la Dominique.

 

[27]           Le demandeur commet aussi une erreur lorsqu’il affirme que la SPR disposait d’éléments de preuve corroborant son témoignage selon lequel le favoritisme politique peut mener à des représailles violentes. C’est tout à fait le contraire, comme il ressort de l’examen attentif effectué par la SPR des cinq articles produits par le demandeur et de ses conclusions selon lesquelles ils n’étayaient pas la demande du demandeur.

 

[28]           La SPR peut préférer la preuve documentaire à celle produite par le demandeur, même si elle estime que ce dernier est crédible. La SPR a soupesé la preuve et a rendu une décision raisonnable. Le demandeur n’est tout simplement pas d’accord avec elle, et la décision ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

            La décision de la SPR était raisonnable

 

[29]           Le défendeur soutient que la SPR a pris en considération la preuve médicale du demandeur. Elle n’en a pas fait expressément mention, mais elle a fait état des incidents qui auraient causé les blessures du demandeur ainsi que des allégations du demandeur concernant les hommes de main de l’UWP.

 

[30]           Cette preuve médicale avait trait à des incidents survenus dans le passé. La SPR a dit clairement que l’analyse relative aux articles 96 et 97 était « de nature prospective ». La preuve médicale ne démontrait pas que le demandeur a actuellement besoin de protection. En fait, le demandeur n’a produit aucune preuve établissant que les hommes de main de l’UWP le recherchaient activement ou projetaient de le tuer s’il retournait à la Dominique. En outre, bien qu’elle n’ait tiré aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité, elle a conclu qu’elle ne disposait pas d’une preuve convaincante indiquant que des partisans du DLP qui avaient été nommés à des postes « enviables » au sein d’organismes gouvernementaux étaient la cible d’attaques ou d’actes de violence systématiques perpétrés par des hommes de main du parti de l’opposition l’UWP. Comme il n’y avait pas de continuité du risque, la SPR a conclu avec raison que le bien‑fondé de la demande n’avait pas été établi. La nécessité, pour la SPR, de faire référence aux rapports médicaux dans ses motifs dépend de la qualité de cette preuve et de son importance au regard de la demande. Comme la SPR n’était pas convaincue que le demandeur avait été la cible des hommes de main de l’UWP en raison de la nomination qu’il avait obtenue par favoritisme, cette preuve n’était pas fondamentale pour sa demande.

 

[31]           Par contre, la documentation sur les conditions existant à la Dominique, qui n’étayait pas la thèse du demandeur, était très pertinente. La SPR a agi de manière raisonnable en préférant cette preuve à celle du demandeur, même si elle a conclu que celui‑ci était digne de foi et crédible.

 

[32]           Enfin, jusqu’à preuve du contraire, la SPR est réputée avoir pris en considération tous les éléments de preuve, peu importe qu’elle indique ou non dans ses motifs qu’elle l’a fait. Voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (QL).

 

L’analyse fondée sur l’article 97 était appropriée

 

[33]           Dans le cadre de son analyse relative à l’article 96, la SPR a examiné attentivement la documentation sur les conditions existant à la Dominique ainsi que la preuve documentaire du demandeur. Il était raisonnable qu’elle conclue, pour les mêmes motifs, qu’elle ne disposait pas d’une preuve suffisante établissant, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était objectivement en danger à la Dominique.

 

[34]           Dans Balakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 20, le juge Michael Phelan, de notre Cour, a dit au paragraphe 13 :

 

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une séparation stricte entre l’examen des articles 96 et 97. Une conclusion selon laquelle l’élément objectif de l’article 96 n’a pas été satisfait pourrait, selon la situation, également régler la question de l’article 97. Cependant, une conclusion d’absence de l’élément subjectif requis à l’article 96 ne permet pas à la Commission d’omettre de tenir compte de l’élément objectif de crainte, particulièrement à l’égard de l’article 97. La façon dont l’examen est effectué ne devrait pas être établie par la Cour. Il importe seulement que l’examen soit effectué et qu’il paraisse l’avoir été.

 

 

[35]           Par conséquent, il était raisonnable que la SPR conclue, pour les motifs qu’elle a exposés dans le cadre de son analyse relative à l’article 96 – qui tenait compte de la preuve subjective et de la preuve objective – que la preuve était insuffisante pour considérer que le demandeur était exposé à un risque visé à l’article 97.

 

[36]           Il convient de souligner que le demandeur a obtenu son poste par favoritisme en faisant appel directement au premier ministre de la Dominique, Pierre Charles. Comme la SPR l’a souligné, la police de la Dominique relève du cabinet du premier ministre. Or, en dépit de ce fait, le demandeur n’a pas demandé l’aide du premier ministre lorsqu’il a commencé à soupçonner que la police ne donnait pas suite à ses plaintes. Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas épuisé tous les recours à sa disposition pour obtenir la protection qu’il sollicite maintenant. Voir Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 46, 56 et 57.

 

La réponse du demandeur

 

[37]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la SPR s’attende à ce qu’il produise une preuve démontrant que les hommes de main de l’UWP étaient toujours à sa recherche. Dans un pays aussi petit que la Dominique, qui compte 72 500 habitants, il est raisonnable de penser que les personnes qui, comme les hommes de main de l’UWP, s’intéressent au demandeur savent qu’il a quitté le pays.

 

[38]           À la lumière de la preuve objective convaincante – à savoir la preuve médicale attestant les blessures du demandeur, le défaut des autorités de donner suite à ses plaintes répétées et le défaut de la police de le protéger – le demandeur affirme que la SPR ne peut pas simplement s’appuyer sur la documentation sur les conditions existant à la Dominique pour conclure que sa vie n’est pas menacée dans ce pays. Elle doit expliquer pourquoi elle croit que, en dépit de la preuve objective contraire, le demandeur serait en sécurité à la Dominique.

 

[39]           Le demandeur soutient en outre que le défendeur ne peut pas justifier la décision de la SPR en faisant valoir qu’il aurait pu demander l’aide du premier ministre lorsqu’il n’a pas obtenu celle de la police. Ce point n’est pas abordé dans la décision. Cela étant dit, Pierre Charles n’est plus le premier ministre et le demandeur ne peut plus compter sur ses anciens amis au sein du DLP parce qu’il n’est plus dans les bonnes grâces du parti.

 

[40]           Enfin, le demandeur soutient que la SPR n’aurait pas dû exiger qu’il produise une preuve de la violence systématique perpétrée par les hommes de main de l’UWP à l’encontre de partisans du DLP ayant été nommés à des postes par favoritisme. La preuve de la violence systémique ne devrait pas être requise. Cette preuve est trop précise et il s’agit d’une exigence déraisonnable qui impose un fardeau trop lourd au demandeur.

 

Le mémoire complémentaire du défendeur

 

[41]           Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas produit une preuve convaincante démontrant que les attaques dont il a été victime n’ont pas été perpétrées par des inconnus et qu’elles auraient plutôt été commises par des hommes de main de l’UWP. Le demandeur reconnaît lui‑même que le favoritisme politique est la norme à la Dominique. Sa nomination à la Seaport Authority n’a pas étonné beaucoup de gens. La SPR a eu raison de conclure que les affirmations du demandeur selon lesquelles il était ciblé en raison de son affiliation politique et du poste bien rémunéré qu’il occupait n’étaient pas convaincantes.

 

[42]           Le demandeur a lui‑même admis dans ses observations qu’on s’en était pris à lui en raison de sa richesse apparente. Maintenant qu’il ne l’a plus et qu’il n’occupe plus un poste obtenu par favoritisme, il est raisonnable de penser qu’il ne sera plus une cible, ce qui étaye davantage la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a pas continuité du risque.

 

ANALYSE

 

[43]           Comme la décision l’indique clairement, la question déterminante en ce qui a trait à l’article 96 de la Loi était :

de savoir si la crainte subjective du demandeur d’asile est objectivement fondée – autrement dit, s’il existe une possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté par des hommes de main affiliés à l’UWP pour l’un des cinq motifs prévus dans la Convention s’il devait retourner à la Dominique.

 

 

[44]           La demande fondée sur l’article 96 a été rejetée parce que le demandeur n’a pas produit une preuve suffisante établissant la continuité du risque :

Par conséquent, je conclus que sa crainte d’être persécuté par des hommes de main affiliés au parti de l’opposition, l’UWP, s’il devait retourner à la Dominique n’est pas fondée, car il n’y a pas de possibilité sérieuse que cela se produise après son retour dans son pays d’origine.

 

 

[45]           La SPR a résumé ses conclusions sur cette question aux paragraphes 7 et 8 de la décision :

Le demandeur d’asile n’a pas mis les pieds à la Dominique depuis trois ans. Il a quitté le pays en novembre 2007 pour se rendre à Saint Thomas. Selon le demandeur d’asile, des hommes de main affiliés au parti de l’opposition, l’UWP, le tueraient s’il retournait à la Dominique. Je suis d’avis qu’aucun élément de preuve convaincant n’indique que des hommes de main de l’UWP cherchent activement à retrouver le demandeur d’asile ou complotent son assassinat advenant son éventuel retour au pays.

 

En outre, selon la prépondérance de la preuve documentaire, j’estime qu’aucun élément convaincant ne laisse croire que des membres ou des partisans du DLP, hauts placés ou non, qui ont été nommés à des postes enviables au sein d’organismes gouvernementaux grâce à des faveurs politiques, sont la cible d’attaques ou d’actes de violence généralisés ou systématiques perpétrés par des hommes de main affiliés au parti de l’opposition, l’UWP.

 

 

[46]           La SPR n’ayant rien dit au sujet de la crédibilité du demandeur, on peut présumer qu’elle était convaincue que celui‑ci était lui‑même certain que les personnes qui l’ont attaqué au fil des ans étaient des hommes de main associés à l’UWP. La SPR estime cependant que le demandeur n’a pas produit une preuve objective suffisante pour la convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que sa conviction était fondée.

 

[47]           Cette conclusion n’est pas déraisonnable. La conviction du demandeur selon laquelle les agents de persécution sont des hommes de main de l’UWP semble reposer largement sur des hypothèses parce que les agresseurs n’ont jamais révélé leur identité lors des incidents violents.

 

[48]           À l’audience de la SPR, le demandeur a affirmé que sa voiture avait été endommagée par des vandales inconnus en 2001. La SPR lui a demandé pourquoi il croyait alors que le vandalisme était lié à l’UWP. Il a répondu : [traduction] « Personne d’autre n’aurait pu faire ça, Monsieur. » (Voir le dossier certifié du tribunal (le DCT), page 189.) Il a expliqué qu’il était très apprécié avant d’obtenir l’emploi à la Seaport Authority et que tout avait changé lorsqu’il avait accepté cette nomination obtenue par favoritisme.

 

[49]           Le demandeur a déclaré dans son témoignage à l’audience qu’il avait eu un accident et avait été blessé grièvement en 2001 parce que les conduites de frein de son deuxième véhicule avaient été coupées. La SPR lui a demandé : [traduction] « Savez‑vous qui a fait ça? » Il a répondu qu’il l’ignorait. (Voir le DCT, page 198.)

 

[50]           Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait été attaqué par un groupe de sept personnes en 2007, alors que lui et ses amis travaillaient à sa nouvelle maison. Il ne savait pas qui étaient ces personnes; il ne les avait jamais vues auparavant et elles ne lui disaient rien. (Voir le DCT, page 203.)

 

[51]           Enfin, le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il avait été attaqué par un groupe de personnes armées de couteaux en 2007. Ces personnes lui ont dit qu’elles voulaient [traduction] « en finir avec [lui] » et qu’il devait quitter son emploi à la Seaport Authority. (Voir le DCT, page 207.)

 

[52]           Le demandeur a porté plainte à de multiples reprises après chacun de ces incidents. La police lui a dit qu’elle faisait enquête. Le demandeur a déclaré dans son témoignage qu’il ne savait pas si la police avait effectivement fait enquête ou non. (Voir le DCT, page 210.)

 

[53]           La SPR consacre les paragraphes 8 à 12 de la décision à une analyse des conditions existant à la Dominique. Elle conclut que celle‑ci est un pays démocratique où les élections sont libres et justes, où un service de police efficace maintient l’ordre public et où une procédure est prévue pour l’examen des plaintes relatives à la conduite des policiers.

 

[54]           La SPR a passé en revue cinq articles produits par le demandeur et a expliqué de manière détaillée pourquoi, selon elle, aucun de ces articles n’étayait sa prétention selon laquelle les partisans du DLP qui avaient été nommés par favoritisme dans des organismes gouvernementaux font l’objet d’attaques ou d’actes de violence généralisés ou systématiques perpétrés par des hommes de main de l’UWP.

 

[55]           À mon avis, on ne peut pas dire que l’appréciation de la preuve par la SPR ou ses conclusions sur ce point ne sont pas raisonnables au sens de Dunsmuir.

 

[56]           Le demandeur se plaint également du fait que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve objective du risque contenue dans deux rapports concernant ses blessures qu’il a produits, l’un d’un médecin canadien et l’autre d’un médecin de la Dominique. Il n’y a rien cependant dans ces rapports qui démontre l’existence d’un risque prospectif fondé sur un motif prévu par la Convention. Il n’est pas nécessaire que la SPR fasse expressément référence à ces rapports dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article 96 parce qu’ils ne contredisent pas sa conclusion générale selon laquelle elle ne disposait pas d’une preuve convaincante permettant de croire que les partisans du DLP qui avaient obtenu des postes « enviables » par favoritisme politique étaient ciblés ou soumis à des attaques ou à des actes de violence systémiques commis par des hommes de main de l’opposition appuyant l’UWP.

 

[57]           Comme le défendeur le souligne, la Cour a statué que la nécessité, pour la SPR, de faire référence aux rapports médicaux déposés en preuve dépendra de la qualité de cette preuve et de son importance au regard de la demande. Comme la SPR n’était pas convaincue que le demandeur avait été la cible des hommes de main de l’UWP en raison de son poste « enviable » au sein de la Dominica Seaport Authority, cette preuve n’était pas fondamentale pour sa demande. En fait, la preuve documentaire sur la Dominique, qui n’étayait pas la thèse du demandeur, était très pertinente. La SPR s’est appuyée avec raison sur cette preuve pour rejeter les affirmations du demandeur fondées sur des hypothèses, même si elle a jugé que le demandeur était digne de foi et crédible.

 

[58]           En ce qui concerne l’évaluation des risques visés à l’article 97, le juge Edmond Blanchard, de notre Cour, a traité en détail des éléments obligatoires de l’analyse relative à cette disposition aux paragraphes 41 et 42 de Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1211 :

Une revendication fondée sur l’article 97 doit être appréciée en tenant compte de toutes les considérations pertinentes ainsi que du comportement en matière de droits de la personne du pays concerné. Bien que la Commission doive évaluer objectivement la revendication du demandeur, il lui faut individualiser son analyse. J’estime cette interprétation conforme non seulement aux décisions du CCT des Nations Unies examinées précédemment, mais aussi au libellé même de l’alinéa 97(1)a) de la Loi, qui fait mention d’une personne qui « serait personnellement, par son renvoi [...] exposée [...] ». Il peut y avoir des cas où l’on conclut qu’un revendicateur du statut de réfugié, dont l’identité n’est pas contestée, n’est pas crédible pour ce qui est de la crainte subjective d’être persécuté, mais où les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger. Il s’ensuit qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité, quoique pouvant être déterminante quant à une revendication du statut de réfugié en vertu de l’article 96 de la Loi, ne le sera pas nécessairement quant à une revendication en vertu du paragraphe 97(1). Les éléments requis pour établir le bien‑fondé d’une revendication aux termes de l’article 97 diffèrent de ceux requis en regard de l’article 96, la crainte fondée de persécution pour un motif visé à la Convention devant être démontrée dans ce dernier cas. Bien que le fondement probatoire puisse être le même pour les deux revendications, il est essentiel que chacune d’elles soit considérée distincte. Une revendication fondée sur l’article 97 appelle l’application par la Commission d’un critère différent, ayant trait à la question de savoir si le renvoi du revendicateur peut ou non l’exposer personnellement aux risques et menaces mentionnés aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. On peut soutenir que la Commission pourrait également avoir à appliquer une norme de preuve différente, mais cette question devra être approfondie une autre fois, puisqu’on ne l’a pas fait valoir dans le cadre de la présente demande. La question de savoir si la Commission a valablement examiné les deux revendications doit être tranchée, en tenant compte des éléments différents qui sont requis pour démontrer le bien‑fondé de chacune, en fonction des faits d’espèce.

 

La Commission a conclu en l’espèce que le témoignage du demandeur était entaché d’importantes omissions, contradictions et invraisemblances, ce qui l’a amenée à conclure au manque de crédibilité de son récit. J’ai déjà statué qu’il y avait matière pour la Commission à tirer ces conclusions. Celle‑ci n’a pas prêté foi, spécifiquement et en énonçant des motifs détaillés, aux allégations du demandeur concernant son arrestation, sa détention et les actes de torture que des policiers lui auraient fait subir. Il appert, en outre, que la Commission a tenu compte de la situation régnant en Tunisie et qu’elle a examinée de façon particulière, dans ses motifs, la documentation sur le pays qui lui avait été présentée. Rien ne laisse penser que la Commission n’a pas tenu compte d’éléments de preuve dont elle disposait ni qu’elle a interprété erronément tout aspect de celle‑ci. Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n’y en avait pas d’autres dont celle‑ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a bien commis une erreur en omettant d’analyser spécifiquement la revendication fondée sur l’article 97. Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n’a pas d’effet déterminant sur l’issue de l’affaire. Je conclus qu’il y avait matière, eu égard à la preuve, pour la Commission de conclure que le demandeur n’était pas une « personne à protéger » aux termes des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[59]           Le juge Phelan, de notre Cour, a dit ce qui suit au paragraphe 13 de Balakumar, précitée :

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une séparation stricte entre l’examen des articles 96 et 97. Une conclusion selon laquelle l’élément objectif de l’article 96 n’a pas été satisfait pourrait, selon la situation, également régler la question de l’article 97. Cependant, une conclusion d’absence de l’élément subjectif requis à l’article 96 ne permet pas à la Commission d’omettre de tenir compte de l’élément objectif de crainte, particulièrement à l’égard de l’article 97. La façon dont l’examen est effectué ne devrait pas être établie par la Cour. Il importe seulement que l’examen soit effectué et qu’il paraisse l’avoir été. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[60]           Le demandeur dit que la SPR ne pouvait pas seulement, en ce qui concerne l’analyse relative à l’article 97, s’appuyer sur son analyse concernant l’article 96 et qu’elle aurait dû prendre en considération la preuve qui démontrait qu’il avait été attaqué et hospitalisé à maintes reprises. La SPR n’a pas estimé que cette preuve n’était pas digne de foi ou crédible. La documentation sur la Dominique n’établissait pas que les blessures du demandeur étaient le résultat de représailles politiques, mais les blessures lui ont tout de même été infligées et elles permettent de penser que sa vie serait menacée s’il devait retourner à la Dominique.

 

[61]           La SPR a rejeté la demande fondée sur l’article 96 parce qu’« aucun élément de preuve convaincant n’indique que des hommes de main de l’UWP cherchent activement à retrouver le demandeur d’asile ou complotent son assassinat advenant son éventuel retour au pays ».

 

[62]           Le défendeur fait valoir que la SPR fait simplement référence, au paragraphe 14 de la décision, à ses motifs concernant l’absence de preuve relative à la continuité du risque. Je pense que la réponse à cette prétention se trouve précisément au paragraphe 14 de la décision, où il est indiqué que les risques visés à l’article 97 sont le « risque d’être soumis à la torture, […] une menace à sa vie ou [le] risque de traitements ou peines cruels et inusités de la part d’hommes de main affiliés au parti de l’opposition, l’UWP, s’il devait retourner à la Dominique aujourd’hui ». Les incidents relatés par le demandeur et la preuve médicale (qui n’ont pas été mis en doute par la SPR) semblent indiquer que le demandeur a effectivement été ciblé et qu’on a tenté avec acharnement de le tuer. La SPR ne dit jamais pourquoi il ne convenait pas d’examiner ces facteurs sous le régime de l’article 97, outre l’affiliation politique, laquelle est pertinente seulement dans le cadre de son analyse relative à l’article 96.

 

[63]           La SPR ne peut pas s’appuyer sur ce raisonnement pour rejeter la demande fondée sur l’article 97 qui a été présentée par le demandeur parce qu’aucune motivation politique n’est exigée par cette disposition et qu’il n’est pas nécessaire d’établir un lien entre le risque et un motif prévu par la Convention qui est mentionné à l’article 96. Par conséquent, le même raisonnement ne peut pas être utilisé pour rejeter la demande du demandeur fondée sur l’article 97. En l’espèce, l’erreur aurait pu être très importante car le témoignage du demandeur et la preuve médicale ne sont pas mis en doute par la SPR. En conséquence, je pense que la décision devrait être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen en conformité avec les présents motifs.

 

[64]           Les avocates ont convenu que la présente affaire ne soulevait aucune question à certifier. La Cour est aussi de cet avis.

 


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée et renvoyée pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué de la SPR.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6845‑10

 

INTITULÉ :                                                   ERROL THEOPHILE

                                                                       

                                                                        et

                                                                       

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT  

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Erin Roth

 

POUR LE DEMANDEUR

Prathima Prashad

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bellissimo Law Group

(Ormston, Bellissimo, Rotenberg)

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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