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Date : 20110728

Dossier : IMM‑6924‑10

Référence : 2011 CF 956

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

SINGH, NAVJOT

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas a conclu que M. Singh ne réunissait pas le nombre minimal de points nécessaires pour immigrer au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Cette demande soulève une question très restreinte. Le demandeur devait obtenir 67 points, et on lui en a accordé 62. Or il a au Canada un proche parent, ce qui lui aurait valu cinq points de plus si la preuve produite à cet égard avait convaincu l’agente des visas.

 

[2]               Deux questions sont en litige :

a.       La décision est‑elle raisonnable?

b.      L’agente des visas aurait‑elle dû donner à M. Singh, en lui adressant une lettre d’équité, la possibilité de fournir les éléments d’appréciation manquants?

 

[3]               Notre point de départ est le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, qui définit diverses catégories de personnes pouvant demander le statut de résident permanent. Les travailleurs qualifiés appartiennent à la catégorie de l’immigration économique. Ils peuvent devenir résidents permanents sur la base de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, compte tenu de l’expérience accumulée dans au moins une des professions que recense la matrice de la Classification nationale des professions. L’article 76 du Règlement énumère les critères de sélection applicables, qui sont les études, la compétence dans les langues officielles du Canada, l’expérience, l’âge, l’exercice d’un emploi réservé et la capacité d’adaptation. Selon l’article 83, il peut être attribué pour la capacité d’adaptation un maximum de dix points, dont cinq en ce qui concerne la présence de membres de sa parenté au Canada. M. Singh a invoqué son lien familial avec la sœur de sa femme, résidente permanente canadienne qui habite actuellement au Canada.

 

[4]               Les instructions relatives aux demandes présentées au Haut‑Commissariat à New Delhi sont très complexes. Le consultant engagé par M. Singh a réussi à s’y conformer, sauf pour ce qui concerne la preuve du lien de parenté.

 

[5]               Le formulaire applicable exigeait les pièces suivantes dans les cas où le parent en question est résident permanent plutôt que citoyen canadien :

a.       preuve de parenté avec vos proches parents au Canada, comme des certificats de naissance, de mariage ou d’adoption;

b.      fiche relative au droit d’établissement, confirmation de résidence permanente ou carte de résident permanent;

c.       documents attestant que le proche parent en question réside au Canada, par exemple : avis de cotisation fiscale, notes de téléphone, factures de carte de crédit, documents d’emploi « et/ou » relevés bancaires.

 

[6]               Le demandeur a produit des pièces satisfaisantes en ce qui concerne les deuxième et troisième rubriques.

 

[7]               L’agente des visas a cependant rejeté sa demande au motif suivant :

[traduction] Le demandeur a produit la copie d’une carte de résidente permanente, d’une carte bancaire Visa, d’un permis de conduire de l’Ontario, d’une carte de la CBH et d’une fiche IMM 5617 établis au nom de Kuldeep Kaur Hayer, mais ces documents n’attestaient pas le lien de parenté parce qu’ils  ne portaient pas le nom du père ni de la mère de Mme Hayer. Or, la production de documents d’état civil portant les noms du père et/ou de la mère, tels que certificats de naissance et de mariage, est recommandée pour établir le lien de parenté. Bien que les documents présentés fassent foi du statut de Mme Hayer au Canada, ils n’établissent pas son lien de parenté avec votre conjointe; par conséquent, il ne vous est pas attribué de points au titre de la présence d’un parent au Canada.

 

[8]               Les formulaires signés par M. Singh et sa femme, qui devait l’accompagner, font mention de la sœur de cette dernière. La carte de résidente permanente de la sœur portait le numéro d’identité que lui a attribué Citoyenneté et Immigration Canada. Selon le consultant, c’était là le meilleur élément de preuve qui pouvait être produit en vue de comparer les données biographiques de M. Singh et de sa femme avec celles de la sœur de cette dernière.

 

[9]               Le consultant n’a pas été contre‑interrogé sur son affidavit, et sa déclaration n’a d’ailleurs pas été contestée. Si elle avait consulté les dossiers en question, l’agente des visas aurait constaté que M. Singh avait effectivement au Canada un parent remplissant les conditions requises et lui aurait attribué cinq points de plus.

 

[10]           Je dois cependant conclure, vu le fort volume de demandes visant à obtenir des visas, que l’agente n’était pas tenue de pousser la recherche plus loin, et qu’elle pouvait s’en tenir à l’examen de la demande de M. Singh. Faire une enquête plus poussée pour les centaines de milliers de demandes de visa de résident permanent qui sont présentées chaque année, sans compter les demandes de visa temporaire, exigerait une dépense de temps et d’énergie insoutenable.

 

Une lettre d’équité

 

[11]           Rien n’empêchait l’agente des visas d’écrire à M. Singh une lettre l’avisant que les documents produits n’établissaient pas son lien de parenté avec sa belle‑sœur. Il est même permis de croire qu’il aurait été approprié qu’elle le fasse. Cependant, elle n’y était pas légalement tenue.

 

[12]           Il y a des cas où l’agent des visas doit envoyer une lettre d’équité avant de rendre sa décision finale. Il peut par exemple arriver, s’agissant d’interdiction éventuelle de territoire pour motifs sanitaires, que l’agent se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques, auquel cas la justice naturelle l’oblige à donner au demandeur la possibilité de répondre. De même, l’agent peut avoir des doutes sur la crédibilité du demandeur, et doit alors lui offrir la possibilité de les dissiper. Voir Baybazarov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, [2010] A.C.F. no 930 (QL).

 

[13]           Le demandeur soutient que l’agente des visas a manqué à l’équité procédurale, plus précisément qu’elle aurait dû lui adresser une lettre d’équité pour lui faire part de ses doutes et lui offrir la possibilité de s’expliquer. À mon sens, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. L’avocat du ministre fait valoir qu’il y a deux décisions de principe récentes sur cette question même : la décision du juge Mainville (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283, [2009] A.C.F. no 1643 (QL); et la décision Luongo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 618, [2011] A.C.F. no 770, prononcée par la juge Gauthier. Les deux affaires portaient sur une demande de visa.

 

[14]           Je reprends ici à mon compte les observations formulées par la juge Gauthier au paragraphe 18 de Luongo, précitée :

Lorsque le demandeur présente une preuve insuffisante qui ne répond pas aux exigences mises de l’avant par le Règlement, l’agent n’a plus l’obligation de communiquer avec le demandeur. À cet égard, il suffit de référer à la décision du juge Robert Mainville (alors juge de la Cour fédérale) dans l’affaire Malik, précitée. Dans cette décision, le demandeur d’un visa de résidence permanente à titre de travailleur spécialisé avait déposé son propre affidavit pour établir qu’il avait un frère qui habitait au Canada, malgré le fait qu’il avait été averti par une lettre type, similaire à celle de l’espèce, que ce genre de preuve ne constituerait pas un élément de preuve satisfaisant et que l’agent ne demanderait pas d’autres documents pour appuyer sa demande. Le juge Mainville a noté en premier lieu que, quoique cette approche semble à première vue sévère envers les demandeurs de visa, « elle est nécessaire pour garantir l’efficacité administrative d’un système surchargé et donner un caractère définitif aux décisions portant sur les demandes de visas ». Il a ajouté au paragraphe 19 :

 

Faire montre d’équité envers tous les demandeurs de visa requiert de tous les demandeurs qu’ils se conforment aux directives qu’ils reçoivent se rapportant au genre et à la qualité des documents devant accompagner leurs demandes, garantissant ainsi un minimum d’efficacité et d’équité dans le système.

 

 

[15]           L’avocat de M. Singh fait remarquer, avec raison, que le libellé des formulaires en question dans Malik aussi bien que Luongo, précitées, diffère quelque peu de celui de la présente espèce, et il invoque également l’arrêt Choi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 763, 15 Imm. L.R. (2d) 265, où la Cour d’appel fédérale a posé en principe que l’équité exige qu’on fournisse tous les renseignements pertinents aux demandeurs de visa. Cependant, j’estime que, dans la présente espèce, M. Singh a reçu tous les renseignements pertinents. Malheureusement, son consultant a mal interprété certains de ces renseignements. Les formulaires applicables spécifiaient les conditions à remplir. Rien ne donne à penser qu’en l’espèce les exigences à satisfaire soient de quelque façon liées au contenu de formulaires en cause dans d’autres affaires.

 

[16]           Je me rends bien compte que la possibilité pour M. Singh d’immigrer ultérieurement au Canada se trouve peut‑être compromise. Il pourrait se passer beaucoup de temps avant qu’une nouvelle demande soit traitée, auquel cas il est à prévoir que le critère de l’âge jouera contre lui. Quant aux besoins de main‑d’œuvre, ils pourraient changer entre‑temps, en sa faveur ou à son détriment.

 

[17]           Même si, en l’absence de jurisprudence pertinente, j’avais été disposé à conclure différemment, il reste que les décisions Malik et Luongo, précitées, sont raisonnables, et que la courtoisie judiciaire exige que je les suive.

 

[18]           La juge Dawson expose dans Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 341, 324 F.T.R. 133, les conditions qui justifieraient le refus de suivre une décision antérieure du même tribunal :

[52]      Un juge de la Cour, par courtoisie judiciaire, doit suivre une décision antérieure rendue par un autre juge de la Cour, à moins qu’il ne soit convaincu que : a) des décisions subséquentes ont remis en question la validité de cette décision antérieure; b) la décision antérieure ne tenait pas compte d’un précédent faisant autorité ou d’une loi pertinente; c) la décision antérieure a été rendue sans délibéré, c’est‑à‑dire que le juge a rendu sa décision sans avoir le temps de consulter la jurisprudence. S’il se trouve en présence de l’une de ces circonstances, un juge peut s’écarter de la ligne établie par la décision antérieure, à la condition qu’il expose clairement ses motifs de ce faire et, dans une affaire d’immigration, qu’il permette à la Cour d’appel fédérale de clarifier le droit en certifiant une question. Voir Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590, à la page 591 (B.C.C.A.), et Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 152 (1re inst.).


 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑6924‑10

 

INTITULÉ :                                                   SINGH c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 juillet 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 28 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jean‑François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Gretchen Timmins

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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