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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110719

Dossier : IMM-3673-10

Référence : 2011 CF 902

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2011

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

GONG DAO YAO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision datée du 18 novembre 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur demande que la décision de la Commission soit infirmée et renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Gong Dao Yao (le demandeur) est citoyen de la République populaire de Chine (RPC). Il craint d’être persécuté parce qu’il est chrétien et membre allégué d’une église chrétienne clandestine en Chine.

 

[4]               Le demandeur prétend avoir été initié au christianisme par un ami en 2007 et avoir fréquenté une maison-église clandestine dans la province de Fujian. Il déclare qu’en août 2007, le Bureau de la sécurité publique (BSP) a fait une descente dans cette église. Il a pris la fuite, mais soutient avoir été poursuivi par le BSP et avoir quitté la Chine pour éviter d’être arrêté.

 

La décision de la Commission

 

[5]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas été crédible au sujet de son appartenance à une église clandestine et au sujet du fait qu’il était recherché par des agents du BSP.

 

[6]               La Commission a toutefois conclu que le demandeur est un vrai chrétien, compte tenu de ses connaissances sur le christianisme et de l’existence de preuves corroborantes, dont des photographies et son certificat de baptême. Cela étant, la Commission a évalué s’il y avait une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s’il retournait en Chine et pratiquait la religion chrétienne dans une église non inscrite.

 

[7]               La Commission a conclu que même s’il est vrai que des chrétiens sont persécutés en Chine, la preuve documentaire n’étaye pas la crainte subjective qu’éprouve le demandeur. Ce dernier a vécu et travaillé toute sa vie dans la province de Fujian et, d’après la preuve, dans cette province les chrétiens [traduction] « bénéficient de l’une des politiques les plus libérales qui soient en matière de liberté religieuse en Chine ».

 

[8]               La Commission a passé en revue les éléments de preuve et conclu qu’il n’existait aucune preuve récente d’arrestations de chrétiens dans la province de Fujian.

 

[9]               La Commission a fait remarquer que des maisons-églises ont été détruites dans la province de Fujian, mais elle a accordé peu de poids à cette preuve en raison d’un manque de détails.

 

[10]           La Commission a conclu que les groupes religieux non inscrits continuent de prendre de l’ampleur et n’agissent plus dans le plus strict secret. De nombreux groupes mènent des activités publiques et accomplissent des travaux de nature sociale. Elle a également conclu que les groupes de prière et d’étude de la bible créés entre amis n’ont pas besoin d’être inscrits, que les maisons‑églises couraient plus de risques d’avoir des problèmes si le nombre de leurs membres augmentait et si elles nouaient des liens avec d’autres groupes ou d’autres organisations étrangères, et qu’il n’y avait aucune preuve que c’était ce que faisait le groupe du demandeur.

 

Les questions en litige

 

[11]           La seule question que le demandeur a soulevée est la suivante :

            La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur pourrait exercer sa foi chrétienne, que, comme elle l’a jugé, le demandeur possédait véritablement, est-elle raisonnable?

 

[12]           Cela étant, les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         Était-il raisonnable que la Commission conclue que le demandeur pouvait pratiquer la religion chrétienne dans la province de Fujian (Chine)?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[13]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il pouvait pratiquer la religion chrétienne dans la province de Fujian sans être persécuté. Selon la propre réponse aux demandes d’information (RDI) de la Commission, des maisons-églises ont été détruites dans la province de Fujian et la Cour a conclu, dans la décision Dong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 575, que les mesures autres qu’une arrestation peuvent être des actes de persécution, et la destruction de lieux de culte en fait partie.

 

[14]           Le demandeur soutient qu’il y avait une preuve plus convaincante du fait que la tenue d’assemblées religieuses dans des lieux non inscrits menait à des cas de détention et d’abus et que la police et les autorités locales perturbaient les assemblées tenues dans les maisons-églises en prétextant que les fidèles appartenaient à des sectes.

 

[15]           La Commission a conclu que la situation qui règne dans la province de Fujian ne reflète pas ce qui se passe dans d’autres provinces. Le demandeur soutient toutefois que rien dans la preuve n’indique que l’on ne réprime pas les chrétiens dans la province de Fujian ou que les chrétiens peuvent pratiquer leur religion sans s’exposer à plus qu’une possibilité sérieuse d’être persécuté parce qu’ils le font. Cette conclusion était donc déraisonnable.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[16]           Le défendeur signale que la Commission a conclu que le demandeur n’était pas digne de foi, relativement au fait d’avoir fréquenté une église clandestine dans laquelle la police avait fait une descente et d’être recherché par le BSP pour activités religieuses illégales.

 

[17]           Le défendeur soutient que la Commission a pris en considération la preuve objective et a jugé que le demandeur était capable de pratiquer librement sa religion dans la province de Fujian. Il s’agissait là d’une évaluation raisonnable. La Cour a confirmé plusieurs décisions dans lesquelles la Commission a conclu, en se basant sur la preuve documentaire, que les chrétiens sont libres de pratiquer leur religion dans la province de Fujian.

 

[18]           La Commission a pris en considération et évalué la preuve relative à la destruction des maisons-églises, mais elle y a accordé peu de poids à cause d’un manque de détails sur le mobile de cette destruction. La Commission a la prérogative de privilégier certains éléments de preuve par rapport à d’autres, et il n’appartient pas à la Cour d’évaluer à nouveau la preuve documentaire.

 

[19]           Au dire du défendeur, la Commission a conclu qu’il ressortait de la preuve documentaire que, dans la province de Fujian, la situation est meilleure que dans le reste du pays. Elle a pris en considération des éléments de preuve allant au-delà des arrestations, dont l’expansion de la liberté religieuse et des groupes chrétiens.

 

Analyse et décision

 

[20]           La question no 1

            Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            La question qui se pose ici a trait à l’évaluation que la Commission a faite de la preuve et l’importance qu’il convient d’y accorder. Il s’agit là de questions de fait qui relèvent de l’expertise de la Commission et qui sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339).

 

[21]           La question no 2

            Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur pouvait pratiquer la religion chrétienne dans la province de Fujian (Chine)?

 

            La Commission n’a pas accepté que le demandeur avait fait partie d’un groupe clandestin et qu’il avait ensuite été pris pour cible par le BSP, mais elle a admis qu’il est un vrai chrétien.

 

[22]           La Commission a pris en considération la preuve documentaire relative aux chrétiens vivant dans la province de Fujian. Elle a conclu avec raison que les chrétiens peuvent pratiquer leur religion de manière relativement libre dans cette province, comparativement au reste de la Chine. Cette conclusion de la Commission était fondée sur la preuve qu’elle avait en main :

-         les rapports indiquant que, dans la province de Fujian, les chrétiens [traduction] « bénéficient de l’une des politiques les plus libérales qui soient en matière de liberté religieuse en Chine »;

-         le manque de preuves d’arrestation de chrétiens dans la province de Fujian au cours des dernières années;

-         la preuve générale que les groupes religieux non inscrits continuent de prendre de l’expansion et n’agissent pas dans le secret le plus strict.

 

[23]           La Cour a conclu à maintes occasions que la conclusion de la Commission selon laquelle les chrétiens peuvent pratiquer librement leur religion dans la province de Fujian est raisonnable.

 

[24]           Par exemple, dans la décision Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 222, au paragraphe 29, le juge François Lemieux a rejeté une demande de contrôle concernant un demandeur d’asile de la province de Fujian en disant que « la preuve documentaire indique qu’il y a peu de problèmes là où le demandeur vit et que, de façon générale, les gens y pratiquent leur foi librement et que les personnes susceptibles d’être indûment touchées ne correspondent pas à son profil » (voir aussi Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310 et Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1102).

[25]           Le demandeur conteste également la façon dont la Commission a traité la RDI, CHN102492.E, où l’on peut lire ce qui suit : [traduction] « [d]es sources ont aussi signalé la destruction de maisons-églises dans les provinces de Jilin et de Fujian […] ».

 

[26]           La Commission a pris acte de cette preuve, mais elle y a accordé peu de poids en tant que preuve de persécution parce que :

[…] aucun renseignement concernant les motifs de la destruction n’a été fourni dans le document et […] la destruction aurait pu avoir été causée pour des raisons autres que celle de la persécution religieuse.

 

[27]           Je souscris à l’observation du demandeur selon laquelle, dans la décision Dong susmentionnée, le juge Sean Harrington a conclu au paragraphe 17 que la Commission avait commis une erreur en concluant que [traduction] « […] une pratiquante n’est pas victime de persécution si seul son lieu de culte est détruit, et qu’elle n’est pas arrêtée ». Je conviens avec le juge Harrington que des mesures autres qu’une arrestation peuvent être assimilables à de la persécution fondée sur des croyances religieuses. Cependant, la manière dont la Commission a traité la preuve documentaire dans la présente affaire n’est pas la même que dans la décision Dong susmentionnée. En l’espèce, la Commission a plutôt conclu que les détails inclus dans la preuve documentaire sur la destruction des maisons-églises n’étaient pas suffisants pour servir de fondement à la demande d’asile.

 

[28]           L’évaluation de la preuve relève de la prérogative de la Commission, et il n’incombe pas à la Cour de réévaluer la preuve (voir Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358). 

 

[29]           Je conclus que l’évaluation que la Commission a faite de la preuve et les conclusions fondées sur cette dernière appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, conformément à la norme de la raisonnabilité qui est énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

 

[30]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[31]           Aucune des deux parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale à certifier.

 


JUGEMENT

 

[32]           IL EST ORDONNÉ que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


ANNEXE

 

Les dispositions légales applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3673-10

 

INTITULÉ :                                       GONG DAO YAO

 

                                                            - ET -

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 19 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nur Muhammed-Ally

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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