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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110721


Dossier : T-432-09

Référence : 2011 CF 914

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

SIMON KWOK CHEUNG CHOW

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant une décision datée du 23 janvier 2009, par laquelle le sous-commissaire principal (le SCP) du Service correctionnel du Canada (le SCC) a rejeté, au troisième palier, un grief que le demandeur avait déposé en rapport avec une décision de procéder à son transfèrement non sollicité de l’Établissement Kent à l’Établissement Edmonton.

 

 

I. Le contexte

 

[2]               Le demandeur, né le 27 juillet 1964, purge à l’heure actuelle une peine à perpétuité pour meurtre au premier degré.

 

[3]               En janvier 2008, il a été transféré de l’Établissement de Matsqui, situé à Abbotsford, en Colombie‑Britannique, à l’Établissement Kent, situé à Agassiz, en Colombie‑Britannique. À son arrivée à ce dernier établissement, le demandeur a été placé en isolement préventif, parce qu’on avait déterminé que trois détenus de cet établissement étaient [traduction] « incompatibles » avec lui.

 

[4]               En mars 2008, le demandeur a déposé un grief à l’encontre de la décision, prise par le comité de réexamen des cas d’isolement, de maintenir son isolement. Il a fait valoir qu’il devait être informé de l’identité des détenus incompatibles de façon à ce qu’il puisse tenter de se réconcilier avec eux.

 

[5]               Le 15 avril 2008, dans une Évaluation en vue d’une décision, l’agent de libération conditionnelle du demandeur a recommandé que ce dernier soit transféré de l’Établissement Kent à l’Établissement Edmonton afin de lui procurer un [traduction] « milieu sûr ». Cet agent a indiqué que le Service du renseignement de sécurité et l’équipe de gestion des cas du demandeur avaient tous deux convenu que ce dernier ne pouvait pas être intégré à la population carcérale générale de l’Établissement Kent à cause de problèmes impossibles à régler avec des personnes incompatibles. L’agent de libération conditionnelle a de plus fait remarquer que le demandeur, même s’il le niait, était néanmoins considéré comme un membre haut placé du gang des « Big Circle Boys ».

 

[6]               Un Avis de recommandation d’un transfèrement non sollicité a été remis au demandeur le 21 avril 2008. Cet avis expliquait qu’étant donné que ses problèmes d’incompatibilité ne pouvaient pas être réglés par voie de médiation, s’il restait à l’Établissement Kent, il allait devoir demeurer en isolement pendant une longue période. L’avis indiquait ensuite qu’étant donné que le SCC était mandaté pour alléger le plus tôt possible le placement en isolement du demandeur, les autorités recommandaient de procéder à un transfèrement interrégional non sollicité à l’Établissement Edmonton, l’établissement à sécurité maximale le plus proche.

 

[7]               Le 25 juillet 2008, le demandeur a eu une occasion de présenter en réfutation des observations écrites et orales. Dans ses observations écrites, il a fait valoir que, malgré ses nombreuses demandes, on ne lui avait pas communiqué l’identité des détenus que l’on considérait comme incompatibles avec lui à l’Établissement Kent. Il a fait remarquer qu’une pétition auprès de tous les détenus faisant partie de l’Unité 1 de l’établissement avait révélé qu’aucun de ces derniers ne le considérait comme incompatible. Dans ses observations orales, il a fait valoir qu’un transfèrement à l’Établissement Edmonton ne serait pas au mieux de ses intérêts, car cette mesure le tiendrait fort éloigné de sa famille, dont ses enfants. Cette mesure serait également peu sûre, a-t-il ajouté, car il ne serait pas [traduction] « connu » de la population carcérale de l’Établissement Edmonton et que, de ce fait, il serait plus vulnérable.

 

[8]               Dans une note au dossier datée du 25 juillet 2008, des agents de l’Établissement Kent ont indiqué que les observations du demandeur renforçaient leur [traduction] « conviction que ses associations avec un gang font partie inhérente de ses problèmes d’incompatibilité à l’Établissement Kent ». Ils ont considéré comme suspect qu’il fasse référence à la pétition.

 

[9]               Par une lettre datée du 27 août 2008, le demandeur a écrit aux responsables du SCC pour les informer qu’il avait déterminé, au moyen de diverses sources, quels trois détenus à l’Établissement Kent étaient censément incompatibles avec lui. Il en a nommé trois et a fait remarquer que l’un deux avait fourni une lettre indiquant qu’il n’y avait aucun problème d’incompatibilité, et que les deux autres étaient en voie de fournir des déclarations semblables.

 

[10]           Le 1er octobre 2008, avec l’accord du Comité des transfèrements de la région des Prairies, des agents du Groupe des programmes et de la réinsertion du SCC ont rendu une décision définitive approuvant le transfèrement non sollicité du demandeur entre l’Établissement Kent et l’Établissement Edmonton afin d’assurer à ce dernier un « milieu sûr ».

 

[11]           Le 20 octobre 2008, le demandeur a rempli un formulaire de grief au troisième palier, portant en appel la décision du 1er octobre. Il a fait valoir qu’on ne lui avait pas fourni suffisamment de renseignements et que, à cause de cela, on l’avait privé de la possibilité de préparer une réponse appropriée. En particulier, il a soutenu que, même s’il en avait fait la demande à de multiples reprises, on ne lui avait jamais fourni de détails sur la nature ou l’identité des personnes incompatibles. Il a aussi soutenu que les agents du SCC avaient manqué à leur obligation de tenter de régler par voie de médiation les différences existant supposément entre lui et les détenus censément incompatibles.

 

[12]           Le 4 décembre 2008, le demandeur a été transféré à l’Établissement Edmonton, où il réside actuellement.

 

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[13]           Par la voie d’un formulaire de réponse au grief d’un détenu, daté du 23 janvier 2009, le SCP a rejeté le grief au troisième palier du demandeur.

 

[14]           Le SCP a félicité le demandeur pour avoir tenté de trouver un mode amiable de règlement des litiges, mais il a indiqué que le SCC avait pour politique de ne pas communiquer les noms des cas d’incompatibilité. Il a expliqué que, par souci de préserver la vie privée d’un détenu, il est possible que certains renseignements soient retenus avec raison. Le SCP a souligné que l’on avait néanmoins fourni au demandeur assez de détails pour qu’il puisse répondre valablement au transfèrement proposé et que, en fait, il l’avait fait.

 

[15]           Le SCP a fait remarquer que la recherche d’un transfèrement interrégional était un moyen approprié de sortir le demandeur de son isolement préventif.

 

[16]           Enfin, le SCP a déclaré que, bien que le demandeur ait dit qu’il n’était plus mêlé à des activités liées à des gangs, cette prétention avait été contredite dans les documents relatifs à son transfèrement.

 

 

III. Les questions en litige

 

[17]           Les questions à prendre en considération dans la présente demande sont les suivantes :

a)      Le demandeur a-t-il le droit de se fonder sur des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au SCP?

b)      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

c)      Le SCP a-t-il porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale?

d)      Le SCP a-t-il commis une erreur en décidant de rejeter le grief du demandeur?

 

IV. Analyse

 

a)      Le demandeur a-t-il le droit de se fonder sur des éléments de preuve qui n’ont pas été soumis au SCP?

 

[18]           L’avocate du défendeur conteste le fait que le demandeur se soit fondé sur un certain nombre de documents qui, soutient-elle, n’ont pas été soumis au SCP. La majorité des documents en question étaient joints en tant que pièces à l’affidavit du demandeur, souscrit le 18 février 2010; ces documents sont les suivants :

·        pièces A, B, C, D : quatre courriels entre des agents du SCC;

·        pièce E : un formulaire de demande de détenu, rempli par le demandeur en avril 2008;

·        pièce F : une lettre d’un détenu datée du 22 novembre 2008;

·        pièces G, H, I : un échange de lettres entre le demandeur et un enquêteur de l’Enquêteur correctionnel du Canada.

 

[19]           En général, au stade du contrôle judiciaire, un tribunal de contrôle rend sa décision en se fondant sur les documents dont disposait le décideur. Cela s’explique par le fait que le contrôle judiciaire a pour but de déterminer si le décideur ou le tribunal administratif a commis une erreur susceptible de contrôle dans la façon dont il a traité l’affaire. Des éléments de preuve additionnels ne seront pertinents à cet égard que s’ils sont liés à un manquement allégué à l’équité procédurale ou à une allégation d’erreur de compétence (Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, au paragraphe 30, [2003] 1 C.F. 331; Nametco Holdings Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 149, au paragraphe 2, 113 A.C.W.S. (3d) 927).

 

[20]           Les éléments de preuve en question ne figurent pas dans le dossier certifié que le SCC a fourni en janvier 2010 et, cela étant, le SCP ne les avait pas en main quand il a rendu sa décision. À cet égard, il convient de signaler que le demandeur n’a rien à redire au sujet de l’intégralité du dossier certifié. Le demandeur soulève bel et bien une question d’équité procédurale – si le SCP a omis de lui fournir des renseignements suffisants – mais, en examinant les éléments de preuve en question, je ne vois pas en quoi ils sont pertinents à l’égard de la présente question. Comme aucun des éléments de preuve en cause n’est pertinent à l’égard d’une question de compétence ou de procédure, et étant donné que le SCP ne disposait d’aucun de ces éléments quand il a rendu sa décision, je conclus que les éléments de preuve additionnels que le demandeur a fournis ne sont pas pertinents pour les besoins du présent contrôle judiciaire; cela étant, ils ne seront pas pris davantage en compte.

 

b)      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

 

[21]           Lorsqu’on contrôle une décision relative au grief d’un détenu, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions de droit et d’équité procédurale (McDougall c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 184, au paragraphe 24 (McDougall); Sweet c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 51, aux paragraphes 15 et 16, 332 N.R. 87). Dans ce contexte, pour ce qui est de la première question litigieuse principale, soit le fait de savoir si le SCP a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur, la Cour contrôlera la décision en fonction de la norme de la décision correcte, qui n’appelle aucune retenue (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)).

 

[22]           La question restante, qui est une question mixte de faits et de droit, sera contrôlée par rapport à la norme de la raisonnabilité (arrêt McDougall, précité, au paragraphe 24). Pour cette question, la Cour vérifiera la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, de même que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

c)      Le SCP a-t-il porté atteinte au droit à l’équité procédurale du demandeur?

 

[23]           Le principal argument du demandeur au sujet de l’équité procédurale est que le SCP a omis de fournir suffisamment de renseignements sur la décision de procéder à son transfèrement à l’Établissement Edmonton. À cause de cela, soutient-il, il lui a été impossible de préparer convenablement et de déposer un grief à propos de la décision de transfèrement.

 

[24]           En particulier, le demandeur se plaint qu’on ne lui a pas communiqué les noms des cas d’incompatibilité allégués et que, à cause de cela, il lui a été impossible de réfuter les préoccupations du SCP en matière de sécurité à cet égard ou d’en traiter. Il allègue que le paragraphe 27(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C.1992, ch. 20 (la LSCMLC) exigeait que le SCP lui fournisse « tous les renseignements entrant en ligne de compte dans [la décision] » en rapport avec le grief au troisième palier. Il soutient que le SCP a manqué à cette obligation.

 

[25]           Effectivement, la Cour suprême du Canada a indiqué, dans l’arrêt May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, au paragraphe 95, [2005] 3 R.C.S. 809, que le paragraphe 27(1) de la LSCMLC « impose au SCC une lourde obligation de communication ». Le paragraphe 27(1) indique que, lorsqu’un délinquant a le droit de présenter des observations, il faut lui communiquer tous les renseignements entrant en ligne de compte dans la décision, ou un sommaire de ceux-ci :

Communication de renseignements au délinquant

 

27. (1) Sous réserve du paragraphe (3), la personne ou l’organisme chargé de rendre, au nom du Service, une décision au sujet d’un délinquant doit, lorsque celui-ci a le droit en vertu de la présente partie ou des règlements de présenter des observations, lui communiquer, dans un délai raisonnable avant la prise de décision, tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ceux-ci.

Information to be given to offenders

 

27. (1) Where an offender is entitled by this Part or the regulations to make representations in relation to a decision to be taken by the Service about the offender, the person or body that is to take the decision shall, subject to subsection (3), give the offender, a reasonable period before the decision is to be taken, all the information to be considered in the taking of the decision or a summary of that information.

 

 

[26]           Cependant, le paragraphe 27(1) est expressément assujetti au paragraphe 27(3), où est énoncée une exception. Ce paragraphe indique que, sauf dans le cas d’une infraction disciplinaire, le commissaire, s’il a des motifs raisonnables de croire que la communication de renseignements mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête, peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire, le refus de communiquer des renseignements :

Exception

 

27. (3) Sauf dans le cas des infractions disciplinaires, le commissaire peut autoriser, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, le refus de communiquer des renseignements au délinquant s’il a des motifs raisonnables de croire que cette communication mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite.

Exceptions

 

27. (3) Except in relation to decisions on disciplinary offences, where the Commissioner has reasonable grounds to believe that disclosure of information under subsection (1) or (2) would jeopardize

 

(a) the safety of any person,

 

(b) the security of a penitentiary, or

 

(c) the conduct of any lawful investigation,

the Commissioner may authorize the withholding from the offender of as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a), (b) or (c).

 

[27]           Le SCP a justifié la non-communication des cas d’incompatibilité du demandeur en disant que le SCC avait pour politique de ne pas communiquer les noms de tels cas. Le SPC a expliqué que [traduction] « dans des circonstances particulières, comme la protection de la vie privée d’une autre personne, il est possible que des renseignements précis ne soient pas communiqués ».

 

[28]           Je conviens avec le SCP que, dans les circonstances de l’espèce, il n’était pas obligatoire de communiquer l’identité des cas d’incompatibilité du demandeur. Le paragraphe 27(3) de la LSCMLC autorise à ne pas communiquer de détails qui mettrait en danger la sécurité d’une personne ou celle d’un pénitencier. Il n’est pas difficile d’envisager un scénario dans lequel la sécurité des détenus dits « incompatibles », voire la sécurité du pénitencier de façon plus générale, serait mise en péril par la communication de ce genre d’informations identitaires. Cela est surtout le cas lorsque, comme ici, des agents ont affaire à un détenu qui, croit-on, est un membre de haut rang d’un gang dont [traduction] « les associations à un gang font partie inhérente de ses problèmes d’incompatibilité ».

 

[29]           Il faut aussi garder à l’esprit que les décisions prises en fonction de la meilleure gestion de l’établissement n’exigent pas le même degré de divulgation que les décisions à caractère disciplinaire (Blass c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 220, au paragraphe 20, 306 N.R. 182). Le juge Louis Marceau, dans l’arrêt Gallant c. Canada (Sous-commissaire, Service correctionnel du Canada), [1989] 3 C.F. 329, au paragraphe 28, 92 N.R. 292 (C.A.F.), a expliqué la raison d’être de cette distinction :

 

[…] il ne faut pas traiter de la même façon toutes les décisions administratives portant sur les détenus en milieu carcéral, qu’elles soient rendues par la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière de révocation de libération conditionnelle ou par les comités de discipline à la suite d’infractions pénales pouvant entraîner différentes peines, jusqu’à la ségrégation, ou par les autorités carcérales approuvant, comme en l’espèce, le transfèrement des détenus d’un établissement à un autre pour des motifs d’ordre administratif et de sécurité. Ces décisions sont non seulement différentes en ce qui a trait aux droits, privilèges ou intérêts personnels visés, ce qui peut entraîner différentes normes en matière de garanties procédurales, mais également, et c’est encore plus important, quant à leurs objectifs et à leur raison d’être, ce qui ne peut qu’influer sur le genre de renseignements que le détenu doit connaître afin que sa participation au processus décisionnel ait une portée réelle. Dans le cas d’une décision visant à imposer une sanction ou une punition à la suite d’une infraction, les règles d’équité exigent que la personne accusée dispose de tous les détails connus de l’infraction. Il n’en est pas de même dans le cas d’une décision de transfèrement rendue pour le bon fonctionnement de l’établissement […]

 

[30]           La décision de procéder au transfèrement du demandeur à l’Établissement Edmonton a été prise après que l’on a jugé que le fait de l’intégrer à la population carcérale générale de l’Établissement Kent poserait un risque pour sa sécurité. Les objectifs motivant cette décision étaient donc doubles : 1) faciliter la levée de son isolement, et 2) garantir la sécurité du demandeur. Ce genre de décision n’appelle pas le même degré de communication ou de divulgation qu’une décision de nature disciplinaire.

 

[31]           En fin de compte, la question centrale qui doit être tranchée consiste à savoir si l’on a communiqué au demandeur suffisamment de renseignements pour lui permettre de participer d’une manière significative au processus devant décider de l’opportunité d’opérer son transfèrement et de s’y opposer (Canada (Procureur général) c. Boucher, 2005 CAF 77, au paragraphe 28, 347 N.R. 88). Le demandeur a obtenu l’Avis de recommandation d’un transfèrement non sollicité ainsi que l’Évaluation en vue d’une décision, deux documents qui énonçaient sous forme sommaire les motifs de la décision de transfèrement. On a informé le demandeur qu’il y avait trois cas d’incompatibilité au sein de la population générale de l’Établissement Kent, que le Service du renseignement de sécurité et son équipe de gestion des cas étaient d’avis que les problèmes posés par les cas d’incompatibilité ne pouvaient pas être réglés par la voie d’une médiation, qu’il ne pouvait pas être placé en isolement pendant une longue période, parce que cela nuirait à sa réinsertion fructueuse et à sa participation à son plan correctionnel, et qu’un transfèrement était la seule option disponible pour sortir le demandeur de son isolement.

 

[32]           Je suis d’avis que les renseignements qui ont été communiqués au demandeur étaient suffisants pour lui permettre de participer de façon significative au processus consistant à déterminer s’il fallait procéder à son transfèrement ou non. Le demandeur a pu présenter des observations sur les questions suivantes : les solutions de rechange possibles à son transfèrement, sa disposition à régler les problèmes par voie de médiation, les préoccupations possibles en matière de sécurité concernant l’Établissement Edmonton, de même que ses propres préoccupations quant au fait d’être éloigné de sa famille. La communication n’est peut-être pas allée jusqu’à révéler l’identité des cas d’incompatibilité du demandeur, mais je suis néanmoins convaincue que le SCP a satisfait aux obligations en matière d’équité procédurale à cet égard.

 

[33]           Le demandeur soutient également qu’il y a eu manquement à ses droits procéduraux, parce que le SCC a omis de passer en revue les renseignements dans les 24 heures précédant son transfèrement.

 

[34]           Selon le paragraphe 35 de la Directive du commissaire no 710-2, intitulée « Transfèrement de délinquants » (DC710-2), le directeur de l’établissement de départ doit s’assurer que, dans les 24 heures précédant le transfèrement, les établissements de départ et d’accueil ont communiqué entre eux pour confirmer l’absence de nouveaux renseignements sur le risque et les besoins, qui modifieraient la viabilité du transfèrement.

 

[35]           Le demandeur soutient que [traduction] « il n’y a dans le dossier aucune preuve que cette communication obligatoire a eu lieu ». Il est vrai que rien dans le dossier certifié ne montre que la communication requise entre l’Établissement Kent et l’Établissement Edmonton a eu lieu, mais cela ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé. Le dossier certifié ne contient que les documents dont le SCP disposait lorsqu’il a rendu sa décision. Il est tout à fait concevable qu’une confirmation reçue le 3 décembre 2008 et indiquant qu’il n’y avait pas de nouveaux renseignements ayant une incidence sur le transfèrement du demandeur à l’Établissement Edmonton ne justifierait pas son inclusion dans le dossier certifié.

 

d)      Le SCP a-t-il commis une erreur en décidant de rejeter le grief du demandeur?

 

[36]           Le demandeur soutient que la décision de rejeter son grief au troisième palier était déraisonnable.

 

[37]           Le demandeur est d’avis que le SCP a omis de prendre en considération certains éléments de preuve démontrant qu’il n’avait pas de cas d’incompatibilité à l’Établissement Kent. Il ajoute qu’il avait finalement identifié les trois détenus qui, à l’Établissement Kent, étaient censés être des personnes incompatibles. Il a indiqué dans ses communications avec des agents du SCC, en juillet et en août 2008, qu’aucune de ces trois personnes n’était, en réalité, des sujets de préoccupation légitimes. L’un de ces individus avait été libéré de l’Établissement Kent en juin 2008, et les deux autres avaient fourni une confirmation écrite qu’il n’y avait, en fait, aucun problème d’incompatibilité.

 

[38]           Cependant, rien dans le dossier ne corrobore que les trois détenus nommés par le demandeur étaient en fait les trois même qui, selon le SCC, étaient incompatibles. Étant donné qu’il aurait été irrégulier de la part du SCC de communiquer au demandeur l’identité des détenus en question, il n’est pas surprenant que le SCP n’ait pas fait de commentaires sur les individus précis que le demandeur a nommés.

 

[39]           Selon le dossier soumis au SCP, le Service du renseignement de sécurité et l’équipe de gestion des cas du demandeur étaient d’avis qu’il existait bel et bien des cas d’incompatibilité au sein de la population carcérale de l’Établissement Kent. En fait, il ressort du dossier qu’un agent du renseignement de sécurité a confirmé en janvier 2009 (juste avant que le SCP rende sa décision) qu’il y avait un problème avec des personnes incompatibles et que le demandeur [traduction] « ne pouvait pas être géré au sein de la population générale de l’Unité 1 ». Même s’il est vrai que le dossier fait mention d’une pétition qu’ont signée tous les détenus de l’Unité 1 de l’Établissement Kent, cette référence a été considérée par les agents comme [traduction] « suspecte », comme l’indique une note de service versée dans le dossier du demandeur.

 

[40]           Le demandeur aurait peut-être préféré que le SCP accorde plus de poids à ses observations sur la question des cas d’incompatibilité. Cependant, étant donné que le SCP se fondait sur des renseignements émanant de multiples sources fiables, je ne puis juger que sa conclusion, à savoir que le demandeur avait bel et bien des personnes incompatibles à l’Établissement Kent, n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Elle n’était pas déraisonnable.

 

[41]           De plus, le demandeur soutient que le SCP a omis de prendre entièrement en compte l’effet négatif que le transfèrement non sollicité aurait sur lui. Il ajoute que cette mesure l’a aliéné de son système de soutien – ses jeunes enfants et sa conjointe de fait – car ceux-ci vivent beaucoup trop loin pour pouvoir lui rendre visite à Edmonton.

 

[42]           Le SCP a indiqué que les observations du demandeur à cet égard avaient été prises en considération dans le cadre du processus décisionnel, conformément à la directive CD 710-2. Dans une note de service versée dans le dossier du demandeur et datée du 25 juillet 2008, un agent du SCC fait état des préoccupations du demandeur :

[traduction]

Il a aussi évoqué la question de la proximité de sa famille. Il a indiqué que sa mère âgée ne serait pas en mesure de faire le voyage jusqu’à Edmonton et que sa petite amie aurait de la difficulté à voyager avec ses deux jeunes enfants.

 

L’agent a toutefois conclu qu’étant donné que l’on avait pris en considération toutes les options disponibles pour sortir le demandeur se son isolement à long terme, son transfèrement à l’Établissement Edmonton était la meilleure option qui restait si l’on voulait répondre à l’obligation de replacer le demandeur « le plus tôt possible parmi les autres détenus […] », comme il est indiqué au paragraphe 31(2) de la LSCMLC. Cette conclusion a par la suite été entérinée par un autre agent du SCC, dans une note de service versée au dossier et datée du 18 septembre 2008.

 

[43]           Certes, le SCP a brièvement traité des préoccupations du demandeur à cet égard. Cependant, il est néanmoins évident qu’il était satisfait de l’examen qu’avait fait le personnel de l’Établissement Kent et du bureau régional des Prairies. Je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable que le SCP conclue, vu l’obligation de sortir le demandeur de l’isolement préventif, et vu la présence des personnes incompatibles à l’Établissement Kent, que le transfèrement non sollicité à l’Établissement Edmonton, l’établissement à sécurité maximale le plus proche, était justifié..

 

[44]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

                                              

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-432-09

 

INTITULÉ :                                       SIMON KWOK CHEUNG CHOW c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 7 JUILLET 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 21 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Milan Uzelac

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Susanne Pereira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Uzelac Milan Law Offices

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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