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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110718


Dossier : T-1485-10

Référence : 2011 CF 893

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 18 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

FRASER SEA FOOD CORP.

 

demanderesse

 

et

 

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Fraser Sea Food Corp., une société du Massachusetts, est - ou était, pour dire les choses plus correctement – la propriétaire inscrite de la marque de commerce canadienne Seafood Temptations pour emploi en liaison avec divers fruits de mer et mets préparés congelés et non congelés. L’enregistrement a été radié par le registraire des marques de commerce le 29 juin 2009 [traduction] « pour cause de non-production des éléments de preuve requis », conformément au paragraphe 45(4) de la Loi sur les marques de commerce. Il s’agit d’un appel de cette ordonnance. Même si l’appel n’a pas été interjeté dans le délai prévu par la loi, la Cour a accordé une prorogation dans le cadre du dossier no 10-T-18.

 

[2]               L’appel a été interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce. Le paragraphe 5 de cet article prévoit qu’« il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi ». En l’espèce, de nouveaux éléments de preuve ont été déposés. Si ces éléments auraient eu un effet marqué sur la conclusion du registraire, la Cour se doit d’examiner la question à nouveau sans devoir faire preuve de déférence à l’endroit du registraire ou relever un erreur susceptible d’avoir été commise (Maison Cousin (1980) Inc. c. Cousins Submarines Inc., 2006 CAF 409, 60 C.P.R. (4th) 369; John Labatt Limited et al c. Brasseries Molson, une société de personnes (2000), 5 CPR (4th) 180 et Shell Canada Limitée c. P.T. Sari Incofood Corporation, 2008 CAF 279).

 

La preuve soumise au registraire

[3]               L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce permet à une personne qui verse les droits prescrits de demander au registraire de donner au propriétaire inscrit d’une marque de commerce un avis lui enjoignant de fournir, dans un délai de trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois années précédentes ou, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Le registraire a donné l’avis en question le 13 mai 2008.

 

[4]               Le texte du paragraphe 45(2) est le suivant :

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

 

 

 

[5]               La demanderesse a présenté des observations, mais sans fournir d’affidavit ou de déclaration solennelle dans le délai prescrit. La marque de commerce, TMA 509 174, enregistrée le 12 mars 1999, a donc été radiée.

 

[6]               La demanderesse a donné des exemples d’emballages sur lesquels sa marque de commerce Seafood Temptations était affichée, de même qu’une facture concernant une vente unique. Cette vente n’avait pas eu lieu dans le délai requis du 13 mai 2005 au 13 mai 2008, mais plutôt par la suite. C’est donc dire que, à part le manque de forme, la preuve était inutile.

 

Une question de moment

[7]               Les nouveaux éléments de preuve qui ont été soumis à la Cour doivent être considérés dans leur contexte. La demanderesse soutient qu’il lui a été impossible de produire des éléments de preuve qui auraient pu l’être, comme des factures de vente établies à l’ordre de clients canadiens, à cause d’une inondation qui est survenue le 2 janvier 2009 à l’intérieur du bâtiment où ces dossiers étaient tenus.

 

[8]               Cependant, le 11 août 2008, le cabinet qui était inscrit dans le dossier déposé auprès du registraire à titre de représentant pour signification de la demanderesse a obtenu du registraire une prorogation de délai jusqu’au 13 novembre 2008 car [traduction] « [i]l est nécessaire d’obtenir un délai supplémentaire pour examiner la totalité des questions en litige afin de se préparer et de produire des éléments de preuve complets. Le temps alloué jusqu’ici n’a pas été suffisant à cette fin. » Le seul autre élément de preuve additionnel qui a été déposé dans ce délai prorogé est une brève note d’Alfred Fraser, un dirigeant de l’entreprise, disant que la demanderesse vendait aussi des crevettes sous la marque de commerce et joignant quelques étiquettes utilisées; il s’agissait d’informations qui avaient été envoyées antérieurement.

 

Les nouveaux éléments de preuve soumis à la Cour

[9]               Les nouveaux éléments de preuve comprennent les affidavits de Paul Fraser, le président de la société demanderesse, son frère, Alfred Fraser, secrétaire-trésorier, et Donald Lundin, le président d’une entreprise de courtage en poissons, qui organisait un certain nombre de livraisons des produits de la demanderesse depuis Boston jusqu’en Nouvelle-Écosse.

 

[10]           Paul Fraser s’en est essentiellement remis à son frère. Il a déclaré que les acheteurs, qu’il ne connaissait pas, passaient leurs commandes par téléphone à partir du Canada. Même si les exemples d’emballage joints à son affidavit étaient en anglais seulement, et pourraient fort bien violer nos règles en matière d’étiquetage, quelques produits avaient été expédiés entre 2005 et 2008 sous un emballage bilingue, lequel emballage avait totalement disparu dans l’inondation. Il a produit trois factures concernant des ventes qui avaient eu lieu en dehors de la période pertinente. L’une d’entre elles était datée du 24 mars 2010, et adressée à Sambro Fisheries par l’entremise de Four Seas Inc., relativement à dix aiglefins prêts à cuire, d’un coût total de 57,50 $.

 

[11]           Il semble que c’était Alfred Fraser qui faisait affaire avec les clients canadiens. Cet homme est vague à un degré exaspérant. Lors de son contre-interrogatoire, on lui a soumis la transcription de son contre-interrogatoire précédent, mené dans le cadre d’une affaire de contrefaçon de brevet actuellement en instance devant la Cour sous le numéro de dossier T‑1583‑09. Il a déclaré qu’à un certain point Sambro Fisheries était son distributeur canadien, mais il a admis que la relation avait pris fin longtemps avant mai 2005.

 

[12]           Interrogé lors du contre-interrogatoire mené en l’espèce pour identifier les clients auxquels des produits avaient été vendus entre mai 2005 et 2008, il a répondu :

[traduction] Je peux vous donner un nom, c’est sûr. J’ai vendu à Sambro Fishery, pas Sambro Fishery l’entreprise, mais à Sambro, les personnes qui étaient chez Sambro.

Q. : Que voulez-vous dire par « les personnes qui étaient chez Sambro »?

R. : Euh… Le personnel du bureau, peut-être Doug lui-même, certaines des personnes qui travaillaient sur place.

Q. : Et ces personnes, où sont-elles situées?

R. : Elles sont situées à Sambro, en Nouvelle-Écosse.

 

 

[13]           Selon le témoignage des frères Fraser, il y aurait trois ou quatre expéditions par année. M. Lundin, le président de Four Seas Inc., une entreprise de courtage en poissons située à Boston, a déclaré dans son affidavit qu’il faisait venir à chaque année des fruits de mer frais de la Nouvelle-Écosse, et qu’il faisait affaire avec Fraser Sea Food Corp depuis au moins les quinze dernières années. À intervalles périodiques, il organisait la livraison de produits de marque Seafood Temptations à l’intention de clients canadiens. Quand les camions réservés par Four Seas faisaient le trajet depuis Boston jusqu’en Nouvelle-Écosse, il arrivait parfois qu’ils transportent des produits de Fraser s’il y avait de la place disponible. Cependant, il n’était pas au courant des affaires de Fraser.

 

Le fardeau de la preuve

[14]           Il n’est pas question ici d’une affaire de nature civile dans laquelle il incombe à Fraser de prouver l’emploi au Canada dans les trois années en question selon la prépondérance de la preuve. L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce offre un moyen facile et rapide de débarrasser le registre du bois mort, ou de donner au propriétaire inscrit de la marque de commerce une occasion d’expliquer pourquoi celle-ci n’a pas été employée (Eclipse International Fashions Canada Inc c. Shapiro Cohen, 2005 CAF 64, 48 CPR (4th) 223). Néanmoins, il ne suffit pas de dire simplement que la marque de commerce a été employée; il faut montrer qu’elle l’a été (Mantha & Associes/Associates c. Central Transport, Inc (1995), 64 CPR (3d) 354, 59 ACWS (3d) 301). La barre est peut-être basse, mais il s’agit quand même d’une barre.

 

[15]           Comme l’a déclaré le juge en chef Thurlow de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Plough (Canada) Ltd c. Aerosol Fillers Inc, [1981] 1 CF 679, 53 CPR (2d) 62, en traitant de ce qui était à l’époque l’article 44 de la Loi :

[10] Le paragraphe 44(1) exige qu’il soit fourni au registraire un affidavit ou une déclaration statutaire « indiquant », et non simplement énonçant, si la marque de commerce est employée, c’est-à-dire décrivant l’emploi de cette marque de commerce au sens de la définition de l’expression « marque de commerce » à l’article 2 et de l’expression « emploi » à l’article 4. Cela ressort clairement des termes du paragraphe en question puisqu’il exige que le propriétaire inscrit fournisse un affidavit ou une déclaration statutaire indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d’indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l’enregistrement, mais aussi de l’informer quant à l’emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3). Il n’est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s’il ne l’emploie pas, c’est-à-dire s’il ne l’emploie pas du tout ou s’il ne l’emploie pas à l’égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée.

 

[16]           Dans l’arrêt Meredith & Finlayson c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 40 CPR (3d) 409, 138 NR 379 (CAF), le juge Hugessen a exprimé l’avis suivant :

[4]        Le paragraphe 45(2) est clair : le registraire peut seulement recevoir une preuve présentée par le propriétaire inscrit ou pour celui-ci. Cette disposition ne vise manifestement pas la tenue d’une instruction qui porterait sur une question de faits contestée mais, plus simplement, à donner au propriétaire inscrit l’occasion d’établir, s’il le peut, que sa marque est employée, ou bien d’établir les raisons pour lesquelles elle ne l’est pas, le cas échéant.

 

 

[17]           Dans l’arrêt Scott Paper Ltd c. Smart & Biggar, 2008 CAF 129, 65 CPR (4th) 303, le juge Pelletier a fait remarquer que la Cour établit une distinction entre le fait d’expliquer l’absence de l’emploi et celui d’excuser le défaut d’emploi.

 

[18]           Une preuve d’emploi peut revêtir la forme d’une opération commerciale unique, exécutée dans le cours ordinaire des affaires (Stikeman Elliott LLP c. Les Sols R. Isabelle Inc, 2011 CF 59, 92 CPR (4th) 83). Cependant, il faut que cette opération soit véritable, authentique et non délibérément conçue pour protéger la marque de commerce (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd (1987), 13 CPR (3d) 289, 3 ACWS (3d) 109; Vêtement Multi-Wear Inc c. Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2008 CF 1237, 73 CPR (4th) 3); Jagotec AG c. Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2006 CF 1468, 153 ACWS (3d) 1222).

 

[19]           La Cour règlera toute ambigüité en matière de preuve en faveur du titulaire de la marque de commerce, mais pas si cette mesure abaisserait la norme prima facie qui est exigée pour prouver l’emploi (Bereskin & Parr c. Fairweather Ltd, 2006 CF 1248, 58 CPR (4th) 50, conf. par 2007 CAF 376, 62 CPR (4th) 266; Diamant Elinor Inc. c. 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184, 90 CPR (4th) 428).

 

[20]           La demanderesse a eu un délai de six mois, du 13 mai 2008 au 13 novembre 2008, pour fournir une preuve d’emploi. Elle ne l’a pas fait. Absolument aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi elle n’a pas pu trouver une seule facture canadienne durant cette période. L’inondation n’a eu lieu qu’en janvier 2009. Dans les circonstances, une vente présumée, peut‑être à « Doug » ou à certaines des personnes présentes dans les locaux de Sambro, une entreprise qui ne représente plus la demanderesse au Canada, ne suffit tout simplement pas. Les ventes, si c’est bien cela qu’elles étaient, n’ont pas été faites dans le cours ordinaire des affaires.

 

[21]           La Cour a accordé des prorogations additionnelles, et il aurait été facile d’obtenir un affidavit de la part de « Doug » ou de certains des membres du personnel de Sambro. Au lieu de cela, la demanderesse a fourni de vagues éléments de preuve entourant la nature de l’opération commerciale. De tels éléments de preuve sont insuffisants, même d’après les normes généreuses que prévoit la jurisprudence (S.C. Johnson & Son Inc c. Registraire des marques de commerce (1981), 55 CPR (2d) 34, 8 ACWS (2d) 71).

 

[22]           Au vu de cette conclusion, il est inutile que j’examine les autres observations des parties.


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS INDIQUÉS :

LA COUR ORDONNE que l’appel de Fraser Sea Food Corp. soit rejeté, avec dépens d’un montant de 5 000 $.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1485-10

 

 

INTITULÉ :                                       FRASER SEA FOOD CORP. c.
FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 JUIN 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HARRINGTON

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 JUILLET 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Samuel Kazen

 

POUR LA DEMANDERESSE

Chloé Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Imagine Intellectual Property Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Fasken Martineau Dumoulin LLP

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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