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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110627

Dossier : IMM-6955-10

Référence : 2011 CF 785

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

E.A.DS.

J.M.S.A.

E.C.S.A.

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à la décision datée du 26 octobre 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

 

[2]               La décision visée par le présent contrôle ne concerne que la demanderesse principale et ses enfants. La demande d’asile de l’époux de la demanderesse principale a été entendue en même temps que celle des demandeurs, mais il a été décidé que celui-ci était exclu de la protection accordée aux réfugiés en application de la section F de l’article premier de la Convention. Cette décision a été l’objet d’une demande de contrôle judiciaire distincte. En raison des faits de la présente affaire, le nom de la demanderesse principale et celui de ses enfants seront remplacés par des initiales, et ces noms n’apparaîtront pas dans l’intitulé des présents motifs du jugement et jugement.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Salvador qui craignent d’être pris pour cible par le crime organisé, notamment le gang Mara Salvatrucha (les Maras). Dans leur pays, ils exploitaient avec succès des entreprises de prêt d’argent et d’agriculture. En octobre 2006, les Maras ont tenté d’extorquer l’époux de la demanderesse principale, et les menaces se sont poursuivies après que ce dernier eut signalé les problèmes à la police.

 

[4]               Les demandeurs ont accédé aux demandes des extorqueurs. Cependant, après avoir reçu une somme totale de 25 000 $ US pendant une période de dix mois, les extorqueurs leur ont exigé la somme de 3 000 $ US par mois. Les demandeurs ne pouvaient pas se permettre de le faire et, à la fin du mois d’octobre, ils sont allés voir la police. Comme ils n’avaient aucune preuve permettant d’identifier les extorqueurs, la police a dit qu’elle ne pouvait rien faire. La demanderesse principale a quitté son travail de crainte qu’on enlève ses enfants.

 

[5]               À une occasion, la demanderesse principale se trouvait dans un motel appartenant à la famille. Elle a été volée et violée par cinq individus, qui lui ont dit que ce n’était que le début. Ils ont exigé la somme de 75 000 $ US, et donné deux mois à la famille pour payer. La demanderesse principale n’a pas signalé le vol ou le viol à la police parce qu’elle avait peur et était gênée. Elle a reçu des soins médicaux, y compris une aide psychologique.

 

[6]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 1er février 2008 et ont demandé l’asile le 23 février suivant. Leurs demandes ont été entendues le 28 juillet et le 14 octobre 2010.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[7]               Le 26 octobre 2010, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger. Elle a considéré que les individus en question étaient des criminels et que la peur qu’avait causé ce comportement criminel aux demandeurs n’offrait pas de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention sur les réfugiés. Le risque qu’ils couraient était de nature généralisée.

 

[8]               À cause du viol, la Commission a entrepris une analyse fondée sur le sexe en vue de déterminer s’il existait un lien entre les motifs prévus par la Convention et le crime en question. Elle a considéré que la demanderesse principale avait été victime d’un acte criminel et ne tombait pas sous le coup des cinq motifs énumérés. Elle a conclu que leur demande fondée sur l’article 96 devait être rejetée.

 

[9]               En ce qui concerne l’analyse fondée sur l’article 97, la Commission a conclu que les Maras sont un groupe étendu qui se livre à des activités criminelles, l’extorsion principalement. Les demandeurs faisaient partie d’un vaste sous-groupe de la population, c’est‑à‑dire les gens d’affaires, et le risque qu’ils couraient était aussi un risque auquel faisaient face d’autres habitants du Salvador.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           Les questions que soulèvent les demandeurs sont les suivantes :

 

1)      La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a traité l’article 97 de la LIPR?

 

2)      La Commission a-t-elle commis une erreur en ne trouvant pas de lien entre la demanderesse et la Convention?

 

 

 

ANALYSE

La norme de contrôle applicable

 

[11]           Les questions soulevées dans le présent contrôle judiciaire, c’est-à-dire les décisions rendues par la Commission à l’égard de son analyse fondée sur l’article 97 de la LIPR, de même que son examen du lien entre un motif prévu dans la Convention et le récit d’un demandeur d’asile particulier, sont des questions mixtes de fait et de droit qu’il convient de contrôler selon la norme de la raisonnabilité : Gabriel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1170; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 53.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur dans la façon dont elle a traité l’article 97 de la LIPR?

 

[12]           Les risques que courent le public en général, une partie importante de la population ou un sous-groupe de cette dernière ne constituent pas des risques personnalisés : Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, 70 Imm. L.R. (3d) 128, appel rejeté à : 2009 CAF 31, 387 N.R. 149.

 

[13]           La Cour a de plus conclu que les menaces faites à des personnes par les gangs de Maras ne sont pas assimilables à un risque personnalisé : Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 991, au paragraphe 18. À l’instar de la présente affaire, dans Gonzalez le demandeur était un Salvadorien qui travaillait comme directeur commercial et qui avait été contraint, sous peine de mort, de payer la somme de 100 $ par mois à des membres du gang Mara Salvatrucha. Après avoir acquitté cette somme pendant huit mois et  refusé ensuite de payer, le demandeur et sa famille avaient été victimes de menaces et d’intimidation. La Cour a rejeté la demande. Voir aussi : Arias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1029, au paragraphe 47.

 

[14]           Dans la présente affaire, une preuve, tant documentaire qu’orale, a été soumise à la Commission, à savoir que, dans tout le Salvador, les propriétaires d’entreprise sont pris pour cible en vue d’être extorqués et sont victimes d’actes criminels de la part d’extorqueurs. Un extrait des notes sténographiques souligne cette regrettable réalité :

 

[traduction
LE COMMISSAIRE : Je n’ai que quelques questions à poser et nous ferons ensuite une pause. Vous avez dit - et ceci s’adresse à la demandeure principale… vous avez dit que vous étiez pris pour cible par des extorqueurs parce que vous possédiez plusieurs entreprises. Est-ce exact?

LA DEMANDERESSE : Oui.

LE COMMISSAIRE : N’est-il pas vrai qu’au Salvador c’est le cas d’autres personnes qui ont des entreprises prospères?

LA DEMANDERESSE : Je ne le sais pas, peut-être, probablement, fort probablement.

 

[15]           Dans ce contexte, la Commission a conclu que le risque que couraient les demandeurs était un risque auquel s’exposaient de façon générale d’autres personnes au Salvador et qu’ils n’étaient pas visés personnellement. Il s’ensuivait que les demandeurs ne bénéficiaient pas de la protection que confère l’article 97, même s’ils avaient été menacés dans le passé. Cette conclusion était raisonnable.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne trouvant pas de lien entre la demanderesse et la Convention?

 

[16]           Comme le fait remarquer le défendeur, la demande d’asile des demandeurs était fondée sur le fait que les Maras les extorquaient. C’est ce qui ressort de l’exposé circonstancié figurant dans le FPR de la demanderesse principale, où celle-ci déclare que son époux et elle étaient pris pour cible par le gang – [traduction] « [n]ous étions extorqués, particulièrement par un groupe de gangsters » – ainsi que du formulaire des Réfugiés à admettre en personne, dans lequel la demanderesse principale a expliqué qu’ils demandaient la protection du Canada parce qu’ils [traduction] « étaient extorqués par le gang Mara Salvatrucha ». La demanderesse principale l’a confirmé de nouveau à l’audience :

 

[traduction
L’APR : Vous craignez le gang Mara Salvatrucha.

LA DEMANDERESSE : Oui, il me fait peur.

L’APR : Et la raison pour laquelle ces gens vous veulent du mal est fondée sur les conditions d’extorsion, est-ce exact?

LA DEMANDERESSE : Oui.

L’APR : Y a-t-il une raison particulière pour laquelle vous êtes devenus la cible de ces menaces, par opposition à quelqu’un d’autre?

LA DEMANDERESSE : Parce que nous avions des entreprises et que j’avais un bon emploi.

 

[17]           La richesse apparente ne permet pas d’établir un lien avec un motif prévu par la Convention : Martinez Menendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 221, 14 Admin. L.R. (5th) 151, au paragraphe 27. La Commission était donc justifiée de conclure qu’il n’y avait aucun lien entre les risques que couraient les demandeurs et les motifs prévus dans la Convention.

 

[18]           Quant à la prétention des demandeurs selon laquelle la Commission a commis une erreur en omettant d’analyser convenablement les Directives sur la persécution fondée sur le sexe en rapport avec les questions de lien, il convient de signaler que le sexe de la demanderesse principale n’a même pas été évoqué à l’audience. Quoi qu’il en soit, la Commission elle-même a entrepris une analyse fondée sur les Directives. Dans les circonstances de l’espèce, la Commission a eu raison de conclure que le viol avait été un acte de violence qui était imputable à la criminalité généralisée dont sont victimes les personnes que les Maras prennent pour cible au Salvador.

 

[19]           Il ne fait aucun doute que le viol est une grave violation des droits de la personne et de la dignité humaine. Toutefois, dans le cas présent, on ne peut pas dire que la demanderesse principale a été persécutée par viol ou du fait de son appartenance à un groupe social en particulier. Pour cette raison, on peut faire une distinction entre la présente affaire et la décision Josile c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 39, que les demandeurs ont invoquée.

 

[20]           La Commission a motivé sa décision de manière claire et exhaustive, en tenant compte de tous les éléments de preuve. Cette décision appartient donc aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande est rejetée.

 

[21]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune ne le sera.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.      la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      le nom de la demanderesse principale et celui des enfants sont remplacés par des initiales, et ces noms n’apparaîtront pas dans l’intitulé des présents motifs du jugement et jugement;

3.      aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6955-10

 

INTITULÉ :                                       E.A.DS.

J.M.S.A.

E.C.S.A.

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Martin

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Kareena Wilding

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JACK MARTIN

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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