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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110628

Dossier : T-1463-10

Référence : 2011 CF 674

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

 

CHIMEN MIKAIL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Par suite d’une téléconférence de gestion de l’instance tenue le 6 avril 2011, le défendeur, le procureur général du Canada, a signalé son intention de déposer une requête en radiation de la demande. De plus, un intervenant proposé, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (le CSARS), a été jeté dans la mêlée et a sollicité l’autorisation d’intervenir dans la demande. L’audition des deux questions a été fixée au 17 mai 2011.

 

[2]               En conséquence, les présents motifs et l’ordonnance porteront sur deux aspects de l’instance : la requête en radiation du procureur général et l’intervention proposée du CSARS.

 

[3]               Dans l’ordonnance, la Cour rejettera la requête en radiation et accordera au CSARS un statut limité à titre d’intervenant dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

 

I. L’instance sous-jacente

[4]               La demanderesse, MmeChimen Mikail, a déposé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision rendue le 10 septembre 2010 par le CSARS. Elle fait valoir, notamment, que le CSARS a omis de tirer certaines conclusions auxquelles il aurait dû en arriver en ce qui concerne le harcèlement dont elle aurait été victime.

 

[5]               La demanderesse avait d’abord déposé une plainte concernant la conduite du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP). Cependant, la CCDP avait refusé d’entendre la plainte, parce que celle-ci portait sur des questions de sécurité qui relevaient apparemment de la compétence du CSARS (voir l’article 45 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6). Le CSARS avait rendu sa décision le 11 mai 2010 et l’avait communiquée à la demanderesse le 12 août 2010. La décision du CSARS découlait d’une enquête menée par l’honorable Gary Filmon, C.P. O.C. O.M., conformément au paragraphe 52(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS) à l’égard de la plainte que la demanderesse avait formulée sous le régime de l’article 41 de cette même loi, dont voici le libellé :

Plaintes

41. (1) Toute personne peut porter plainte contre des activités du Service auprès du comité de surveillance; celui-ci, sous réserve du paragraphe (2), fait enquête à la condition de s’assurer au préalable de ce qui suit :

a) d’une part, la plainte a été présentée au directeur sans que ce dernier ait répondu dans un délai jugé normal par le comité ou ait fourni une réponse qui satisfasse le plaignant;

 

 

 

b) d’autre part, la plainte n’est pas frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi.

 

 

Restriction

(2) Le comité de surveillance ne peut enquêter sur une plainte qui constitue un grief susceptible d’être réglé par la procédure de griefs établie en vertu de la présente loi ou de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Complaints

41. (1) Any person may make a complaint to the Review Committee with respect to any act or thing done by the Service and the Committee shall, subject to subsection (2), investigate the complaint if

 

(a) the complainant has made a complaint to the Director with respect to that act or thing and the complainant has not received a response within such period of time as the Committee considers reasonable or is dissatisfied with the response given; and

(b) the Committee is satisfied that the complaint is not trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith.

 

Other redress available

(2) The Review Committee shall not investigate a complaint in respect of which the complainant is entitled to seek redress by means of a grievance procedure established pursuant to this Act or the Public Service Labour Relations Act.

 

 

[6]               Le CSARS a ensuite mené une enquête sur la plainte de la demanderesse. En raison de la conclusion tirée au sujet de la requête en radiation, qui sera rejetée en l’espèce, la Cour ne s’attardera pas aux questions de fait qui sont soulevées par la plainte, car cet examen n’est pas nécessaire pour les besoins des présents motifs. Brièvement, la demanderesse a soutenu qu’elle avait été lésée par la conduite et l’insistance des agents du SCRS. Elle fait également valoir que celui‑ci aurait évoqué l’impossibilité pour elle d’obtenir son habilitation de sécurité si elle refusait de collaborer et de lui fournir des renseignements. La façon dont les entrevues ont été menées est également attaquée.

 

[7]               De toute évidence, certains aspects de l’enquête du CSARS portaient sur des questions touchant la sécurité nationale. En effet, des audiences ex parte ont été tenues et des résumés de celles‑ci ont été remis à la demanderesse, qui a eu la possibilité de se faire entendre et de présenter sa cause. Le témoignage de représentants de différents ministères gouvernementaux concernés a été entendu. En fin de compte, le CSARS a décidé que [traduction] « la plaignante ne s’[étai]t pas déchargée du fardeau qu’elle a[vait] de prouver que le Service a[vait] agi de façon inappropriée relativement à l’un ou l’autre des motifs de la plainte ». En conséquence, la plainte a été rejetée en entier.

 

[8]               La demanderesse a présenté une demande fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, afin de solliciter le contrôle judiciaire du rejet de sa plainte par le CSARS.

 

II. La requête en intervention du CSARS

[9]               Le CSARS a sollicité l’autorisation d’intervenir dans la demande de contrôle judiciaire afin de déposer à titre confidentiel et sous pli scellé les documents qu’il avait reçus hors de la présence de la plaignante. La Cour a souligné à l’audience qu’elle examinerait la requête en intervention lorsqu’elle serait saisie des documents. De plus, pour les besoins de la requête en radiation, la demanderesse a consenti à l’intervention du CSARS, tandis que le défendeur n’a pas pris position à ce sujet. En conséquence, le CSARS est intervenu dans la requête en radiation.

 

[10]           L’intervention du CSARS s’est révélée utile, car ni la demanderesse non plus que l’avocate du procureur général ne pouvaient expliquer de façon satisfaisante la nature extraordinaire du processus d’enquête du CSARS aux termes de l’article 41 de la Loi sur le SCRS en présentant les nuances essentielles aux fins de la production complète du « dossier de l’office fédéral ». Tel qu’il a été expliqué à l’audience, l’enquête du CSARS englobe davantage que les audiences publiques et les audiences ex parte et couvre davantage de renseignements. En conséquence, le dossier complet dont le CSARS avait été saisi devait être déposé. Le procureur général a consenti à la production de ce dossier, sous réserve des mesures nécessaires pour assurer la protection des renseignements touchant la sécurité nationale, conformément aux articles 151 et 152 des Règles des Cours fédérales (les Règles). Ce dépôt et le statut d’intervenant du CSARS se sont révélés nécessaires, parce que la demande que la demanderesse avait présentée sous le régime de l’article 317 des Règles avait une portée trop restreinte pour couvrir correctement tous les éléments pouvant être considérés comme des éléments faisant partie du « dossier de l’office fédéral ».

 

[11]           Un deuxième aspect de l’intervention proposée du CSARS était davantage contesté. Dans sa requête, le CSARS a souligné qu’il voulait aussi, par l’entremise de son avocat, [traduction] « expliquer le dossier » dont il disposait. Bien entendu, l’octroi à un tribunal administratif comme le CSARS de l’autorisation d’intervenir dans une demande de contrôle judiciaire relative à l’une de ses propres décisions est assujetti à des réserves importantes. Traditionnellement, le rôle du tribunal administratif dans les demandes de contrôle judiciaire se limite à la question de sa compétence, car le tribunal cherchera à défendre le bien-fondé de sa décision, ce qui est incompatible avec l’impartialité dont il doit faire preuve (voir, notamment, Canada (Procureur général) c. Select Brands Distributeurs Inc., 2010 CAF 3; Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology, 2003 CAF 123; Il c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 267).

 

[12]           Cependant, au cours de l’audience, il est devenu évident que l’avocat du CSARS comprenait parfaitement les restrictions applicables à son intervention devant la Cour. En effet, l’avocat a invoqué des arguments solides au soutien de son intervention. D’abord, a-t-il souligné, étant donné qu’une partie de la demande sera vraisemblablement entendue ex parte ou à huis clos, parce qu’elle portera sur le dossier, l’intervention du CSARS relativement à cet aspect devrait être perçue comme une mesure positive, parce qu’elle peut permettre de clarifier les questions découlant du dossier lui‑même. En deuxième lieu, l’expression [traduction] « expliquer le dossier » a été nuancée et décrite comme une intervention purement descriptive de par sa nature. En troisième lieu, l’intervention du CSARS a pour but de clarifier la compétence de l’organisme dans l’affaire, ce qui est une question importante, étant donné que l’enquête qu’il a menée sous le régime de l’article 41 de la Loi sur le SCRS portait également sur d’autres ministères et bureaux gouvernementaux.

 

[13]           En conséquence, le statut d’intervenant limité sera accordé au CSARS. Le CSARS ne pourra, en aucun cas, utiliser ce statut pour défendre le bien-fondé de sa décision devant le juge qui entendra la demande, que ce soit dans le cadre de ses observations écrites ou lors de son intervention au cours des audiences. Son intervention se limitera à expliquer sa compétence et le dossier, y compris la façon dont il traite les plaintes fondées sur l’article 41 et la façon dont la plainte de la demanderesse a été traitée avant qu’une décision soit rendue. Aucune observation ne sera formulée au sujet de la décision finale que le CSARS a prise ou d’une justification sous-jacente à celle-ci, que ce soit au cours d’une audience publique ou d’une audience à huis clos.

 

III. La requête du défendeur en vue de faire radier la demande

            Les arguments du défendeur

[14]           Le défendeur avait signalé qu’il avait l’intention de déposer une requête en radiation de la demande, ce qu’il a fait à l’aide de documents à l’appui. Le défendeur soutient principalement, à l’appui de sa requête, que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 41 de la Loi sur le SCRS.

 

[15]           Le défendeur allègue que le CSARS [traduction] « n’a rendu aucune décision ou ordonnance touchant directement les droits de la demanderesse » et que sa compétence se limitait à formuler des recommandations concernant la conduite du SCRS. Plus précisément, il fait valoir que l’absence de compétence de la Cour est telle que le critère élevé relatif à la radiation des avis de demande est établi en l’espèce. En bref, l’argument du défendeur porte essentiellement sur le fait que le rapport du CSARS n’est pas une [traduction] « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales » et que, étant donné que le CSARS formule simplement des recommandations, la Cour ne peut réviser celles-ci, eu égard à l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385.

 

[16]           D’autres jugements sont cités à l’appui de l’argument selon lequel les décisions qui ne produisent pas d’effet juridique ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Le défendeur a également fait une distinction d’avec l’arrêt Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.F.), où la Cour d’appel fédérale a décidé que les conclusions de fait et les recommandations des commissions d’enquête étaient susceptibles de contrôle judiciaire. Le défendeur fait valoir que, étant donné qu’aucune conclusion défavorable n’a été formulée à l’encontre de la demanderesse, aucun intérêt similaire à celui de l’arrêt Morneault, précité, n’existait. De plus, selon le défendeur, il appert clairement de l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le SCRS qu’une [traduction] « personne n’a le droit de connaître les recommandations du Comité que si celui‑ci juge à propos de les communiquer ». En conséquence, la personne qui dépose une plainte sous le régime de l’article 41 de la Loi sur le SCRS n’a droit qu’à un rapport sur les conclusions du CSARS, mais n’a droit à aucune autre réparation produisant des conséquences juridiques.

 

[17]           On fait également valoir que le rapport du CSARS qui est établi en application de l’article 41 de la Loi sur le SCRS serait différent des autres rapports susceptibles de révision de ce comité. Invoquant la décision Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (C.F. 1re inst.), et l’arrêt Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624 (C.A.F.), le défendeur affirme que la nature de la décision rendue dans ces demandes était entièrement différente, car les rapports avaient des effets indéniables sur les droits des personnes et étaient différents, eu égard au régime législatif. Comparant le rapport établi en application de l’article 41 avec les rapports examinés dans ces demandes, le défendeur fait valoir que le premier s’apparente davantage à celui visé à l’article 42 de la Loi sur le SCRS, soit une recommandation.

 

[18]           Enfin, de l’avis du défendeur, il y a lieu de faire une distinction d’avec la décision Omary c. Canada (Procureur général), 2010 CF 335, au motif que la décision attaquée dans cette affaire était différente. En effet, dans Omary, le CSARS a suspendu une enquête menée sous le régime de l’article 41 jusqu’à l’issue du recours porté devant une cour supérieure, et c’est cette décision que la Cour fédérale a contrôlée.

 

Les arguments de la demanderesse

[19]           La demanderesse s’oppose vivement à la requête en radiation. Soulignant que[traduction] « le contrôle judiciaire est une procédure sommaire » et que la compétence inhérente en matière de radiation des demandes est exceptionnelle, elle affirme que la présente affaire n’en est pas une qui satisfait au critère du « clair et évident » permettant de radier la demande.

 

[20]           L’avocat de la demanderesse insiste sur le fait que le rapport du CSARS est une « décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte » au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. L’enquête du CSARS aux termes de l’article 41 de la Loi sur le SCRS n’est pas discrétionnaire, lorsque la plainte n’est pas jugée futile, frivole ou vexatoire. Le fait que le CSARS formule des recommandations qui ne sont pas contraignantes ne suffit pas à étayer l’argument selon lequel le processus de traitement des plaintes énoncé à l’article 41 de la Loi sur le SCRS ne touche pas les intérêts de la demanderesse. L’avocat souligne que la compétence de la Cour ne devrait pas être indûment restreinte et que la question à trancher est de savoir si les droits ou intérêts de la demanderesse sont en jeu. Il ajoute que le rapport établi par le CSARS en application de l’article 41 de la Loi sur le SCRS comporte bel et bien des conséquences juridiques pour la demanderesse, étant donné que celle-ci veut porter sa plainte devant la CCDP.

 

[21]           Le CSARS a rejeté la plainte fondée sur l’article 41 de la Loi sur le SCRS et, de l’avis de la demanderesse, cette décision devrait être susceptible de contrôle par la Cour. Priver la demanderesse du droit de présenter une demande de contrôle judiciaire ferait du processus de traitement des plaintes visé à l’article 41 un « artifice vide de sens », pour reprendre l’expression que la Cour d’appel fédérale a employée dans Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Conseil national de commercialisation des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247 (C.A.F.). La demanderesse a également fait une distinction entre la présente affaire et les décisions que le défendeur a invoquées au soutien de la requête, lesquelles seront commentées dans l’analyse de la Cour.

 

[22]           Subsidiairement, la demanderesse fait valoir que, si le rapport du CSARS ne peut être considéré comme une « décision » visée par l’article 18.1, la Cour doit se fonder sur la décision rendue dans Shea c. Canada (Procureur général), 2006 CF 859, qui permet de dire que tout « objet » touchant une partie est susceptible de contrôle par la Cour.

 

[23]           En tout état de cause, l’avocat de la demanderesse affirme que le défendeur n’a pas satisfait au critère élevé applicable à la radiation de la demande.

 

La position du CSARS

[24]           La position du CSARS au sujet de la requête en radiation est essentiellement la même que celle de la demanderesse. De l’avis de l’avocat du CSARS, le rapport préparé aux termes de l’article 41 est final et touche de façon importante la plaignante, le SCRS ainsi que le Canada en tant que pays. L’avocat du CSARS a également répondu à l’argument du procureur général selon lequel la plaignante n’était pas directement touchée par le rapport du CSARS en répliquant que « toute personne » peut porter plainte aux termes de l’article 41 de la Loi sur le SCRS. Il a ajouté que cet aspect de l’article 41 tend à atténuer les notions traditionnelles d’intérêt dans les litiges selon les règles de common law ainsi que les principes de droit administratif et ceux régissant le contrôle judiciaire.

 

[25]           L’avocat du CSARS a également exposé clairement la position de celui-ci : le CSARS croit que le rapport qu’il a établi en application de l’article 41 devrait être contrôlé. D’abord, il invoque l’argument de la règle de droit : le CSARS prend son rôle au sérieux et exprime le désir d’être assujetti à la surveillance de la Cour au moyen du contrôle judiciaire. L’avocat a également mentionné d’autres situations dans lesquelles des mesures que prendrait le CSARS seraient manifestement susceptibles de contrôle. Ainsi, des cas flagrants de discrimination ou de violation de l’équité procédurale seraient sans doute susceptibles de contrôle. De la manière dont ces exemples ont été énoncés, il est indéniable que le contrôle judiciaire pourrait être avantageux pour le SCRS ou pour un plaignant.

 

[26]           De plus, l’avocat du CSARS a attiré l’attention de la Cour sur d’autres aspects de la jurisprudence citée, que la Cour commentera dans le cadre de son analyse.

 

Analyse

[27]           En termes simples, l’argument du procureur général peut être résumé comme suit : les rapports établis par le CSARS établi sous le régime de l’article 41 de la Loi sur le SCRS ne sont pas susceptibles de contrôle par la Cour fédérale. Cet argument va à l’encontre des principes de droit administratif qui s’appliquent clairement au CSARS à titre d’organisme d’enquête important au sein du régime législatif. On peut soutenir qu’il va également à l’encontre de la règle de droit et des développements jurisprudentiels portant sur la possibilité de contrôler les mesures prises par les offices et tribunaux administratifs.

 

[28]           Le rapport que le CSARS a préparé en application de l’article 41 de la Loi sur le SCRS comporte deux volets : l’acceptation ou le rejet de la plainte même ainsi que les conclusions et recommandations corollaires, le cas échéant. L’avocate du procureur général s’est attardée uniquement sur le deuxième aspect du rapport : le rejet de la plainte ([traduction] « j’ai rejeté la plainte en entier »). Il est vrai que, dans la présente affaire, il est mentionné en toutes lettres dans le rapport du CSARS que la plainte est rejetée en entier; pourtant, le rapport comporte également des conclusions et recommandations (notamment une recommandation selon laquelle le Service devrait assurer la liaison avec des représentants du gouvernement (fonctionnaires du Conseil du Trésor et du ministère)), qui étaient probablement pertinentes quant au cas précis de la demanderesse et avaient une portée générale. Le procureur général a insisté uniquement sur l’aspect « recommandation » du rapport du CSARS pour faire valoir que celui-ci n’était pas susceptible de contrôle.

 

[29]           La proposition selon laquelle la personne qui dépose une plainte sous le régime de l’article 41 de la Loi sur le SCRS n’a aucun intérêt en ce qui concerne le rapport, les conclusions et les recommandations du CSARS et n’est pas touchée par la plainte n’est pas logique ni fondée en droit.

 

[30]           D’abord, il importe de reconnaître comme il se doit le contexte dans lequel la plainte fondée sur l’article 41 a été présentée. À l’origine, la demanderesse avait saisi la CCDP de la question. Cependant, pour des raisons liées à la sécurité nationale et à la protection de l’information, la plainte a été transmise au CSARS. Cette mesure découle de l’intention évidente qui sous-tend la Loi sur le SCRS et la Loi canadienne sur les droits de la personne, notamment l’article 45 de celle‑ci, soit la création d’une tribune spéciale chargée de l’examen des actions du SCRS, c’est-à-dire le CSARS. C’est ce qui ressort également des enquêtes menées par la Commission d’enquête concernant certaines activités de la Gendarmerie Royale du Canada, appelée la Commission MacDonald, qui ont donné naissance au SCRS et au CSARS.

 

[31]           Le simple fait qu’un plaignant s’oppose aux actions ou aux politiques du SCRS ne peut certainement pas le priver de droits dont il bénéficierait par ailleurs si la conduite d’une autre institution fédérale était attaquée. Ainsi, si la plaignante avait pu porter sa plainte devant la CCDP, elle aurait bénéficié, notamment, du droit de demander le contrôle judiciaire à l’égard du déni de l’équité procédurale par celle-ci (Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne, [1984] 2 R.C.S. 407), et de faire réviser la recommandation de porter plainte devant le Tribunal des droits de la personne (voir, par exemple, Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F.)), et même la décision de la CCDP de rejeter une plainte au stade préliminaire (voir, par exemple, Valookeran c. Banque Royale du Canada, 2011 CF 276). Bien entendu, dès que le CSARS enquête sur une plainte, l’affaire peut de nouveau être portée devant la CCDP. Cependant, il est évident que le rejet de la plainte par le CSARS pourrait nuire à la plainte de la demanderesse.

 

[32]           Par conséquent, le renvoi de la question au CSARS par la CCDP, ainsi que le prévoit l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ne saurait priver un plaignant du droit de solliciter le contrôle judiciaire du rapport du CSARS. La Cour souligne de nouveau que, si la plainte portait sur les actions d’une institution fédérale autre que le SCRS, la demanderesse aurait accès au contrôle judiciaire. Eu égard aux conclusions de la Commission MacDonald, la création du SCRS et du CSARS visait à assurer une plus grande surveillance des activités du renseignement, non pas une surveillance amoindrie. L’article 41 représente manifestement un élément important de la surveillance civile qui constitue le mandat du CSARS. Afin de respecter la règle de droit et de préserver la transparence et la légalité des enquêtes du CSARS au sujet des plaintes fondées sur l’article 41, il est nécessaire que les rapports établis par celui-ci sous le régime de cette même disposition soient susceptibles de contrôle par la Cour. Si les demandes sont transmises au CSARS, c’est parce qu’il est nécessaire de protéger les renseignements liés à la sécurité nationale, comme l’a souligné le juge Addy dans la décision clé Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1989] 2 C.F. 229 (C.F. 1re inst.).

 

[33]           Il est également intéressant, c’est le moins qu’on puisse dire, de souligner que le CSARS et le procureur général ont reconnu, du moins implicitement, les obligations du premier en matière d’équité procédurale dans Nourhaghighi c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), 2005 CF 148. Cette affaire concernait une demande de contrôle judiciaire relative à une décision différente, mais le principe est le même. Aucune question de compétence ne semble avoir été soulevée dans cette affaire.

 

[34]           Cependant, d’autres commentaires s’imposent au sujet de la requête en radiation que le procureur général a présentée en invoquant l’absence de compétence.

 

[35]           D’abord, un examen de la jurisprudence fait nettement ressortir une tendance des tribunaux à étendre la portée du contrôle judiciaire de manière à englober les questions plus larges plutôt qu’à appliquer une conception restrictive des mots « décision ou ordonnance » que préconise le procureur général. Madame la juge Mactavish a rappelé cette tendance dans Shea c. Canada (Procureur général), 2006 CF 859. Plus récemment, dans May c. CBC/Radio-Canada, 2011 CAF 130, la Cour d’appel fédérale a formulé les commentaires suivants au paragraphe 10 :

[traduction]

 

[…] Bien qu’il soit vrai que, normalement, les demandes de contrôle judiciaire portées devant la Cour fédérale concernent les décisions rendues par des organismes fédéraux, il est bien reconnu dans la jurisprudence que le paragraphe 18.1(1) permet à « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » de présenter une demande de contrôle judiciaire. Le mot « objet » englobe davantage qu’une simple décision ou ordonnance d’un organisme fédéral : il s’applique à tout élément pouvant faire l’objet d’une demande de réparation : Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.), à la page 491. […]

 

 

[36]           Examinés sous cet angle, les mots « quiconque est directement touché par l’objet de la demande » comprendraient indéniablement le SCRS et la demanderesse dans la présente affaire. Tous les avocats, dont le procureur général, ont également fait mention d’un intérêt public général qui serait présumé à l’article 41 de la Loi sur le SCRS. En conséquence, les mots « quiconque est directement touché par l’objet de la demande », qui sont énoncés à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, devraient être lus de concert avec l’article 41, selon lequel « toute personne » peut porter plainte sous le régime de cette disposition.

 

[37]           De plus, l’intérêt de la demanderesse ressort clairement de la première décision rendue dans le rapport du CSARS, soit le rejet de sa plainte. La demanderesse a un intérêt dans cette décision : pourquoi une personne porterait-elle plainte sous le régime de l’article 41 si elle ne souhaitait pas que cette plainte soit accueillie? La base de cet intérêt réside dans la dignité du plaignant, lorsque la plainte découle d’actions du SCRS qui ont été perçues comme abusives ou préjudiciables. L’intérêt d’un demandeur pourrait être différent dans d’autres circonstances et faire l’objet d’autres procédures. En conséquence, la Cour n’ira pas plus loin dans ses commentaires sur cette question.

 

[38]           Par ailleurs, accorder de l’importance uniquement au deuxième aspect du rapport du CSARS, soit les recommandations, comme le propose le procureur général, c’est passer à côté de la question. Bien que les recommandations formulées par le CSARS soient essentielles, on peut soutenir qu’elles ne constituent pas l’élément central pour un plaignant. Une grande importance a été accordée aux commentaires suivants que le juge de Montigny a formulés dans la décision Omary c. Canada (Procureur général), précitée :

Il y a tout d’abord lieu de réitérer que le CSARS, contrairement à la Cour supérieure, ne rend pas une décision judiciaire, et n’a pas le pouvoir de contraindre le défendeur à dédommager le demandeur ou à prendre quelque autre mesure que ce soit. Il n’a le pouvoir que de faire des recommandations au ministre, de façon à ce que le SCRS s’acquitte de son mandat en conformité avec les lois qui le régissent. Par conséquent, il ne peut à proprement parler y avoir un risque de « décisions » contradictoires, puisque seule la Cour supérieure est habilitée à rendre une décision ayant force exécutoire entre les parties. Plus fondamentalement, la mission du Comité est de nature systémique et consiste non pas à fournir un redressement à l’individu qui a pu être lésé par les agissements du Service, mais plutôt à faire en sorte que de tels comportements ne se reproduisent pas dans le futur. […]

 

 

[39]           Cet énoncé demeure vrai : les pouvoirs dont le CSARS est investi, dans le contexte d’une plainte visée à l’article 41, se limitent à décider s’il y a lieu de rejeter la plainte en question ou de l’accueillir parce qu’elle est bien fondée, mais ils comprennent aussi l’établissement d’un rapport contenant des conclusions et des recommandations. Cependant, toujours dans la décision Omary, précitée, le juge de Montigny a aussi formulé les commentaires suivants, soulignant que le CSARS est un tribunal administratif et qu’il a le pouvoir de fixer sa propre procédure :

[…]Dans cette optique, il importera peu qu’un tribunal choisisse de suspendre formellement une instance ou plutôt de l’ajourner sine die, il faut éviter de privilégier la forme aux dépens du fonds. Dans les deux cas, le tribunal prend une décision, et la Cour peut être appelée à en réviser la légalité. Chaque fois qu’une demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’organisme administratif est tenu de se conformer à la décision de la Cour; dans l’hypothèse où la suspension d’instance décrétée par le CSARS serait annulée, le Comité aurait l’obligation de procéder à son enquête sans qu’il soit nécessaire pour le demandeur de se pourvoir en mandamus pour forcer le Comité à respecter la décision de la Cour.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[40]           Le juge de Montigny donne donc à entendre que les décisions que rend le CSARS dans le cadre de ses enquêtes sont susceptibles de contrôle.

 

[41]           Par ailleurs, dans Tremblay c. Canada, 2005 CF 728, Madame la juge Tremblay‑Lamer a également souligné que le CSARS était un tribunal administratif dont les recommandations concernant la nature des habilitations de sécurité pouvaient être contrôlées. Il est vrai que l’article 42 de la Loi sur le SCRS prévoit une procédure de traitement des plaintes à l’égard des questions relatives aux habilitations de sécurité. Le procureur général a soutenu que, même si un plaignant possédait des intérêts évidents en vertu de l’article 42 et qu’il pouvait solliciter un contrôle judiciaire, tel n’était pas le cas selon l’article 41 de la Loi sur le SCRS. Cependant, la mesure visée à l’article 42 est également une recommandation et la Cour suprême du Canada a clairement souligné que la décision concernant l’habilitation de sécurité n’était pas prise par le CSARS (Thomson c. Canada (Sous‑ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385). En conséquence, l’argument axé sur l’aspect « recommandation » du rapport visé à l’article 41 ne tient plus, puisque les recommandations formulées en application de l’article 42 sont également susceptibles de contrôle. Ce qui a été précisé dans l’arrêt Thomson, précité, c’est que la recommandation formulée en application de l’article 42 n’était pas contraignante; cependant, la Cour suprême n’a pas conclu, dans ce même arrêt, que cette recommandation n’était pas susceptible de contrôle à titre de décision en soi. Cette distinction est essentielle.

 

[42]           Le procureur général a également établi une distinction entre les rapports que prépare le CSARS en application de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, et le rapport visé à l’article 41 de la Loi sur le SCRS. Selon le procureur général, [traduction] « le rapport visé à l’article 41, qui porte essentiellement sur la conduite du Service, ne ressemble nullement au rapport que le Comité prépare conformément à l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté, lequel rapport concerne un particulier et a été considéré comme un document susceptible de contrôle dans la décision Al Yamani et l’arrêt Moumdjan ». De toute évidence, le procureur général a mal saisi la nature de la plainte visée à l’article 41, qui peut porter sur des questions de fait mettant également en cause la conduite du plaignant. Le fait que c’est la conduite du SCRS, et non celle de la demanderesse, qui est attaquée dans les plaintes fondées sur l’article 41 ne signifie nullement que le rapport n’est pas susceptible de contrôle. Bien entendu, un plaignant a un intérêt direct à ce que sa plainte fasse l’objet d’une enquête et d’une décision et l’argument du procureur général selon lequel il y a lieu de tenir compte de la provenance des actions attaquées (soit le plaignant par opposition au SCRS) ne repose sur aucun fondement. Le plaignant a intérêt à voir à ce que sa plainte soit tranchée et, de toute évidence, la plainte repose sur la conduite du SCRS. Le plaignant a un intérêt dans sa plainte et, par conséquent, dans le caractère légal ou raisonnable du processus décisionnel et des résultats de celui-ci.

 

[43]           Il n’est pas nécessaire que la Cour aille jusqu’à dire, dans le cadre de son analyse, que la décision portant rejet d’une plainte comporte des aspects touchant la crédibilité ou l’intégrité, ce qui pourrait faire des conclusions du CSARS des conclusions semblables à celles d’une commission d’enquête, lesquelles sont susceptibles de contrôle, même si elles s’apparentent souvent à des recommandations (Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30; Chrétien c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802).

 

[44]           Le procureur général invoque la décision Al Yamani, précitée, et l’arrêt Moumdjian, précité, pour faire valoir que les décisions que rend le CSARS dans le cadre du régime législatif actuel de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté et des dispositions de l’ancienne Loi sur l’immigration sont susceptibles de contrôle, mais non celles qui sont rendues en application de l’article 41 de la Loi sur le SCRS. Il convient de préciser que l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté accorde des pouvoirs d’enquête au CSARS sur la même base que l’article 42 de la Loi sur le SCRS, lorsque le ministre transmet à celui‑ci un rapport selon lequel une personne devrait se voir refuser la prestation du serment de citoyenneté ou l’attribution de citoyenneté lorsqu’elle se livre à des activités qui :

a)      soit constituent des menaces envers la sécurité du Canada;

b)      soit font partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction punissable par voie de mise en accusation aux termes d’une loi fédérale (paragraphe 19(2) de la Loi sur la citoyenneté).

 

 

[45]           Évidemment, une distinction inhérente existe entre les décisions que rend le CSARS en application de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté et celles qui découlent de l’article 41 de la Loi sur le SCRS. La décision rendue en application de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté est une décision manifestement grave et vraisemblablement défavorable à l’endroit d’une personne. Dans la décision Al Yamani, précitée, le juge Mackay a souligné ce qui suit :

Le rôle unique et important du CSARS dans l’examen des décisions touchant les particuliers pour des motifs de sécurité, eu égard à l’emploi dans la fonction publique et aux questions relatives à la Loi sur l’immigration, à la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C‑29] et à la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], ce rôle et son évolution historique sont exposés pour la Cour dans le mémoire présenté par le CSARS à titre d’intervenant. […]

 

[46]           Bien que cet extrait de la décision rendue dans l’affaire Al Yamani concerne uniquement les observations faites par le CSARS, l’avocate du procureur général l’invoque au soutien de la requête en radiation. Cet extrait met aussi en relief d’autres sources constituant le fondement des actions du CSARS. La source la plus pertinente en l’espèce est manifestement la Loi sur les droits de la personne. Le juge Mackay a également décidé que l’établissement du rapport du CSARS en application de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté n’était pas une étape intermédiaire :

Selon l’intimé, la décision du CSARS ne serait pas définitive dans le cadre du processus d’examen de la situation du requérant, mais je fais remarquer qu’il s’agit bien d’une décision définitive et non pas interlocutoire du CSARS lui-même. De par la loi, en vertu du paragraphe 39(9) de la Loi, le CSARS doit faire « rapport... au gouverneur en conseil en indiquant, dans ses conclusions, motifs à l’appui, si l’intéressé devrait faire l’objet de l’attestation prévue au paragraphe 40(1) ». Cela ressemble plus, selon moi, à une décision définitive que ce que prévoit l’article 42 de la Loi sur le SCRS, qui, dans l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), 1992 CanLII 121 (C.S.C.), [1992] 1 R.C.S. 385, a été défini comme le pouvoir de faire une recommandation.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[47]           Effectivement, dans le cas d’une plainte fondée sur l’article 41, l’action du CSARS est une décision définitive de sa part. Le rapport fondé sur cette même disposition ressemble également au processus suivi en application de l’article 42 de la Loi sur le SCRS, puisque le CSARS possède « le pouvoir de faire une recommandation ». En ce sens, le rapport que le CSARS établit en application de l’article 41 peut être considéré comme une recommandation de nature décisionnelle. Cette description du rapport en question tient dûment compte des deux aspects du rapport : le rejet ou l’acceptation de la plainte ainsi que les conclusions et recommandations corollaires, le cas échéant.

 

[48]           En ce sens, l’extrait suivant qui figure au paragraphe 23 de l’arrêt Moumdjian, précité, est déterminant :

[…] La jurisprudence révèle que l’expression « décision ou ordonnance » n’a pas un sens figé ou précis, mais que ce sens est plutôt tributaire du cadre législatif dans lequel s’inscrit la décision de nature consultative, compte tenu des conséquences qu’une telle décision peut avoir sur les droits et libertés de ceux qui cherchent à obtenir un contrôle judiciaire.

 

 

[49]           La Cour d’appel fédérale a conclu que les décisions rendues par le CSARS dans le cadre du processus d’attribution de la citoyenneté décrit ci-dessus étaient susceptibles de contrôle. La Cour estime donc que les rapports préparés par le CSARS en application de l’article 41 de la Loi sur le SCRS touchent les intérêts, sinon les droits d’un plaignant. Dans la présente affaire, la Cour est d’avis que le dépôt par la plaignante d’une plainte en matière de droits de la personne, la nature des allégations et le caractère définitif du rapport du CSARS témoignent de ces intérêts.

 

[50]           Toutefois, la Cour serait négligente si elle ne rappelait pas le jugement suivant qu’a rendu la Cour d’appel fédérale et qu’aucune des parties n’a cité. De prime abord, l’arrêt Moumdjian et, effectivement, la jurisprudence subséquente concernant l’interprétation des mots « décision ou ordonnance » aux fins du contrôle judiciaire vont à l’encontre du jugement rendu dans Russell c. Canadian Security Intelligence Service, 1989 CarswellNat 996, où la Cour d’appel fédérale s’est exprimée comme suit :

Nous estimons en effet que la lettre en date du 22 mars 1988 qui transmettait au requérant la réponse du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à la plainte qu’il a déposée conformément à l’article 41 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. 23, est simplement un exposé de conclusions qui n’ont aucun effet juridique et qui ne touchent pas aux droits et obligations du requérant. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[51]           Il convient de formuler deux observations au sujet de cet arrêt. D’abord, il remonte à un certain temps et ne comporte aucune analyse détaillée. Par conséquent, le raisonnement qui y est exposé ne serait peut-être pas conciliable avec l’élargissement des actions susceptibles de contrôle des tribunaux administratifs et entités gouvernementales, selon les explications données à ce sujet dans l’arrêt May, précité. En deuxième lieu, il y est fait référence à une simple lettre. Il se pourrait que, dans cette affaire, le CSARS ait décidé, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, de ne pas présenter de rapport au plaignant, comme il est autorisé à le faire en vertu de l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur le SCRS.

 

[52]           En dernier lieu, la Cour estime que son pouvoir d’entendre les demandes de contrôle judiciaire relatives aux actions du CSARS ne devrait pas être fragmenté. Comme l’a souligné l’avocat du CSARS, l’arrêt Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694, cité dans la décision Larny Holdings Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2002 CFPI 750, permet d’affirmer ce qui suit :

[…] Entre une interprétation qui favorise l’accès au contrôle judiciaire et assoit la compétence de la Cour sur une base ferme et uniforme, et une interprétation qui restreint l’accès au contrôle judiciaire, segmente la compétence de la Cour en fonction de critères incertains et impraticables et amène inéluctablement une avalanche de débats liminaires, le choix s’impose de lui-même. […]

 

 

[53]           Effectivement, dans la présente affaire et dans d’autres, il a été reconnu implicitement que des domaines de compétence du CSARS pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Dire que le plaignant n’a pas d’« intérêt » dans le rapport visé à l’article 41 ou mettre l’accent sur les recommandations formulées « segmente la compétence de la Cour en fonction de critères incertains et impraticables ». À cet égard, la décision Omary, précitée, introduirait un scénario de cette nature, comme le ferait le contrôle des enquêtes du CSARS selon les règles de l’équité procédurale.

 

[54]           Pour reprendre les termes que le juge Décary a employés dans l’arrêt Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc., précité, le « choix s’impose de lui-même » : à titre de tribunal administratif et d’organisme d’enquête dont le rôle de supervision constitue un élément clé de la Loi sur le SCRS, le CSARS doit être assujetti à la surveillance de la Cour dans la mesure où les rapports qu’il établit en application de l’article 41 de cette même loi sont susceptibles de contrôle.

 

[55]           À titre de remarque incidente, il convient de souligner que tant les plaignants éventuels que le SCRS peuvent tirer profit de la reconnaissance de la compétence de la Cour en ce qui a trait au contrôle des rapports visés à l’article 41, car un rapport de cette nature pourrait avoir un effet préjudiciable sur les intérêts des deux parties. Il est indéniable que le SCRS peut ne pas tenir compte des recommandations formulées par le CSARS dans la présente affaire. Un plaignant ne possède pas de telle prérogative, et la plainte constitue une procédure déterminante pour réparer les fautes reprochées.

 

[56]           Non seulement le critère élevé relatif à la requête en radiation n’est-il pas satisfait, mais la Cour a jugé nécessaire de trancher la question de la compétence de façon à ne pas entraver indûment le traitement de la demande de contrôle judiciaire en laissant au juge qui entendra la demande le soin de se prononcer à ce sujet.

 

IV. Le jugement déclaratoire sollicité par la demanderesse

[57]           L’avocate du procureur général a soutenu que certaines des conclusions sollicitées par la demanderesse devraient être radiées, parce qu’elles ne reposent sur aucun motif pouvant constituer le fondement d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[58]           L’avocat de la demanderesse a laissé entendre que des modifications peuvent être apportées à la demande.

 

[59]           Compte tenu du stade peu avancé de l’instance et du fait que l’avocate du procureur général n’est nullement lésée en répondant à la demande de réparation, puisqu’elle y a déjà répondu dans sa requête en radiation, le juge qui entendra la demande se prononcera sur le jugement déclaratoire sollicité et sur sa validité.

 

V. Les dépens

[60]           Il y a deux intérêts opposés à prendre en compte à l’égard des dépens. D’abord, on peut soutenir que le « critère élevé » relatif à la requête en radiation n’a pas été satisfait. L’avocate du procureur général a déclaré que son client savait qu’il était possible d’invoquer des précédents permettant de plaider les deux points de vue sur la question de la compétence et a néanmoins décidé de présenter la requête. De toute évidence, la question en litige en l’espèce n’en était pas une au sujet de laquelle la demande n’avait aucune chance de succès.

 

[61]           D’autre part, la question de la compétence aurait probablement été soulevée dans la réponse du procureur général et le juge chargé d’entendre la demande aurait été tenu d’examiner la question.

 

[62]           En conséquence, la Cour estime que les dépens relatifs à la requête en radiation fondée sur une question de compétence devraient être adjugés à la demanderesse et accorde à celle-ci une somme globale de 5 000 $, conformément au paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

-          La requête en radiation est rejetée;

-          Le CSARS obtient un statut limité d’intervenant conformément aux conditions de la présente ordonnance et à ses motifs;

-          Le défendeur versera à la demanderesse une somme de 5 000 $ dans un délai raisonnable;

-          Le CSARS obtient un statut limité d’intervenant l’autorisant à formuler des observations au sujet de sa compétence, du processus de traitement des plaintes visé à l’article 41 et de la façon dont ce processus a été suivi relativement à la plainte de la demanderesse;

-          Le CSARS ne peut formuler aucune observation au sujet de la décision définitive qu’il a rendue ou des justifications sous-jacentes à celle-ci, qu’elles soient soulevées au cours d’une audience publique ou d’une audience à huis clos;

-          Le CSARS doit déposer tous les documents concernant la plainte de la façon suivante, en trois exemplaires :

a)      verser dans le dossier public de la Cour le dossier que le Comité a reçu en présence de la demanderesse au sujet du rapport du CSARS;

b)      déposer de façon confidentielle et sous pli scellé, conformément aux articles 151 et 152 des Règles des Cours fédérales, les documents que le Comité a reçus en l’absence de la demanderesse, tant pour les besoins de son enquête que des audiences, conformément aux conditions suivantes :

i.                     le dossier doit être déposé uniquement au greffe de la section des instances désignées et de l’annulation de la citoyenneté de la Cour, et la partie du dossier qui est déposée sous pli scellé ne peut être communiquée à qui que ce soit, sauf au juge chargé de la gestion de l’instance, au juge désigné pour entendre la demande, à l’avocate du défendeur et à l’avocat de l’intervenant;

ii.                   la demande doit être attribuée à un juge qui est désigné pour entendre les instances concernant des questions relatives à la confidentialité liée à la sécurité nationale;

iii.                  lorsque le dossier confidentiel sera concerné, la demande sera entendue dans la salle réservée aux instances désignées de la Cour, en l’absence de la demanderesse et à huis clos.

-             L’intervenant assistera aux audiences publiques et aux audiences ex parte afin de formuler des observations sur sa compétence et de clarifier le processus de traitement des plaintes visé à l’article 41, conformément à la présente ordonnance et à ses motifs;

-             L’affaire se poursuivra à titre d’affaire assujettie à la gestion des instances.

 

 

                                                                                                                   « Simon Nöel »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1463-10

 

INTITULÉ :                                       CHIMEN MIKAIL c. PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 mai 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 28 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Khalid Elgazzar

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Helen Grey

POUR LE DÉFENDEUR

 

Gordon Cameron

 

POUR L’INTERVENANT PROPOSÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Champ & Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

Blakes LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTERVENANT PROPOSÉ

 

 

 

 

 

 

 

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