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Date: 20110714

Dossier : T-417-10

Référence : 2011 CF 886

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2011

En présence de madame la juge Johanne Gauthier

 

ENTRE :

 

MICHEL BILODEAU

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

 

et

 

LE GROUPE RESPONSABLE DE LA

RÉVISION DES CONDAMNATIONS

 

 

 

Défendeurs

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Monsieur Bilodeau demande à la Cour de réviser la légalité de la décision du ministre de la Justice qui a rejeté sa demande de révision de sa condamnation criminelle en vertu de l’ancien article 690 du Code criminel, LRC 1985, ch C-46 (maintenant les articles 696.1 à 696.6), parce qu’il n’était pas convaincu qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite.

 

[2]               Le demandeur a soulevé plusieurs arguments à l’effet que le ministre avait manqué à son devoir d’appliquer les « principes de justice fondamentale », y inclus son devoir d’équité procédurale dans cette affaire. Les parties s’entendent à l’effet que c’est la première fois qu’un dossier qui a passé la deuxième étape du processus de révision par le ministre soit une décision après enquête fasse l’objet d’une telle demande de contrôle judiciaire et que la Cour ait à se pencher sur l’étendue du devoir du ministre dans ce contexte.

 

Contexte factuel[1]

[3]               Michel Bilodeau (ou plus exactement Alphonse Michel Bilodeau) a été condamné le 23 décembre 1971 pour meurtre non qualifié sur la personne de William Elieff.

 

[4]               Ce meurtre a eu lieu dans le cadre d’une tentative de vol à main armée dans la nuit du 10 au 11 mars 1971 à la Brasserie Normandie sur la rue Peel à Montréal. Au procès en 1971[2] la théorie de la Couronne était que monsieur Bilodeau et monsieur Yvon Beaulieu se trouvaient à l’intérieur de la salle de billard de l’établissement au moment où le meurtre a été commis alors que deux personnes qui les accompagnaient, soit monsieur Denis Cloutier et mademoiselle M[3] les attendaient à l’extérieur de la salle de billard dans l’escalier du deuxième étage menant de la rue à ladite salle.

 

[5]               Dans le cadre de sa demande de révision de sa condamnation criminelle en février 2001[4] monsieur Bilodeau affirme qu’il avait un alibi qui n’a jamais été soulevé et soutient qu’il dormait (saoul) dans l’automobile utilisée par les quatre compères ce soir là. Seul monsieur Beaulieu serait entré à l’intérieur de la salle de billard, ce dernier serait donc l’unique responsable du meurtre perpétré ce soir-là.

 

[6]               Au soutien de cette « nouvelle question importante », monsieur Bilodeau a produit l’affidavit de monsieur Cloutier à qui il dit n’avoir jamais parlé depuis sa condamnation avant une rencontre fortuite dans un supermarché à l’été 2000. Il est important de noter immédiatement que monsieur Cloutier avait plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire et qu’il n’a pas témoigné au procès de messieurs Bilodeau et Beaulieu.

 

[7]               Monsieur Bilodeau soumet aussi qu’il a été victime d’un déni de justice à cause du comportement criminel des policiers enquêteurs et de la complaisance du procureur de la Couronne. Les policiers auraient fabriqué des preuves et forcer des témoins à se parjurer.

 

[8]               Plus particulièrement il argue que le témoignage de mademoiselle M qui était alors mineure (âgée de 16 ans) était biaisé si l’on tient compte de son intérêt à aider la police par crainte d’être accusée à l’instar des trois hommes qu’elle accompagnait le soir du meurtre, et du fait qu’elle aurait subi des pressions et même des abus sexuels de la part de la police. Au soutien de ces allégations, monsieur Bilodeau s’appuie sur l’affidavit de monsieur Cloutier qui affirme également avoir subi des pressions et des abus physiques de la part de policiers afin qu’il fasse une fausse déclaration incriminant messieurs Bilodeau et Beaulieu, de même que sur des conversations qu’il aurait eues récemment avec mademoiselle M.

 

[9]               Monsieur Bilodeau indique qu’au moment des événements, il était jeune (il avait 20 ans à l’époque du procès), peu scolarisé et révolté. Selon ses dires, il ne comprenait pas très bien ce qui se passait. Monsieur Bilodeau a aussi précisé qu’il n’avait pas confiance en son avocat de l’époque au procès (Me Robert Forest) et qu’il a refusé de s’entretenir avec lui. Toutefois, il affirme aussi que son avocat l’a dissuadé de témoigner en raison de son passé criminel et de ses difficultés à s’exprimer et garder son calme (voir D-21). Même Monsieur Bilodeau a soulevé l’incompétence de son avocat, le demandeur n’a pas insisté sur ce point devant moi vu l’absence de preuve à cet égard.[5]

 

[10]           Monsieur Bilodeau affirme qu’il a toujours clamé son innocence et n’a pu en appeler de la décision pour diverses raisons telles que la difficulté à communiquer avec l’extérieur à cette époque, ainsi que son manque d’éducation et de moyens. Il aurait tenté de réouvrir son dossier vers les années 1980-82 mais les frais d’avocat étaient trop élevés pour ses moyens financiers.

 

Preuve disponible datant de 1971

[11]           Dans sa lettre du 21 février 2001, Me Poirier indique qu’il avait pour mandat d’obtenir toute la documentation nécessaire pour faire réévaluer la condamnation de son client. À ce moment-là, les transcriptions sténographiques du procès de même que l’adresse du jury n’étaient plus au dossier. Selon lui, il ne restait plus que la transcription de l’enquête préliminaire, les notes du greffier au procès de même que la transcription prise lors d’une visite des lieux par le juge, le jury, les accusés et le témoin Maria Koliff, ainsi que la dernière partie du témoignage de cette dernière en date du 10 décembre 1971.[6]

 

[12]           Au procès la Couronne a présenté 18 témoignages, les plus pertinents étant ceux de madame Koliff, de mademoiselle M, et de monsieur Kit Wong, un étudiant de 23 ans qui faisait partie du dernier groupe de clients ayant quitté la salle de billard vers minuit. La défense (Me Forest) a présenté un seul témoin, soit Me Boulais, l’avocat ayant représenté monsieur Bilodeau à l’enquête préliminaire. En contre-preuve, la Couronne a fait entendre le sergent-détective Roger David, présumément pour répondre au témoignage de Me Boulais. L’avocat de monsieur Beaulieu n’a pas présenté de preuve.

 

[13]           La seule transcription qui existe, soit celle datant du 10 décembre 1971, indique que madame Koliff, serveuse à la brasserie était présente dans la salle de billard lors du meurtre. Elle confirme :

(i)                  qu’il n’y a qu’une entrée;

(ii)                que le soir en question, alors qu’il était à peu près minuit (heure de fermeture de la salle), elle était occupée à ranger les tables, lorsque deux hommes sont entrés dans la salle. Elle a présumé que monsieur Elieff qu’elle ne voyait pas d’où elle se tenait s’occuperait d’eux;

(iii)               qu’elle a entendu le coup de feu mais n’a pas vu qui avait tiré. Elle n’a pas vu non plus si monsieur Elieff avait été blessé;

(iv)              qu’elle a clairement vu les deux individus près de la caisse enregistreuse et décrit leurs agissements;

(v)                qu’elle a trouvé la victime, monsieur Elieff, blessé par terre après que les deux hommes se soient enfuis.

Le juge et quelques membres du jury ont posé des questions à madame Koliff pour vérifier de quelle façon elle avait pu vraiment voir d’où elle se tenait ce soir-là et ce qu’elle avait vu.

 

[14]           Rien n’indique dans son bref témoignage de retour à la Cour en date du 10 décembre 1971 si elle avait identifié la veille les deux hommes qu’elle soutenait avoir bien vus. Toutefois, elle dit en réponse à une question précise qu’elle n’avait jamais vu ces deux hommes avant ce soir-là.[7]

 

[15]           Les parties ont pris pour acquis que les témoignages de monsieur Wong et de mademoiselle M au procès étaient probablement plus ou moins conformes à ce qu’ils avaient déclaré à l’enquête préliminaire.[8] Certes, monsieur Bilodeau qui était présent et a entendu cette preuve n’a pas fait de déclaration précise à cet égard. Il n’a pas commenté non plus sur ce qu’avait dit madame Koliff en témoignage en chef le 9 décembre 1971.[9]

 

[16]           À l’enquête préliminaire monsieur Wong a témoigné qu’il avait croisé quatre personnes[10] qui montaient l’escalier étroit (trois hommes et une femme) alors qu’il quittait lui-même la salle de billard et descendait ce même escalier. Son témoignage à cet égard n’a pas été mis en doute. Il a clairement identifié la femme comme étant mademoiselle M et a affirmé reconnaître messieurs Beaulieu et Cloutier. Il n’a pu préciser si monsieur Bilodeau était bien la quatrième personne.

 

[17]           Quant à mademoiselle M, il semble que lors de son témoignage, elle ait d’abord raconté une histoire plutôt farfelue où aucun des quatre comparses ne seraient allés à la Brasserie Normandie. Selon elle, ils seraient tous allés danser[11]. Ils se seraient, par la suite rendus, à Toronto et elle aurait dormi avec monsieur Beaulieu dans un « tourist room » à Montréal. Ils seraient ensuite retournés à Québec.[12]

 

[18]           Après que le juge ait noté son attitude frondeuse et que la Cour ait ajourné en fin de journée, mademoiselle M a changé son témoignage le lendemain. Elle a admis qu’elle était bien à l’extérieur de la salle de billard (palier du deuxième étage) avec monsieur Cloutier le soir du crime alors que messieurs Beaulieu et Bilodeau sont entrés dans la salle de billard. Elle a entendu un coup de feu et ils sont ressortis en disant qu’ils avaient tiré et croyaient avoir manqué monsieur Elieff. Toujours selon elle, les quatre complices se seraient rendus à pied à la Brasserie de chez monsieur Cloutier qui habitait à deux rues de là.

 

[19]           Il convient de noter que lors du témoignage de mademoiselle M plusieurs questions lui avaient été posées par Me Boulais (avocat de monsieur Bilodeau) pour déterminer pourquoi elle avait changé de version. Elle a indiqué que le sergent-détective David lui avait dit être très déçu qu’elle n’ait pas suivi son conseil de dire la vérité et lui aurait aussi indiqué qu’elle pourrait être responsable de parjure.[13] Elle a aussi indiqué que la veille, à la Cour, pendant une pause, elle avait entendu le sergent détective David dire au procureur de la Couronne qu’il la ferait accuser de meurtre. Toujours dans le cadre d’un contre-interrogatoire serré de Me Boulais, elle a aussi témoigné que ledit policier lui avait dit à un moment donné qu’elle n’allait pas pour être accusée de meurtre si elle témoignait contre messieurs Bilodeau et Beaulieu.

 

[20]           Comme mademoiselle M l’avait fait avant lui, monsieur Cloutier a témoigné à l’enquête préliminaire qu’après être allé à la Taverne Altesse jusqu’à environ 00 h 20, lui, messieurs Beaulieu et Bilodeau et mademoiselle M seraient allés danser à la discothèque Le Crazy Cat. Ils se seraient rendus à ladite discothèque en voiture et auraient quitté vers 2 h 30 en direction de Toronto.

 

[21]           Comme monsieur Cloutier avait été présenté comme témoin de la poursuite, après cette déclaration, le procureur de la Couronne a obtenu du tribunal la permission de le contre-interroger sur une déclaration antérieure, particulièrement une déclaration faite aux policiers en date du 19 mars 1971. Il convient de noter qu’au tout début de son témoignage monsieur Cloutier avait demandé s’il pouvait obtenir la protection de la Cour qui la lui avait accordée, lui indiquant toutefois qu’il devait dire la vérité[14] faute de quoi il pourrait être inculpé de parjure.

 

[22]           Il appert de ce contre-interrogatoire que la déclaration antérieure qui avait été lue à l’enquête du coroner, indiquait que monsieur Cloutier serait allé jusque vers 23 h 30 à la Taverne Altesse avec monsieur Beaulieu, Michel Larivière[15] et « d’autres amis à Michel » qu’il ne connaissait pas. Ils se seraient aussi rendus chez lui avec monsieur Beaulieu, Michel et mademoiselle M et par la suite ils seraient allés à pied à la salle de billard. Monsieur Cloutier serait resté sur le trottoir parce qu’il « me connaissait ». Suite à une objection à ce que la déclaration antérieure soit lue dans son entièreté, monsieur Beaulieu a clairement indiqué que celle-ci était fausse et que les policiers l’avaient forcé à la faire en lui disant que s’il ne témoignait pas ce « serait les autres qui témoigneraient contre lui ». Il appert que monsieur Cloutier ait eu l’opportunité d’expliquer en détail de quelle façon il avait été forcé par la police à faire cette déclaration (y inclus le fait qu’ils lui auraient tiré les cheveux).

 

[23]           Suite au procès messieurs Beaulieu et Bilodeau ont été condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité (D-1), alors que, tel qu’indiqué, monsieur Cloutier qui avait admis sa culpabilité à une accusation moindre a reçu une peine de sept (7) ans d’emprisonnement.

 

 

 

 

Rapports d’enquête de Me Boro

[24]           Après une longue correspondance entre le Groupe de révision des condamnations criminelle (GRCC) et monsieur Bilodeau le ou vers le 12 mars 2003,[16] le ministre a donné instructions à Me Boro, un avocat criminaliste, que les parties ont reconnu lors de l’audience devant moi comme étant très expérimenté, de conduire l’enquête.

 

[25]           En date du 2 octobre 2003, Me Boro a complété son rapport d’enquête[17] qu’il a transmis pour commentaires à monsieur Bilodeau. Entre autres choses, Me Boro a indiqué que comme l’avocat de monsieur Bilodeau a confirmé que celui-ci n’avait plus d’autres commentaires ni preuve à faire valoir à ce stade-ci, et que monsieur Bilodeau dans une lettre du 10 octobre avait indiqué que mademoiselle M ne se souvenait pas très bien de la séquence des événements (30 ans plus tard), il a décidé de ne pas rencontrer messieurs Bilodeau et Beaulieu non plus que mademoiselle M. Dans son rapport, il a résumé la preuve, le droit en matière d’alibi, les arguments soulevés au support de la demande de révision et dans sa conclusion indique que monsieur Bilodeau a un an pour faire parvenir des commentaires additionnels au ministre, le tout conformément à l’article 5 du Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires) DORS/2002-416 [le Règlement].

 

[26]           En date du 15 octobre 2003, monsieur Bilodeau a commenté en détail le rapport d’enquête. Il soumet que vu l’importance du témoignage de mademoiselle M au procès il est inacceptable que celle-ci n’ait pas été rencontrée. En réponse, et afin de s’assurer que l’enquête de cette affaire soit complète et équitable, Me Boro a procédé à un complément d’enquête. Le deuxième rapport daté du 6 mai 2004 résume les rencontres avec monsieur Bilodeau et son avocat, monsieur Cloutier et mademoiselle M. Il appert dudit rapport qui fut transmis à monsieur Bilodeau,[18] que monsieur Cloutier a changé sa version indiquant à l’enquêteur que c’est lui et monsieur Beaulieu qui étaient entrés dans la salle de billard, son rôle ayant été de désigner le propriétaire. Il a ajouté qu’en se rendant vers la salle de billard, il s’est souvenu avoir dépassé quelques personnes qui descendaient l’escalier, notamment une personne d’origine chinoise. Monsieur Beaulieu aurait abattu la victime, tout se serait passé très vite. Ils se sont enfuis et réfugiés dans son appartement. Pendant tout ce temps, selon monsieur Cloutier, monsieur Bilodeau dormait dans la voiture qui était stationnée sur la rue Peel, car il serait allé de chez lui à la Brasserie Normandie en voiture et par la suite retourné chez lui en utilisant ladite voiture.

 

[27]           Selon le rapport, monsieur Cloutier aurait dit que :

a.       la seule déposition qu’il a faite le fut lors de l’enquête du coroner et qu’on ne lui a pas demandé de témoigner à l’enquête préliminaire;

b.      il aurait été placé en isolement protecteur après avoir été menacé par monsieur Beaulieu; et

c.       il dit qu’il a toujours nié avoir participé au meurtre.

 

[28]           Pour ce qui est de mademoiselle M, maintenant mariée et qui, semble-t-il, n’avait jamais discuté de ces événements avec son mari, la rencontre n’a pas révélé grand-chose quant à la question de l’alibi, parce qu’elle était accompagné de son mari qui a d’abord refusé de lui permettre de répondre aux questions croyant qu’il s’agissait d’un complot tramé avec monsieur Bilodeau pour faire de l’argent. Il aurait mieux apprécié la situation après avoir reçu des explications.

 

[29]           Le rapport du 6 mai 2004 indique que mademoiselle M est une personne fragile, toujours hantée par ces événements mais qu’« elle a déclaré catégoriquement qu’elle n’avait pas l’intention de revenir sur le témoignage qu’elle avait rendu devant le tribunal il y a trente ans et elle a nié avoir été la victime de menaces lorsqu’elle a déposé à l’époque ».

 

[30]           Apparemment, monsieur Bilodeau se serait rendu trois fois à son lieu de travail sous prétexte qu’il écrivait un livre au sujet de cette affaire. On souligne aussi que mademoiselle M refuse de participer à l’enquête surtout parce qu’elle tremble à l’idée de devoir témoigner. Il est évident que la rencontre l’a beaucoup troublée.

 

[31]           Elle n’a pas répondu directement à savoir s’il était possible que monsieur Bilodeau ait été endormi dans la voiture et elle s’est contentée de répéter que sa version des faits restait la même que celle qu’elle avait relatée devant le tribunal.

 

Autres démarches entre le 6 mai 2004 et la décision

[32]           Comme toute la correspondance entre les parties (de même que la preuve[19] devant le décideur) ne sont pas devant la Cour, la période entre le 6 mai et le 29 novembre 2004, date à laquelle monsieur Bilodeau a commenté le deuxième rapport de Me Boro reste vague. La Cour comprend des pièces D-42 et D-43 que le 9 août 2004 monsieur Bilodeau a demandé qu’on lui transmette une copie intégrale et non caviardée de la traduction officielle du deuxième rapport. Cette demande a été refusée le 31 août 2004, parce que les passages caviardés ne faisaient pas partie de l’enquête. Selon le GRCC, ils concernaient l’avis juridique et les recommandations au ministre. Le 5 octobre 2004, monsieur Bilodeau a réitéré sa demande qui est refusée à nouveau le 7 octobre 2004.[20]

 

[33]           Toutefois, le 17 novembre, le GRCC se ravise et confirme que l’on enverra sous peu une traduction complète du rapport sauf les recommandations. Une version anglaise du texte non caviardé, sauf quant aux recommandations, est jointe.[21]

 

[34]           Le 29 novembre 2004, monsieur Bilodeau transmet de brefs commentaires sur le complément d’enquête. Il s’interroge sur comment l’enquêteur a pu transmettre une recommandation en l’absence de toutes les transcriptions du procès, puisque la majeure partie fut détruite en 1986 et le reste après sa demande de révision au ministre en 2001.[22] Comme la transcription du témoignage de mademoiselle M fut détruite en 1986, il devient impossible de connaître sa version des faits. Selon lui, l’enquête préliminaire ne donne qu’une vague idée de son témoignage lequel était truffé d’invraisemblances, d’incongruités et de mensonges. C’est à ce moment que le demandeur a soulevé pour la première fois qu’il appartenait à l’un ou l’autre des ministres de la Justice de conserver dans un endroit sûr, son dossier de Cour, vu la longueur de la peine imposée (perpétuité) et le type de dossier (meurtre).

 

[35]           Selon lui, le ministre devait connaître l’importance des transcriptions du procès[23] qui est souligné puisqu’on a maintenant pris soin de codifier dans le Règlement à l’aliéna 2(2)c) que la demande de révision doit être accompagnée d’une copie, entre autres, d’une copie conforme de la transcription du procès. Selon lui, ceci est suffisant en soi pour conclure à une injustice et pour justifier l’acceptation de sa demande.

 

[36]           Monsieur Bilodeau écrit aussi que « le 7 octobre 2004, à la lecture du rapport, monsieur. Cloutier réitère sa même version qu’en février 2001 et nous souligne qu’il n’a jamais dit les propos mentionnés par Me Boro » (D-44 à la page 404).

 

[37]           Le 1er décembre 2004, le GRCC informe monsieur Bilodeau qu’il reprenait l’intégralité du dossier afin de continuer l’examen de la demande. Le GRCC indique que celle-ci sera examinée au regard de l’information qui figure au dossier de même que l’enquête de Me Boro. La lettre de huit (8) pages énumère alors la preuve telle qu’elle se présente à ce jour, y inclus diverses références aux passages pertinents du dossier carcéral de monsieur Bilodeau qui sont tous joints.

 

[38]           Il appert que le 23 janvier 2005 monsieur Bilodeau a répondu à cette lettre en faisant une demande d’accès à l’information[24] qui n’a pas été déposée devant la Cour (voir D-46) et a demandé au ministère de payer et superviser les services d’un expert en polygraphie afin de dissiper tout doute concernant la « véracité » de sa version des faits. Le GRCC l’a informé qu’il n’était pas convaincu, à l’examen de son dossier, qu’un examen polygraphique soit nécessaire en l’espèce. On y confirme aussi que le délai pour faire parvenir ses renseignements additionnels est prorogé jusqu’au 29 novembre 2005.

 

[39]           En date du 10 novembre 2005, monsieur Bilodeau, conformément au Règlement et aux dispositions des articles 696.1 et suivants du Code criminel, soumet ses commentaires, correctifs et renseignements additionnels (30 pages).

 

[40]           Compte tenu de l’étendue et de la diversité des commentaires faits par monsieur Bilodeau, la Cour se limitera aux quelques points suivants :

a.       Selon lui, mademoiselle M est un témoin peu crédible compte tenu des trois différentes versions données avant le procès. Il est noté qu’ « en aucun moment mademoiselle M n’a mentionné qu’elle faisait le guet avec M. Denis Cloutier »[25]. Dans son témoignage devant le coroner, elle a plutôt indiqué qu’elle serait demeurée dehors avec monsieur Cloutier. Selon monsieur Bilodeau et tel que l’indique Me Boro, le 2 octobre 2003, le témoignage de mademoiselle M, dans les circonstances, ne pouvait être suffisant pour justifier le verdict rendu. Il souligne, au soutien de cet argument, le fait que Me Boro mentionnait que sa version des événements avait changé tellement souvent que sa valeur comme témoin pour les fins de la demande de révision lui semblait extrêmement douteuse.

b.      Monsieur Bilodeau ajoute que comme monsieur Wong n’avait pu le reconnaître et que madame Koliff a vu deux hommes, et prenant pour avéré le fait qu’il dormait dans la voiture, la seule inférence logique était donc la présence de monsieur Beaulieu et de monsieur Cloutier sur les lieux du crime malgré l’affidavit de ce dernier. Il indique de plus qu’en 2005, lors d’une rencontre au bureau de son procureur, monsieur Cloutier a confirmé que la version décrite dans le rapport de Me Boro (rencontre du 19 janvier 2004) est la bonne.

c.       Sur l’importante question de savoir à quel moment il a dévoilé pour la première fois son alibi à un tiers, il semble qu’il n’y ait pas de preuve documentaire à cet égard avant août 1991.[26] Ceci étant dit, monsieur Bilodeau soumet qu’il a d’autres preuves plus anciennes confirmant généralement qu’il avait toujours clamé son innocence.

d.      Monsieur Bilodeau argue que compte tenu de la nature de cet alibi il n’y a aucun préjudice à ce que celui-ci n’ait pas été déclaré plus tôt puisque la police n’aurait de toute façon pas pu faire de vérification le confirmant ou l’infirmant.

e.       Monsieur Bilodeau explique aussi les déclarations faites pendant son incarcération à l’effet qu’il était bien l’auteur du meurtre[27] de même que la raison pour laquelle son avocat à l’époque, Me Daoust, n’avait pas soulevé cet alibi lors de l’appel quant à sa libération conditionnelle en 1999.

f.        Il revoit en détail les rapports d’enquête et les arguments soulevés pour conclure que l’enquête est viciée sont à peu près les mêmes que ceux soulevés devant moi.

g.       Finalement, il soumet deux tests polygraphiques concernant monsieur Bilodeau (le premier n’était pas concluant) et commente la valeur de cette preuve dans les termes suivants : « Nous reconnaissons d’emblée que nos tribunaux siégeant en matière criminelle ne reconnaissent pas la valeur d’un test polygraphique afin d’innocenter un individu. Cependant il est important de vous rappeler que même l’honorable Antonio Lamer, siégeant à la Cour suprême du Canada y a accordé une certaine valeur notamment dans l’affaire David Milgard.[[28]] En effet, avant que notre Cour suprême ne statue sur l’innocence de monsieur Milgard, une demande de passer un test polygraphique avait été faite, le tout couronné de succès. Nos tribunaux civils reconnaissent aussi une certaine valeur au test polygraphique. Ainsi dans les cas de réclamation contre une compagnie d’assurance pour incendiat, le courant jurisprudentiel est à l’effet qu’un juge peut alors tirer une conclusion défavorable contre le demandeur qui a refusé préalablement de se soumettre à un test polygraphique sollicité par un représentant de la compagnie défenderesse. D’autres instances reconnaissent aussi une valeur au test polygraphique. Qu’il suffise de relire le Manuel de Directives du Ministère de la justice du Québec au sujet de témoin délateur pour y voir que le test polygraphique revêt une importance. » (D-48 à la page 447.)

 

[41]           Le 5 décembre 2005 (D-50), le GRCC accuse réception des commentaires de monsieur Bilodeau et lui indique qu’une vérification ultime de l’information fournie dans ses commentaires sera faite avant que le tout soit transmis au ministre avec les recommandations du GRCC. Cette lettre traite spécifiquement de la question de la destruction du dossier et indique que même si aujourd’hui le dossier de monsieur Bilodeau serait incomplet et inadmissible compte tenu de l’absence des transcriptions, le ministre a accepté d’examiner sa demande même si cela implique qu’elle doit être déterminée sur la base des seules preuves dont on dispose. On y indique aussi espérer que les dossiers carcéraux de messieurs Cloutier et Beaulieu aideront « à faire la lumière. »

 

[42]           À cette même date, le GRCC fait une demande pour ces deux dossiers au Service correctionnel du Canada. Le 13 février 2006, monsieur Bilodeau reçoit le dossier de monsieur Beaulieu car il est maintenant décédé et on l’informe que le dossier de monsieur Cloutier (renseignements personnels) ne pourra lui être transmis que sur réception d’un consentement de monsieur Cloutier à cet effet. Le demandeur est aussi avisé que ce dossier contient de l’information le plaçant à côté de monsieur Beaulieu dans la salle de billard le jour du crime.

 

[43]           Pour toute réponse, il semble que monsieur Bilodeau a choisi d’envoyer deux lettres datées du 16 mars 2006. L’une transmet au GRCC un rapport d’examen polygraphique de monsieur Cloutier alors que l’autre est adressée à Me Boro et soulève diverses questions.

 

[44]           Il appert de D-55, que la lettre au ministre était mal adressée et a dû être retransmise le 29 mars 2006 avec une copie de la lettre à Me Boro. Aucune autre communication n’a eu lieu avant que le ministre ne rende sa décision huit mois plus tard.

 

La décision

[45]           Dans sa décision de 28 pages datée du 28 novembre 2007, le ministre revoit en détail les questions invoquées au soutien de la demande de révision. Après avoir référé à certains documents plus spécifiquement, il indique avoir considéré l’intégralité du dossier au ministère.

 

[46]           Il traite de la nature du recours et du test qu’il a appliqué − d’être convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.

 

[47]           Il reprend les principes directeurs régissant le pouvoir discrétionnaire qu’il exerce sous l’ancien article 690 qui avait été adopté et formulé en avril 1994 dans le cadre d’une demande au sujet de monsieur Thatcher. Tenant compte des questions en litige, il convient de mentionner le paragraphe 5 qui se lit comme suit:

 

Lorsque le demandeur est en mesure de présenter de «  nouveaux éléments » le Ministre les évaluera afin de déterminer leur fiabilité. À titre d’exemple, si de nouvelles preuves sont présentées, elles seront examinées pour qu’il soit déterminé si elles sont raisonnablement dignes de foi eu égard à toutes les circonstances. Ces nouveaux éléments seront également étudiés pour qu’il soit déterminé s’ils sont pertinents à la question de la culpabilité. Le Ministre devra en outre établir l’effet global des « nouveaux éléments » lorsqu’ils sont considérés de concert avec la preuve présentée au procès. À cet égard, l’une des questions importantes à se poser sera la suivante : « Existe-t-il de nouvelles preuves pertinentes à la question de la culpabilité et raisonnablement dignes de foi qui, prises de concert avec la preuve présentée au procès, auraient pu raisonnablement avoir une incidence sur le verdit? »[29]

                                                                                              [Mon souligné]

 

[48]           Selon le ministre les principes de 1994 ont été repris et codifiés aux articles 696.1 et suivants en vigueur depuis le 25 novembre 2002 et il confirme que ces dispositions ont servi de guide dans le cadre de la révision de cette demande.

 

[49]           Encore une fois, comme cela est pertinent aux questions en litige, il est opportun de noter que le ministre, bien qu’il réfère particulièrement aux tests polygraphiques de monsieur Bilodeau à la page 7 de sa décision, n’indique pas précisément le poids qu’il a donné à cette preuve et ne fait pas référence au test polygraphique de monsieur Cloutier.

 

[50]           En plus d’examiner la preuve, le ministre reprend les principes de droit applicable quant à la défense d’alibi qui est une exception au principe général que l’accusé a le droit au silence. Il note que même si on reconnaît que la défense n’a aucune obligation d’annoncer un alibi et que cette omission ne l’empêchera pas de le présenter ultérieurement au procès, l’accusé court un risque important que la valeur probante et la crédibilité de sa défense si elle n’est pas annoncée en temps utile, soient particulièrement affectées. Il indique que lorsque l’accusé ne mentionne son alibi qu’au stade du procès, le juge des faits pourrait même tirer une conclusion défavorable contre lui. Il précise enfin la différence entre un alibi qui n’est pas cru − il n’a aucune force probante et ne doit pas être considéré avec le reste de la preuve, et l’alibi qui est faux. Lorsque l’accusé a participé à la fabrication d’un faux alibi, une inférence de culpabilité pourrait être tirée si la tentative est délibérée d’induire en erreur.

 

[51]           Quant à l’application de ces principes en l’espèce, il confirme qu’aucun des complices n’a témoigné au procès et que la défense d’alibi n’a pas été soulevée. Il note les explications quant à l’absence d’appel et le fait que la première fois que cet alibi est noté par écrit est le 26 août 1991, soit plus de 20 ans après la commission du meurtre et que par conséquent l’écoulement du temps à préciser la nature exacte de pourquoi « votre innocence en affecte directement la crédibilité » (D-60 à la page 779).

 

[52]           Il réfère entre autres aux admissions faites par monsieur Bilodeau à des agents du Service correctionnel où il aurait dit avoir tiré sur la victime dans un réflexe qu’il était incapable d’expliquer, le tout s’étant déroulé trop vite. Cette thèse du réflexe est d’ailleurs reprise plus d’une fois.

 

[53]           Quant au dossier d’Yvon Beaulieu, celui-ci semble avoir prétendu pendant sa détention que c’est monsieur Bilodeau qui avait tiré sur la victime lorsqu’elle avait essayé de résister et il ne paraissait pas comprendre pourquoi il avait lui aussi été condamné à perpétuité. À cet égard, le ministre note que même si monsieur Bilodeau dit avoir en sa possession un affidavit de monsieur Beaulieu[30] confirmant que monsieur Bilodeau n’était pas impliqué dans le meurtre, celui-ci n’a jamais été produit au soutien de sa demande.

 

[54]           Quant à l’affidavit de Denis Cloutier, le ministre mentionne certaines erreurs évidentes telle que la peine d’emprisonnement qui lui a été imposée qu’il décrit comme 10 ans plutôt que 7 ans. Il note par ailleurs que la version décrite dans l’affidavit est contredite par d’autres témoignages (expliqués en détail dans la décision) et par monsieur Cloutier lui-même et qu’il ne fait aucun doute que madame Koliff a bien vu deux individus à l’intérieur de la salle de billard. Il indique que non seulement l’auteur de l’affidavit a changé sa version souvent mais que la version dans laquelle monsieur Bilodeau était à l’intérieur de la salle de billard est consistante avec les versions que l’on retrouve tant dans son dossier que dans celui de monsieur Beaulieu et tous les témoignages de mademoiselle M. Selon lui, la version du témoignage de mademoiselle M qu’elle attendait en haut de l’escalier et que deux hommes sont entrés dans la salle de billard est appuyée par le témoignage de monsieur Wong et madame Koliff.

 

[55]           Le ministre note enfin qu’outre les témoignages de mademoiselle M et de madame Koliff, il existait une preuve circonstancielle qui aurait pu permettre aux membres du jury de tirer une inférence négative quant la culpabilité de monsieur Bilodeau (tel que s’enfuir à Toronto et changer d’apparence en se teignant les cheveux). En somme, selon le ministre il existe très peu d’informations fiables qui appuient la thèse de la défense d’alibi avancée et il conclut comme suit :

 

Le premier argument allègue une défense que l’on pourrait qualifier d’alibi et qui a pour effet de vous placer ailleurs que sur les lieux du crime au moment de la commission du meurtre non qualifié. Je constate cependant que cette défense est contredite par les témoins oculaires qui ont été entendus à l’enquête préliminaire et au procès.

 

En outre, l’écoulement d’une période de plus de vingt ans avant que vous n’invoquiez véritablement en 1991 votre défense d’alibi en affecte directement sa crédibilité. Je constate également, qu’à la lecture de votre dossier correctionnel, vous n’avez pas toujours prétendu être innocent du meurtre non qualifié qui vous était reproché et que vous avez même admis votre responsabilité à différentes reprises.

 

Cette défense d’alibi est également ébranlée par la version changeante de l’auteur de l’affidavit Denis Cloutier et n’est pas supportée par l’information récoltée dans votre dossier correctionnel. Cette défense d’alibi n’est pas non plus supportée par l’information récoltée dans les dossiers correctionnels de vos complices Denis Cloutier et Yvon Beaulieu puisqu’ils vous placent tous les deux dans la salle de billard le soir du meurtre non qualifié.

 

 

[56]           Quant au déni de justice eu égard au comportement criminel des policiers enquêteurs et à la complaisance du procureur de la Couronne, comme je l’ai indiqué compte tenu de ce qui fut divulgué à l’enquête préliminaire, la question nouvelle était que mademoiselle M aurait été victime d’abus sexuel de la part des policiers. Le ministre note que la première allégation de monsieur Bilodeau à cet effet a été modifiée dans sa lettre du 17 octobre 2001 où il indique que selon un plus récent entretien les policiers auraient tout simplement « tenté » d’abuser d’elle. Le ministre indique par ailleurs que lors de la rencontre avec Me Boro, mademoiselle M a nié avoir été victime de menaces lorsqu’elle a fait sa déposition à l’époque et a déclaré catégoriquement qu’elle n’avait pas l’intention de revenir sur son témoignage. Il conclut qu’il n’y a donc aucune preuve raisonnablement crédible au dossier supportant le nouvel élément allégué.[31]

 

[57]           Quant à ce dernier élément et la question de la négligence de son avocat, le ministre conclut :

Vous n’avez toutefois fourni aucun nouveau renseignement significatif, ni produit aucune preuve à l’appui de vos prétentions selon lesquelles la police aurait proféré des menaces contre les témoins[[32]] pour obtenir votre condamnation. [Quant à la] conduite de votre avocat, […] vous n’avez présenté aucun nouveau renseignement qui pourrait permettre de conclure que vous avez été victime d’un déni de justice à cet égard. Tout indiquent dans votre dossier que votre avocat a vigoureusement représenté vos intérêts pendant tout le procès.

 

[58]           La demande de révision a été rejetée.

 

Texte législatif

[59]           Les parties s’entendent pour que la Cour détermine les questions en litige à la lumière des dispositions du Code criminel en vigueur à partir de novembre 2002 et du Règlement adopté à la même époque. Les dispositions pertinentes sont incluses à l’Annexe A.

 

Questions en litige

[60]           Après ce long énoncé du contexte qui me semblait tout à fait essentiel pour bien situer les nombreuses questions en litige, il convient maintenant de les résumer.

 

[61]           Le demandeur soumet que le ministre a manqué à son obligation de respecter les principes de justice fondamentale applicables en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] ou son devoir en common law d’agir équitablement en appliquant les règles de justice naturelle. Particulièrement, il s’appuie sur les manquements suivants :

a.       Le ministre ou son représentant n’a pas fait une enquête rigoureuse et neutre. De plus, Me Boro a illégalement sous délégué certaines tâches à d’autres membres de son cabinet et n’a pas exercé les pouvoirs qui lui étaient conférés pour contraindre mademoiselle M à répondre à ses questions;

b.      L’examen de sa propre initiative des dossiers correctionnels des trois individus impliqués;

c.       L’omission de lui transmettre le dossier correctionnel de Denis Cloutier car selon lui c’était le ministre qui devait obtenir le ou les consentements requis pour lui permettre de rencontrer ses obligations;

d.      La transmission hors de délai prévu au Règlement de l’information contenue au dossier de monsieur Beaulieu et comme argument subsidiaire de monsieur Cloutier;

e.       L’absence de transcription des entretiens avec les témoins vus par l’enquêteur qui lui aurait permis de vérifier l’exactitude du rapport d’enquête;

f.        Le refus de lui fournir une copie complète du rapport du 6 mai 2004 (deuxième rapport);

g.       L’omission de référer et d’évaluer ses tests polygraphiques de même que de celui de monsieur Cloutier.

 

[62]           Il argue de plus que la décision du ministre est déraisonnable parce qu’il a clairement ignoré de la preuve − les tests polygraphiques ou qu’il a manqué de transparence en omettant de traiter de cette preuve importante et pertinente et d’expliquer les motifs pour lesquels il retient la décision souvent modifiée de mademoiselle M. Il a finalement omis de considérer que c’est Michel Larivière qui est monté dans l’escalier et non Michel Bilodeau.[33] Finalement, il indique que le ministre a mal compris son mandat et l’a outrepassé en examinant la crédibilité des éléments de preuve soumis plutôt que simplement leur fiabilité et leur pertinence tel qu’indiqué au paragraphe 696.4b) du Code criminel.

 

Analyse

[63]           Tous les arguments liés à un manquement du décideur à son devoir d’agir équitablement soit en vertu du common law ou en vertu de l’article 7 de la Charte sont soumis à la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et e l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43) sauf celle de motiver étant donné que la Cour est en accord avec l’opinion exprimée par la Cour d’appel de Terre-Neuve dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union v Newfoundland and Labrador (Treasury Board), 2010 NLCA 13, à l’effet que la transparence, l’intelligibilité et la justification requises de la décision raisonnable est suffisante pour déterminer si le décideur a suffisamment motiver sa décision.

 

[64]           Les parties s’entendent et la Cour est satisfaite que la décision du ministre quant à la demande de révision comme telle est une question mixte de faits et de droit, particulièrement centrée sur les faits qui est soumise à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 51, 53; Daoulov c. Canada (Procureur général), 2008 CF 544 au para 22, conf. par 2009 CAF 12 au para 11).

 

[65]           C’est donc dire qu’outre la question de la transparence, mentionnée plus haut, la Cour doit déterminer si les conclusions du ministre appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Il ne s’agit pas pour la Cour de substituer sa propre évaluation de la preuve ou des éléments fournis à celle du ministre.

 

A. L’étendue du devoir du ministre

[66]           Disons d’abord que peut importe qu’il soit fondé sur la common law ou sur l’article 7 de la Charte, l’étendue du devoir du ministre d’agir équitablement varie selon le contexte (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paras 21-22; Idziak c Canada (Ministre de la Justice), [1992] 3 RCS 631 au para 50). Il est aussi clair que les principes de justice fondamentale requièrent d’abord le respect des protections prévues par les règles de justice naturelle et d’équité procédurale. Même si dans certains cas, les paramètres prévus à l’article 7 de la Charte peuvent être plus larges que les principes de justice naturelle, ils ne le sont pas nécessairement dans tous les cas.

 

[67]           Ceci étant dit, la Cour analysera cette question en considérant les critères énumérés par la Cour suprême dans Baker, précité.

 

i) Type de décision

[68]           Le demandeur plaide que même si le pouvoir du ministre est fondé sur la prérogative royale il n’en reste pas moins qu’il exerce un droit fondamental à ne pas être victime d’une erreur judiciaire.

 

[69]           Dans Bilodeau c Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746 aux para 12-25, une décision récente traitant de la demande de monsieur Bilodeau, la Cour d’appel du Québec s’est penchée sur la question. Elle conclut au paragraphe 25 que :

 

les modifications législatives de 2002 n’ont pas altéré, dans son essence, la nature du pouvoir ministériel tel que codifié depuis 1892. Le champs d’application de ce pouvoir se situe en dehors de la sphère traditionnelle du droit criminel en ce sens qu’il débute après l’extinction des recours judiciaires. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui s’inscrit historiquement comme l’une des formes d’exercice de la prérogative royale de clémence.

 

 

[70]           Le juge Rothstein en était d’ailleurs arrivé à une conclusion semblable plusieurs années auparavant dans Thatcher c Canada (Ministre de la Justice), [1997] 1 CF 289, et dans W.R. c Canada (Ministre de la Justice), 2001 CAF 35, au para 2, la Cour d’appel fédérale indique bien que les demandes en vertu de l’article 690 du Code criminel sont des demandes de grâce.

 

[71]           La décision du ministre est définitive et elle ne peut être révisée que dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant cette Cour.

 

[72]           Quant à moi, ce critère pointe vers un devoir minimal. Au mieux, il s’agit d’un élément neutre.

 

ii) Impact de la décision

[73]           Les parties s’entendent que cette décision est très importante pour le demandeur. Alors que le défendeur la qualifie de privilège important, le demandeur en fait, comme je l’ai déjà dit, a un droit fondamental.

 

[74]           Dans Thatcher, précité, le juge Rothstein avait émis des doutes sérieux quant à l’application de l’article 7 de la Charte indiquant qu’il n’y avait pas de « litige » entre les parties. La Cour d’appel fédérale dans W.R., précité, avait pris la peine d’indiquer qu’elle n’entérinerait pas la décision du juge de première instance quant à l’application de l’article 7 de la Charte.

 

[75]           Bien qu’il soit évident que les droits protégés à l’article 7 doivent être interprétés largement et en accord avec les principes et valeurs sous-jacents à la Charte dans son ensemble, la Cour est loin d’être convaincue dans les circonstances particulières de l’espèce que le demandeur a démontré qu’il passait la première étape (Blencoe c Columbie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 SCS 44 au para 47), car ses représentations quant à l’impact de la décision sur les conditions de sa liberté conditionnelle étaient assez vagues.[34]

 

[76]           Dans plusieurs affaires, dont Bryntwick c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1987] 2 CF 184, on a indiqué qu’une décision ayant un impact direct sur la liberté d’un délinquant dans le contexte d’une audience pour une libération conditionnelle impliquait l’article 7 de la Charte. Dans l’affaire Schmidt c Canada, [1987] 1 RCS 500, la Cour suprême du Canada a appliqué l’article 7 dans le cadre d’une décision du ministre d’extrader madame Schmidt aux États-Unis afin qu’elle y subisse un nouveau procès. Dans cette affaire, il semble que l’article 7 a été appliqué même si la décision du ministre n’affectait pas directement la liberté de madame Schmidt mais qu’elle semblait plutôt créer l’opportunité que celle-ci subisse un deuxième procès.

 

[77]           La décision du ministre en l’espèce n’a aucun effet direct sur les conditions de libération conditionnelle du demandeur, au plus, elle crée une opportunité. Toutefois, quant à moi, cette opportunité n’est pas de la même nature que celle créée par la décision du ministre dans l’affaire Schmidt ou Idziak, précité.

 

[78]           Ceci étant dit, la Cour ne croit pas qu’il soit nécessaire de déterminer si l’article 7 s’applique puisque je suis satisfaite que même s’il s’appliquait, le ministre n’a pas manqué à son devoir qui selon moi compte tenu de toutes les circonstances serait très semblable à celui imposé par la common law en l’espèce (voir Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56 au para 70).

 

[79]           À la lecture de la décision Idziak, précité, il est relativement clair qu’on ne peut imposer à l’exercice de la prérogative royale, le même type d’avantages procéduraux que devant une cour criminelle ou civile. L’étendue du devoir imposé au décideur en matière de libération conditionnelle qui a un impact direct sur un délinquant indique bien qu’il y a d’importantes différences même lorsque l’article 7 de la Charte s’applique.

 

[80]           C’est donc dire que tout au plus ce critère milite en faveur d’un devoir plus élevé.

 

iii) Les attentes légitimes

[81]           Le demandeur n’a pas indiqué sur quelle base il pouvait légitimement s’attendre à ce que le ministre fasse plus que ce qui est décrit dans le Règlement et dans l’article 696 du Code criminel. Le demandeur n’a rien produit qui permettrait à la Cour de conclure qu’on lui a fait des représentations concernant la transcription des entretiens ou quelques autres points précis[35] soulevés dans les questions en litige décrites ci-dessus.

 

iv) Procédures adoptées par l’organisme

[82]           La Cour suprême du Canada nous enseigne qu’il faut faire preuve d’une certaine déférence à l’égard des choix faits par un décideur qui a le pouvoir de contrôler sa propre procédure. Le législateur a prévu expressément dans le Code criminel le test à être appliqué par le ministre et les critères à considérer. Le Règlement prévoit les étapes du processus qui incluent la tenue d’une enquête dans certains cas seulement (alinéa 4(1)a) versus sous-alinéas 4(1)b)i) et ii)) de même que les droits de participation du demandeur (paragraphes 4(3), 4(5) et 5(1)) et l’obligation du ministre de rendre une décision (article 6). La Cour note toutefois qu’aucune disposition ne vient préciser l’obligation du ministre de motiver sa décision.

 

[83]           Le Code criminel donne au ministre les pouvoirs d’un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, LRC 1985, ch I-11 (partie 1 et les pouvoirs en vertu de l’article 11). La Cour comprend que ces pouvoirs lui ont été conférés afin de lui donner plus d’outils pour mener promptement son enquête et non pour l’obliger à les utiliser dans tous les cas.

 

[84]           La Cour a examiné attentivement toute la jurisprudence citée par les parties y inclus la récente décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Németh, précité, qui impliquait encore une fois une décision ministérielle en matière d’extradition et où le juge Thomas Cromwell, écrivant pour toute la Cour, traite généralement du devoir du ministre d’agir équitablement, tant en vertu de la common law qu’en vertu de l’application de l’article 7 de la Charte. Le devoir, tel que décrit au paragraphe 70, n’est pas nouveau. La difficulté vient toujours dans l’application d’un principe général, tel la communication de la preuve.

 

[85]           À cet égard, la Cour note que dans l’affaire Idziak, précité, où l’appelant contestait aussi une décision du ministre de décerner un mandat d’extradition, la question était de savoir si la ministre qui doit agir conformément aux « principes de justice fondamentale » avait manqué à son obligation en refusant de communiquer un mémoire dont elle avait tenu compte. Le juge Peter Cory indique que la ministre, même si elle doit agir conformément aux « principes de justice fondamentale », lorsqu’elle décide de décerner ce mandat d’extradition, n’avait pas à divulguer le mémoire reçu de ses fonctionnaires, qui ne constituait pas un élément de preuve devant être utilisé dans une procédure accusatoire, et que son omission ne constituait pas une injustice.[36]

 

[86]           Le juge Gérard La Forest dans cette affaire a précisé qu’en examinant la question de l’extradition, la ministre prenait une décision qui participait d’un acte de clémence (prérogative royale) et qu’elle avait le droit de considérer l’opinion de ses fonctionnaires qui sont versés en la matière sans être forcée de divulguer ses opinions.

 

[87]           La Cour conclut de tout ce qui précède que le devoir du ministre inclut que lorsqu’il tient une enquête, celle-ci doit être neutre et rigoureuse, qu’il doit donner une véritable opportunité au demandeur de soumettre toute information et preuve qui peut être pertinente et de commenter l’information (preuve) supplémentaire dont le ministre entend tenir compte. Finalement, il doit certes rendre une décision suffisamment motivée pour permettre au demandeur d’exercer son droit à un contrôle judiciaire et la Cour d’exercer cette juridiction. C’est à la lumière de ces principes généraux que la Cour examinera les omissions et manquements soulevés par le demandeur.

 

B. Y-a-t’il eu manquement au devoir d’agir équitablement?

                        i) Une enquête neutre et rigoureuse

[88]           Disons d’abord qu’une obligation à ce titre ne signifie sûrement pas que le ministre doive tenir un nouveau procès ou une commission d’enquête. Le demandeur reconnaît d’ailleurs que l’enquêteur en l’espèce a une certaine discrétion sur la façon dont il veut procéder, compte tenu des circonstances de l’espèce. Par exemple, dans certains cas il peut être indiqué d’émettre une assignation, alors que dans d’autres, ceci n’est pas nécessaire.

 

[89]           De fait, la Cour d’appel fédérale dans Tahmourpour c Canada (Soliciteur général), 2005 CAF 113 et Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 décrit bien ce qu’on entend généralement par une enquête neutre et rigoureuse. Le principe a été appliqué régulièrement par nos Cours et cette jurisprudence me semble tout à fait appropriée ici.

 

[90]           Comme l’indiquait la juge Karen Sharlow dans Morrison c Banque HSBC Canada, 2008 CAF 340 au para 31, une telle obligation de tenir une enquête rigoureuse ne signifie pas que l’enquêteur est obligé de retourner chaque pierre possible. La Cour n’interviendra que si l’enquêteur omet d’examiner des éléments de preuve cruciaux, compte tenu de la nature de la demande et de l’information déjà disponible. De plus, certaines omissions peuvent être corrigées par le simple fait qu’un demandeur a eu l’opportunité de rectifier la situation par le biais de commentaires de manière à ce que le décideur prenne sa décision en connaissance de cause (Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574 aux para 56-57).

 

[91]           De la même façon, la Cour doit aussi considérer toutes les démarches faites même après l’enquête pour s’assurer que toute l’information pertinente soit recueillie et commentée avant la prise de décision.

 

[92]           Ici, le ministre a d’abord tenté d’obtenir toute la preuve disponible du demandeur avant de demander à Me Boro de faire enquête et de résumer la preuve. Il est clair que le mandat de celui-ci était de procéder à l’enquête qu’il jugeait adéquate eu égard à la preuve au dossier et de ce qui n’était plus disponible. Il est aussi évident que l’enquêteur a tenu compte des commentaires du demandeur sur son premier rapport en procédant à un complément d’enquête. De plus, vu les informations et commentaires reçus de monsieur Bilodeau, le GRCC a continué de chercher de l’information pour vérifier les points additionnels qu’il avait soulevés prolongeant ainsi la durée du processus pour s’assurer qu’il soit le plus complet possible dans les circonstances.

 

[93]           Le demandeur n’a tout simplement pas soulevé d’omission qui touchait à un élément crucial et qui n’a pu être corrigé.

 

[94]           Dans ses commentaires sur le premier rapport, monsieur Bilodeau n’a jamais mentionné qu’il désirait une transcription des entretiens sur lesquels il insistait. Après avoir lui-même rencontré l’enquêteur, il devait évidemment savoir qu’il n’y avait pas de transcription de l’entretien. Le Règlement indique clairement qu’il n’aurait droit qu’au rapport d’enquête. Ce n’est qu’après qu’il se plaint de l’absence de transcription.

 

[95]           La Cour n’est pas satisfaite qu’elle doive imposer un cadre si rigide au ministre lorsqu’il n’existe aucun droit d’appel et que la Cour peut facilement exercer sa juridiction en matière de contrôle judiciaire en l’absence de telles notes. À cet égard, il est opportun de mentionner que dans plusieurs autres types de contrôle judiciaire impliquant, par exemple, la Commission sur les droits de la personne ou la révision de sentences arbitrales, la Cour ne bénéficie jamais de telles transcriptions.

 

[96]           Ceci dit, le demandeur n’a pas établi non plus que l’absence de transcription lui avait causé préjudice dans ce cas-ci car il a rectifié toutes les inexactitudes qui existaient selon lui quand à sa propre version et celle de monsieur Cloutier. De plus, monsieur Bilodeau s’est même rallié à la version de monsieur Cloutier décrite dans le deuxième rapport mettant rapidement de côté ses commentaires antérieurs à ce sujet. Quant à mademoiselle M, il a aussi fait volte face adoptant finalement la position que ce témoin n’était pas crédible vu les nombreuses versions antérieures s’appuyant même sur l’opinion exprimée par Me Boro dans son premier rapport.

 

[97]           Pour ce qui est de l’argument à savoir que Me Boro aurait dû forcer les témoins impliqués à témoigner sous serment et les forcer à répondre à ses questions, particulièrement mademoiselle M, encore une fois la Cour note que c’est au ministre et son enquêteur qu’il appartient de décider s’il est nécessaire ou pas d’utiliser tous les pouvoirs que le Code criminel lui confère. Rappelons que l’obligation de tenir une enquête neutre et rigoureuse n’implique pas que celle-ci doit être parfaite. Quant à la compétence générale de Me Boro, encore une fois la Cour note que les deux procureurs à l’audience ont confirmé qu’il s’agissait d’un criminaliste chevronné et qu’il n’y avait pas d’erreur dans la description du droit applicable en matière d’alibi. Il n’y a aucune preuve qu’il n’était pas impartial.

 

[98]           Il n’y a simplement pas matière à invalider parce que l’enquête n’était pas rigoureuse.

 

 

 

 

                        ii) Sous-délégation illégale

[99]           Il y a peu à dire sur l’allégation de sous-délégation illégale[37] puisque cet argument n’est supporté que par une analyse de texte douteuse fondée sur l’usage du « nous » dans les rapports de Me Boro (surtout celui du 6 mai 2004).

 

[100]       Dans la conclusion de son premier rapport Me Boro utilise les expressions « notre enquête » et « nous vous informons ». Dans son deuxième rapport lorsqu’il traite de l’entretien avec monsieur Cloutier, il utilise des expressions similaires telles que « nous avons rencontré ». Pourtant, monsieur Bilodeau qui a rencontré monsieur Cloutier après l’émission du rapport n’a jamais allégué que ce n’est pas Me Boro qui s’est entretenu avec ce témoin. Une forme impersonnelle est aussi utilisée pour traiter de l’entrevue avec monsieur Bilodeau lui-même; par exemple à la page D-41, Me Boro indique « quand on lui a demandé […] quand on lui a demandé » deux fois (je souligne). Pourtant il est clairement établi que c’est bien Me Boro qui a rencontré monsieur Bilodeau. Dans les circonstances, sur quelle base la Cour pourrait-elle conclure que ce n’est pas lui qui a rencontré mademoiselle M?

 

[101]       En l’absence d’une preuve claire qu’il y a eu sous-délégation, la Cour n’a pas à traiter de cette question.

 

iii) Droit de participation du demandeur

[102]       Le demandeur ne conteste pas que le ministre avait discrétion pour limiter son droit d’effectuer des commentaires écrits. Ce qu’il argue, c’est que son droit de commenter par écrit implique nécessairement de connaître avec exactitude toute l’information qui se trouve au dossier du ministre. Comme je l’ai déjà indiqué, le devoir du ministre n’est en rien le même que celui d’une Cour de justice, qu’elle soit civile ou criminelle. Il faut être prudent dans l’analyse des paramètres de son obligation de communiquer la preuve. À cet égard, il convient de souligner encore que le législateur a clairement choisi de limiter la divulgation à un « rapport d’enquête ». Ceci n’est pas nouveau mais en fait, la norme dans plusieurs domaines[38] où des informations confidentielles peuvent être consultées tel que, par exemple, le dossier correctionel des complices impliqués en l’espèce.

 

[103]       Sans vouloir sous-entendre que le ministre était tenu de divulguer au complet le dossier de monsieur Beaulieu, il semble qu’il a choisi de le faire compte tenu que ce dernier était décédé et qu’il n’y avait donc plus d’information personnelle à protéger. Il est toutefois clair qu’il ne pouvait légalement divulguer le contenu du dossier de monsieur Cloutier sans son consentement.

 

[104]       À cet égard, la Cour est satisfaite que le ministre n’avait aucune obligation autre que celle d’aviser le demandeur que ce dossier contenait de l’information qui le plaçait dans la salle de billard contrairement aux dires de monsieur Cloutier et à l’information avancée par monsieur Bilodeau. Le ministre avait également l’obligation de lui donner une opportunité réelle d’obtenir l’autorisation de ce témoin qui lui était clairement accessible.

 

[105]       Ceci est d’autant plus évident lorsque l’on considère que monsieur Bilodeau n’a jamais demandé au ministre d’obtenir ce consentement lui-même. Il n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pu le faire. En fait, sa seule réponse quant à cette information a été de soumettre le test polygraphique de monsieur Cloutier effectué le 14 février 2006. Dans les circonstances, il n’y a pas eu manquement de la part du ministre quant à la communication du dossier Cloutier.

 

[106]       Quant à l’allégation que le ministre ne pouvait de sa propre initiative consulter les dossiers de messieurs Beaulieu et Cloutier et que subsidiairement, il a communiqué cette information hors délai, là encore, la Cour ne peut lui donner raison.

 

[107]       Il ne fait pas de doute que le ministre peut consulter tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande (paragraphe 696.4). Même si c’est le demandeur qui a le fardeau de preuve, il est absolument nécessaire que le ministre puisse se satisfaire de la validité des informations qu’il soumet. C’est là l’essence même de son rôle. Encore une fois, le demandeur semble se méprendre sur la nature du processus.

 

[108]       Quant au délai, il est vrai que ces informations ont été fournies après le 25 novembre 2005.[39] On lui a expliqué pourquoi et l’explication donnée justifie amplement la prorogation. En aucun temps monsieur Bilodeau ne s’est plaint d’un préjudice causé par ce délai. En fait, il semble qu’il avait bien compris à ce moment-là qu’il aurait aussi l’opportunité de profiter de cette prorogation pour commenter l’information et pas seulement pour obtenir le consentement de monsieur Cloutier puisqu’il a écrit trois lettres après le 13 février 2006.[40]

 

[109]       De toute façon, les paragraphes 2(3) et 5(2) du Règlement ne prévoient pas (expressément ni implicitement) que le ministre doive rendre une décision après l’expiration des délais mentionnés et qu’il ne puisse plus dès lors consulter les éléments qu’il estime se rapporter à la demande. Il n’y a pas lieu que la Cour intervienne à ce titre.

 

[110]       Quant à l’omission de transmettre une traduction intégrale de tout le rapport de Me Boro daté du 6 mai 2004, la Cour est satisfaite que le 17 novembre, le GRCC avait accepté de lui transmettre tout sauf les recommandations et avis juridiques de Me Boro. Comme avant l’audience, rien n’indiquait que le demandeur contestait que le caviardage contienne autre chose que de telles informations, le défendeur n’a pas eu l’opportunité de déposer un affidavit à cet égard. On ne peut lui en tenir rigueur surtout que comme je l’ai indiqué à la note 18, la Cour n’est pas satisfaite que la dernière version transmise au demandeur contenait quelque caviardage autre que celui sous le titre « Recommandations au ministre ». Il n’y a aucune raison en l’espèce d’exiger que le ministre aille plus loin que le ministre chargé d’examiner une demande de mandat d’extradition. Comme le juge Cory dans Idziak, précité, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu d’injustice ici puisqu’il ne s’agissait pas de commenter de la preuve ou de l’information objective pertinente à l’examen de la demande.

 

[111]       Quant à l’obligation de motiver, celle-ci sera examinée sous le titre : C la décision du ministre est-elle raisonnable, ci-dessous. Je traiterai aussi de la question de l’absence de transcriptions de la preuve du procès sous ce titre puisque le demandeur a indiqué que l’absence de ce dossier avait un impact direct sur les pouvoirs du ministre et les conclusions qu’il pouvait légalement tirer.

 

 

C. La décision du ministre est-elle raisonnable?

i) Le ministre pouvait-il rejeter la demande compte tenu de la destruction du dossier criminel en 1986 et en 2002?

 

[112]       Disons d’abord que le ministre n’avait aucune obligation d’intervenir après le dépôt de la lettre du 21 février 2001 puisque l’avocat de monsieur Bilodeau a bien indiqué qu’il avait eu pour mandat de vérifier le dossier judiciaire et de s’assurer de produire tout ce qui y était contenu. La question se limite donc à savoir quel était l’impact de la destruction du dossier en 1986.

 

[113]       Il est utile, avant de commencer mon analyse, de dire que les règles en matière d’archivage de cette documentation sont prévues dans une loi provinciale et qu’aucune des preuves ou informations soumises par les parties n’indique quelle était la règle applicable en 1986, date à laquelle les parties s’entendent que la documentation a été détruite (environ 15 ans après le procès). Ceci étant dit, il semble que le demandeur argue que quelles que soient les règles applicables en matière de destruction de dossiers, le simple fait de cette destruction signifie que le ministre ne pouvait exercer ses pouvoirs en vertu de l’article 696.1 puisqu’il n’avait pas les éléments nécessaires pour ce faire car sans son dossier du procès, la décision ministérielle se fonde sur une preuve d’inculpation et non de condamnation. Selon lui, seule une cour de justice, telle la Cour d’appel du Québec, avait le pouvoir de mesurer les conséquences réelles de la destruction. Donc, le ministre se devait de remettre de facto la décision entre les mains d’une cour de justice.[41]

 

[114]       Cet argument est difficile â comprendre compte tenu que c’est le demandeur lui-même qui a demandé au ministre d’enquêter (voir demande de révision de la condamnation criminelle datée du 21 février 2001). À ce moment là, il était au courant de la destruction du dossier.

 

[115]       Dans ses commentaires du 29 novembre 2004 (D-44), monsieur Bilodeau, traite pour la première fois de ce qu’il considère être l’impact de la destruction de son dossier. Il indique qu’il s’interroge fortement sur la négligence du ministre et soumet qu’il devrait conclure qu’il a été victime d’une injustice le privant du pouvoir de bénéficier d’une enquête complète approfondie, juste, impartiale et équitable.

 

[116]        Dans ces longs commentaires du 10 novembre 2005, monsieur Bilodeau traite à nouveau de cette question insinuant encore fois qu’il s’agit là d’une négligence du ministre (D-48 à la page 444) et il n’indique pas que les règles de justice fondamentale militent en faveur de l’envoie de son dossier directement à une cour d’appel. Bien au contraire, non seulement demande-t-il des correctifs pour parfaire l’enquête mais il soumet de plus au ministre que ses tests polygraphiques qu’il joint à ses commentaires constitueront « un outil essentiel à sa cogitation » et il rappelle qu’il demeure disponible pour s’y soumettre si le ministre l’estime à propos (à la page 451). Plus encore il soumet que compte tenu de tout ce qui précède il espère que le ministre soit favorable à sa demande en prenant compte de la position avancée à la rubrique 9 où monsieur Bilodeau traite des trois décisions différentes que le ministre peut prendre en espèce. Soit :

                                             i.                        ordonner par écrit la tenue d’un nouveau procès ;

                                           ii.                        renvoyer le tout devant une cour d’appel comme s’il s’agissait d’un appel; et

                                          iii.                        rejeter purement et simplement la demande.

 

                                                                                    [mon souligné]

 

[117]       Comme le reconnaît le demandeur, tout manquement aux règles de justice naturelle ou de justice fondamentale doit être invoqué à la première occasion. Ce n’est pas un moyen pour embusquer le décideur. Il est clair que le demandeur ne rencontre pas cette exigence.

 

[118]       Ceci étant dit, je tiens à souligner que l’analogie utilisée par le demandeur est boiteuse. En effet, il réfère dans ses représentations supplémentaires au fait que la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Lepage c R (26 avril 1971), Montréal 20552/67 (CA) a ordonné un nouveau procès suite à la destruction partielle des notes du procès. Le droit d’appel d’une condamnation criminelle est un droit fondamental du demandeur. Ce droit ne ressemble en rien à celui prévu aux articles 696 et suivants puisque, comme on l’a déjà dit à plusieurs reprises, celui-ci n’a rien de la nature d’un appel. Personne n’a un droit à l’exercice de la prérogative royale sans avoir préalablement établi qu’il rencontre le test fixé par le législateur.

 

[119]       Il me semble que le demandeur comprend bien mal la nature du recours qu’il exerce. En effet, tel qu’on l’indique dans le Code criminel même, il s’agit d’un recours « extraordinaire ». C’est lui qui a le fardeau de remplir les conditions nécessaires à l’exercice de ce recours. Le ministre n’a aucune obligation en droit de lui fournir les moyens de rencontrer les exigences prévues par la jurisprudence et par la suite dans la Loi.

 

ii) Le ministre a-t-il appliqué le mauvais test en examinant la crédibilité de la preuve au soutien de l’alibi du demandeur?

 

 

[120]       J’examinerai maintenant l’argument à l’effet que le ministre a outrepassé ses pouvoirs en tenant compte de la crédibilité de l’information et de la preuve que monsieur Bilodeau a soumise. Selon le demandeur, la Loi (paragraphe 696.4(b)) défini clairement et exhaustivement qu’il ne peut tenir compte que de « la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés ». Or, la jurisprudence de la Cour suprême du Canada antérieure à l’entrée en vigueur dudit article fait une différence importante entre la fiabilité et la véracité d’une preuve (R c Khan, [1990] 2 RCS 531; R c Khelawon, [2006] 2 RCS 787).

 

[121]       Il note à titre d’exemple que le ministre dans sa décision dit :

 

[…] cette contradiction affecte directement la crédibilité de l’argument avancé. [pièce D-60, page 786, avant dernier paragraphe]

 

[…]

 

Il n’y a simplement aucune preuve raisonnablement crédible au dossier pour justifier vos prétentions. [pièce D-60, page 787, premier paragraphe]

 

[…]

 

L’écoulement d’une période de plus de vingt ans avant que vous n’invoquiez véritablement en 1991 votre défense d’alibi en affecte directement sa crédibilité. [D-60, page 787, troisième paragraphe]

 

[mon souligné]

 

Il soumet qu’une fois la fiabilité et la pertinence établie, la crédibilité ou la valeur probante est du ressort d’un tribunal.

 

[122]       La Cour ne peut souscrire à l’interprétation statutaire proposée par le demandeur.

 

[123]       En appliquant l’approche préconisée par la Cour suprême du Canada qui a depuis longtemps adopté le test proposé dans E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983) à la page 87 :

 

Il faut interpréter les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

 

[124]       L’article 696.4 du Code criminel confirme dans son chapeau que le ministre de la Justice « prend en compte tout les éléments qu’il estime se rapporter à la demande » (mon souligné). Dans ce contexte le mot « notamment » (« including » en anglais) suivi d’une brève énumération (paragraphes a) b) et c)) indique que cette liste n’est pas exhaustive.

 

[125]       La latitude donnée au ministre à cet égard s’inscrit parfaitement dans l’ensemble des autres dispositions prévues aux articles 696.1 et suivants du Code criminel. Surtout lorsque l’on considère qu’il s’agit de l’exercice de la prérogative royale.

 

[126]       Cela étant dit, la Cour tient à mentionner que sa décision ne doit pas être interprétée comme un acquiescement à l’interprétation limitée proposée quant au mot « fiabilité » (« reliability » en anglais) au sous-paragraphe 696.4b) du Code criminel. Bien au contraire, une simple lecture des principes adoptées en 1994 (voir paragraphe 41 ci-dessus) et des paragraphes 2(c) et 5 de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Milgaard, précité, indique bien que la fiabilité est un concept large dont la portée change avec le contexte.

 

[127]       Dans Milgaard, les expressions « raisonnablement digne de foi » du paragraphe 2 c) et « une preuve digne de foi » du paragraphe 5 sont utilisée pour traduire « reasonably capable of belief » et « credible evidnce ».

 

[128]       Les expressions « reliability » ou « reliable » ne semblent pas être traduites de la même façon dans tous les articles du Code criminel. Pour ne citer que cet exemple, à l’alinéa 278.3(4)f) « reliability » devient « véracité » en français.

 

[129]       De ceci on ne peut que conclure qu’il faudrait une analyse beaucoup plus poussée pour définir de façon appropriée l’expression fiabilité en l’espèce. L’interprétation statutaire de cet alinéa n’est tout simplement pas nécessaire pour régler la question devant moi.

 

iii) Le ministre a-t-il ignoré de la preuve?

[130]       Selon la preuve déposée au dossier du demandeur, il semble que le ministre a reçu les tests polygraphiques de monsieur Bilodeau avec sa lettre du 10 novembre 2005 de même celui de monsieur Cloutier avec sa lettre du 16 mars 2006. Comme il n’y a pas eu de demande en vertu de la Règle 317, la Cour n’a aucune raison de croire que cette correspondance n’était pas devant le Ministre puisque celui-ci mentionne spécifiquement les tests de monsieur Bilodeau (D-60 à la page 777) et qu’il réfère à « l’intégralité de votre dossier au Ministère » (D-60 à la page 772).

 

[131]       Par ailleurs, le décideur bénéficie d’une présomption qu’il a examiné toute la preuve au dossier. Un décideur n’a pas à énumérer toutes et chacune des preuves devant lui. La Cour ne devrait considérer la présomption repoussée que lorsqu’elle peut inférer que le décideur aurait nécessairement dû commenter la preuve s’il l’avait considérée compte tenu de sa valeur probante et du fait qu’elle touche un élément crucial (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF No 1425 (QL), 157 FTR 35; Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331).

 

[132]       En examinant s’il y a lieu d’inférer que le décideur n’a pas considéré le test de monsieur Beaulieu, la Cour tient compte du fait que le ministre n’a pas discuté plus avant non plus des tests polygraphiques de monsieur Bilodeau dans sa décision car, comme il est indiqué dans la lettre du 16 février 2005 (D-46) il n’était pas convaincu que cette preuve était nécessaire dans ce dossier.

 

[133]       L’explication donnée dans cette lettre est totalement justifiée au regard de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R c Béland, [1987] 2 RCS 398 où le juge William Rogers McIntyre écrivant pour la majorité a indiqué qu’une telle preuve d’expertise polygraphique était contraire aux règles de base de la preuve et n’était pas admissible en particulier parce que la crédibilité est une matière pour le décideur de fait basée sur son sens commun et son expérience de tous les jours (voir aussi R c Oickle, [2000] 2 RCS 3 aux para 95 et 138).

 

[134]       Même si tel que l’argue le demandeur, de tels tests peuvent être jugés utiles dans certains autres contextes, dans les circonstances de l’espèce, la Cour ne peut conclure qu’elle peut raisonnablement inférer qu’ils n’ont pas été considérés de la simple omission d’en traiter spécifiquement dans la décision. Ces documents n’ont aucune valeur probante et le ministre avait entière discrétion de les utiliser ou pas comme outils.

 

 

 

iv) Le ministre a-t-il failli à son obligation de rendre une décision transparente, intelligible et justifiée?

 

 

[135]       Dans l’affaire Administration de l’Aéroport international de Vancouver c Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [Administration de l’Aéroport] et dans celle de Holmes c Canada (Ministre de la sécurité publique et de la protection civile), 2011 CAF 112 au para 43, la Cour d’appel fédérale s’est penchée à nouveau sur la question de l’obligation de motiver et quel genre de motifs elle implique. Elle résume les quatre objectifs fondamentaux recherchés et traite spécifiquement de l’objectif sur le plan « de la justification, de la transparence, et de l’intelligibilité ». Il convient donc de citer le paragraphe 16 d’Administration de l’Aéroport cet égard :

Lorsqu'un décideur administratif, agissant conformément à une obligation procédurale de recevoir et d'examiner toutes les observations, se prononce comme en l'espèce sur une question importante, quel genre de motifs doit-il donner? Suivant les décisions susmentionnées, et gardant à l'esprit certains principes fondamentaux en droit administratif, le caractère suffisant des motifs du décideur dans de telles situations doit être évalué à la lumière de quatre objectifs fondamentaux :

 

a)  L'objectif sur le plan du fond. Au moins de façon minimale, le fond de la décision doit être compris au même titre que la raison pour laquelle le décideur administratif a pris une telle décision.

 

b)  L'objectif sur le plan de la procédure. Les parties doivent être en mesure de décider s'il convient ou non d'exercer leurs droits de demander le contrôle judiciaire de la décision à un tribunal de révision. Il s'agit d'un aspect de l'équité procédurale en droit administratif. Si les motifs sur lesquels repose la décision ne sont pas indiqués, les parties ne peuvent évaluer s'ils donnent ouverture au contrôle judiciaire.

 

c)  L'objectif sur le plan de la responsabilité judiciaire. La décision et ses fondements doivent comporter suffisamment de renseignements pour permettre au tribunal de révision d'évaluer, valablement, si le décideur a satisfait aux normes minimales de la légalité. Ce rôle des tribunaux de révision est un aspect important de la règle de droit et doit être respecté : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220; Dunsmuir, précité, paragraphes 27 à 31. Dans des cas où la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, le tribunal de révision doit évaluer si la décision appartient "aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit" : Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Si le tribunal de révision n'a pas pu évaluer cet aspect parce que la décision comporte trop peu de renseignements, les motifs sont insuffisants : voir, p. ex., Association canadienne des radiodffuseurs, précité, paragraphe 11.

 

d)  L'objectif sur le plan de la "justification, de la transparence et de l'intelligibilité" : Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Cet objectif chevauche dans une certaine mesure l'objectif sur le plan du fond. La décision est justifiée et intelligible lorsque son fondement est précisé et qu'il est compréhensible, rationnel et logique. La transparence fait référence à la capacité des observateurs à analyser et à comprendre la décision d'un décideur administratif et les motifs de sa décision. En l'espèce, les observateurs seraient les parties engagées dans l'affaire, les employés dont les postes sont en cause et les employés, employeurs, syndicats et entreprises qui pourraient se heurter à des problèmes semblables à l'avenir. La transparence ne se limite toutefois pas simplement aux observateurs qui ont un intérêt précis dans la décision. Le public en général a également un intérêt dans la transparence : en l'espèce, le Conseil est une institution publique gouvernementale et fait partie de notre structure de gouvernance démocratique.

 

 

[136]       La Cour énumère aussi un nombre de principes importants établis dans la jurisprudence dont les juges doivent tenir compte en examinant si les objectifs fondamentaux énoncés ci-dessus ont été rencontrés. Le premier de ces principes est que la Cour peut tenir compte de preuve extrinsèque, c'est-à-dire qu’elle doit tenir compte du contexte général, des questions portées au dossier, des notes et autres écrits qui peuvent expliquer le raisonnement du décideur. Deuxièmement, la qualité des motifs ne se mesurent pas à la quantité. Troisièmement, le juge ne doit pas se servir de ce principe pour contrecarrer l’intention du législateur de renvoyer les questions à un décideur spécialisé. Les tribunaux doivent tenir compte de la « réalité quotidienne » des décideurs administratifs. Finalement lorsqu’elle évalue les motifs, la Cour doit s’assurer uniquement que les objectifs sont remplis de façon minimale (voir paragraphe 17 dans Administration de l’Aéroport).

 

[137]       Appliquant ces principes à l’espèce, la Cour est satisfaite que la décision du ministre rencontre les exigences de la décision raisonnable (et le devoir d’agir équitablement).

 

[138]       En effet, la Cour comprend parfaitement le raisonnement du ministre. La décision est rationnelle et logique. Ce que le demandeur reproche c’est seulement que le décideur aurait du en dire plus. Comme je l’ai déjà dit, les tests polygraphiques ne constituaient pas une preuve admissible lors d’un éventuel nouveau procès. Il s’agissait donc seulement d’un outil pour l’aider à prendre sa décision. Selon moi, il n’y avait simplement rien d’autre à ajouter compte tenu que les éléments sur lesquels le ministre se fonde justifient suffisamment sa décision et qu’il avait déjà avait avisé monsieur Bilodeau que cet outil n’était pas nécessairement utile en l’espèce.

 

[139]       La même réponse s’impose quant à la question de la destruction du dossier. La lettre du 5 décembre 2005 (D-50) avait déjà traité suffisamment de ce point. Compte tenu des représentations et commentaires de monsieur Bilodeau à cet égard, (voir paragraphes 113-116, ci-dessus) la ministre n’avait, selon moi, aucune obligation d’ajouter des commentaires pour remplir son obligation et rencontrer tous les objectifs de façon minimale. Finalement, quant à l’absence de motifs concernant la crédibilité de mademoiselle M, il n’y a vraiment rien à ajouter. Le ministre explique clairement comment il a traité cette preuve. Son raisonnement est clair, il n’y a pas lieu de le décrire à nouveau.

 

[140]       Pour tous les motifs pertinents déjà énoncés ici, la Cour est convaincue que la décision du ministre quant à cette demande est raisonnable. Non seulement elle répond au critère de transparence déjà discutée mais elle constitue une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[141]       La demande est donc rejetée.

.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge


ANNEX A

 

Code criminel, LRC 1985, ch C-46

           

PARTIE XXI.1

DEMANDES DE RÉVISION AUPRÈS DU MINISTRE — ERREURS JUDICIAIRES

 

Demande

696.1 (1) Une demande de révision auprès du ministre au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise peut être présentée au ministre de la Justice par ou pour une personne qui a été condamnée pour une infraction à une loi fédérale ou à ses règlements ou qui a été déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en application de la partie XXIV, si toutes les voies de recours relativement à la condamnation ou à la déclaration ont été épuisées.

 

Forme de la demande

(2) La demande est présentée en la forme réglementaire, comporte les renseignements réglementaires et est accompagnée des documents prévus par règlement.

 

Instruction de la demande

696.2 (1) Sur réception d’une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice l’examine conformément aux règlements.

 

Pouvoirs d’enquête

(2) Dans le cadre d’une enquête relative à une demande présentée sous le régime de la présente partie, le ministre de la Justice possède tous les pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes et ceux qui peuvent lui être accordés en vertu de l’article 11 de cette loi.

 

Délégation

(3) Malgré le paragraphe 11(3) de la Loi sur les enquêtes, le ministre de la Justice peut déléguer par écrit à tout membre en règle du barreau d’une province, juge à la retraite, ou tout autre individu qui, de l’avis du ministre, possède une formation ou une expérience similaires ses pouvoirs en ce qui touche le recueil de témoignages, la délivrance des assignations, la contrainte à comparution et à déposition et, de façon générale, la conduite de l’enquête visée au paragraphe (2).

 

Définition de « cour d’appel »

696.3 (1) Dans le présent article, « cour d’appel » s’entend de la cour d’appel, au sens de l’article 2, de la province où a été instruite l’affaire pour laquelle une demande est présentée sous le régime de la présente partie.

 

Pouvoirs de renvoi

(2) Le ministre de la Justice peut, à tout moment, renvoyer devant la cour d’appel, pour connaître son opinion, toute question à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie sur laquelle il désire son assistance, et la cour d’appel donne son opinion en conséquence.

 

Pouvoirs du ministre de la Justice

(3) Le ministre de la Justice peut, à l’égard d’une demande présentée sous le régime de la présente partie :

 

a) s’il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite :

 

(i) prescrire, au moyen d’une ordonnance écrite, un nouveau procès devant tout tribunal qu’il juge approprié ou, dans le cas d’une personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, une nouvelle audition en vertu de cette partie,

 

 

(ii) à tout moment, renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable ou par la personne déclarée délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en vertu de la partie XXIV, selon le cas;

 

b) rejeter la demande.

 

Dernier ressort

(4) La décision du ministre de la Justice prise en vertu du paragraphe (3) est sans appel.

 

Facteurs

696.4 Lorsqu’il rend sa décision en vertu du paragraphe 696.3(3), le ministre de la Justice prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande, notamment :

 

a) la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande précédente concernant la même condamnation ou la déclaration en vertu de la partie XXIV;

 

b) la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

 

c) le fait que la demande présentée sous le régime de la présente partie ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

 

Rapport annuel

696.5 Dans les six mois suivant la fin de chaque exercice, le ministre de la Justice présente au Parlement un rapport sur les demandes présentées sous le régime de la présente partie.

 

Règlements

696.6 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

 

a) concernant la forme et le contenu de la demande présentée en vertu de la présente partie et les documents qui doivent l’accompagner;

 

b) décrivant le processus d’instruction d’une demande présentée sous le régime de la présente partie, notamment les étapes suivantes : l’évaluation préliminaire, l’enquête, le sommaire d’enquête et la décision;

 

c) concernant la forme et le contenu du rapport annuel visé à l’article 696.5.

PART XXI.1

APPLICATIONS FOR MINISTERIAL REVIEW — MISCARRIAGES OF JUSTICE

 

Application

696.1 (1) An application for ministerial review on the grounds of miscarriage of justice may be made to the Minister of Justice by or on behalf of a person who has been convicted of an offence under an Act of Parliament or a regulation made under an Act of Parliament or has been found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV and whose rights of judicial review or appeal with respect to the conviction or finding have been exhausted.

 

 

Form of application

(2) The application must be in the form, contain the information and be accompanied by any documents prescribed by the regulations.

 

 

Review of applications

696.2 (1) On receipt of an application under this Part, the Minister of Justice shall review it in accordance with the regulations.

 

 

Powers of investigation

(2) For the purpose of any investigation in relation to an application under this Part, the Minister of Justice has and may exercise the powers of a commissioner under Part I of the Inquiries Act and the powers that may be conferred on a commissioner under section 11 of that Act.

 

 

Delegation

(3) Despite subsection 11(3) of the Inquiries Act, the Minister of Justice may delegate in writing to any member in good standing of the bar of a province, retired judge or any other individual who, in the opinion of the Minister, has similar background or experience the powers of the Minister to take evidence, issue subpoenas, enforce the attendance of witnesses, compel them to give evidence and otherwise conduct an investigation under subsection (2).

 

 

 

Definition of “court of appeal”

696.3 (1) In this section, “the court of appeal” means the court of appeal, as defined by the definition “court of appeal” in section 2, for the province in which the person to whom an application under this Part relates was tried.

 

 

Power to refer

(2) The Minister of Justice may, at any time, refer to the court of appeal, for its opinion, any question in relation to an application under this Part on which the Minister desires the assistance of that court, and the court shall furnish its opinion accordingly.

 

 

 

Powers of Minister of Justice

(3) On an application under this Part, the Minister of Justice may

 

 

(a) if the Minister is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred,

 

(i) direct, by order in writing, a new trial before any court that the Minister thinks proper or, in the case of a person found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV, a new hearing under that Part, or

 

 

 

 

(ii) refer the matter at any time to the court of appeal for hearing and determination by that court as if it were an appeal by the convicted person or the person found to be a dangerous offender or a long-term offender under Part XXIV, as the case may be; or

 

 

 

(b) dismiss the application.

 

No appeal

(4) A decision of the Minister of Justice made under subsection (3) is final and is not subject to appeal.

 

Considerations

696.4 In making a decision under subsection 696.3(3), the Minister of Justice shall take into account all matters that the Minister considers relevant, including

 

 

(a) whether the application is supported by new matters of significance that were not considered by the courts or previously considered by the Minister in an application in relation to the same conviction or finding under Part XXIV;

 

 

 

(b) the relevance and reliability of information that is presented in connection with the application; and

 

(c) the fact that an application under this Part is not intended to serve as a further appeal and any remedy available on such an application is an extraordinary remedy.

 

 

Annual report

696.5 The Minister of Justice shall within six months after the end of each financial year submit an annual report to Parliament in relation to applications under this Part.

 

 

Regulations

696.6 The Governor in Council may make regulations

 

(a) prescribing the form of, the information required to be contained in and any documents that must accompany an application under this Part;

 

(b) prescribing the process of review in relation to applications under this Part, which may include the following stages, namely, preliminary assessment, investigation, reporting on investigation and decision; and

 

 

(c) respecting the form and content of the annual report under section 696.5.

 

 

Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002-416

 

EXAMEN DE LA DEMANDE

 

2. (1) Pour l’application du paragraphe 696.1(2) du Code, la demande de révision auprès du ministre visée à la partie XXI.1 du Code doit être en la forme prévue à l’annexe et doit comprendre les renseignements suivants :

 

a) relativement au demandeur :

 

(i) son nom, y compris ses noms d’emprunt ou les noms qu’il a portés auparavant,

 

(ii) son adresse, sa date de naissance et, le cas échéant, le numéro qui lui a été attribué par le Système automatisé d’identification dactyloscopique de la Gendarmerie royale du Canada,

 

(iii) le nom, adresse et numéro de téléphone de la personne qui présente la demande en son nom, le cas échéant,

 

(iv) si l’erreur judiciaire alléguée se rapporte à une déclaration de culpabilité pour une infraction punissable par procédure sommaire ou pour un acte criminel, ou, dans le cas où il a été déclaré délinquant dangereux ou délinquant à contrôler en application de la Partie XXIV du Code, le détail de la déclaration,

 

(v) la mention qu’il est ou non incarcéré,

 

b) relativement à la conférence préparatoire, le cas échéant :

 

(i) la date de l’enquête préliminaire, le cas échéant,

 

(ii) les nom et adresse du tribunal,

 

 

(iii) le nombre de requêtes préliminaires présentées ainsi que leur nature, la date de leur présentation et la décision rendue par la tribunal à leur égard;

 

c) relativement au procès :

 

(i) la date à laquelle il a débuté,

 

(ii) les nom et adresse du tribunal, le plaidoyer enregistré, le mode de procès, la date de la condamnation et celle du prononcé de la peine,

 

(iii) les nom et adresse de tous les avocats du procès,

 

(iv) le nombre de requêtes présentées pendant le procès, ainsi que leur nature, la date de leur présentation et la date de la décision rendue par le tribunal à leur égard;

 

d) le détail des appels devant la cour d’appel et devant la Cour suprême du Canada;

 

e) les motifs de la demande;

 

f) une description des nouvelles questions importantes sur lesquelles repose la demande.

 

(2) La demande est accompagnée des documents suivants :

 

a) un consentement, signé par le demandeur, donnant au ministre le droit :

 

(i) d’avoir accès aux renseignements personnels le concernant qui sont nécessaires à l’examen de sa demande,

 

(ii) de rendre accessible les renseignements personnels obtenus dans le cadre de l’examen de la demande à quiconque pour obtenir de celui-ci tout renseignement nécessaire à l’examen de la demande;

 

b) une copie conforme de l’acte d’accusation ou de la dénonciation;

 

c) une copie conforme de la transcription du procès, y compris, le cas échéant, de l’enquête préliminaire;

 

d) une copie conforme de tous les documents déposés par l’avocat du défendeur et par le procureur de la Couronne à l’appui de toute requête présentée avant le procès et pendant celui-ci;

 

e) une copie conforme de tout mémoire d’appel;

 

f) une copie conforme de tous les jugements rendus par les tribunaux;

 

g) tout autre document nécessaire à l’examen de la demande.

 

3. Sur réception d’une demande de révision présentée conformément à l’article 2, le ministre :

 

a) transmet un accusé de réception au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui a présenté la demande en son nom;

 

b) procède a une évaluation préliminaire de la demande.

 

4. (1) Une fois l’évaluation préliminaire terminée, le ministre :

 

a) enquête sur la demande s’il constate qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite;

 

 

b) ne mène pas d’enquête dans les cas où :

 

(i) il est convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite et que, pour éviter un déni de justice ou pour des raisons humanitaires, une décision doit être rendue promptement en vertu de l’alinéa 696.3(3)a) du Code,

 

(ii) il est convaincu qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.

 

(2) Le ministre transmet au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui présente la demande en son nom, un avis indiquant si une enquête sera ou non menée en application du paragraphe (1).

 

(3) Si le ministre ne mène pas d’enquête pour le motif visé au sous-alinéa (1)b)(ii), l’avis prévu au paragraphe (2) doit mentionner que le demandeur peut transmettre au ministre des renseignements additionnels à l’appui de la demande dans un délai d’un an à compter de la date d’envoi de l’avis.

 

(4) Si le demandeur ne transmet pas les renseignements additionnels dans le délai prévu au paragraphe (3), le ministre l’avise par écrit qu’il ne mènera pas d’enquête.

 

(5) Si des renseignements additionnels sont transmis après l’expiration du délai prévu au paragraphe (3), le ministre procède à une nouvelle évaluation préliminaire de la demande en application de l’article 3.

 

5. (1) Une fois l’enquête visée à l’alinéa 4(1)a) terminée, le ministre rédige un rapport d’enquête, dont il transmet copie au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui présente la demande en son nom. Le ministre doit informer par écrit le demandeur que des renseignements additionnels peuvent lui être fournis à l’appui de la demande dans un délai d’un an à compter de la date d’envoi du rapport d’enquête.

 

(2) Si le demandeur ne transmet pas les renseignements additionnels dans le délai prévu au paragraphe (1), ou s’il informe le ministre par écrit qu’aucun autre renseignement ne sera fourni, le ministre peut rendre une décision en vertu du paragraphe 696.3(3) du Code.

 

 

6. Le ministre transmet au demandeur et, le cas échéant, à la personne qui présente la demande en son nom, une copie de la décision rendue en vertu du paragraphe 696.3(3) du Code.

REVIEW OF THE APPLICATION

 

2. (1) For the purposes of subsection 696.1(2) of the Code, an application for ministerial review under Part XXI.1 of the Code shall be in the form set out in the schedule and contain the following information:

 

(a) with respect to the applicant,

 

(i) the applicant’s name, including any alias or former name,

 

 

(ii) the applicant’s address, date of birth and, if any, the number assigned to the applicant under the Royal Canadian Mounted Police Automated Fingerprint Identification System,

 

(iii) the name, address and telephone number of the person making the application on the applicant’s behalf, if any,

 

(iv) whether the alleged miscarriage of justice relates to a conviction on an offence punishable on summary conviction or on an indictable offence, or, in the case of a finding of dangerous offender or long-term offender under Part XXIV of the Code, particulars of the finding, and

 

 

 

(v) whether the applicant is in custody;

 

(b) with respect to any pre-trial hearings,

 

 

(i) the date of the preliminary inquiry, if any,

 

(ii) the court and its address, and

 

 

(iii) the number, type and date of any pre-trial motions, as well as the court decision on those motions;

 

 

(c) with respect to the trial,

 

(i) the date on which it started,

 

(ii) the court and its address, the plea entered at trial, the mode of trial and the date of the conviction and that of sentencing,

 

(iii) the names and addresses of all counsel involved in the trial, and

 

(iv) the number, type and date of any motions made, as well as the date of the court decision on those motions;

 

 

 

(d) particulars regarding any subsequent appeals to the court of appeal or the Supreme Court of Canada;

 

(e) the grounds for the application; and

 

(f) a description of the new matters of significance that support the application.

 

 

(2) The application must be accompanied by the following documents:

 

(a) the applicant’s signed consent authorizing the Minister

 

(i) to have access to the applicant’s personal information that is required for reviewing the application, and

 

(ii) to disclose to any person or body the applicant’s personal information obtained in the course of reviewing the application in order for the Minister to obtain from that person or body any information that is required for reviewing the application;

 

(b) a true copy of the information or indictment;

 

(c) a true copy of the trial transcript, including any preliminary hearings;

 

 

(d) a true copy of all material filed by the defence counsel and Crown counsel in support of any pre-trial and trial motions;

 

 

 

 

(e) a true copy of all factums filed on appeal;

 

(f) a true copy of all court decisions; and

 

 

(g) any other documents necessary for the review of the application.

 

3. On receipt of an application completed in accordance with section 2, the Minister shall

 

(a) send an acknowledgment letter to the applicant and the person acting on the applicant’s behalf, if any; and

 

 

(b) conduct a preliminary assessment of the application.

 

4. (1) After the preliminary assessment has been completed, the Minister

 

(a) shall conduct an investigation in respect of the application if the Minister determines that there may be a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred; or

 

(b) shall not conduct an investigation if the Minister

 

(i) is satisfied that there is a reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred and that there is an urgent need for a decision to be made under paragraph 696.3(3)(a) of the Code for humanitarian reasons or to avoid a blatant continued prejudice to the applicant, or

 

(ii) is satisfied that there is no reasonable basis to conclude that a miscarriage of justice likely occurred.

 

 

(2) The Minister shall send a notice to the applicant and to the person acting on the applicant’s behalf, if any, indicating whether or not an investigation will be conducted under subsection (1).

 

(3) If the Minister does not conduct an investigation for the reason described in subparagraph (1)(b)(ii), the notice under subsection (2) shall indicate that the applicant may provide further information in support of the application within one year after the date on which the notice was sent.

 

 

(4) If the applicant fails, within the period prescribed in subsection (3), to provide further information, the Minister shall inform the applicant in writing that no investigation will be conducted.

 

(5) If further information in support of the application is provided after the period prescribed in subsection (3) has expired, the Minister shall conduct a new preliminary assessment of the application under section 3.

 

5. (1) After completing an investigation under paragraph 4(1)(a), the Minister shall prepare an investigation report and provide a copy of it to the applicant and to the person acting on the applicant’s behalf, if any. The Minister shall indicate in writing that the applicant may provide further information in support of the application within one year after the date on which the investigation report is sent.

 

 

(2) If the applicant fails, within the period prescribed in subsection (1), to provide any further information, or if the applicant indicates in writing that no further information will be provided in support of the application, the Minister may proceed to make a decision under subsection 696.3(3) of the Code.

 

6. The Minister shall provide a copy of the Minister’s decision made under subsection 696.3(3) of the Code to the applicant and to the person acting on the applicant’s behalf, if any.

 

 

 

Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11

 

Vie, liberté et sécurité

 

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

Life, liberty and security of person

 

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

 

 

 


ANNEXE B

 

 

23 décembre 1971

M. Bilodeau a été condamné pour meutre

 

13 juin 2000

Libération conditionnelle (finale) de M. Bilodeau

 

12 février 2001

Demande de prérogative royale faire par M. Bilodeau

 

21 février 2001

Demande de révision de sa condamnation par Me Michel Poirier

 

18 juin 2002

M. Bilodeau est informé que sa demande va passer à la seconde étape

 

12 mars 2003

Le ministre donne instruction à Me Boro afin qu’il conduise une enquête

 

2 octobre 2003

Première rapport d’enquête de Me Boro

 

15 octobre 2003

Commentaires de M. Bilodeau sur le premier rapport d’enquête

 

6 mai 2004

Deuxième rapport d’enquête de Me Boro

 

9 août 2004

M. Bilodeau demande qu’on lui transmette une copie intégrale de la traduction officielle du 6 mai rapport de Me Boro

 

31 août 2004

Demande de M. Bilodeau est refusée

 

5 octobre 2004

Deuxième demande de M. Bilodeau pour une copie intégrale du rapport du 6 mai

 

7 octobre 2004

Demande de M. Bilodeau est refusée à nouveau

 

17 novembre 2004

Demande de M. Bilodeau est maintenant accordée sauf quant aux recommendations au ministre

 

29 novembre 2004

Commentaires de M. Bilodeau sur le deuxième rapport d’enquête

 

1 décembre 2004

Le GRCC reprend l’intégralité du dossier de M. Bilodeau afin de continuer l’examen de la demande

 

23 janvier 2005

Demande d’accès à l’information et demande au ministère de payer les services d’experts en polygraphie

 

10 novembre 2005

Renseignements additionnelles de M. Bilodeau

 

5 décembre 2005

Le GRCC résume la situation, traite de la destruction du dossier et avise M. Bilodeau que les dossiers de messieurs Beaulieu et Cloutier devront être consultés

13 février 2006

Correspondance concernant les dossiers de messieurs Beaulieu et Cloutier

 

16 mars 2006

Lettres de M. Bilodeau au GRCC et à Me Boro avec le test de M. Cloutier

 

29 mars 2006

Nouvelles copies des lettres du 16 mars 2006 au GRCC

 

28 novembre 2007

Décision du ministre

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-417-10

 

INTITULÉ :                                       MICHEL BILODEAU

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA ET LE GROUPE RESPONSABLE DE LA RÉVISION DES COMDAMNATIONS

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 6 et 7 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 12 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Gaétan Bourassa

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Jacques Savary

Me Toni Abi Nasr

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Des Longchamps Bourassa Trudeau & LaFrance

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 



[1] La Cour a pris connaissance de toute la preuve au dossier qui est volumineuse. Il n’est évidemment pas question ici de parler de tout et chacun des faits soulevés dans le dossier et ce même si la Cour croit qu’il est nécessaire de donner certains détails eu égard aux questions en litige soulevées. Voir Annexe B.

[2] Comme je l’indiquerai plus tard il n’y a pas de transcription de toute la preuve produite au procès ni d’adresse du juge au jury.

[3] Comme cette personne n’a pas été accusée il n’est pas utile de l’identifier plus précisément.

[4] Monsieur Bilodeau a d’abord écrit au ministre pour faire une demande de prérogative royale le 12 février 2001 et son avocat, Me Michel Poirier, a fait une seconde demande au nom de son client le 21 février 2001.

[5] Le simple fait de lui avoir conseillé de ne pas témoigner dans les circonstances de l’espèce alors que rien n’indique que monsieur Bilodeau l’avait avisé de son alibi ne constitue pas une preuve d’incompétence.

[6] Il est toutefois clair des notes du greffier que la majeure partie du témoignage en chef de ce témoin a été présenté la veille, soit le 9 décembre, et nous n’avons pas de détails sur ce qui avait été dit à ce moment-là. Ceci est d’autant plus important que madame Koliff n’a pas témoigné à l’enquête préliminaire.

[7] Monsieur Cloutier a dit qu’il était le seul à connaître cet établissement et que c’est lui qui avait suggéré à monsieur Beaulieu de s’y rendre. En fait, monsieur Cloutier a même indiqué pour expliquer la raison pour laquelle il était resté en dehors de la salle à l’époque qu’il ne voulait pas être reconnu. Il semble aussi que son colocataire, monsieur Gaston Ducharme, travaillait à cette brasserie. Voir entre autres D-41 à la p 396.

[8] C’est seulement en commentant le complément d’enquête de Me Boro que monsieur Bilodeau a indiqué que l’on ne savait pas vraiment quelle version mademoiselle M avait donné au procès. Ceci est assez surprenant considérant qu’il était présent. Est-ce à dire qu’il ne se souvient pas si ce témoin l’a directement incriminé dans le meurtre et si elle a dit que c’est lui qui avait tiré?

[9] Tel qu’il sera indiqué plus tard, l’enquête a révélé que les avocats impliqués n’avaient plus souvenir des détails de cette affaire.

[10] Bien que monsieur Bilodeau et son avocat réfèrent à trois ou quatre personnes dans leurs commentaires, la transcription est absolument claire quant au fait qu’il a bien vu quatre personnes.

[11] Cette version ressemble à celle donnée par monsieur Cloutier à l’enquête préliminaire bien que les heures diffèrent de même que d’autres détails.

[12] Il est à noter que messieurs Beaulieu et Bilodeau et mademoiselle M étaient à Québec la veille et qu’elle avait accidentellement manipulé un revolver de calibre 22 et tiré dans le mur de la chambre qu’ils occupaient. Un expert en balistique a d’ailleurs témoigné à l’effet que la balle de calibre 22 extraite du mur du motel provenait de la même arme que celle extraite du corps de la victime.

[13] D-10 aux pp 153-154.

[14] Dans le cadre de la demande de révision, monsieur Cloutier dira à monsieur Beaulieu qu’il n’a jamais eu l’opportunité de raconter la véritable histoire.

[15] D-11 à la p 199. Dans ses représentations complémentaires en mars 2011, monsieur Bilodeau (et cette expression inclut son avocat lors qu’il s’agit de représentations) argue que le Ministre n’a pas tenu compte de la possibilité que le quatrième individu vu par monsieur Wong dans l’escalier était monsieur Larivière.

[16] Le 18 juin 2002 monsieur Bilodeau est informé que sa demande d’examen de sa condamnation va passer à la seconde étape où une enquête plus approfondie sera effectuée (D-29).

[17] La preuve devant lui incluait le dossier correctionnel de monsieur Bilodeau.

[18] Sauf les recommandations au ministre, voir paragraphe 32 ci-après.

[19] Par exemple, le rapport du coroner.

[20] Apparemment, cette lettre ne serait pas parvenue à monsieur Bilodeau.

[21] La Cour n’a pas vu les diverses copies échangées entre les parties et il est loin d’être clair que le texte utilisé lors des représentations orales en décembre 2010 (D-41) était bien la version finale transmise après le 17 novembre 2004. À cet égard, il convient de noter que la correspondance en preuve est présentée chronologiquement et que la lettre du 17 novembre est à D-43.

[22] La Cour ne comprend pas cette dernière affirmation compte tenu que, comme l’indique la lettre du 21 février 2001, l’avocat de Me Bilodeau avait eu l’opportunité de vérifier le dossier avant que ce qui n’avait pas été détruit en 1986 le soit en 2002-2003.

[23] Monsieur Bilodeau indique qu’il existait déjà en décembre 1971 la possibilité d’une demande de clémence de la Couronne faite par ou pour une personne condamnée (article 617 du Code criminel et que déjà ces demandes ne pouvaient s’inscrire que si le ministre de la Justice après enquête était convaincu qu’un nouveau procès devait être prescrit.

[24] Il semble de D-47 qu’il s’agissait d’obtenir les frais payés à Me Boro pour l’enquête.

[25] D-48, à la p 424.

[26] Lettre traitant d’une rencontre avec le psychiatre (E-23) D-48, à la p 433, c’est donc après la mort de monsieur Beaulieu en décembre 1990.

[27] D-48, aux pp 434-435.

[28] Ce n’est pas mentionné dans la décision de la Court suprême du Canada dans cette affaire.

[29] Bien qu’il n’y fasse pas référence expressément ce même test est un des trois tests appliqués dans la décision de la Cour suprême du Canada dans Re Milgaard [1992] 1 RCS 866, paras 2(c) et 5. Il est opportun de noter que dans la version anglaise, soit la version originale de cette décision, « preuve digne de foi » est une traduction de « credible evidence ».

[30] Si un tel affidavit existe on pourrait croire que monsieur Bilodeau avait commencé à recueillir sa preuve pour une demande de révision avant la mort de monsieur Beaulieu et avant le moment où il a lui-même pour la première fois divulgué les détails de son alibi (août 1991).

[31] La Cour réitère ici que les faits mis en preuve à l’enquête préliminaire étaient bien connus tant de monsieur Bilodeau que de son procureur et qu’il n’y a aucune indication, monsieur Bilodeau n’ayant pas traité de cette question, à savoir sur quel fait Me Boulais, son avocat lors de l’enquête préliminaire, a témoigné au procès.

[32] La Cour comprend ici que l’on parle des témoins au procès.

[33] Pages 10-12 des notes complémentaires déposées le 11 mars 2011.

[34] Il semble que le demandeur a obtenu sa libération conditionnelle quelque temps avent le mois de février 1989 puisqu’à cette date il a été reconnu coupable d’un complot de stupéfiant à Vancouver, d’une évasion d’une garde légale le 22 novembre 1990, et de trois chefs de complot de faux à Sherbrooke en 1996. Il a été libéré conditionnellement à nouveau le 13 juin 2000. Voir les représentations supplémentaires et les représentations complémentaires du demandeur.

[35] Le demandeur indique à la page 440 de son dossier que Me Boro lui avait dit qu’il lui soumettrait son rapport pour commentaires avant d’émettre une recommandation finale. Cela n’a rien à voir avec les questions soulevées dans la présente procédure et, de plus, il n’y a rien au dossier indiquant qu’effectivement les recommandations contenues dans le rapport du 6 mai 2004 étaient des recommandations finales.

[36] Le juge Cory note que ce mémoire serait de toute façon protégé par le secret professionnel d’avocat alors que le juge en chef Lamer et les juges McLachlin, Sopinka et La Forest ont indiqué qu’ils n’avaient pas à répondre à cette question particulière.

[37] Il n’est pas utile de commenter à savoir si la secrétaire ou une jeune avocat du cabinet de Me Boro peut par exemple fixer les rendez-vous et communiquer avec les témoins à cet égard.

[38] Pouvoir disciplinaire, du Service correctionnel du Canada, enquête de la Commission des droits de la personne pour ne nommer que ceux-là.

[39] La Cour note que ce délai avait été prorogé au bénéfice de monsieur Bilodeau parce qu’un complément d’enquête avait eu lieu pour tenir compte de ses premiers commentaires.

[40] Le demandeur savait depuis le 5 décembre 2005 que le délai devrait être prorogé.

[41] Voir notes supplémentaires du 3 décembre 2010 aux para 20-24.

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