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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20110712


Dossier : IMM-7427-10

Référence : 2011 CF 870

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Montréal (Québec), le 12 juillet 2011

 

En présence de monsieur le juge Harrington

 

 

ENTRE :

 

DANUTA ZHURAVEL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’histoire de Mme Zhuravel est, en bonne partie, si saugrenue qu’elle dépasse l’entendement. Il n’est guère étonnant que sa demande d’asile ait été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cependant, on peut être à la fois réfugié et menteur. Une fois son histoire dépouillée des mensonges, Mme Zhuravel a quand même présenté de solides arguments pour établir qu’elle avait été victime de violence familiale en Ukraine. La commissaire a mal interprété un élément de preuve essentiel, ce qui m’amène à accueillir la demande de contrôle judiciaire et à renvoyer l’affaire à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[2]               Mme Zhuravel a déclaré que son mari s’était enfui au Canada en 1998 pour échapper à des gangsters ukrainiens à qui il devait de l’argent.

 

[3]               Après le départ de l’époux de Mme Zhuravel, les gangsters s’en sont pris à elle. Elle a reçu des appels d’insultes et de menaces, et des visites. En 2006, un des gangsters a emménagé chez elle et l’a forcée à devenir son esclave sexuelle. Elle est arrivée au Canada en novembre 2007 munie d’un visa de visiteur et a finalement demandé l’asile. Sa demande était fondée sur sa crainte des gangsters, qu’elle appelait « la mafia », et sur sa crainte de violence familiale. Au Canada, elle a rejoint son époux, qui a finalement été renvoyé en Ukraine en 2009.

 

[4]               La demanderesse refusait peut-être d’admettre qu’elle s’était volontairement engagée dans une relation conjugale avec le gangster en Ukraine, mais la preuve tout entière va en ce sens.

 

[5]               Toutefois, la commissaire a aussi rejeté la demande fondée sur la crainte de violence familiale. Elle s’est exprimée ainsi :

La demandeure d’asile a déclaré avoir été battue par son colocataire et qu’elle avait dû recevoir des soins médicaux. Elle a présenté des déclarations faites par ses amis et sa fille pour appuyer ses prétentions selon lesquelles le gangster qui avait emménagé chez elle la maltraitait. Une déclaration du 28 septembre 2010, déposée par Roman Pokorczak, indique que la demandeure d’asile avait des ecchymoses et un pansement au visage le 1er avril 2006. Le certificat médical, daté du 29 mars 2006, indique que la demandeure d’asile se plaignait de fatigue, de maux de tête et d’étourdissements. Il n’est fait aucune mention d’ecchymoses au visage. Elle a été traitée avec un comprimé (trois fois par jour), mais aucun pansement au visage n’est mentionné. J’estime que si la preuve est considérée comme digne de foi, il est raisonnable de s’attendre à ce que la preuve médicale reflète les observations de l’ami. En raison de cette incohérence et parce que je ne crois pas la demandeure d’asile, j’accorde peu de crédibilité aux déclarations faites par les membres de sa famille ou ses amis proches qui pourraient corroborer certains aspects de son récit. Cette incohérence qui figure dans les documents mine davantage la crédibilité de la demandeure d’asile et de son récit.

 

[6]               La commissaire a mal lu le rapport médical du 29 mars 2006, qui mentionne expressément, à titre de conclusions objectives, une fracture du nez et une blessure à l’arcade sourcilière.

 

[7]               Après cet incident, la demanderesse s’est enfuie en Pologne pour revenir en Ukraine par la suite, ce qui aurait pu ébranler le fondement subjectif de sa crainte. Cependant, le dossier contient un deuxième rapport médical daté du 16 octobre 2007, qui fait état d’un diagnostic de commotion cérébrale possible. La demanderesse aurait alors déclaré avoir été battue à répétition par son conjoint de fait. La commissaire passe ce rapport sous silence. La demanderesse est venue au Canada peu après.

 

[8]               Comme le juge Evans l’a déclaré dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, propos maintes fois répétés :

[17] Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

 

[9]               En l’espèce, la preuve médicale donne du poids à l’histoire de Mme Zhuravel. Il incombait donc à la commissaire d’exposer les motifs pour lesquels ces rapports n’étaient pas fiables.

 

[10]           Si la commissaire avait considéré que Mme Zhuravel était crédible sur ce point, ou, à tout le moins, qu’il y avait des chances qu’elle soit crédible, la commissaire aurait dû envisager la protection de l’État et la possibilité de refuge intérieur.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                  IMM-7427-10

 

INTITULÉ :                                                                 DANUTA ZHURAVEL c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                         Le 6 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                      LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                                               Le 12 juillet 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Beiles

 

POUR LA DEMANDERESSE

Neeta Logsetty

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Beiles

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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