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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110711

Dossier : IMM-4448-10

Référence : 2011 CF 865

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Martineau

 

 

ENTRE :

ZINAH AL JAMIL

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET
DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse conteste la légalité de la décision datée du 12 juillet 2010 par laquelle une agente de Citoyenneté et Immigration (l’agente) a rejeté sa demande de résidence permanente, présentée au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire et fondée sur le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la demande CH).

 

[2]               La demanderesse, Mme Zinah Al Jamil, est célibataire; elle est citoyenne de la Syrie et son lieu de résidence est le Liban. Son père est un musulman syrien, et sa mère une chrétienne libanaise. La demanderesse est née en Syrie mais a passé la majeure partie de sa vie au Liban. Elle est arrivée pour la première fois au Canada en 2006, munie d’un visa d’étudiant temporaire, afin de fréquenter l’Université Dalhousie. Elle vit chez sa sœur à Halifax, où habitent aussi son frère et de nombreux membres de sa famille.

 

[3]               La demanderesse a sollicité l’asile en 2007, en invoquant la discrimination, le harcèlement, l’intimidation et la crainte pour sa sécurité et sa vie qu’elle dit avoir subis de façon constante et qu’elle subirait en tant que Syrienne vivant au Liban et en tant que personne issue d’un mariage interreligieux. Sa demande a été rejetée le 20 avril 2009. Par la suite, elle a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui est toujours en instance. Elle a aussi présenté une demande CH, axée sur ses liens familiaux étroits et sur son intégration au sein de la société canadienne, de même que sur la discrimination dont elle serait victime au Liban en tant que musulmane syrienne célibataire.

 

[4]               Essentiellement, l’agente a décidé que la demanderesse ne subirait pas de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. Avant de poursuivre, il est utile d’exposer brièvement un certain nombre de principes pertinents, de même que la norme de contrôle en fonction de laquelle il convient d’évaluer la légalité de la décision contestée.

 

[5]               La législation en matière d’immigration n’établit pas clairement ce qui constitue des motifs d’ordre humanitaire permettant d’obtenir une dispense en application du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette absence de critère officiel fait partie de la nature discrétionnaire de n’importe quelle décision CH (Paz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 412, au paragraphe 28). Cela dit, selon le chapitre IP 5 - Demandes de résidence permanente présentées au Canada – Considérations d’ordre humanitaire, les agents doivent décider si, au vu de la preuve soumise, le refus d’accorder une dispense entraînerait, plus probablement que le contraire, des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées. C’est donc dire que le facteur des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » est un critère approprié (Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11, au paragraphe 2). Le fardeau de la preuve repose entièrement sur les épaules des demandeurs.

 

[6]               Pour ce qui est des décisions CH que rendent les agents d’immigration, il est généralement entendu que la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, au paragraphe 11). La raisonnabilité tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Elle tient aussi à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Les décisions CH sont de nature discrétionnaire et l’on dispose donc d’une gamme plus vaste d’issues possibles acceptables (Inneh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 108, au paragraphe 13).

 

[7]               En l’espèce, la demanderesse allègue essentiellement que les motifs de l’agente, ou le manque d’analyse appropriée de la part de cette dernière, ne lui permettent pas – et, par extension, ne permettent pas à la Cour – d’être convaincue que cette agente a tenu dûment compte de la situation personnelle de la demanderesse et a procédé à une évaluation globale de la demande CH dans le contexte de la preuve fournie et des objectifs de la Loi, notamment l’alinéa 3(1)d). Après avoir examiné la réponse du défendeur aux arguments de la demanderesse, la Cour souscrit à ces motifs de contrôle et est d’avis que la décision contestée est déraisonnable.

 

[8]               Premièrement, pour ce qui est de l’intégration, l’agente a signalé que la demanderesse s’était fait des amis à l’école et au travail et qu’elle s’était raisonnablement intégrée à la société canadienne, mais que cette intégration ne sortait pas de l’ordinaire. Il s’agit là d’une conclusion qu’il était loisible à l’agente de tirer, même si l’absence de participation aux activités de la collectivité est certes compréhensible (compte tenu du fait que la demanderesse, au cours de la période de quatre ans qui a été prise en considération, avait, à la fois, suivi des études et travaillé).

 

[9]               Par contraste, la conclusion que l’agente a tirée à propos de la situation familiale de la demanderesse au Canada est déraisonnable. L’agente a rejeté l’argument de la demanderesse en deux phrases, disant que tous les membres de la famille autres que ses frères ou sœurs étaient des cousins ou des conjoints de ces derniers, et que ses parents et d’autres membres de la famille se trouvaient au Liban. En tirant cette conclusion, l’agente a fait montre d’un manque complet de considération pour l’importance accrue que joue la famille dans la culture du Moyen-Orient, et elle n’a pas tenu compte ou a par ailleurs rejeté, sans raisonnement approprié et sans explications convenables, des éléments de preuve pertinents.

 

[10]           Plus particulièrement, la déclaration personnelle de la demanderesse traite de manière convaincante des liens étroits qu’elle entretient avec sa famille au Canada. La demanderesse explique aussi qu’elle n’est pas proche de la famille de son père, qui vit au Liban, parce que celle-ci est contre le mariage de ses parents. Elle est plutôt très proche de la famille de sa mère, dont un grand nombre de membres sont présents au Canada. Elle traite aussi du fait que ses parents espèrent immigrer au Canada, ce qui la laisserait seule au Liban. Compte tenu de cela, la décision qu’a prise l’agente de rejeter ce facteur en tant que motif CH possible est déraisonnable.

 

[11]           L’analyse que fait l’agente des difficultés que pourrait avoir la demanderesse au Liban passe tout à fait à côté de la question. L’agente n’analyse que le fait que la demanderesse connaît la langue et la culture, et qu’elle pourrait vivre chez ses parents. La demanderesse ne nie pas qu’elle connaît la langue et la culture, ou qu’elle pourrait vivre chez ses parents au Liban (même si elle a tout de même dit qu’elle est plus à l’aise en anglais qu’en arabe, et que ses parents comptent immigrer un jour au Canada). Quoi qu’il en soit, le réel problème que posent les motifs de l’agente est que ni l’un ni l’autre de ces deux points ne figurent parmi les motifs que la demanderesse a invoqués pour justifier sa demande CH.

 

[12]           Là encore, la question soumise à l’agente n’était pas de savoir si la demanderesse avait un endroit où vivre au Liban ou si elle connaissait bien la culture et la langue, mais plutôt si elle serait victime de discrimination du fait de sa situation, celle d’une musulmane syrienne célibataire. Le fait que l’agente se soit concentrée sur le lieu de résidence possible de la demanderesse au Liban et sa capacité de communiquer est erroné. Je reconnais que l’agente est mieux placée pour évaluer la preuve, mais les motifs qu’elle a fournis sont insuffisants pour rejeter la prétention de la demanderesse selon laquelle la discrimination constante qu’elle subirait en Syrie, compte tenu de sa situation personnelle, constituerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.

 

[13]           L’agente semble sous-entendre aussi que la demanderesse ne s’est peut-être pas vraiment inscrite à l’Université Dalhousie, par exemple. Cependant, lorsqu’une décision négative comporte une conclusion de manque de crédibilité, il faudrait à tout le moins que cela soit explicite. Le simple fait de dire en passant que la demanderesse n’a pas produit de relevés de notes ne suffit pas. Le fait que l’agente n’ait rien dit sur la lettre de recommandation de l’enseignant de la demanderesse est lui aussi inacceptable, compte tenu du commentaire qu’elle a fait en passant.

 

[14]           L’agente aurait pu aussi décider de faire abstraction de l’importance des liens familiaux dont la demanderesse bénéficie au Canada. Cependant, compte tenu des éléments de preuve fournis, dont sa déclaration personnelle, les déclarations faites par ses frères ou sœurs et de nombreuses photographies d’activités familiales ayant eu lieu au Canada, il aurait fallu que l’agente traite au moins de cet argument de manière claire et culturellement sensible. Le fait de dire tout simplement que : [traduction] « même s’il serait difficile de quitter les membres de sa famille et ses amis ici au Canada, [elle n’est] pas convaincue que cette difficulté suffit à elle seule pour justifier une dispense pour motifs d’ordre humanitaire » est donc fort discutable.

 

[15]           Tout compte fait, vu l’absence de motifs suffisants et l’accumulation de problèmes dans le raisonnement de l’agente, la Cour conclut que la décision dans son ensemble est susceptible de contrôle. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie. La décision sera infirmée et l’affaire renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision contestée est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Il n’y a pas de question à certifier.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4448-10

 

INTITULÉ :                                       ZINAH AL JAMAL c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 JUIN 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 JUILLET 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Lee Cohen

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Melissa Grant

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. Lee Cohen

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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