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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110711

 

Dossier : T-1409-04

Référence : 2011 CF 862

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 juillet 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

 

ASTRAZENECA CANADA INC.
ET AKTIEBOLAGET H
Ä
SSLE

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

défenderesse

ET ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse
reconventionnelle

et

 

ASTRAZENECA CANADA INC.,
AKTIEBOLAGET H
Ä
SSLE
et ASTRAZENECA AB

défenderesses
reconventionnelles

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente ordonnance fait suite à une ordonnance antérieure que j’ai rendue dans le cadre de la présente action le 20 juin 2011. À ce moment, j’étais saisi d’une requête émanant des demanderesses en vue de faire radier certains paragraphes de la défense et demande reconventionnelle modifiée déposée le 11 mai 2011 ou, subsidiairement, en vue d’obtenir des précisions. J’ai ordonné que le paragraphe 157S de cet acte de procédure soit radié, avec autorisation de le modifier, et que l’on en soumette une ébauche à l’examen des demanderesses, et, de plus, qu’une nouvelle audience portant sur toute objection formulée à l’égard de cette ébauche soit mise au rôle de manière à activer le déroulement de l’action.

 

[2]               Le texte du paragraphe 157S radié est le suivant :

[traduction]

157S    De plus, des tribunaux d’autres ressorts ont tiré dans certaines affaires des conclusions qui sont contraires ou incompatibles avec une partie ou la totalité de celles sur lesquelles les demanderesses se sont fondées au paragraphe 45 de la déclaration. Ces dernières, et/ou un ou plusieurs de leurs mandataires, étaient parties à ces affaires. En conséquence, ni le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ni celui de l’abus de procédure ne peuvent s’appliquer à ces conclusions. Au contraire, c’est aux demanderesses qu’il faudrait interdire de formuler des allégations contraires aux conclusions que les tribunaux d’autres ressorts ont tirées.

 

[3]               Dans les ébauches d’actes de procédure révisées, les paragraphes ont été renumérotés, et les révisions proposées figurent maintenant dans les paragraphes numérotés de 176 à 192 inclusivement. À cause de leur longueur, je les joins en annexe aux présents motifs.

 

[4]               L’avocat des demanderesses s’est opposé à chacun des paragraphes 176 à 192 et il a regroupé les objections au sein des quatre catégories suivantes :

Catégorie 1      Paragraphes 191 et 192

Catégorie 2      Paragraphes 186 à 190

Catégorie 3      Paragraphes 183 à 185

Catégorie 4      Paragraphes 176 à 182

 

[5]               L’avocat des demanderesses s’est également opposé à la nature non limitative du paragraphe 176. L’avocat de la défenderesse a entrepris de modifier ce paragraphe en vue d’y ajouter des mots tels que [traduction] « comme le précisent les paragraphes suivants » de façon à restreindre le contenu du paragraphe 176 aux paragraphes suivants de cet acte de procédure.

 

[6]               J’examinerai chacun des paragraphes, de la façon dont ils ont été catégorisés :

 

Catégorie 1 :     Paragraphes 191 et 192

1.         Il est dit dans ces paragraphes que la défenderesse Apotex est au courant qu’il y a eu dans certains pays étrangers, l’Angleterre, etc. des litiges auxquels les demanderesses ou des entités liées étaient parties et ont fait valoir [traduction] « certains brevets […] pour l’oméprazole ». La défenderesse sollicite l’autorisation de soumettre les demanderesses à un interrogatoire préalable afin d’obtenir plus d’informations sur ces litiges, vraisemblablement dans le but de passer en revue ce qu’elle pourrait trouver utile pour étayer un plaidoyer fondé sur l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ou sur l’abus de procédure.

 

2.         Il s’agit là d’une recherche à l’aveuglette classique. Un interrogatoire préalable n’est pas, en soi, un droit distinct auquel une partie peut être admissible; il s’agit d’un volet d’un processus mis en marche par un acte de procédure approprié. Les actes de procédure énoncés aux paragraphes 191 et 192 sont manifestement irréguliers et ne peuvent pas être inclus dans la défense et demande reconventionnelle modifiée.

 

Catégorie 2 :     Paragraphes 186 à 190

1.         Ces paragraphes ont trait à l’instance menée aux États-Unis qui est décrite aux paragraphes 43 à 46 de la troisième déclaration modifiée, déclaration que les demanderesses ont été autorisées à déposer par l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 8 avril 2011 et confirmée par le juge Mosley le 20 mai 2011. Je crois savoir que la défenderesse a interjeté appel de cette dernière ordonnance.

 

2.         Dans leur déclaration modifiée, les demanderesses affirment qu’une instance a été engagée devant la Cour américaine entre les mêmes parties que celles qui se trouvent devant la présente Cour canadienne et que certaines conclusions de fait ont été tirés à propos de gélules identiques à celles de la défenderesse qui sont en litige en l’espèce. Les demanderesses plaident de ce fait l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige et l’abus de procédure.

 

3.         Les paragraphes186 à 190 de la défense modifiée proposée ont trait à cette instance menée aux États-Unis et on y indique que, dans cette instance-là, les demanderesses (les mêmes qu’en l’espèce ou leurs ayants droit) ont décidé de ne pas faire valoir certaines revendications du brevet des États-Unis qui étaient en litige dans cette affaire et que, de ce fait, elles ne peuvent pas faire valoir des revendications équivalentes dans le cadre de l’instance menée au Canada.

 

4.         Il s’agit là d’un acte de procédure nouveau pour lequel ni les avocats ni moi‑même n’avons trouvé de précédents. Dans la mesure où il existe quelque chose d’approchant, les propos de la juge Layden-Stevenson (qui siège aujourd’hui à la Cour d’appel fédérale), dans la décision Johnson & Johnson Inc. c Boston Scientific Ltd., 2008 CF 552, 71 CPR (4th) 123, aux paragraphes 260 à 268, peuvent être utiles :

[260]   À l’appui de sa thèse, Boston Scientifique cite les propos de la juge Sharlow, alors juge à la Section de premières instance de la Cour fédérale, dans le jugement Connaught Laboratories Ltd. c. Medeva Pharma Ltd., (1999), 4 C.P.R. 508 (C.F. 1re inst.) (Connaught), conf. par (2000), 4 C.P.R. (4th) 521 (C.A.F.), et plus précisément ceux qu’elle a tenus aux paragraphes 15, 16 et 31 :

 

En fin de compte, la validité d’un brevet accordé conformément à la législation canadienne ne peut pas être déterminée par le régime légal d’un autre pays

 

[…]

 

Toutefois, je ne comprends pas pourquoi des incohérences, dans des conclusions de fait qui sont tirées par différents tribunaux, devraient être tolérées s’il est possible de les éviter sans enfreindre les règles de fond ou de procédure. Connaught a simplement tenté de soutenir que, dans ce cas-ci, il est erroné en principe pour Medeva d’être autorisée à prendre des positions contradictoires sur des questions de fait précises qui sont en litige en l’espèce et qui ont déjà été plaidées ailleurs.

 

[…]

 

Toute plaidoirie fondée sur le principe de la chose jugée ou sur un principe connexe rend l’affaire plus complexe parce qu’elle oblige la Cour à tenir compte de questions difficiles se rapportant à la nature des procédures antérieures et à l’importance exacte de conclusions particulières qui ont été tirées dans le cadre de ces procédures.

 

Il importe également de noter que le problème de la complexité peut être considéré sous différents angles. Les litiges en matière de brevets sont déjà complexes, tant devant cette cour que devant toute autre cour qui est saisie d’affaires de brevets. En fin de compte, pareils litiges peuvent être rendus plus simples au moyen de principes qui permettent ou exigent, le cas échéant, l’adoption de conclusions de fait qui ont été tirées dans une instance étrangère. Cependant, cela n’arrivera jamais à moins que dans la présente affaire ou dans une autre affaire, la Cour n’examine les arguments qui permettraient d’établir pareil principe. [Non souligné dans l’original.]

 

[261]   Boston Scientifique n’invoque pas d’autres précédents, bien que la juge Sharlow cite l’extrait suivant de l’arrêt Kirin-Amgen Inc. & Another v. Boehringer Mannheim GmbH & Another v. Jannsen-Cilag Limited, [1997] F.S.R. 289 (C.A. Angl.) (Kirin‑Amgen) :

 

[traduction]

J’envisage des cas dans lesquels le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige (issue estoppel) pourrait être invoqué dans une affaire de brevet. Ainsi, la même question peut se poser dans différents pays, par exemple la question de savoir si un effet scientifique particulier se produit lorsque l’invention ou un procédé de fabrication est réalisé ou la façon dont un produit contrefait est fabriqué ou encore les propriétés d’un produit ou de sa composition. Le présent jugement ne devrait donc pas être considéré comme établissant que le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ne peut pas être invoqué. [Non souligné dans l’original.]

 

[262]   Les propos que la juge Sharlow a tenus dans le jugement Connaught s’inscrivaient dans le cadre de l’appel de la décision d’un protonotaire de radier les parties d’un acte de procédure sur le fondement de jugements qui avaient été rendus à l’étranger, ce qui justifiait une conclusion de chose jugée. La juge Sharlow a fait droit à l’appel en expliquant qu’« [e]n principe, rien ne permet de conclure qu’une plaidoirie fondée sur le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ne peut pas être fondée sur un jugement étranger, mais il y aura des difficultés inévitables lorsqu’il s’agira d’établir les conditions aux fins de son application ». Il est à mon avis de jurisprudence constante que les actes de procédure qui méritent l’attention de la Cour ne devraient pas être radiés. Dans l’arrêt Kirin-Amgen, tout en faisant observer qu’il pouvait y avoir des situations dans lesquelles l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige pouvait être invoquée à l’égard des conclusions tirées par un tribunal étranger, la Cour a refusé d’appliquer ce principe.

 

[263]   En dernière analyse, la question de savoir s’il y a lieu d’appliquer le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, même lorsque toutes les conditions sont réunies, est une question qui relève du pouvoir souverain d’appréciation du tribunal. Comme j’estime qu’il ne s’agit pas d’un cas dans lequel il convient d’appliquer le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, je ne vois pas l’intérêt de relater au long et en détail les divers procès qui se sont déroulés devant les tribunaux étrangers (avec les différences qu’ils comportent nécessairement).

 

[264]   Il ressort de la preuve que les décisions émanant du Royaume-Uni, des Pays-Bas, des États-Unis et de la France ne sont pas uniformes. En d’autres termes, les tribunaux des autres États n’en arrivent pas aux mêmes solutions. C’était notamment le cas dans l’affaire Connaught.

 

[265]   L’admission faite dans le cadre d’un procès qui se déroule à l’étranger et dont l’auteur précise bien qu’elle ne vaut que pour ce procès ne saurait, à mon sens, être invoquée pour établir les mêmes faits dans le cadre du procès intenté dans un autre pays.

 

[266]   Je suis d’accord avec Boston Scientifique pour dire que les règles de droit qui existent au Royaume-Uni [traduction] « se rapprochent sensiblement de celles du Canada ». Il existe cependant des distinctions. Plus précisément, pour ce qui est des brevets en litige, au Royaume-Uni, le brevet européen 0335341 (le brevet européen 341) constitue un perfectionnement de l’invention revendiquée par le brevet européen 0221570 (le brevet européen 570). Le brevet européen 570 n’est cependant pas le « pendant » du brevet 505. Il correspond plutôt au brevet canadien 1338303 (le brevet 303), qui n’est pas en litige. Les revendications du brevet européen 570 et du brevet européen 341 sont semblables, mais non identiques, aux revendications du brevet 505 et du brevet 186.

 

[267]   Qui plus est, Me John Thomas, un expert juridique émérite, rappelle que le verbe « correspondre » n’est pas très précis. Il affirme que les brevets sont [traduction] « parmi les documents juridiques les plus complexes que l’on puisse produire ». Il signale qu’il existe des différences d’ordre linguistique qui rendent très difficile la compréhension des lois étrangères. Les différences qui existent sur le plan des usages et sur celui de la procédure se traduisent par des [traduction] « distinctions entre les revendications ».

 

[268]   De plus, l’interprétation des revendications est une question de droit qui doit être tranchée avant celles de la contrefaçon et de la validité. Les conclusions relatives à la contrefaçon et à la validité sont tirées en fonction des revendications, telles qu’elles sont interprétées. Boston Scientifique ne prétend pas (et ne pouvait pas prétendre) que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique à l’interprétation des revendications.

 

5.         La juge Layden-Stevenson a fait remarquer avec raison que, dans un procès mené au Canada, on ne peut pas se fonder sur les admissions qui ont été faites dans un procès qui a eu lieu à l’étranger, expressément pour les besoins de ce seul procès. Elle a aussi fait remarquer à juste titre qu’on ne peut présumer d’emblée qu’un brevet étranger « correspond » à un brevet canadien et que la Cour doit être consciente des différences qui existent sur le plan de l’interprétation des revendications, qui est une question de droit.

 

6.         Les paragraphes 186 à 190 qui sont proposés vont plus loin que les actes de procédure dont il était question dans Johnson & Johnson et on y fait valoir que ce qu’une partie n’a pas fait dans le cadre d’un procès mené à l’étranger l’empêche d’une certaine façon de faire quelque chose en rapport avec un brevet « correspondant » au Canada.

 

7.         La Cour doit garder à l’esprit que les litiges coûtent cher et qu’il ne faudrait pas mettre en jeu des questions inutilement peu pertinentes ou distrayantes juste parce qu’il existe une possibilité de pertinence. J’ai à l’esprit la décision récente qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Masterpiece Inc.c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, où le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour à propos d’une preuve d’expert, a formulé au paragraphe 76 des propos qui sont tout aussi pertinents pour les actes de procédure dont il est question en l’espèce :

[76]  Compte tenu de la preuve d’expert relativement détaillée qui a été présentée en l’espèce et des problèmes posés par la preuve dont je discuterai plus loin, je pense qu’il est opportun de rappeler que les litiges coûtent cher.  Les tribunaux doivent veiller à ce que les preuves d’expert et les preuves par sondage qui ne sont ni nécessaires, ni pertinentes, et qui risquent de troubler leur attention ne viennent pas rallonger et compliquer le déroulement de l’instance.  Bien que cette remarque soit d’application générale, je cible particulièrement les affaires de confusion entre des marques de commerce, comme c’est le cas en l’espèce.

 

8.         Les paragraphes 186 à 190 ne peuvent pas être inclus dans la défense modifiée.

 

Catégorie 3 :     Paragraphes 183 à 185

1.         Ces paragraphes sont liés, là encore, aux instances américaines récemment mises en jeu par les demanderesses dans leur déclaration modifiée. La décision de la Cour américaine, en partie, fait référence à des instances engagées en Corée ainsi qu’aux conclusions de la Cour coréenne. Selon les paragraphes 183 à 185, à cause de positions contradictoires qu’elles ont adoptées dans les instances menées aux États‑Unis et en Corée, les demanderesses ne peuvent pas faire valoir maintenant que seules les instances menées aux États-Unis ont une incidence et font obstacle à Apotex dans les instances menées au Canada.

 

2.         Apotex n’était pas partie à l’instance coréenne, pas plus qu’elle ne l’était à ce qui a été appelé la [traduction] « première vague » des instances menées aux États-Unis. Les paragraphes 183 à 185 ne portent que sur la présumée contradiction que l’on relève dans les litiges de la « première vague » qui ont eu lieu aux États-Unis et en Corée; autrement dit, seuls des litiges auxquels Apotex n’était pas partie.

 

3.         Pour les motifs exposés plus tôt au sujet des paragraphes de la catégorie 2, les paragraphes 183 à 195 n’allèguent pas une défense appropriée et ne seront pas accueillis.

 

Catégorie 4 :     Paragraphes 176 à 182

1.         La défenderesse Apotex a déjà entrepris d’apporter des modifications à l’ébauche du paragraphe 176, et il n’y aucun autre commentaire à formuler ici.

 

2.         Les paragraphes 177 à 182 visent l’action coréenne, qui est citée dans les décisions des États-Unis que les demanderesses ont récemment mises en jeu. Selon la défenderesse Apotex, la Cour coréenne a conclu que le produit en litige ne contrefaisait pas le brevet coréen. Il s’agissait là d’une défenderesse différente, mais Apotex dit que le produit est le même.

 

3.         Se fondant sur des extraits de son interrogatoire préalable de la défenderesse, l’avocat des demanderesses soutient que le produit d’Apotex est différent du produit coréen et que la pierre angulaire de ce plaidoyer proposé doit être rejetée. Il s’agit là d’une question à établir au procès, avec le concours d’experts, s’il y a lieu. Au stade des actes de procédure, la Cour doit tenir pour avérés les faits que l’on cherche à alléguer.

 

4.         Les paragraphes 176 à 182 soulèvent une question litigieuse et peuvent faire partie de la défense modifiée.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

 

[7]               En conséquence, la défenderesse peut, dans les dix (10) jours suivant le prononcé des présents motifs et ordonnance, déposer une défense modifiée qui inclura, en faisant référence à l’ébauche, le paragraphe 176 modifié comme elle s’est engagée à le faire, ainsi que les paragraphes 177 à 182. Ne peuvent pas être inclus les paragraphes 183 à 192 de l’ébauche.

 

[8]               Les parties ont convenu que les dépens suivront l’issue de la cause, et j’y souscris.

 


ORDONNANCE

 

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR ORDONNE :

 

1.                                          En conséquence, la défenderesse peut, dans les dix (10) jours suivant le prononcé des présents motifs et ordonnance, déposer une défense modifiée qui inclura, en faisant référence à l’ébauche, le paragraphe 176 modifié comme elle s’est engagée à le faire, ainsi que les paragraphes 177 à 182. Ne peuvent pas être inclus les paragraphes 183 à 192 de l’ébauche.

 

2.                                          Les dépens suivront l’issue de la cause.

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 



ANNEXE A

 

[traduction]

176.     De plus, des tribunaux d’autres ressorts ont tiré dans certaines affaires des conclusions qui sont contraires ou incompatibles avec une partie ou la totalité de celles sur lesquelles se fondent les demanderesses au paragraphe 45 de la déclaration. Les demanderesses et/ou l’un ou plusieurs de leurs mandataires, étaient parties à ces affaires. En conséquence, ni le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ni celui de l’abus de procédure ne peuvent s’appliquer à ces conclusions. Au contraire, c’est aux demanderesses qu’il faudrait interdire de formuler des allégations contraires aux conclusions qu’ont tirées des tribunaux d’autres ressorts. Par ailleurs, les demanderesses ont adopté en l’espèce des positions contradictoires dans le but de faire valoir leurs propres intérêts. Elles ne devraient pas pouvoir, à la fois, approuver et désapprouver une chose.

 

177.     En 1998, ou aux environs de cette date, Chongkeundang Co., Ltd. (CKD) a intenté une action en République de Corée contre Astra U.S.A. Inc. et Astra Korea Ltd. (les parties Astra Korea) devant la Cour de district de Séoul, Service des Affaires civiles XII, soit les affaires nos 95 Ka-Hap 55954 et 97 Ka-Hap 89582 (l’action coréenne). CKD réclamait des dommages‑intérêts liés à une injonction que les parties Astra Korea avaient obtenue contre elle. Les parties Astra Korea avaient introduit une demande reconventionnelle en vue d’obtenir, notamment, une ordonnance portant que CKD ne fabrique pas l’oméprazole selon un certain procédé, au motif que ce procédé et/ou le produit à base d’oméprazole de CKD violaient censément un brevet que détenait Astra U.S.A. Inc.

 

178.     Les parties Astra Korea sont contrôlées par les demanderesses, des sociétés affiliées ou des filiales de ces dernières, ou des entités qui leur sont par ailleurs liées. De plus, le brevet d’Astra U.S.A. Inc. qui est en litige dans l’action coréenne est essentiellement le même que le brevet 693.

 

179.     Dans l’action coréenne, la Cour de district de Séoul a conclu ce qui suit :

 

Pendant que la demanderesse forme le noyau avec l’oméprazole et la L-arginine excédentaire et enrobe ce noyau d’une substance gastrorésistante, le HPMCAS [hydroxypropylméthylceullulose], il se forme une mince couche continue, mais non uniforme, d’une épaisseur d’environ 15-20 μm entre le noyau du comprimé d’OMP et la couche d’enrobage gastrorésistant. Cette mince couche polymérique est formée par la réaction superficielle spontanée entre la L-arginine, le principal ingrédient du comprimé, et le HPMCAS, le principal ingrédient de la couche d’enrobage gastrorésistant, à des températures ambiantes. Aucune étape distincte n’est requise pour former cette mince couche…

 

[...]

 

[I]l est bien possible que cette mince couche ne contribue pas à prévenir la décomposition et la dégradation, du fait de sa discontinuité et de la présence de fines piqûres. Par conséquent, le processus de formation spontanée d’une couche mince dont il est question ci-dessus ne peut pas être considéré comme l’équivalent du processus de formation de la couche intérieure que comporte le brevet d’Astra U.S.

 

180.     Dans l’action coréenne, les parties Astra Korea ont exprimé l’avis que, à cause de la formation de la « couche mince » mentionnée par la Cour de district de Séoul dans l’extrait qui précède, CKD avait violé le brevet d’Astra U.S.A. Inc. La Cour de district de Séoul a conclu que ce n’était pas le cas. L’oméprazole de CKD ne contenait pas une sous-couche inerte et continue d’une épaisseur de 2 à 6 microns, qui épousait la surface du noyau et qui séparait le noyau de l’enrobage gastrorésistant. La décision de la Cour de district de Séoul a été confirmée en appel dans le dossier d’appel no 94 Kang Dang 457, qui était une décision définitive.

 

181.     Le processus de fabrication auquel recourt Apotex est essentiellement le même que celui de CKD qui était en litige dans l’action coréenne, et son produit à base d’oméprazole est essentiellement le même que le produit à base d’oméprazole de CKD qui était en litige dans l’action coréenne.

 

182.     Eu égard à ce qui précède, Apotex soutient que les prétendues conclusions de l’instance menée aux États-Unis ne devraient pas être appliquées contre Apotex, au cas où la Cour conclurait qu’il est possible d’appliquer des conclusions tirées dans une instance étrangère en vue de lier des parties à une instance canadienne, ce qui est nié. Apotex fait valoir que si ces conclusions sont applicables, la conclusion de fait qu’a tirée la Cour coréenne au sujet du produit à base d’oméprazole de CKD - une question qui a été débattue de manière approfondie par les ayants droit des demanderesses et finalement tranchée - lie les demanderesses en l’espèce pour cause d’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige et d’abus de procédure, et il est interdit aux demanderesses de contester ces conclusions de fait ou de formuler des allégations incompatibles avec ces dernières.

 

183.     De plus, dans les litiges de la « première vague » faisant partie de l’instance menée aux États-Unis qui a été mentionné plus tôt, les demanderesses, soit Hassle et d’autres parties liées, ont adopté une position contraire à celle des parties Astra Korea (qui sont liées aux demanderesses en l’espèce, ainsi qu’aux demanderesses dans les litiges de la « première vague ») dans l’action coréenne. Dans les litiges de la « première vague », les demanderesses soutenaient que le procédé et le produit de CKD ne menaient pas à la formation de ce que le tribunal des États-Unis a appelé une « couche séparatrice ».

 

184.     Dans l’affaire In re Omeprazole Patent Litigation, 2004 U.S. Dist. LEXIS 9447, la Cour des États-Unis a fait remarquer que le témoignage d’experts présenté à cet égard par les demanderesses (c.-à-dire, Hassle et d’autres parties liées) dans le cadre des litiges de la « première vague » « n’avait guère de poids, sinon aucun ». Cette décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel des États-Unis pour le circuit fédéral dans l’affaire In re Omeprazole Patent Litigation, 483 F.3d 1364.

 

185.     Par conséquent, étant donné que les demanderesses (ou les parties liées) ont adopté des positions contradictoires dans les litiges de la « première vague » intentés aux États-Unis et l’action coréenne concernant le procédé et le produit de CKD, et qu’elles ont adopté, dans les litiges de la « première vague » intentés aux États-Unis concernant le procédé et le produit de CKS, une position qui était contraire aux conclusions de fait que la Cour coréenne avait tirées (y compris en appel), Apotex déclare qu’il faudrait interdire aux demanderesses de faire valoir qu’elle est liée par les conclusions tirées dans l’instance menée aux États-Unis.

 

186.     Par ailleurs, dans l’instance menée aux États-Unis, les demanderesses n’ont pas fait valoir qu’Apotex avait contrefait les revendications 8 et 9 du brevet américain no 4,786,505 (le brevet 505), qui était l’un des brevets en litige dans l’instance menée aux États-Unis. Les demanderesses soutiennent, à l’alinéa 44b) de la troisième déclaration modifiée, que le brevet 505 est le pendant américain du brevet 693. Cependant, elles font néanmoins valoir dans la présente action qu’Apotex a contrefait les revendications équivalant aux revendications 8 et 9 du brevet 505, soit les revendications 11, 12 et 13 du brevet 693.

 

187.     Étant donné que les demanderesses (ou leurs ayants droit) ont adopté des positions contradictoires dans l’instance menée aux États-Unis et dans la présente instance à propos des revendications susmentionnées du brevet 505 et du brevet 693, Apotex déclare qu’il faudrait interdire aux demanderesses de faire valoir qu’elle est liée par les conclusions tirées dans l’instance menée aux États-Unis.

 

188.     Advenant que la Cour décide qu’il est possible d’appliquer les conclusions tirées dans une instance étrangère en vue de lier les parties à une instance canadienne, ce qui est nié, il s’ensuit qu’il faudrait interdire aux demanderesses de faire valoir qu’Apotex a contrefait les revendications 11, 12 et 13 du brevet 693, car le fait que les demanderesses (ou leurs ayants droit) ne sont pas parvenues à faire valoir les revendications équivalentes dans l’instance menée aux États-Unis équivaut à reconnaître que le produit d’Apotex (qui, d’après les demanderesses, est le même aux États-Unis et au Canada) ne contrefait pas ces revendications. Plus précisément, le fait que les demanderesses (ou leurs ayants droit) n’ont pas allégué dans l’instance menée aux États-Unis que la formulation d’Apotex a une teneur en eau de moins de 1,5 %, comme il est dit dans la revendication 9 du brevet 505, devrait les empêcher de faire maintenant valoir que la formulation d’Apotex a une telle teneur en eau, comme il est dit dans la revendication 13 du brevet 693. Dans le même ordre d’idées, le fait que les demanderesses (ou leurs ayants droit) n’ont pas allégué dans l’instance menée aux États-Unis que la formulation d’Apotex ne comportait aucun des enrobages gastrorésistants, auxquels sont ajoutés facultativement un plastifiant, qui sont décrits dans la revendication 8 du brevet 505, devrait les empêcher de faire maintenant valoir que la formulation d’Apotex comporte l’un quelconque des enrobages gastrorésistants revendiqués, ou un plastifiant, comme il est indiqué dans les revendications 11 et 12 du brevet 693.

 

189.     Par ailleurs, la revendication du brevet 693 exige une formulation qui comporte un enrobage gastrorésistant. Les revendications du brevet 693 sont toutes subordonnées, directement ou indirectement, à la revendication 1. Par conséquent, étant donné qu’il faudrait interdire aux demanderesses de faire valoir que le produit d’Apotex comporte l’un des enrobages gastrorésistants mentionnés dans les revendications 11 et 12 du brevet 693 pour les raisons susmentionnées, il n’y a aucun enrobage gastrorésistant qu’Apotex a utilisé qui pourrait contrefaire la revendication du brevet 693. De ce fait, il faudrait interdire aux demanderesses de faire valoir qu’Apotex a contrefait l’une quelconque des revendications du brevet 693.

 

190.     Par ailleurs, dans la mesure où la Cour conclut que les conclusions tirées dans une instance étrangère peuvent être appliquées en vue de lier les parties à une instance canadienne, ce qui est nié, les demanderesses ne devraient pas avoir une seconde occasion de faire valoir ces revendications à l’encontre d’Apotex, après avoir décidé de ne pas le faire dans l’instance menée aux États-Unis.

 

191.     Outre l’action coréenne, Apotex est au courant d’instances menées en Angleterre et en Australie dans lesquelles étaient en litige certains brevets des demanderesses (ou de parties liées) concernant l’oméprazole. Il ne ressort pas clairement des informations publiquement disponibles s’il était question de contrefaçon dans ces instances. Seules les demanderesses sont au courant de ces renseignements. Apotex sollicite le droit de vérifier, en interrogeant au préalable les demanderesses, s’il était question de contrefaçon dans ces instances et si l’issue de ces dernières les empêche d’invoquer le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige et le principe de l’abus de procédure.

 

192.     Apotex est également au courant d’instances menées au Danemark, en Norvège, en Israël et en Allemagne en rapport avec certains brevets des demanderesses (ou de parties liées) concernant l’oméprazole. Il est fait brièvement référence à ces décisions dans le site web des demanderesses, à l’adresse : http://www.astrazeneca.com. Cependant, Apotex n’a pas réussi à obtenir, et donc passer en revue et examiner, les décisions qui ont été rendues dans ces instances. Seules les demanderesses connaissent les détails de ces instances. Apotex sollicite le droit de vérifier, en interrogeant au préalable les demanderesses, s’il était question de contrefaçon dans ces instances et si l’issue de ces dernières les empêche d’invoquer le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige et le principe de l’abus de procédure.



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1409-04

 

INTITULÉ :                                       ASTRAZENECA CANADA INC., ET AKTIEBOLAGET HÄSSLE c. APOTEX INC.

                                                            ET ENTRE :

                                                            APOTEX INC. c. ASTRAZENECA CANADA INC., AKTIEBOLAGET HÄSSLE et ASTRAZENECA AB

                                                           

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 29 JUIN 2011

                                                           

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 JUILLET 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark G. Biernacki

Urszula A. Wojtyra

 

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Brodkin

Daniel Cappe

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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