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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20110704

Dossier : T-1486-10

Référence : 2011 CF 819

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 juillet 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

 

SUNNY YU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre de la Sécurité publique (le ministre), datée du 16 août 2010, par laquelle le ministre a refusé la demande faite par le demandeur en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21 (la LTID), en vue de faire transférer sa peine d’emprisonnement des États-Unis au Canada.


I. Le contexte

[2]               Le demandeur, né le 18 janvier 1979, est citoyen canadien. En septembre 2001, il est allé aux États-Unis pour étudier la finance à l’Hawaii Pacific University à Honolulu. Alors qu’il était là, il est devenu l’objet d’une enquête menée par le Bureau of Immigration and Customs Enforcement, et, le 22 juin 2003, il a été arrêté pour son implication dans l’importation de quatre kilogrammes de méthamphétamine du Canada à Hawaii. Il a été allégué qu’il avait été responsable de la supervision du transport et de la livraison des stupéfiants ainsi que du paiement des passeurs impliqués.

 

[3]               Le 23 septembre 2005, le demandeur a inscrit un plaidoyer de culpabilité et a été déclaré coupable de [traduction] « complot en vue d’importer aux États-Unis plus de 500 grammes de méthamphétamine ». Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 14 ans suivie de cinq années de liberté sous surveillance.

 

[4]               En 2006, le demandeur a déposé une demande en vue de faire transférer sa peine au Canada. L’ancien ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a approuvé sa demande. Cependant, en juin 2007, les États-Unis l’ont refusée, en invoquant la gravité de l’infraction que le demandeur avait commise. Le 13 mars 2008, le complice du demandeur, M. Khai Ong, a obtenu son transfèrement des États-Unis au Canada.

 

[5]               Le demandeur a déposé une demande auprès de fonctionnaires des États-Unis, pour une deuxième fois, en vue d’être transféré au Canada. Cette fois, en janvier 2009, des fonctionnaires du Département de la Justice des États-Unis ont approuvé la demande du demandeur. Le 11 février 2009, le demandeur a déposé une demande auprès du ministre. Dans sa demande, le demandeur a affirmé : [traduction] « Je sais que j’ai fait certains mauvais choix, mais j’espère pouvoir avoir la chance de démontrer que j’ai appris de mes erreurs. »

 

[6]               En avril 2010, l’Unité des transfèrements internationaux (l'UTI) du Service correctionnel du Canada (le SCC) a établi un rapport destiné au ministre. Le rapport mentionnait, entre autres choses, qu’il n’y avait aucune raison de considérer le demandeur comme une menace pour la sécurité du Canada, que les personnes avec qui il avait des liens sociaux ou familiaux en Colombie-Britannique continuaient de lui offrir leur soutien, que sa mère et ses sœurs lui fourniraient du soutien à son retour, et que le demandeur n’avait aucune autre déclaration de culpabilité ni accusation en instance.

 

[7]               Le rapport précisait également que la probabilité que le demandeur récidive après sa remise en liberté était faible. Quant à savoir si le demandeur serait susceptible de commettre une « infraction d’organisation criminelle » au sens de l’article 2 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (le Code criminel), le rapport affirmait que les renseignements que le SCC avait obtenus de ses homologues des domaines de la sécurité et du renseignement (dont le Service canadien du renseignement de sécurité) ne portaient pas à croire qu’il le serait. Le rapport ajoutait : [traduction] « Les renseignements au dossier ne l’identifient pas comme étant un membre d’un groupe criminel organisé. »

 

II. La décision faisant l’objet du présent contrôle

[8]               Le 16 août 2010, le ministre a rejeté la demande de transfèrement du demandeur.

 

[9]               Après avoir exposé les objectifs de la LTID et les faits de l’affaire du demandeur, le ministre a affirmé ce qui suit :

[traduction]

 

La Loi exige que je détermine si, à mon avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction d’organisation criminelle au sens de l’article 2 du Code criminel. Dans le contexte de l’examen de ce facteur, je note que le demandeur a été impliqué dans la planification et l’exécution d’une transaction de stupéfiants sophistiquée dans le cadre de laquelle une quantité importante de stupéfiants ont été transportés du Canada aux États-Unis. Les renseignements au dossier portent à croire que le demandeur a été responsable de la supervision du transport et de la livraison des stupéfiants ainsi que du paiement des passeurs. Le demandeur a été impliqué dans la perpétration d’une infraction grave qui, si elle avait été perpétrée avec succès, aurait vraisemblablement procuré un avantage matériel ou financier au demandeur ainsi qu’aux membres du groupe qu’il aidait.

 

La Loi exige que j’examine la question de savoir si le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada. Je suis conscient des liens familiaux du demandeur au Canada, notamment le fait que la mère et les frères et sœurs du demandeur continuent de lui apporter du soutien.

 

Après avoir examiné les faits et les circonstances particuliers de la présente demande ainsi que les facteurs énumérés à l’article 10, je ne crois pas qu’un transfèrement réaliserait les objectifs de la Loi.

 

III. Les questions en litige

[10]           Dans ses observations écrites, le demandeur a formulé plusieurs arguments fondés sur l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) (la Charte). Le demandeur a essentiellement soutenu qu’en rejetant sa demande de transfèrement au Canada, le ministre avait violé son droit à la mobilité protégé par le paragraphe 6(1) de la Charte. Toutefois, dans sa plaidoirie, le demandeur a concédé que la Cour d’appel fédérale avait récemment traité de cette question dans l’arrêt Divito c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 39, 413 N.R. 134, où elle avait conclu que le contexte du transfèrement de prisonniers ne donnait pas application au paragraphe 6(1) de la Charte. Je suis lié par cet arrêt.

 

[11]           Ainsi, la question déterminante dans le cadre de la présente demande est la suivante : le ministre a-t-il commis une erreur lorsqu’il a refusé de faire droit à la demande de transfèrement du demandeur?

 

IV. La norme de contrôle

[12]           La décision du ministre de consentir ou non au transfèrement d’un prisonnier est une décision de nature discrétionnaire et, de ce fait, elle commande une grande retenue. La norme de contrôle applicable est la raisonnabilité (Randhawa c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 625, au paragraphe 4; Holmes c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 112, aux paragraphes 45 et 46 (Holmes); Dudas c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 942, au paragraphe 23, 373 F.T.R. 253). La Cour examinera donc l’existence d’une justification à la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision du ministre aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

V. Analyse

[13]           En vertu de la LTID, un délinquant canadien incarcéré dans un État étranger (avec lequel le Canada a conclu un accord de transfèrement) peut demander à ce que sa peine soit transférée au Canada. Le paragraphe 8(1) de la LTID précise que trois parties, soit le délinquant, l’État étranger et le Canada, doivent donner leur consentement pour qu’un transfèrement ait lieu :

Consentement des trois parties

 

8. (1) Le transfèrement nécessite le consentement des trois parties en cause, soit le délinquant, l'entité étrangère et le Canada.

Consent of three parties

 

8. (1) The consent of the three parties to a transfer — the offender, the foreign entity et Canada — is required.

 

[14]           Le consentement du Canada est donné par le ministre. Les paragraphes 10(1) et 10(2) de la LTID énoncent des facteurs que le ministre doit prendre en compte pour décider s’il donnera ou non ce consentement :

Facteurs à prendre en compte : délinquant canadien

 

10. (1) Le ministre tient compte des facteurs ci-après pour décider s'il consent au transfèrement du délinquant canadien :

 

a) le retour au Canada du délinquant peut constituer une menace pour la sécurité du Canada;

 

b) le délinquant a quitté le Canada ou est demeuré à l'étranger avec l'intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente;

 

c) le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada;

 

d) l'entité étrangère ou son système carcéral constitue une menace sérieuse pour la sécurité du délinquant ou ses droits de la personne.

 

Facteurs à prendre en compte : délinquant canadien ou étranger

 

(2) Il tient compte des facteurs ci-après pour décider s'il consent au transfèrement du délinquant canadien ou étranger :

 

a) à son avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou une infraction d'organisation criminelle, au sens de l'article 2 du Code criminel;

 

b) le délinquant a déjà été transféré en vertu de la présente loi ou de la Loi sur le transfèrement des délinquants, chapitre T-15 des Lois révisées du Canada (1985).

Factors — Canadian offenders

 

 

10. (1) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender, the Minister shall consider the following factors:

 

(a) whether the offender's return to Canada would constitute a threat to the security of Canada;

 

(b) whether the offender left or remained outside Canada with the intention of abandoning Canada as their place of permanent residence;

 

 

(c) whether the offender has social or family ties in Canada; and

 

(d) whether the foreign entity or its prison system presents a serious threat to the offender's security or human rights.

 

 

Factors — Canadian and foreign offenders

 

(2) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian or foreign offender, the Minister shall consider the following factors:

 

(a) whether, in the Minister's opinion, the offender will, after the transfer, commit a terrorism offence or criminal organization offence within the meaning of section 2 of the Criminal Code; and

 

(b) whether the offender was previously transferred under this Act or the Transfer of Offenders Act, chapter T-15 of the Revised Statutes of Canada, 1985.

 

[15]           La liste de facteurs énoncés aux paragraphes 10(1) et 10(2) n’est pas exhaustive. Il est loisible au ministre de prendre également en compte d’autres facteurs, à la condition que ceux-ci soient pertinents au regard de l’objet de la Loi (Holmes, précitée, au paragraphe 12; Balili c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 396, au paragraphe 3). L’objet de la LTID est énoncé à l’article 3 :

Objet

 

3. La présente loi a pour objet de faciliter l'administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux-ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux.

Purpose

 

3. The purpose of this Act is to contribute to the administration of justice et the rehabilitation of offenders et their reintegration into the community by enabling offenders to serve their sentences in the country of which they are citizens or nationals.

 

[16]           Si le ministre ne donne pas son consentement, le paragraphe 11(2) de la LTID exige qu’il motive son refus. Dans la décision Holmes, précitée, aux paragraphes 42 à 44, le juge Michael Phelan a noté que les motifs du ministre visés au paragraphe 11(2) doivent réaliser les quatre objectifs de la motivation suffisante des décisions que la Cour d’appel fédérale a énoncés dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, au paragraphe 16, 320 D.L.R. (4th) 733, en mettant un accent particulier sur les objectifs « sur le plan du fond » et les objectifs sur le plan « de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité ». En somme, il importe que le demandeur puisse cerner le fondement de la décision du ministre, et ce fondement doit être compréhensible et posséder une rationalité et une logique discernables.

 

[17]           Dans la présente affaire, les motifs du ministre comportaient une analyse de seulement  deux facteurs : 1) alinéa 10(1)c) – « le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada »; et 2) alinéa 10(2)a) – « [de l’avis du ministre], le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel ».

 

[18]           Pour ce qui est de l’alinéa 10(1)c), le ministre a noté que le demandeur avait une famille qui le soutenait au Canada. Cela aurait vraisemblablement milité en faveur de l’accueil de la demande du demandeur.

 

[19]           Pour ce qui est de l’alinéa 10(2)a), le ministre a concentré son attention sur la question de savoir si, après son transfèrement, le demandeur commettrait une infraction d’organisation criminelle. À cet égard, le ministre a simplement énuméré les faits suivants : le demandeur avait été impliqué dans la planification et l’exécution d’une transaction de stupéfiants sophistiquée, une grande quantité de stupéfiants étaient en cause, le demandeur avait été responsable de la supervision du transport et de la livraison des stupéfiants, l’infraction commise par le demandeur était grave et, si l’infraction avait été perpétrée avec succès, elle aurait vraisemblablement procuré un avantage matériel ou financier au demandeur ainsi qu’aux membres du groupe qu’il aidait.

 

[20]           Bien que le ministre ne l’ait pas dit expressément, ses motifs laissent l’impression que les faits qu’il a cités l’ont amené à conclure que l’hypothèse visée à l’alinéa 10(2)a) était à envisager : c’est-à-dire qu’après son transfèrement au Canada, le demandeur commettrait une infraction d’organisation criminelle. En outre, puisque le ministre n’a invoqué aucun autre motif au soutien de sa décision de refuser la demande du demandeur, il se dégage l’impression que la conclusion du ministre pour ce qui est de l’alinéa 10(2)a) a été déterminante.

 

[21]           Cela est problématique. Aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi les faits que le ministre a cités, et qui étaient tous reliés à l’infraction en matière de stupéfiants que le demandeur avait commise en 2003, l’ont amené à conclure que le demandeur commettrait à l’avenir une infraction d’organisation criminelle.

 

[22]           Il est vrai que les faits que le ministre a cités pourraient être considérés comme contribuant à justifier la conclusion que le demandeur avait commis une « infraction d’organisation criminelle » dans le passé. La définition d’« organisation criminelle » énoncée au paragraphe 467.1(1) du Code criminel constitue un élément central de la définition d’« infraction d’organisation criminelle » énoncée à l’article 2 :

Définitions

 

467.1 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

 

« organisation criminelle » Groupe, quel qu’en soit le mode d’organisation :

 

a) composé d’au moins trois personnes se trouvant au Canada ou à l’étranger;

 

b) dont un des objets principaux ou une des activités principales est de commettre ou de faciliter une ou plusieurs infractions graves qui, si elles étaient commises, pourraient lui procurer — ou procurer à une personne qui en fait partie — , directement ou indirectement, un avantage matériel, notamment financier.

 

La présente définition ne vise pas le groupe d’individus formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction.

Definitions

 

467.1 (1) The following definitions apply in this Act.

 

 

 

 

“criminal organization” means a group, however organized, that

 

(a) is composed of three or more persons in or outside Canada; et

 

(b) has as one of its main purposes or main activities the facilitation or commission of one or more serious offences that, if committed, would likely result in the direct or indirect receipt of a material benefit, including a financial benefit, by the group or by any of the persons who constitute the group.

 

It does not include a group of persons that forms randomly for the immediate commission of a single offence.

 

[23]           Le ministre a conclu que le demandeur [traduction] « a été impliqué dans la perpétration d’une infraction grave qui, si elle avait été perpétrée avec succès, aurait vraisemblablement procuré un avantage matériel ou financier au demandeur ainsi qu’aux membres du groupe qu’il aidait. » Cependant, le ministre a omis d’expliquer comment toutes les autres conditions de la participation à une « organisation criminelle » auraient été remplies dans le cas du demandeur : il n’a pas dit que le demandeur appartenait à un groupe composé d’au moins trois personnes, ni que le groupe avait parmi ses objets principaux la perpétration d’une ou plusieurs infractions graves, ni que le groupe n’avait pas été formé au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction. Bien que l’avocat du défendeur avance que ces éléments peuvent tous s’inférer du dossier, les motifs du ministre ne comportent rien qui tende à indiquer que lui-même les aurait examinés. En outre, il importe de noter que le rapport du SCC disait expressément que le demandeur n’avait pas été identifié comme membre d’un groupe criminel organisé.

 

[24]           Même si le ministre avait donné une explication justifiée, transparente et intelligible à sa croyance selon laquelle le demandeur avait commis une infraction d’organisation criminelle dans le passé, cela n’aurait éclairé en rien la question plus pertinente de savoir pourquoi le ministre était d’avis que le demandeur commettrait une infraction d’organisation criminelle à l’avenir. À cet égard, il importe de noter que l’alinéa 10(2)a) emploie le mot « commettra » par opposition à « pourrait commettre » relativement à l’infraction future, de sorte qu’un degré élevé de certitude est requis (Grant c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2010 CF 958, aux paragraphes 36 et 37, 373 F.T.R. 281; Holmes, précitée, aux paragraphes 13 et 14).

 

[25]           Une explication était particulièrement importante en l’espèce, parce que des fonctionnaires du SCC avaient écrit au ministre que, d’après leurs renseignements, il n’y avait aucune raison de croire que le demandeur serait susceptible de commettre une infraction d’organisation criminelle. La Cour a statué à de nombreuses occasions que, bien que le ministre soit libre de ne pas suivre les conseils que lui donnent ses conseillers, lorsqu’il agit ainsi, il a un devoir important d’expliquer les raisons de son choix. Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 115, aux paragraphes 12 et 13, le juge Phelan a affirmé :

12           Le ministre peut tirer une conclusion qui n’est pas conforme à l’avis qu’il reçoit. Il peut soupeser les facteurs allégués et les autres facteurs différemment. Toutefois, il lui incombe d’expliquer comment il a pu tirer sa conclusion ou pourquoi il se dit préoccupé.

 

13           En l’espèce, le ministre devait expliquer pourquoi il craignait que le demandeur continue ses activités criminelles organisées alors que la preuve démontrait qu’il n’avait aucun lien avec le crime organisé. Il est nécessaire de fournir une explication raisonnée, d’autant plus que les renseignements des homologues du Service correctionnel du Canada, qui travaillent à la division du renseignement de sécurité ainsi qu’au SCRS, n’ont pas permis aux conseillers ministériels de croire que le demandeur commettrait, après son transfèrement, un crime organisé.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Voir aussi Grant c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2010] A.C.F. no 386 (QL), et Vatani c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 114, aux paragraphes 8 et 9.

 

[26]           Le ministre a omis de donner des motifs suffisants pour expliquer pourquoi il était d’avis que le demandeur, après qu’il aurait été transféré au Canada, commettrait une infraction d’organisation criminelle. Les éléments de preuve au dossier donnaient à penser qu’il y avait une probabilité très faible que le demandeur récidive, encore moins qu’il commette une infraction d’organisation criminelle. Mis à part l'assertion à caractère général que le transfèrement ne réaliserait pas les objectifs de la LTID, le ministre n’a fourni aucune autre justification à son rejet de la demande de consentement du demandeur.

 

[27]           Le défendeur cherche à s’appuyer sur la décision récente de la Cour dans l’affaire Duarte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 602 (Duarte), pour soutenir que la décision du ministre en l’espèce était raisonnable. Cependant, la décision qui faisait l’objet du contrôle dans Duarte était différente.

 

[28]           Dans cette affaire, le ministre avait refusé une demande de transfèrement après avoir évoqué des préoccupations tant au regard de l’alinéa 10(1)a), à savoir que le retour au Canada du délinquant constituerait une menace pour la sécurité du Canada, que de l’alinéa 10(2)a), à savoir que le délinquant commettrait, après son transfèrement, une infraction d’organisation criminelle. Non seulement le ministre avait-il tenu compte de deux facteurs négatifs dans cette affaire, par opposition à un seul, mais l’analyse du ministre au regard de l’alinéa 10(2)a) était aussi plus élaborée. Le ministre avait noté que le demandeur avait des liens antérieurs avec une organisation criminelle et qu’il avait des antécédents judiciaires au Canada, notamment des déclarations de culpabilité pour des agressions armées. Le ministre avait également précisé que les éléments de preuve au dossier relatifs à l’infraction en cause – complot en vue de posséder plus de cinq kilogrammes de cocaïne dans l’intention d’en faire la distribution – portaient à croire que des complices étaient impliqués qui n’avaient pas été appréhendés.

 

[29]           Tandis qu’il a pu être possible de trouver la justification, la transparence et l’intelligibilité requises dans le processus décisionnel du ministre dans Duarte, ces éléments requis font résolument défaut en l’espèce.

 

[30]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision du ministre de refuser la demande de transfèrement du demandeur était déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du ministre est annulée, et l’affaire est renvoyée pour qu'une nouvelle décision soit rendue sur celle-ci dans les 60 jours de la date du jugement. Le tout avec dépens en faveur du demandeur.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1486-10

 

INTITULÉ :                                       SUNNY YU c. MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 juin 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 juillet 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

John W. Conroy, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Curtis Workun

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Conroy & Company

Avocats

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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