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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110630

Dossier : IMM-6892-10

Référence : 2011 CF 812

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

CUI WANG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision datée du 22 octobre 2010 rendue par Section d’appel de l’immigration, par laquelle celle-ci rejetait l’appel interjeté par la demanderesse quant à la décision d’une agente des visas de Hong Kong de ne pas octroyer un visa de résident permanent à son époux.

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse a obtenu le statut de résidente permanente du Canada le 27 décembre 2005 en tant que personne à charge de son père, lequel était parrainé par celle qui était alors son épouse. Peu après l’arrivée de la demanderesse au Canada, Shulin Chen, une amie, l’a présentée à M. Liu. Puisque M. Liu résidait en Chine à ce moment-là, lui et la demanderesse ont commencé, en mai 2006, à communiquer au moyen du téléphone et d’internet. En décembre 2006, M. Liu a demandé à la demanderesse de l’épouser, et celle-ci a accepté. Elle s’est envolée pour la Chine le 29 janvier 2007, où elle a rencontré M. Liu pour la première fois. 9 jours plus tard, ils étaient mariés. Après leur mariage, ils sont allés à la montagne Wuyi pour leur voyage de noces. Lors du retour de la demanderesse au Canada, les époux ont continué à communiquer au moyen du téléphone et d’internet, environ quatre à cinq fois par semaine.  

 

[3]               Le 6 mai 2008, une agente des visas a rencontré M. Liu à Hong Kong. Au cours de la rencontre, l’agente des visas a mentionné à M. Liu qu’elle avait reçu une lettre anonyme contenant des allégations voulant que le mariage en fût un de convenance. 

 

[4]               L’agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente de M. Liu, puisqu’elle n’était pas convaincue que le mariage était authentique et que celui-ci n’avait pas été contracté dans le but d’immigrer au Canada. La demanderesse a interjeté appel de cette décision à la Section d’appel de l’immigration. La SAI a rejeté l’appel de la demanderesse, le 22 octobre 2010.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[5]               Lors de l’audience de novo, la SAI a conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer que son mariage était authentique et que celui-ci n’avait pas été contracté aux fins d’obtention d’un statut. La SAI s’est fondée sur des inférences défavorables en matière de crédibilité et d’invraisemblance pour rejeter l’appel.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[6]               Les questions déterminantes dans le cadre du présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. La SAI s’est-elle fondée sur une [traduction] « lettre malicieuse anonyme » pour trancher l’appel interjeté par la demanderesse et, le cas échéant, était-ce déraisonnable?

 

  1. Les inférences de la SAI étaient-elles raisonnables dans leur ensemble?

 

ANALYSE

 

[7]               La Cour a eu des quelques difficultés supplémentaires à examiner la présente affaire, car la transcription de l’audience de la SAI s’arrêtait brusquement au cours du témoignage de la demanderesse. Le témoignage du conjoint y figurait dans son intégralité. Les avocats des parties et la Cour ont remarqué ce fait en se préparant pour l’audience. À l’audience, l’avocat de la demanderesse a demandé à la Cour d’examiner si elle pouvait continuer les procédures en l’absence d’un enregistrement complet de l’audience de la SAI. Le défendeur était d’avis que l’audience devait avoir lieu et a invoqué les arrêts Kandiah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.) (1992), 141 N.R. 232, 6 Admin. L.R. (2d) 42 et Syndicat canadien de la fonction publique c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793 (S.C.F.P.).

 

[8]               Ces deux arrêts établissent que l’omission d’un tribunal administratif d’enregistrer ses séances ne constitue pas en soi un manque à l’équité procédurale. En l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent juger si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande : S.C.F.P., précité, au paragraphe 81. En l’espèce, la demanderesse a fourni une preuve par affidavit de son témoignage devant la SAI, et les motifs de la décision faisant l’objet du contrôle contiennent des renvois à ce témoignage. En examinant l’affaire, j’ai été convaincu que le dossier était suffisant pour procéder au contrôle judiciaire de la décision de la SAI.

 

La norme de contrôle applicable

 

[9]               Les conclusions à savoir si une relation est authentique ou si elle vise principalement l’acquisition d’un statut aux termes de la LIPR sont de nature purement factuelle et commandent un degré élevé de déférence par la Cour. Ces décisions sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : Kaur c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 417, au paragraphe 14. La Cour fédérale doit examiner la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus, ainsi que la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59.

 

[10]           Lorsque l’équité procédurale est en cause, il convient de se demander si les principes de la justice naturelle ont été respectés dans les circonstances particulières de l’affaire. Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable : Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, aux paragraphes 52 et 53. La retenue judiciaire envers le décideur n’est pas contestée. Voir : Ontario (Commissioner Provincial Police) c. MacDonald, 2009 ONCA 805, 3 Admin. L.R. (5th) 278, au paragraphe 37 et Bowater Mersey Paper Co. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141, 2010 NSCA 19, 3 Admin. L.R. (5th) 261, aux paragraphes 30 à 32.

 

La SAI s’est-elle fondée sur une « lettre malicieuse anonyme » pour trancher l’appel interjeté par la demanderesse et, le cas échéant, était-ce déraisonnable?

 

[11]           La demanderesse prétend essentiellement que la SAI s’est fondée sur la « lettre malicieuse anonyme » lorsqu’elle a tiré sa conclusion quant à l’authenticité du mariage de la demanderesse. La demanderesse prétend qu’il était injuste que la SAI se fonde sur la lettre, surtout que celle‑ci n’avait pas été communiquée à la demanderesse, ni à son époux.

 

[12]           Rien dans les motifs de la SAI ne laisse croire qu’elle se soit fondée sur la « lettre malicieuse anonyme » pour parvenir à sa conclusion quant à l’authenticité du mariage. Comme le souligne à juste titre le défendeur, la lettre ne fait même pas partie du dossier officiel. De plus, la lettre n’est abordée que brièvement, dans la partie sur le contexte, de la décision de 8 pages. La SAI ne renvoie pas à la lettre et ne s’en sert nulle part ailleurs comme fondement d’une conclusion négative. Il ne fait aucun doute, à la lecture de la décision dans son ensemble, que la SAI ne s’est pas fondée sur cette lettre dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse et/ou de l’époux de celle‑ci.

 

[13]           De plus, la prétention de la demanderesse voulant que l’omission de lui communiquer, ou de communiquer à son époux, la lettre ou les détails de celle-ci constituait un manquement à l’équité procédurale est sans fondement. Il a été conclu qu’une « lettre malicieuse anonyme » n’a pas nécessairement à être communiquée à un demandeur, tant et aussi longtemps qu’on porte à sa connaissance les allégations contenues dans la lettre : D’Souza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 57, 321 F.T.R. 315, au paragraphe 14. C’est ce qui s’est produit en l’espèce. Au cours de l’entrevue de l’époux de la demanderesse, l’agente des visas a explicitement mentionné que Citoyenneté et Immigration Canada avait reçu une lettre anonyme et lui a donné la possibilité de répondre à ses préoccupations : voir la décision de l’agente des visas, dossier de la demande, pages 50‑52. L’on ne peut affirmer qu’il y a eu des manquements à la justice naturelle.

 

Les inférences de la SAI étaient-elles raisonnables?

 

[14]           La décision négative de la SAI était fondée sur des inférences défavorables concernant la crédibilité ainsi que sur des conclusions d’invraisemblances. L’une de ces invraisemblances était que la demanderesse, dans son témoignage, a relaté que l’amie qui l’a présentée à son époux l’avait aidé à déménager, de la résidence de sa belle-mère à son propre appartement locatif, à une époque où elle était sans le sou et qu’elle n’avait aucun moyen envisageable pour payer son loyer. La demanderesse a relaté qu’elle avait emprunté de l’argent, qu’elle a remboursé après s’être trouvé un travail. Son registre d’emploi démontrait cependant qu’elle était sans emploi, de février 2002 à janvier 2006 et qu’elle était travailleuse autonome d’août 2006 à mars 2007. Lorsqu’on lui a fait part de son registre d’emploi, la demanderesse a relaté qu’elle avait quelques économies, dont elle s’est servie. Ce n’est que lorsqu’on lui a posé des questions quant à la provenance de ses économies qu’elle a relaté avoir emprunté de l’argent pour payer ses comptes. La SAI a conclu que ces réponses laissent planer des doutes sur la crédibilité de la demanderesse.

 

[15]           La demanderesse relate, dans son affidavit, qu’elle a emprunté de l’argent à son père, mais l’affidavit a été signé en décembre 2010 et les motifs de la SAI sont muets quant à ce fait. Puisqu'il est bien établi en droit que la SAI est la mieux placée pour apprécier la crédibilité d’un récit (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.), au paragraphe 4) et que la Cour accorde un haut degré de déférence à la SAI, en raison de la nature factuelle de ce type de prétentions, l’on ne peut conclure que la SAI a commis une erreur de droit en concluant que les réponses de la demanderesse à ces questions minaient sa crédibilité. 

 

[16]           Étant donné la proximité entre la demanderesse et sa mère ainsi que le nombre de fois où elles communiquaient par semaine, il était raisonnable que la SAI tire une inférence négative du fait que la demanderesse n’a rien dit à sa mère pendant 6 jours au sujet de la demande en mariage et de sa réponse positive à la demande. Il s’agit d’un comportement atypique, pour quelqu’un qui est proche de ses parents et qui communique fréquemment avec eux, de ne leur avoir rien dit au sujet d’un mariage. Lorsqu’on a demandé à la demanderesse pourquoi elle n’en a pas parlé immédiatement à sa mère, elle a expliqué que c’était parce qu’elle était occupée par son travail. Lorsqu’on lui a ensuite souligné qu’elle était sans travail à ce moment-là, la demanderesse est devenue évasive. Compte tenu de ces réponses douteuses, il était donc raisonnable que la Commission tire une inférence négative quant à la crédibilité.

 

[17]           En juillet 2006, la demanderesse a changé de société de téléphonie, afin de pouvoir créer un registre de ses appels à son époux. Ce dernier a relaté dans son témoignage que leur relation est devenue plus sérieuse entre mai et juillet 2006, mais qu’ils n’ont pas abordé la question du mariage avant octobre 2006. La SAI a raisonnablement conclu que la décision de la demanderesse de créer un registre des conversations avec son époux était, dans le meilleur des cas, prématurée. Il est facile de comprendre pourquoi ce comportement a donné à la SAI des soupçons quant à l’authenticité de leur mariage, compte tenu du moment auquel leur relation s’est développée.

 

[18]           Il était aussi raisonnable d’accorder peu de poids aux témoignages concordants de la demanderesse et de son époux au sujet de la raison pour laquelle ils voulaient venir au Canada. Ils ont tous les deux affirmé qu’ils voulaient élever une famille ici et qu’ils étaient amoureux, tout en mettant l’accent sur les avantages de vivre au Canada d’un point de vue environnemental. Bien que cela puisse être véridique, la SAI a mentionné, à juste titre, qu’il s’agit du type de commentaires auquel l’on peut raisonnablement s’attendre chez des parties dans cette situation.

 

[19]           Finalement, il était loisible à la SAI de conclure, compte tenu de la totalité de la preuve, que les voyages de la demanderesse en Chine n’avaient pas nécessairement pour but d’aller voir son conjoint. La mère de la demanderesse vivait aussi en Chine, et si la SAI avait déjà des soupçons quant à la crédibilité, le tribunal pouvait choisir de ne pas attribuer beaucoup de poids à la prétention de la demanderesse comme quoi elle a voyagé en Chine pour voir son conjoint plutôt que sa mère.

 

[20]           La SAI a aussi soulevé d’autres éléments douteux, soit, le fait que le conjoint de la demanderesse n’en savait pas beaucoup sur la relation entre la demanderesse et la personne qui les a présentés et qu’il a donné une date de présentation différente que celle donnée par la demanderesse. La SAI a conclu que cela affectait négativement la crédibilité de la demanderesse. Il ne s’agit pas de questions cruciales en soi, mais compte tenu des autres soupçons légitimes soulevés par la SAI, il était loisible qu’elle tire une inférence négative de ce témoignage.

 

[21]           La présente demande sera rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soulevée aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6892-10

 

INTITULÉ :                                       CUI WANG

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 juin 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 30 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Savaglio

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Maria Burgos

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN SAVAGLIO

Avocat

Pickering (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                                                                                                                                              

 

 

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