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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110627

Dossier : IMM-6581-10

Référence : 2011 CF 775

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

RAFAEL SOTELO VELAZQUEZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 octobre 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), décision dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’a qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni réfuté la présomption de protection de l’État, ni épuisé toutes les ressources possibles pour se prévaloir de cette protection.

 

[3]               Pour les motifs suivants, la présente demande sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

A.        Le contexte factuel

 

[4]               Le demandeur, Rafael Sotelo Velazquez, est un citoyen du Mexique. Il soutient qu’il a été attaqué, enlevé et torturé en raison de ses opinions politiques.

 

[5]               Le demandeur affirme qu’il est un partisan de longue date du Parti révolutionnaire démocratique (le PRD). En août 2008, il a décidé de participer à la campagne municipale de l’élection présidentielle pour aider un candidat du PRD dans la municipalité de Jiutepec. Le demandeur devait visiter les différentes villes de la municipalité et rencontrer les chefs des collectivités pour obtenir de l’appui pour le candidat du PRD.

 

[6]               Le demandeur affirme que, en sortant d’une réunion le soir du 16 septembre 2008, il s’est fait attaquer par cinq hommes. Ils étaient munis de mitraillettes et ils lui ont dit qu’ils le tueraient s’il continuait d’appuyer le PRD. Le demandeur a eu peur, alors il a attendu au lendemain pour porter plainte auprès du ministère public. Au ministère public, toutefois, on lui a dit que le ministère ne pouvait rien faire pour l’aider en raison de l’absence de témoin de l’attaque.

 

[7]               Le demandeur affirme qu’en raison de sa crainte, il a cessé de se présenter aux réunions du PRD. Il affirme que, néanmoins, le 26 septembre 2008, alors qu’il s’apprêtait à entrer dans sa maison, il s’est fait enlever par quatre hommes qui l’ont poussé à l’intérieur d’une camionnette noire. Les hommes l’ont emmené dans une maison où ils lui ont fait subir des décharges électriques à la plante des pieds. Ils lui ont dit qu’ils le tueraient s’il continuait de travailler pour le PRD. Le lendemain, ces hommes ont abandonné le demandeur à l’extérieur de la ville.

 

[8]               Le demandeur affirme que sa femme a été témoin de l’enlèvement. Alors que le demandeur était captif, sa femme s’est rendue au ministère public. Un agent au ministère public lui aurait dit : [traduction] « Il serait mieux de dire à votre mari de disparaître, parce qu’ils vont le tuer. »

 

[9]               Le demandeur a décidé de fuir au Canada. Il est arrivé au Canada le 2 octobre 2008, muni d’un visa de visiteur. Il a présenté une demande d’asile en août 2009.

 

B.         La décision contestée

 

[10]           La question décisive, selon la Commission, concernait la protection de l’État. La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants qui montraient, selon la prépondérance de la preuve, que la protection de l’État au Mexique est inadéquate. La Commission a évalué la preuve documentaire et a conclu que la prépondérance de la preuve montre que le Mexique est une démocratie fonctionnelle. Par conséquent, le demandeur devait épuiser toutes les ressources possibles et raisonnables pour obtenir de la protection. La Commission a conclu que le demandeur avait fait très peu d’efforts pour se prévaloir de la protection offerte au Mexique, avant de fuir au Canada. Il n’a pas signalé son enlèvement au ministère public parce que, selon ses dires, sa femme l’avait fait et qu’elle avait reçu une réponse que la Commission a trouvé illogique. L’agent aurait dit à la femme du demandeur qu’elle devait dire à son mari de disparaître, alors qu’il était captif à ce moment et ne serait pas en mesure de disparaître s’il était mort. De plus, la Commission a conclu qu’après sa libération, le demandeur aurait été en mesure de fournir à la police plus de preuve concernant ses épreuves, mais il ne l’a pas fait. Le demandeur n’a également informé aucun membre du PRD de ses problèmes, bien que, selon la Commission, quelqu’un du PRD eût pu être en mesure de l’aider à fournir plus de preuves aux autorités.

 

[11]           De plus, il n’y avait aucune preuve qui donnait à penser que le demandeur était, de quelque manière que ce soit, une personne politique importante, ou que des membres des partis politiques opposés voulaient le harceler. Ses efforts pour obtenir du soutien pour le candidat du PRD consistaient à parler aux représentants qu’il connaissait des communautés avoisinantes, à accueillir les participants aux réunions de la communauté, à leur montrer leur siège et leur offrir des rafraîchissements. La Commission a conclu que les affirmations du demandeur, selon lesquelles ses agresseurs étaient des membres des partis opposés, n’étaient que des hypothèses.

 

[12]           Par conséquent, la Commission n’a pas été convaincue que les autorités n’enquêteraient pas sur les allégations du demandeur s’il fournissait suffisamment de détails. La Commission a conclu que les réponses du demandeur concernant l’efficacité de la protection de l’État n’étaient pas convaincantes, parce qu’elles étaient peu crédibles, en grande partie non étayées et peu cohérentes avec la preuve documentaire.

 

II.         Les questions en litige

 

[13]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)         La Commission a-t-elle omis de tenir compte des éléments de preuve?

b)         L’analyse de la Commission au sujet de la protection de l’État était-elle raisonnable?

 

III.       La norme de contrôle

 

[14]           L’importance relative accordée à la preuve et à l’interprétation et l’appréciation de la preuve est contrôlée selon la raisonnabilité (Oluwafemi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] A.C.F. no1286, au paragraphe 38).

 

[15]           La conclusion de la Commission à propos de l’application du critère d’évaluation de la protection de l’État et l’omission de certains éléments de preuve lors de l’application du critère sont des questions mixtes de fait et de droit et sont contrôlées selon la raisonnabilité (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339; Barajas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 21 (QL), au paragraphe 21, et Vidal Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 696, 170 A.C.W.S. (3d) 168, au paragraphe 11).

 

[16]           Comme il est mentionné dans Dunsmuir, précité, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. De plus, la décision doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Discussion et analyse

 

A.        La Commission a-t-elle omis de tenir compte des éléments de preuve?

 

[17]           Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte de la preuve documentaire.

 

[18]           Le demandeur a soumis des rapports médicaux qui présentent en détail les soins qu’il a reçus, par suite de l’attaque : il a subi des blessures à la poitrine, à l’abdomen et à la joue, et à la suite de l’enlèvement. Le rapport du dernier incident mentionne que le demandeur avait reçu [traduction] « plusieurs coups au visage, au thorax et à l’abdomen, en plus d’avoir des brûlures sur la plante de ses pieds ».

 

[19]           Pour appuyer son affirmation qu’il avait été ciblé en raison de ses activités politiques, le demandeur a présenté différentes lettres, lesquelles montraient toutes que le demandeur avait participé à la campagne du PRD et qu’il avait été persécuté en raison de ses activités politiques. La Commission ne mentionne aucun de ces documents dans ses motifs.

 

[20]           Les autres éléments de preuve documentaire qui auraient été écartés sont des sections de rapports qui contredisent l’avis de la Commission, selon lequel le Mexique est une démocracie fonctionnelle. Le demandeur soutient que la Commission a sélectionné les éléments de la preuve documentaire pour appuyer sa conclusion.

 

[21]           Le défendeur soutient que la Commission n’a ni écarté la preuve concernant les conditions du pays ni sélectionné les éléments de la preuve documentaire, parce qu’une relecture des motifs montre clairement que la Commission reconnaît les failles du système judiciaire du Mexique, mais qu’elle a accordé plus d’importance aux éléments de preuve montrant que les mesures législatives prises contre la corruption et le soudoiement avaient une incidence marquée.

 

[22]           Le demandeur s’appuie sur le principe énoncé dans la décision souvent citée Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264.  Le demandeur concède que la Commission a le droit de retenir certains éléments de la preuve documentaire et qu’elle n’est pas tenue de renvoyer à chaque élément de preuve. Cependant, le demandeur soutient que, si la Commission ne tient pas compte, dans son analyse, de certains éléments de preuve importants et contradictoires, la Cour peut fort bien conclure que la Commission a écarté ou mal évalué la preuve.

 

[23]           Dans la présente affaire, la ratio decidendi de Cepeda, précitée, ne s’applique pas. Le demandeur affirme que certains documents sur les conditions du pays ont été soit expressément sélectionnés, soit écartés par la Commission. Ces documents montrent cependant ce que la Commission a ouvertement reconnu, soit que la corruption et la criminalité sont des problèmes persistants au Mexique, mais que l’État veille à régler. La Commission a le droit de voir les éléments de preuve en tant qu’ensemble, et de tirer la conclusion que la preuve montre que les efforts du Mexique portent fruits. Les documents sur les conditions du pays qui auraient été écartés ne contredisent pas nécessairement la conclusion de la Commission, et n’appuient pas non plus l’avis du demandeur.

 

[24]           Les documents personnels qui auraient été écartés n’apportent également aucun appui à la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Ils appuient le récit du demandeur selon lequel il s’était fait battre et donner des décharges électriques, et montrent qu’il a participé à la campagne du PRD, comme il l’a affirmé. Cependant, la Commission a conclu que l’explication du demandeur pour ne pas avoir demandé de la protection auprès des autorités, n’était pas convaincante, crédible ou plausible. Il incombe au demandeur de produire des éléments de preuve clairs et convaincants montrant que l’État n’est pas en mesure d’offrir une protection adéquate. Une réticence non étayée à faire des efforts suffisants pour se prévaloir d’une protection qui est censée être offerte ne sera habituellement pas suffisante pour convaincre la Commission de ne pas tenir compte de la preuve documentaire. Par exemple, le demandeur n’a pas porté plainte auprès des autorités après l’enlèvement; il a plutôt choisi de fuir au Canada. Le demandeur n’a pas donné d’explication raisonnable en ce qui concerne ce choix. La Commission n’a pas écarté ou mal évalué certains éléments de la preuve qui étaient importants ou contradictoires en tirant la conclusion que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

B.         L’analyse de la Commission au sujet de la protection de l’État était-elle raisonnable?

 

[25]           Le demandeur soutient que la Commission a erré dans son analyse de la protection de l’État pour trois raisons. Premièrement, parce que la Commission n’a pas tenu compte de l’efficacité des mesures de protection offertes par le Mexique. Deuxièmement, parce que la Commission n’a pas tenu compte du fait que le demandeur avait signalé les incidents à la police, mais que la police n’avait pas réagi et troisièmement, parce que l’analyse de la Commission était générale et ne tenait pas compte du fait que le demandeur avait été victime de persécution en raison de ses opinions politiques.

 

[26]           Avec respect, je conclus qu’aucune des questions soulevées par le demandeur montre l’existence d’une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

 

[27]           Le critère pour la protection de l’État requiert que le demandeur présente des éléments de preuve clairs et convaincants que l’État n’est pas en mesure ou ne veut pas fournir une protection adéquate. La Cour d’appel fédérale a expressément énoncé dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Flores Carillo, 2008 CAF 94, 69 Imm. L.R. (3d) 309, que le caractère adéquat n’est pas synonyme de protection efficace. La jurisprudence appuie bel et bien l’allégation que des efforts sérieux de la part d’un État ne se transposeront en une protection adéquate que lorsqu’il est en mesure d’apporter des changements au niveau opérationnel (Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1211, 164 A.C.W.S. (3d) 842). Encore là, comme le soutient le défendeur, une relecture des motifs montre que la Commission a bel et bien apprécié la preuve qui montre la mise en œuvre des mesures opérationnelles entreprises par le Mexique. Différents efforts contre la corruption ont porté fruits et desquels ont découlé des lois et des règlements qui ont contribué à l’arrestation et la condamnation de fonctionnaires et de membres des forces de sécurité. Cet élément de preuve donne justification et intelligibilité à la décision de la Commission.

 

[28]           Bien que le demandeur n’ait pas été obligé de mettre sa vie en danger pour montrer l’inefficacité de la protection de l’État, il devait cependant épuiser toutes les ressources possibles raisonnables au Mexique avant de demander asile ailleurs (Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, 167 A.C.W.S. (3d) 144, au paragraphe 16; Salazar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 793, 159 A.C.W.S. (3d) 267, au paragraphe 15). Une « réticence subjective » ou une unique mauvaise expérience avec la police locale n’est pas une raison suffisante pour solliciter de la protection internationale de substitution. La Commission n’a pas été convaincue que le demandeur avait fait des efforts raisonnables pour obtenir de la protection du Mexique. Bien que le demandeur soutienne qu’il se serait mis en situation de danger s’il avait retardé sa fuite afin de solliciter à nouveau la protection de l’État, il n’a présenté aucune preuve pour appuyer cette allégation.

 

[29]           Le demandeur réfère également dans ses observations à la thèse avancée dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1, qu’un demandeur peut établir le caractère inadéquat de la protection de l’État en présentant le témoignage de personnes qui étaient dans une situation similaire et qui n’ont pas pu obtenir la protection de l’État. Je suis d’avis qu’il s’agit là d’un énoncé exact du droit, cependant, le demandeur n’a pas présenté suffisamment de preuve corroborante pour montrer que l’État n’avait pas protégé d’autres personnes qui avaient participé aux campagnes du PRD. Le demandeur a affirmé qu’un collègue du PRD avait eu un accident suspect en voiture peu de temps après les élections, mais les allégations du demandeur selon lesquelles des membres du parti adverse avaient été impliqués dans cet accident ne sont que des hypothèses.

 

[30]           En ce qui concerne le manque de précision dans l’analyse de la protection de l’État, le demandeur n’a présenté aucune preuve qui montre que la situation présentée dans la documentation sur les conditions du pays et qui décrit la corruption et la criminalité diffère de sa situation personnelle, selon laquelle il aurait été persécuté en raison de ses opinions politiques. La Commission a suffisamment analysé le contexte factuel particulier au demandeur.

 

[31]           La Cour ne peut pas infirmer une décision qui fait preuve de justification, de transparence et d’intelligibilité. Vu la preuve présentée devant la Commission, il était raisonnable de conclure que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

V.        Conclusion

 

[32]           Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire n’en soulève aucune.

 

[33]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6581-10

 

INTITULÉ :                                       RAFAEL SOTELO VELAZQUEZ c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 MAI 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lina Anani

 

POUR LE DEMANDEUR

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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