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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110624

Dossier : IMM-5598-10

Référence : 2011 CF 768

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

VICTOR LOZANO NAVARRO

GABRIELA HAMDAN LOPEZ

VICTOR SAID LOZANO HAMDAN

RICARDO LOZANO HAMDAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 18 août 2010, dans laquelle les demandeurs ont été jugés ne pas avoir la qualité de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 [la LIPR].

 

[2]               La Commission a conclu que la crainte de persécution des demandeurs n’avait pas de lien avec un motif de la Convention en application de l’article 96 et que le risque était de nature générale plutôt que personnalisé, manquant ainsi de répondre aux exigences de l’article 97.

 

[3]               Pour les motifs suivants, la présente demande de contrôle sera rejetée.

 

I.          Le contexte

 

A.        Le contexte factuel

 

[4]               Le demandeur principal (le DP), Victor Lozano Navarro, son épouse, Gabriela Hamdan Lopez, et leurs enfants d’âge mineur, Victor Said Lozano Hamdan et Ricardo Lozano Hamdan (collectivement appelés les demandeurs) sont citoyens mexicains. Les demandeurs craignent être victimes de persécution de la part des membres d’Antelmos, une section du cartel de la drogue connu sous le nom de La Familia.

 

[5]               Le DP possédait un minisupermarché à Cuernavaca, au Mexique. Il allègue qu’il a commencé à être la cible d’extorsion par La Familia en septembre 2007. Les membres du gang sont entrés dans le magasin du DP pour percevoir de l’argent parce que la sœur de l’épouse du DP, une propriétaire d’entreprise et précédente victime d’extorsion, s’était sauvée au Canada. Le DP devait la remplacer et payer pour obtenir la protection du gang. Par la suite, des hommes venaient au magasin en semaine pour percevoir l’argent. Lorsque l’argent de la caisse était insuffisant, ils prenaient de la marchandise en guise de compensation.

 

[6]               Le DP prétend qu’il a déclaré le premier incident au ministère public, mais sans succès. Lorsqu’il a déclaré une deuxième agression, le ministère public n’avait pas de dossier de la première dénonciation. Le DP soutient qu’il est retourné plusieurs fois au ministère public, mais que celui‑ci n’était jamais capable de l’aider. Il s’en finalement tourné vers la Commission des droits de la personne pour dénoncer le manque d’action du ministère public et de la police. De manière similaire, cela n’a produit aucun résultat.

 

[7]               L’extorsion s’est poursuivie. Le DP allègue qu’il a été menacé, agressé physiquement et que sa femme a été agressée sexuellement. En décembre 2007, les demandeurs se sont sauvés à Mexico. Ils sont retournés à Cuernavaca en mars 2008. L’extorsion a recommencé. Le DP prétend que lorsque les extorqueurs sont venus à son magasin le 5 décembre 2008, il leur a dit qu’il n’avait pas d’argent. Ils sont partis les mains vides. Cinq jours plus tard, le 10 décembre 2008, le fils du DP, Said, a été kidnappé à son école. Il a été retourné à sa famille après qu’elle ait payé 100 000 pesos en rançon.

 

[8]               Les demandeurs se sont de nouveau sauvés à Mexico. Ils y sont restés jusqu’en janvier 2009 lorsqu’ils ont découvert un graffiti de La Familia sur la porte d’entrée de la maison des parents du DP, où ils demeuraient. Les demandeurs se sont alors sauvés à la maison de la sœur du DP dans l’État du Cautitlan.

 

[9]               Le DP est retourné une dernière fois à Cuernavaca en mars 2009. Il a tenté de déclarer l’enlèvement à la police et il a vendu son entreprise.

 

[10]           Les demandeurs ont fui au Canada le 16 mars 2009 et ont demandé l’asile le 15 avril 2009.

 

B.         La décision contestée

 

[11]           Bien que la Commission ait tiré une conclusion défavorable concernant les efforts du DP à obtenir la protection de l’État, la question déterminante selon la Commission était le risque généralisé.

 

[12]           La Commission a estimé que les demandeurs n’avaient pas établi un lien entre leur crainte de persécution et l’un des motifs prévus dans la définition de réfugié de la Convention. La Commission a conclu que les demandeurs étaient des victimes de crime et qu’ils n’étaient pas ciblés en raison de leur race, nationalité, opinion politique ou appartenance à un groupe social. En conséquence, la demande a été rejetée en application de l’article 96 de la LIPR.

 

[13]           La Commission a jugé que les risques que craignaient les demandeurs étaient de nature générale auxquels font face les autres citoyens du Mexique et donc leur demande était exclue en raison du sous‑alinéa 97(1)b)ii) de la LIPR. La Commission a interprété « généralement » comme voulant dire « répandu » ou « courant » et ainsi, même si l’avocat a plaidé que le risque était en quelque sorte personnalisé parce que le DP était propriétaire d’un magasin et avait une belle‑sœur qui avait été extorquée dans le passé, le risque était encore généralement vécu par d’autres personnes au Mexique. Ce point de vue a été résumé au paragraphe 23 de la décision :

Par conséquent, à la lumière de la preuve dont je dispose, j’estime que le demandeur d’asile a été victime de criminalité, mais qu’il s’agit de crimes qui sont répandus au Mexique et ne concernent pas particulièrement le demandeur d’asile. La Section de la protection des réfugiés n’a pas de mandat juridique particulier indiquant que la protection s’étend aux personnes comme le demandeur d’asile en l’espèce. J’estime que la crainte du demandeur d’asile est de nature générale. La crainte exprimée par le demandeur d’asile constitue une crainte ressentie par l’ensemble de la population au Mexique.

 

II.         Les questions en litige

 

[14]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)         Est‑ce que la Commission a commis une erreur en concluant que la demande des demandeurs n’avait pas de lien avec un motif prévu à la Convention?

(1)        Opinion politique

(2)        Groupe social

b)         Est‑ce que la Commission a erré en estimant que le risque auquel faisaient face les demandeurs était généralisé?

 

III.       La norme de contrôle

 

[15]           Les questions soulevées par les demandeurs sont des questions mixtes de faits et de droit, et sont contrôlables en fonction de la norme de la raisonnabilité (voir Ospina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1035, au paragraphe 16; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[16]           Telle qu’elle est établie dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de raisonnabilité demande de tenir compte de l’existence de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus de la prise de décision. Elle implique aussi la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

IV.       Les arguments et l’analyse

 

A.        Est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que la demande des demandeurs n’avait pas de lien avec un motif prévu à la Convention?

 

[17]           Les demandeurs prétendent que la Commission a erré en concluant qu’il n’y avait pas de lien entre leur demande et les motifs énumérés à l’article 96. Les demandeurs allèguent qu’en raison de la nature et des faits de leur demande, la Commission aurait dû reconnaitre qu’elle relevait soit d’une opinion politique, d’un groupe social ou des deux.

 

(1)        L’opinion politique en tant que motif prévu à l’article 96

 

[18]           Les demandeurs prétendent que le motif de l’opinion politique prévu à l’article 96 est en lien avec l’espèce parce que les demandeurs ont résisté et défié les persécuteurs en les dénonçant aux autorités plusieurs fois. Les demandeurs se sont basés sur le critère à deux volets établi dans la décision Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 327, [2000] ACF no 228 (QL), pour plaider que cette résistance équivaut à exprimer une opinion politique étant donné que le gouvernement du Mexique a entrepris d’éradiquer les cartels de la drogue, tels que La Familia, le commerce de la drogue en général et la corruption endémique au sein des agents de l’État qui permet aux cartels d’exister.

 

[19]           Le défendeur soutient que la jurisprudence de la Cour démontre que les victimes d’activités criminelles, y compris de l’extorsion, ne répondent pas à l’exigence de l’opinion politique par le simple fait de déposer une plainte auprès de la police. Le défendeur établit l’inapplicabilité de la décision Klinko, précitée, sur les faits.

 

[20]           Les deux parties citent la définition de l’opinion politique comme fondement à une crainte de persécution telle que l’a définie la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 746. Pour constituer un motif, on comprend par opinion politique toute opinion sur toute question envers laquelle l’appareil étatique, le gouvernement ou les politiques peuvent être impliqués. Les demandeurs prétendent que de déposer une plainte à la police équivaut soit à l’expression ou à l’attribution d’une opinion politique qui implique l’appareil étatique. Le défendeur n’est pas d’accord.

 

[21]           Je ne suis pas persuadé que le geste de déposer une plainte à la police ou de résister à la criminalité de manière générale constitue nécessairement une opinion politique théorique. Les demandeurs ont qualifié un tel geste d’opinion qui concerne une question impliquant l’appareil étatique, car l’État s’oppose généralement à la criminalité. Selon moi, cela n’est pas un argument défendable. La répercussion logique étant que toute personne qui dépose une plainte à la police se voit attribuer une opinion anticriminelle et progouvernementale. Les demandeurs laissent entendre que leur refus de coopérer avec La Familia les a ciblés comme partisans du gouvernement et de la primauté du droit. Cependant, selon moi, étant donné qu’il n’y avait pas de preuve que la résistance des demandeurs à donner leur argent à des criminels constituait un geste politique, contrairement à un geste d’auto‑suffisance économique, je suis convaincu qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que les demandeurs n’étaient pas ciblés en raison d’une opinion politique réelle ou implicite. Tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Ward, précité, au paragraphe 86, « Le fait pour une personne d'être en dissentiment avec une organisation ne lui permettra pas toujours de chercher asile au Canada; le désaccord doit être fondé sur une conviction politique ».

 

[22]           La jurisprudence sur laquelle se fondent les demandeurs est, comme le soutient le défendeur, inapplicable en raison des faits. Dans la décision Klinko, précitée, le demandeur a déposé une plainte officielle concernant la corruption courante parmi les agents du gouvernement de l’autorité gouvernante régionale. En conséquence, il a subi des représailles. La Cour d’appel a estimé que les opinions exprimées par le demandeur appartenaient à la définition des opinions politiques, puisque la corruption répandue au sein du gouvernement représente une situation dans laquelle « l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé ». La Cour a expliqué au paragraphe 35 :

[35]      En effet, le dossier contient de nombreux éléments de preuve établissant que l'appareil étatique ukrainien était effectivement "engagé" dans la question sur laquelle portait la plainte de M. Klinko. Les rapports d'information sur le pays contiennent des déclarations du président de l'Ukraine et de deux agents principaux des services de sécurité ukrainiens concernant l'ampleur de la corruption au sein du gouvernement et la nécessité d'éliminer celle-ci tant sur le plan politique qu'économique. Dans les cas où, comme en l'espèce, les éléments corrompus sont si répandus au sein du gouvernement qu'ils font partie de la structure de ce dernier, une dénonciation de la corruption constitue l'expression d'une "opinion politique". On aurait dû conclure, à mon avis, que M. Klinko a été persécuté en raison de ses "opinions politiques".

 

[23]           Quoique le gouvernement mexicain puisse être engagé à éradiquer les cartels de la drogue, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’extorsion pratiquée par les cartels de la drogue ne se répand pas à l’intérieur du gouvernement mexicain à un tel point qu’il en fasse partie intégrante. De plus, les dénonciations du DP étaient limitées à des incidents spécifiques et ne faisaient pas état de critiques en général sur le manque de respect du cartel pour la primauté du droit.

 

[24]           Les demandeurs se fondent aussi sur la décision Gomez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 647, 213 FTR 54. L’affaire Gomez permet d’affirmer que les victimes d’extorsion peuvent établir un lien avec la définition de la Convention lorsque l’origine de l’extorsion peut être politique. Cependant, en l’espèce, contrairement à l’affaire Gomez, il n’y avait pas de preuve présentée à la Commission qui laissait penser que le cartel interprétait le fait de ne pas payer comme un acte politique en appui à ses adversaires. De plus, comme l’a noté le défendeur, contrairement à l’espèce, dans la décision Gomez la Commission n’a pas rendu de conclusion défavorable en matière de crédibilité.

 

(2)        Le groupe social en tant que motif prévu à l’article 96

 

[25]           Les deux parties citent la définition du groupe social établie par l’arrêt Ward, précité. La Cour suprême a distingué trois catégories :

(1) les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable; (2) les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et (3) les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

 

[26]           Les demandeurs prétendent que la Commission aurait dû considérer qu’ils puissent faire partie de la troisième catégorie. C’est‑à‑dire, le fait de dénoncer aux autorités et de refuser de collaborer avec le cartel constitue une partie immuable du passé des demandeurs de sorte qu’ils forment un groupe social.

 

[27]           Une fois de plus, l’argument ne peut être retenu. Comme le souligne le défendeur, la Cour suprême dans l’arrêt Ward, précité, a aussi rejeté l’interprétation large du groupe social. La Cour a conclu qu’à cause de la nature substitutive du système international des réfugiés, interpréter « une association de gens est essentiellement un “groupe social” du seul fait de leur victimisation commune en tant qu'objets de persécution » (au paragraphe 56) ne serait pas suffisant pour satisfaire aux définitions de la Convention, parce que « [m]ême si les délégués ont inclus la catégorie du groupe social afin de combler toute lacune possible laissée par les quatre autres groupes, cela n'amène pas nécessairement à conclure que toute association ayant certains points en commun est incluse » (au paragraphe 61). La Cour a émis la mise en garde suivante : « Le Canada ne devrait pas outrepasser son rôle sur le plan international en engageant sa responsabilité dès qu'un groupe est visé ». (Paragraphe 69)

 

[28]           La conclusion de la Commission concernant le manque de lien avec un motif prévu à la Convention était entièrement raisonnable. Elle n’était ni abusive ni arbitraire et a été rendue eu égard à toute la preuve.

 

B.         Est-ce que la Commission a erré en estimant que le risque auquel faisaient face les demandeurs était généralisé?

 

[29]           La Commission a conclu que le risque généralisé constituait la question déterminante à l’espèce, car le risque d’extorsion est un risque de criminalité généralisée auquel sont confrontés tous les Mexicains. Les demandeurs allèguent que cette conclusion constitue une erreur, puisque la preuve a clairement démontré que les demandeurs avaient été ciblés parce que la belle‑sœur du demandeur n’avait pas versé l’argent aux extorqueurs. Les demandeurs avaient été spécifiquement ciblés durant une période et, par conséquent, le risque était individualisé.

 

[30]           Le défendeur ne souscrit pas à cet argument. La preuve a démontré que La Familia était reconnue pour son activité d’extorsion dans le voisinage. Donc, la Commission a raisonnablement estimé que « le risque auquel [le DP] est exposé constitue un risque généralisé en raison de la nature des activités et de l’influence répandue de La Familia ». La preuve a montré que le risque n’était pas personnalisé et conséquemment la Commission a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas visés par les dispositions de l’article 97.

 

[31]           Je souscris aux prétentions du défendeur concernant ce point. Pour être visé par l’article 97 de la LIPR, le demandeur doit prouver que, s’il retourne dans son pays, cela l’expose à un risque personnalisé pour sa vie ou de blessure grave. Les violations des droits de la personne perpétrées de façon systémique et généralisée qui ont été prouvées par la documentation sur le pays ne seront pas suffisantes pour fonder une demande au sens de l’article 97 sans une preuve démontrant un lien entre la preuve documentaire de nature générale et les circonstances spécifiques du demandeur. Le risque ne peut pas provenir d’actes commis à l’aveugle ou au hasard (Vickram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 457, 157 ACWS (3d) 609, au paragraphe 14). Il s’agit d’un critère objectif par lequel est évalué le risque actuel ou prospectif auquel est exposé le demandeur (Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 99, 62 Imm LR (3d), au paragraphe 15).

 

[32]           Les demandeurs en l’espèce peuvent relier leurs circonstances personnelles à la preuve documentaire présentée. Comme l’a reconnu la Commission, cependant, le problème auquel sont confrontés les demandeurs est que la preuve documentaire démontre également l’étendue des activités d’extorsion de La Familia à la grandeur du Mexique. En somme, la crainte émise par les demandeurs est partagée par plusieurs citoyens du Mexique.

 

[33]           Au cours des dernières années, la Cour a été chargée de définir ce qui constituait un risque personnalisé au sens de l’article 97. La juge Danièle Tremblay‑Lamer a résumé le défi que pose une analyse fondée sur l’article 97 dans l’affaire Prophète c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 331, 70 Imm LR (3d) 128, confirmée par 2009 CAF 31, 387 NR 149, au paragraphe 18 :

[18]      La difficulté qui se présente lors de l’analyse d’un risque personnalisé dans des cas de violations généralisées des droits de la personne, de guerre civile et d’États défaillants est la détermination de la ligne de séparation entre un risque qui est « personnalisé » et un risque qui est « général ». Dans ces situations, la Cour peut se trouver en présence d’un demandeur auquel on s’en est pris dans le passé, et auquel on pourra s’en prendre à l’avenir, mais dont la situation qui comporte un risque est similaire à celle d’une partie d’une population plus large. Ainsi, la Cour est en présence d’un individu qui peut être exposé à un risque personnalisé, mais un risque partagé avec de nombreux autres individus.

 

[34]           Le juge Paul Crampton a récemment fait la synthèse de la jurisprudence de la Cour concernant les demandes présentées en application de l’article 97 traitant exactement de la question identifiée par la juge Tremblay‑Lamer dans la décision Prophète, précitée, soit un risque personnel mais aussi de nature répandue. À la fin de son jugement dans la décision Guifarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 182, le juge Crampton a établi clairement l’approche actuelle de la Cour concernant les demandes similaires à celle des demandeurs en l’espèce :

[33]      Compte tenu de la fréquence avec laquelle les arguments avancés en l’espèce continuent d’être présentés quant à l'application de l’article 97, j’estime qu’il est nécessaire de souligner qu’il est désormais bien établi en droit que les demandes d’asile fondées sur le fait que le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible de l’être à l’avenir ne répondront pas aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR lorsque (i) le demandeur d’asile a été ciblé ou est susceptible d’être ciblé dans son pays d’origine en raison de son appartenance à un sous-groupe de personnes rentrées de l’étranger ou considérées comme nanties pour d’autres raisons et que (ii) ce sous‑groupe est suffisamment important pour que ce risque puisse raisonnablement être qualifié de répandu ou de courant dans ce pays. À mon sens, un sous-groupe formé de milliers de personnes serait suffisamment important pour que le risque auquel ces personnes sont exposées soit considéré comme répandu ou courant dans leur pays d’origine, et donc, comme « général » au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), et ce, même si ce sous-groupe ne représente qu’un faible pourcentage de la population de ce pays.

 

[35]           Je souscris au point de vue de mon collègue. Que le sous‑groupe de la population visé sans distinction en l’espèce soit décrit comme étant des gens qui semblent riches, des propriétaires de petites entreprises ou des propriétaires de petites entreprises dont la belle‑sœur est propriétaire d’une petite entreprise, la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que le risque d’extorsion auquel faisait face les demandeurs était un risque généralisé à l’ensemble de la population du Mexique.

 

[36]           En ce qui concerne la prétention des demandeurs selon laquelle la Commission a erré en n’évaluant pas individuellement le risque auquel faisait face le demandeur mineur, je souscris aussi à la prétention du défendeur. La preuve a démontré que l’enlèvement du fils d’âge mineur était inextricablement lié à l’extorsion et par conséquent, au même risque généralisé auquel faisait face toute la famille. La prétention des demandeurs selon laquelle les enlèvements au Mexique ne peuvent être envisagés comme un risque généralisé en raison de la taille de la population est illogique. Pour être qualifié de généralisé, un risque doit uniquement provenir d’actes commis à l’aveugle ou au hasard, et non être fondé sur des probabilités statistiques, comme les demandeurs semblent le laisser entendre.

 

Les autres arguments avancés par les demandeurs

 

[37]           Les demandeurs ont soulevé deux autres questions dans leurs observations écrites, aucune de portée grave.

 

[38]           Premièrement, les demandeurs allèguent que la décision de la Commission contrevient à l’article 7 de la Charte et du principe de non‑refoulement. Comme le prétend le défendeur, cet argument est prématuré. Les demandeurs ne seront pas renvoyés au Mexique sans avoir eu l’occasion de faire réévaluer leur risque au moyen d’un examen des risques avant renvoi.

 

[39]           Deuxièmement, les demandeurs prétendent que la Commission a tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité concernant les efforts du DP d’obtenir la protection de l’État. Je ne suis pas d’accord. Même si j’ai tort, la Commission avait clairement fait savoir que la question déterminante portait sur le risque généralisé.

 

V.        Conclusion

 

[40]           Aucune question n’a été soumise aux fins de certification et l’espèce n’en soulève aucune.

 

[41]           Compte tenu des conclusions précédentes, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5598-10

 

INTITULÉ :                                       VICTOR LOZANO NAVARRO ET AL. c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 AVRIL 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Daniel M. Fine

 

POUR LES DEMANDEURS

Nur Muhammed-Ally

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Daniel M. Fine

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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