Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20110627

Dossier : IMM-3614-10

Référence : 2011 CF 780

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2011

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

ENTRE :

 

MEHDI SHIRIDOKHT TOURAJI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 18 mai 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle elle a conclu que le demandeur n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               Le demandeur sollicite que la décision de la Commission soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée pour réexamen à un autre commissaire de la Commission.

 

Le contexte

 

[3]               Mehdi Shiridokht Touraji (le demandeur) est un citoyen de l’Iran, âgé de 26 ans.

 

[4]               Alors qu’il travaillait dans un atelier de photo à Tehran, le demandeur affirme qu’il a pris des photos et des vidéos de mariages et de réceptions qui étaient illégales selon la loi iranienne. Le 18 juin 2009, le demandeur se trouvait à des funérailles à Tabriz, en Iran, lorsque sa mère l’a informé que des agents le recherchaient et qu’ils avaient appréhendé son frère. Son père a également été détenu lors de son retour à Tehran. Le demandeur affirme que l’atelier de photo a été cambriolé lors de son voyage à Tabriz et que la police a saisi les photos et les vidéos des réceptions illégales. Le demandeur soutient qu’il a été accusé d’être un opposant au régime et que son père et son frère s’étaient vu forcer de signer des engagements de le signaler à la police.

 

[5]               Le demandeur a également noté dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP) qu’il avait été présent lors de manifestations s’opposant au régime et qu’il avait filmé des attaques des autorités iraniennes.

 

[6]               En juillet 2009, le demandeur a été introduit illégalement en Turquie.

 

[7]               Le demandeur est arrivé au Canada le 21 octobre 2009. Il a soumis un formulaire IMM5611 au point d’entrée, pour demander l’asile, et il a affirmé dans le formulaire qu’il était recherché par les autorités parce que des [traduction] « photos ont été publiées », et qu’il demandait l’asile au Canada parce que [traduction] « des films ont été produits » et des [traduction] « personnes ont été arrêtées ».

 

La décision de la Commission

 

[8]               La question décisive selon la Commission concernait la crédibilité.

 

[9]               La Commission a souligné que tous les faits qui avaient mené à la crainte de persécution du demandeur s’étaient produits à l’intérieur d’un mois, en juin 2009. Pour ce motif, la Commission s’attendait à ce que la preuve du demandeur soit essentiellement cohérente.

 

[10]           Cependant, la Commission a conclu que le demandeur était incohérent dans son récit. L’un des aspects importants selon la Commission concernait le fait que le demandeur avait écrit dans le formulaire IMM5611 que les photos de l’atelier de photos avaient été publiées et que les films avaient été imprimés. Lors de l’audience, il a affirmé que les images des vidéos n’avaient jamais été publiées ou imprimées et qu’il n’avait pas fait d’impressions des images des vidéos. Il a affirmé que les images avaient été supprimées immédiatement après qu’elles aient été envoyées au client. La Commission a conclu que les explications du demandeur sur ce point étaient vagues.

 

[11]           La Commission a également conclu que ce n’est que tard au cours de l’audience que le demandeur a mentionné que des images fixes avaient été prises des vidéos. La Commission a conclu que cela était un embellissement de la preuve.

 

[12]           La Commission a tiré une autre conclusion défavorable au sujet de la crédibilité parce que le demandeur n’avait pas mentionné dans le formulaire IMM5611 qu’il craignait être une cible en raison de sa participation lors de manifestations s’opposant au régime. Il a ajouté cet élément de crainte dans le FRP de même qu’au cours de l’audience. Cependant, il a également affirmé lors de l’audience que les manifestations ne faisaient pas partie du problème.

 

[13]           L’autre aspect important selon la Commission concernait le manque d’éléments de preuve corroborants. La Commission a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve documentaire corroborant :

  • qu’il était en Iran jusqu’au 5 juillet 2009,
  • qu’il était à Istanbul pour une durée de deux mois et demi,
  • que son oncle était un brigadier général dans la Sepah et qu’il voyage avec le président Ahmedinijad,
  • l’existence de son oncle et de sa relation avec le demandeur,
  • l’existence de l’atelier de photos ou que le demandeur y avait travaillé,
  • la preuve que des photos de propagande avaient été réalisées à l’atelier,
  • des photos de manifestations antimusulmanes,
  • son voyage à Tabriz,
  • la détention et la libération de son père et de son frère,
  • le vol qui aurait eu lieu à l’atelier
  • qu’il était recherché par les autorités.

 

[14]           La Commission a reconnu qu’elle ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur puisse présenter des éléments de preuve corroborant tous ces faits. Cependant, vu les incohérences dans son récit, la Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité parce que le demandeur n’a présenté aucune preuve documentaire corroborante.

 

Les questions en litige

 

[15]           Les questions sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

            2.         La Commission a-t-elle erré dans son évaluation de la crédibilité?

 

Les observations écrites du demandeur

 

[16]           Le demandeur soutient que la Commission a fait plusieurs erreurs de fait qui l’ont conduite à tirer sa conclusion défavorable au sujet de la crédibilité.

 

[17]           Le demandeur soutient que la Commission a mal compris ses commentaires lors de l’audience selon lesquels les vidéos n’avaient pas été imprimées ou publiées et qu’elle a conclu que cela contredisait son affirmation selon laquelle des photos ont été imprimées. Le demandeur affirme également qu’il n’a jamais dit, lors de l’audience, que des photos n’avaient pas été imprimées. Le demandeur soutient qu’une erreur de traduction du mot « publiées » a mené la Commission à la confusion et à sa conclusion défavorable. La Commission a erré en concluant que le demandeur avait mentionné pour la première fois, lors de l’audience, que des photos avaient été imprimées, parce qu’il l’avait d’abord mentionné dans le FRP. Le demandeur a également affirmé dans le FRP qu’il avait participé à des manifestations s’opposant au régime.

 

[18]           Le demandeur soutient que la Commission ne lui a demandé de corroborer que trois points : le temps passé à Istanbul, l’identification de son oncle et les cartes professionnelles de son atelier. La Commission n’a pas tenu compte de ses explications des raisons pour lesquelles il n’avait pas ces éléments de preuve. La Commission a également omis de demander au demandeur pourquoi il n’y avait pas de documents au sujet de sa résidence en Iran. Le demandeur soutient également que la Commission a erré en ne lui permettant pas de présenter des éléments de preuve corroborants après l’audience. Le demandeur soutient qu’en général, le type de preuve que la Commission lui demandait n’était pas raisonnable.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[19]           Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité étaient raisonnables. Le demandeur n’a pas présenté de témoignage crédible pour appuyer sa demande. La Commission a noté plusieurs exemples précis d’incohérences dans le témoignage du demandeur, incohérences que le demandeur n’a pas expliquées de façon satisfaisante. Cela était particulièrement important, vu que les faits s’étaient produits au cours d’une courte période de temps. La Commission était dans la meilleure situation pour évaluer la crédibilité du demandeur et pour tirer les conclusions nécessaires.

 

[20]           Le défendeur soutient de plus que la Commission avait également le droit de tirer une conclusion défavorable en raison du manque de preuve. Le demandeur n’a fourni aucune corroboration pour ses allégations. Il incombait au demandeur d’établir sa demande conformément au paragraphe 100(4) de la Loi et à l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. Vu le témoignage problématique, la Commission avait le droit de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en raison de l’absence totale de preuve documentaire corroborante.

 

Analyse et décision

 

[21]           Question en litige 1

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Les évaluations de la crédibilité sont essentiellement de pures questions de fait et c’était l’intention expresse du législateur que les conclusions de fait tirées par un organisme administratif appellent un degré élevé de retenue (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46). La Cour ne doit pas infirmer les conclusions de la Commission à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou tirées sans tenir compte des éléments de preuve (voir Siad c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 C.F. 608 (C.A.F.), au paragraphe 24).

 

[22]           Question en litige 2

            La Commission a-t-elle erré dans son évaluation de la crédibilité?

            La Commission a conclu que le formulaire IMM5611, le FRP et le témoignage du demandeur présentés à la Commission étaient incohérents.

 

[23]           Il n’y a aucun doute que des incohérences et contradictions peuvent être retenues contre le demandeur et appuyer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité.

 

[24]           J’ai analysé le contenu du formulaire IMM5611, du FRP et du témoignage du demandeur présentés à la Commission. Je suis convaincu que le demandeur a fourni des explications pour la majorité des soi-disant incohérences.

 

[25]           Par exemple, le demandeur a présenté une explication concernant la confusion entre « publiées » et « imprimées ». Cette confusion semble se retrouver dans certaines parties de la décision de la Commission. De plus, le demandeur a présenté une explication concernant les photos. Le demandeur a également expliqué ce qui avait causé la préoccupation des autorités iraniennes. Il a expliqué pourquoi, dans le formulaire IMM5611, il n’avait mentionné que des activités à la librairie. Ces explications n’ont pas été prises en compte par la Commission de façon satisfaisante et je ne peux pas savoir si la conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité aurait été différente si elle l’avait fait.

 

[26]           La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pu soumettre aucune corroboration, à l’aide de preuves documentaires, de ce qui lui était arrivé en Iran. Selon le témoignage du demandeur, il y avait certains faits pour lesquels il était impossible d’obtenir des éléments de preuve. En fait, la Commission a convenu qu’une partie de l’information nécessaire à la corroboration des éléments de preuve du demandeur n’aurait pas pu être obtenue. La Commission a affirmé, au paragraphe 24 de sa décision, que :

Le tribunal a remarqué qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur d’asile ait obtenu une certaine partie des renseignements ci-dessus.

 

 

[27]           La Commission, cependant, n’a pas mentionné dans sa décision combien d’éléments de preuve ne pouvaient pas être obtenus. Sans cette information, il est impossible de savoir à quel point l’absence de documents corroborant a eu des conséquences défavorables en ce qui concerne la crédibilité du demandeur. De plus, je fais remarquer que quelques-uns des documents dits nécessaires à la corroboration se trouvaient à l’étranger et hors de la portée du demandeur. En ce qui concerne ce type de document, la Cour d’appel fédérale, dans Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 98 N.R. 312, a affirmé que :

Finalement, comment le défaut de produire dans le cadre d'une audition tenue au Canada des documents qui, selon [TRADUCTION] « certaines indications » fournies par une autre personne, dans un autre pays, parviendraient au requérant, peut-il raisonnablement miner la crédibilité de ses déclarations? A mon sens, une telle omission ne peut avoir les conséquences qu'on lui a attachées. Mon opinion serait la même tant que les documents visés se trouveraient à l'extérieur du Canada et échapperaient au contrôle du requérant.

 

 

[28]           Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision de la Commission est déraisonnable et doit être infirmée. L’affaire sera renvoyée pour réexamen à un tribunal de la Commission différemment constitué.

 

[29]           Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question grave de portée générale pour certification.

 


JUGEMENT

 

[30]                       LA COUR statue comme suit : la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire, renvoyée pour réexamen à un tribunal de la Commission différemment constitué.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


 

ANNEXE

 

Dispositions légales applicables

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

. . .

 

96.A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

. . .

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3614-10

 

INTITULÉ :                                       MEHDI SHIRIDOKHT TOURAJI

 

c.

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.