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Date : 20110624

Dossier : T-1094-10

Référence : 2011 CF 767

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2011

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

 

LEVAN TURNER

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

intimé

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu

 

[1]               Monsieur Levan Turner prétend que son employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), a fait preuve de discrimination à son égard quand il l’a éliminé de deux concours visant à combler un poste d’inspecteur des douanes (ID) pour une période indéterminée. Il soutient avoir été victime de discrimination principalement en raison de sa race et de son origine nationale ou ethnique.

 

[2]               Les membres du Tribunal canadien des droits de la personne ont rejeté la plainte de M. Turner à la suite d’une audience de 10 jours. Comme il n’y avait aucune preuve de discrimination directe, M. Turner a soutenu devant le Tribunal que la conduite apparemment neutre de son employeur était en fait un prétexte pour exercer de la discrimination. Dans le cadre du premier concours, bien qu’il avait eu des examens positifs quand il travaillait comme saisonnier, M. Turner n’a pas obtenu une note suffisamment bonne lors de son entrevue pour obtenir un poste permanent à Victoria. Dans le cadre du deuxième concours, il a été jugé inadmissible au poste de Vancouver.

[3]               Le Tribunal a supposé, sans toutefois se prononcer sur la question, que M. Turner avait établi la discrimination à première vue. Il s’est ensuite demandé si l’ASFC avait donné une explication raisonnable du fait qu’elle avait éliminé M. Turner et avait établi qu’il ne s’agissait pas d’un prétexte lui permettant d’exercer de la discrimination. S’agissant du poste de Victoria, le Tribunal a accepté l’explication de l’ASFC selon laquelle les examens positifs de M. Turner en tant qu’employé saisonnier ne signifiaient pas nécessairement qu’il possédait les qualités requises d’un employé permanent. S’agissant du poste de Vancouver, le Tribunal a conclu que l’ASFC avait des raisons valables qui justifiaient les critères d’admissibilité et qu’elle n’avait pas éliminé M. Turner pour une raison discriminatoire.  

 

[4]               Monsieur Turner prétend que le Tribunal n’a pas appliqué les principes juridiques appropriés, qu’il a commis une erreur dans son traitement de la preuve et qu’il n’a pas suffisamment motivé sa décision. Il me demande d’infirmer la décision du Tribunal et de renvoyer l’affaire à une formation différente. Je ne vois toutefois aucun motif pour infirmer la décision du Tribunal et, par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Les questions en litige sont les suivantes :

 

1.         Le Tribunal a-t-il appliqué les principes juridiques appropriés?

2.         Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son traitement de la preuve?

3.         Le Tribunal a-t-il suffisamment motivé sa décision?

 

II.         La décision du Tribunal

[6]               Le Tribunal a examiné avec soin les qualifications et l’expérience de M. Turner à titre d’inspecteur des douanes ainsi que les circonstances entourant les concours. Monsieur Turner avait été membre du service de police auxiliaire de la Région du Grand Toronto entre 1991 et 1995, une activité volontaire qui comprenait la participation au service de police communautaire, le contrôle de la circulation et les relations publiques. Il a occupé son premier emploi comme ID à Victoria en mai 1998 alors qu’il travaillait comme saisonnier dans l’équipe d’intervention maritime. Il était responsable du traitement des bateaux, des transbordeurs et des autres embarcations lors de leur entrée au Canada. À la fin de cette saison en octobre 1998, M. Turner a occupé un autre poste saisonnier de décembre 1998 à octobre 1999 au Centre de déclaration par téléphone. Il devait alors recevoir des appels téléphoniques des bateaux qui désiraient obtenir un dédouanement pour les eaux canadiennes.

 

[7]               Monsieur Turner est retourné travailler comme ID saisonnier en 2000 et 2001. Son contrat a été prolongé jusqu’en octobre 2002 puisqu’il fallait plus d’ID après les événements du 11 septembre 2001. Monsieur Turner a aussi occupé un poste d’ID saisonnier en 2003.

 

[8]               Le premier examen de rendement de M. Turner couvrait son contrat de 1998-1999. L’examen était principalement positif. Son superviseur a recommandé que M. Turner soit réembauché pour la saison suivante. Ses examens de 2000 et 2001 étaient aussi positifs, et sa réembauche comme employé saisonnier était encore une fois recommandée. Il a reçu deux autres examens positifs en 2002. Lors de son témoignage devant le Tribunal, le superviseur qu’avait M. Turner en 2002 a expliqué que ce dernier agissait de façon professionnelle et courtoise, et qu’il avait le potentiel pour devenir un ID efficace.

 

[9]               Le superviseur qu’a eu M. Turner en 2003, le surintendant Klassen, a aussi fait l’éloge de M. Turner. Il a toutefois souligné que l’expérience de M. Turner était quelque peu limitée; il n’avait participé qu’à six actions d’application des mesures douanières cette année-là, lesquelles portaient toutes sur des narcotiques. Le surintendant Klassen a néanmoins recommandé la réembauche de M. Turner. Pendant une conversation sur l’examen, le surintendant Klassen a informé M. Turner que d’autres superviseurs avaient l’impression qu’il évitait les tâches plus difficiles dont doit s’acquitter un ID. Il lui a aussi dit que d’autres ID s’étaient plaints du fait qu’il ne s’occupait pas toujours de l’encaissement de l’argent recueilli pour les droits durant son quart de travail, comme il devait le faire. Après cette conversation, le surintendant Klassen a envoyé un courriel aux autres superviseurs pour résumer la discussion, lequel se terminait ainsi : [traduction] « Je lui ai demandé de bien se surveiller l’année prochaine pour s’assurer qu’il n’évite pas d’effectuer les tâches plus difficiles ou qu’il ne cherche pas à trouver un chemin plus facile. Il m’a ensuite demandé qu’on lui donne de la rétroaction continue sur notre perception de son travail. La conversation s’est très bien déroulée, sans conflit. »

 

[10]           Le surintendant Klassen a ensuite envoyé un autre courriel pour souligner que la question de la présence au travail de M. Turner avait aussi été abordée. Le surintendant Klassen a déclaré devant le Tribunal qu’il n’avait pas inscrit ces observations supplémentaires dans l’examen de rendement de M. Turner parce que ce dernier n’avait pas eu la possibilité d’y répondre pendant leur conversation. Il voulait créer un dossier qui serait utile pour les prochains superviseurs de M. Turner.

 

[11]           Le Tribunal a décrit les concours pour le poste d’ID auxquels M. Turner avait participé. Le premier a eu lieu en 2002. Monsieur Turner n’a pas réussi l’entrevue, en partie parce qu’il avait peu d’expérience en application des mesures douanières. Une des personnes présentes à l’entrevue a encouragé M. Turner à améliorer ses aptitudes au cours des prochaines saisons et à poser sa candidature à nouveau. Monsieur Turner a de nouveau posé sa candidature plus tard en 2002, mais il n’a pas réussi l’entrevue.

 

[12]           En ce qui concerne les concours à l’origine des plaintes de M. Turner, le Tribunal a exposé de façon très détaillée les circonstances entourant ces événements. Le premier concours sur lequel la plainte de M. Turner est fondée est le concours « Victoria 7003 ». Monsieur Turner s’est présenté à une entrevue en décembre 2003, laquelle avait lieu devant un comité composé de deux membres. Pour deux compétences, soit la communication interactive efficace et le travail d’équipe et la collaboration, M. Turner a obtenu une note de 60 et de 40 points respectivement. Une note de passage de 70 était nécessaire pour chacune des compétences. Dans son témoignage, un des membres du comité a expliqué que M. Turner n’avait pas communiqué de façon claire puisqu’il avait d’abord indiqué qu’il avait été agent de police pour le service de police du Grand Toronto et qu’il a ensuite précisé qu’il avait été auxiliaire bénévole. Pour le travail d’équipe et la collaboration, M. Turner avait donné des exemples de son propre comportement dans des cas où il croyait que ses collègues n’avaient pas agi de façon appropriée. Il a nommé des personnes qui pouvaient valider sa version des événements. Un membre du comité a communiqué avec l’une de ces personnes en janvier 2004, bien après la disqualification de M. Turner. Le membre a expliqué l’avoir fait parce que la description des événements faite par M. Turner ne coïncidait pas avec ce qu’il connaissait des personnes nommées. Certes, la personne n’a pas validé la version de M. Turner.

 

[13]           Le deuxième concours est le concours « Vancouver 1002 ». Il s’agissait d’un concours pour un poste d’ID à Vancouver. Selon les critères établis pour ce concours, les personnes qui avaient déjà subi une entrevue pour ce poste depuis le 1er janvier 2002 n’étaient pas admissibles. Monsieur Turner avait passé des entrevues pour d’autres postes d’ID après cette date, mais il a cru qu’il était admissible parce que ces autres entrevues étaient pour des postes ailleurs qu’à Vancouver. Il a donc posé sa candidature.

 

[14]           La première entrevue du concours Vancouver 1002 a eu lieu le 26 avril 2004 devant un comité composé de trois membres. Monsieur Turner a reconnu un des membres, un certain M. Tarnawski, puisque ce dernier lui avait déjà fait passer une entrevue. Monsieur Tarnawski se souvenait aussi de M. Turner, à cause de sa « voix et […] sa présence ». Après l’entrevue, le comité a vérifié ses dossiers et a remarqué que M. Turner avait bel et bien passé l’entrevue pour d’autres postes d’ID depuis le 1er janvier 2002. Par conséquent, il n’était pas admissible pour le poste de Vancouver.

 

[15]           Monsieur Turner a contesté la conclusion du comité, soutenant que d’autres candidats qui avaient passé l’entrevue pour des postes d’ID depuis le 1er janvier 2002 avaient été jugés admissibles au concours Vancouver 1002. Le comité a toutefois souligné que ces autres personnes s’étaient qualifiées dans les concours précédents alors que M. Turner ne s’était pas qualifié. Selon le comité, la restriction d’admissibilité visait à éliminer les personnes qui n’avaient pas été retenues lors de concours précédents. Le comité a envoyé à M. Turner un avis écrit de sa décision, dans lequel il l’invitait à présenter une demande avant le 9 juin 2004 s’il souhaitait obtenir de plus amples renseignements. Monsieur Turner a envoyé une lettre dans laquelle il contestait à nouveau la conclusion du comité, mais le comité ne l’a reçue que le 11 juin 2004. Le comité n’a donc pas répondu.

 

[16]           Compte tenu de la preuve dont il disposait, le Tribunal a conclu qu’aucun candidat ayant échoué l’entrevue pour les autres concours n’avait été retenu pour le concours Vancouver 1002, bien qu’il semble qu’un candidat inadmissible ait passé la deuxième entrevue.

 

[17]           Après avoir examiné la preuve, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve directe de discrimination. Il s’est ensuite penché sur la question de savoir si la preuve étayait une inférence de discrimination qui était plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse (suivant Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 CHRR D/5029, [1988] D.C.D.P. n° 2 (QL) (TCDP)). Le Tribunal a supposé que M. Turner avait établi une preuve à première vue de discrimination et s’est concentré sur la question de savoir si l’ASFC avait donné une explication raisonnable du fait qu’elle n’a pas embauché M. Turner pour un poste à durée indéterminée.

 

[18]           En ce qui concerne le concours Victoria 7003, le Tribunal était d’avis que les conclusions du comité à propos de la mauvaise performance de M. Turner en entrevue étaient raisonnables. Il n’y avait aucune preuve appuyant une inférence de discrimination.

 

[19]           Le Tribunal était aussi convaincu que, bien que le libellé de la restriction d’admissibilité pour le concours Vancouver 1002 n’était pas clair, l’objectif de l’exclusion était d’éviter de recevoir en entrevue les candidats qui ne s’étaient pas qualifiés pour le poste d’ID. De plus, la preuve a révélé que M. Turner était bel et bien le seul candidat pour le concours Vancouver 1002 qui n’était pas admissible selon cette interprétation de la règle. Le Tribunal a souligné que, si le comité avait voulu faire preuve de discrimination à l’égard de M. Turner, il aurait probablement décidé de lui accorder une note insuffisante à l’entrevue plutôt que de dire qu’il n’était pas admissible. Le fait que l’un des membres du comité se soit souvenu avoir rencontré M. Turner lors d’une entrevue pour un concours précédent ne signifiait pas qu’il y avait eu discrimination au motif que M. Turner était un grand homme de race noire – le membre s’est simplement rappelé de la voix et de la personnalité de M. Turner.

 

[20]           Par conséquent, le Tribunal a conclu que la preuve n’appuyait la plainte de discrimination de M. Turner.

III.       Première question – Le Tribunal a-t-il appliqué les principes juridiques appropriés?

 

[21]           Monsieur Turner soutient que le Tribunal n’a pas analysé la question de savoir si sa race avait subtilement influencé la façon dont l’ASFC l’a traité. Il prétend avoir été décrit comme une personne noire et paresseuse; une possibilité que le Tribunal n’a pas examinée.

 

[22]           Monsieur Turner souligne les facteurs suivants pour appuyer l’argument selon lequel la conduite de l’ASFC était en fait un prétexte pour exercer de la discrimination :

 

•           Dans l’un de ses courriels, M. Klassen avait mis en doute son éthique de travail en parlant de sa présence au travail;

•           Dans le courriel, M. Klassen a mentionné le fait que M. Turner ne s’occupait pas de l’encaissement, mais cela a été contredit par des éléments de preuve présentés devant le Tribunal. Cependant, le Tribunal n’a pas fait état de ces éléments de preuve;

•           M. Klassen n’a jamais parlé de ces préoccupations à M. Turner directement;

•           Les courriels ont été envoyés la veille du concours Victoria 7003; or, un membre du comité ayant témoigné devant le Tribunal a affirmé qu’il [traduction] « n’avait pas lu tous les » courriels, soulevant une question à propos de sa crédibilité;

•           Le Tribunal n’a rien relevé d’inquiétant dans le fait que le comité ait téléphoné à une personne pouvant valider les exemples de M. Turner après la disqualification de ce dernier, mais n’a pas fait état des éléments de preuve contraires donnés par cette personne à l’audience;  

•           Selon ses examens de rendement antérieurs, M. Turner était compétent dans les domaines dans lesquels il a été jugé non qualifié;

•           M. Turner a passé la première entrevue pour le concours Vancouver 1002, mais il a ensuite été jugé non qualifié, ce qui semblait mettre en doute la conclusion selon laquelle il n’était pas qualifié pour le concours Victoria 7003 et semblait également cibler M. Turner;

•           M. Tarnawski a affirmé qu’il se souvenait de M. Turner parce qu’il n’avait pas reçu en entrevue [traduction] « une tonne de personnes ayant les mêmes caractéristiques physiques que M. Levan Turner », ce qui laissait entendre que M. Turner s’est démarqué en étant un grand homme de race noire et que ses caractéristiques physiques avaient influencé la façon dont le comité l’a traité;

•         M. Tarnawski n’a pas répondu à la demande de M. Turner visant à obtenir plus d’information.

 

[23]           Selon les principes juridiques reconnus qui s’appliquent aux allégations de discrimination, une fois que le plaignant a établi la preuve à première vue, il incombe alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable. Si une explication raisonnable est fournie, il appartient au plaignant de démontrer que l’explication constitue un simple prétexte pour exercer de la discrimination (Maillet c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 48, [2005] D.C.D.P. n° 38 (QL)).

 

[24]           En l’espèce, une fois que le Tribunal a présumé que M. Turner avait prouvé à première vue qu’il y avait eu discrimination, il devait prendre en considération l’explication de l’ASFC concernant le traitement de M. Turner dans les deux concours en cause. Le Tribunal a examiné la preuve de façon assez détaillée et a, en fin de compte, conclu que l’explication de l’ASFC était raisonnable. Puis, il a conclu que M. Turner n’avait pas présenté une preuve convaincante selon laquelle l’explication n’était qu’un simple prétexte pour exercer de la discrimination. J’ai examiné la décision du Tribunal et il me semble qu’il a correctement formulé le critère juridique applicable (Basi, précité) et qu’il a bien appliqué les principes juridiques appropriés, même s’il ne souscrivait pas à la qualification que M. Turner a faite des éléments de preuve. 

 

IV.       Deuxième question – Le Tribunal a-t-il commis une erreur dans son traitement de la preuve?

 

[25]           Monsieur Turner prétend que le Tribunal n’a pas examiné si la preuve, dans tout son contexte, permettait de conclure à la discrimination. De plus, il soutient que le Tribunal a passé sous silence quelques éléments de preuve qui auraient étayé cette inférence. Selon lui, ces erreurs ont amené le Tribunal à tirer une conclusion déraisonnable.

 

[26]           Monsieur Turner affirme que la preuve dans son ensemble permet de penser que ses supérieurs à l’ASFC le percevaient comme un grand homme de race noire, paresseux et malhonnête. Selon lui, le contenu des courriels envoyés par M. Klassen, ainsi que les circonstances entourant ces courriels, est une manifestation de la façon dont il était perçu dans son milieu de travail. De plus, cette perception a influencé les personnes qui ont examiné sa candidature pour les deux concours.

 

[27]           Monsieur Turner souligne également des éléments de preuve dont le Tribunal n’a pas tenu compte – le témoignage d’un agent des douanes de race noire qui a affirmé qu’il était fréquemment victime de préjudice à l’ASFC, et une preuve selon laquelle des candidats moins qualifiés que M. Turner avaient été embauchés alors que M. Turner ne l’a pas été. Il soutient que Tribunal avait l’obligation de tenir compte de ces éléments de preuve (citant Canada (Procureur général) c. Bates, [1997] 3 CF 132, 147 DLR (4th) 358 (1re inst.)).

 

[28]           Enfin, M. Turner maintient que le Tribunal n’a pas tenu compte d’une partie de sa plainte. Il prétend avoir été victime de discrimination en partie parce qu’il faisait de l’embonpoint. Les tribunaux ont reconnu ce motif comme étant une « déficience perçue ». Le Tribunal n’a pas expressément traité de ce motif.

 

[29]           À mon avis, le traitement de la preuve du Tribunal n’était pas déraisonnable. En fait, M. Turner me demande de réévaluer la preuve dont disposait le Tribunal et d’arriver à une conclusion qui lui est plus favorable. 

 

[30]           Le Tribunal a tenu compte de la preuve concernant les courriels et a accepté le témoignage de M. Klassen au sujet de sa perception de M. Turner et de ses raisons pour avoir envoyé ces messages. Le Tribunal a aussi conclu qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre les courriels et l’échec de M. Turner dans le cadre du concours Victoria. De plus, il a examiné les raisons données par le comité pour avoir communiqué avec une personne pouvant valider les exemples de M. Turner après le concours Victoria et a conclu que l’explication du comité était raisonnable.

 

[31]           En ce qui concerne les éléments de preuve dont le Tribunal n’aurait pas tenu compte, M. Turner a raison de dire que le Tribunal n’a pas fait expressément état des éléments de preuve qui lui ont été présentés à propos du racisme à l’ASFC. Cependant, ces éléments de preuve se rapportaient à la façon dont une personne a décrit une remarque faite par un formateur de l’ASFC. Le lien avec l’affaire de M. Turner était éloigné et avait peu de valeur probante.  

 

[32]           Lorsqu’un comité sait que les aptitudes et l’expérience d’un candidat ne concordent pas avec sa performance dans un concours, il doit essayer de concilier les éléments de preuve contradictoires dont il dispose (Bates, précité). Cependant, ce n’était pas le cas en l’espèce. Le comité ne connaissait pas personnellement le rendement antérieur de M. Turner. De plus, il avait lancé un concours public dans le cadre duquel tous les candidats devaient avoir une chance égale de présenter leurs qualifications pour le poste. Le comité n’avait pas à traiter la candidature de M. Turner différemment des autres. Le Tribunal n’a commis aucune erreur en ne concluant pas que la conduite du comité appuyait la plainte de M. Turner.

 

[33]           En ce qui concerne le fait que le Tribunal n’ait pas considéré la déficience perçue comme un motif de discrimination, je souligne que, dans sa plainte initiale, M. Turner n’a pas fait cette allégation. Cela semble avoir été le sujet de la plaidoirie devant le Tribunal, mais peu d’éléments de preuve, voire aucun, ont été présentés au Tribunal à ce propos. Je ne peux pas conclure que le Tribunal a commis une erreur en n’abordant pas expressément le sujet dans ses motifs.

 

[34]           Par conséquent, je ne peux pas conclure que le Tribunal a commis une erreur dans le traitement de la preuve dont il disposait. Sa conclusion n’était pas déraisonnable au vu de la preuve.

 

V.        Troisième question – Le Tribunal a-t-il suffisamment motivé sa décision?

 

[35]           Le dernier argument de M. Turner est que le Tribunal a manqué à son obligation de motiver suffisamment sa décision. Il prétend que, même si le Tribunal n’a pas commis d’erreur relativement aux questions examinées précédemment, il a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi il a appliqué les principes juridiques et examiné la preuve comme il l’a fait. Cela constitue un manquement aux règles d’équité.

 

[36]           Selon moi, cet argument équivaut essentiellement à une nouvelle présentation des deux premières questions. En fait, M. Turner prétend que, même si le Tribunal n’a pas commis une erreur de droit, il a commis une erreur en n’expliquant pas pourquoi il n’a pas accepté la façon dont M. Turner a formulé les principes juridiques applicables. Et même si le Tribunal n’arrivait pas à une conclusion déraisonnable au vu de la preuve dont il disposait, il a commis une erreur en faisant une mauvaise analyse écrite de cette preuve.

 

[37]           À mon avis, il arrive rarement qu’il soit établi que le décideur n’a commis aucune erreur de droit et qu’il est arrivé à une conclusion qui n’est pas déraisonnable au vu de la preuve, mais qu’il n’a pas suffisamment motivé sa décision. Les motifs visent notamment à informer les parties des raisons pour lesquelles le décideur est arrivé à sa conclusion, à leur permettre de décider s’il convient ou non de demander le contrôle judiciaire, à permettre au tribunal de révision de décider si la décision était raisonnable et à s’assurer que la décision est justifiée, transparente et intelligible (Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, par. 16).

 

[38]           En l’espèce, M. Turner n’avait aucune difficulté apparente à comprendre la décision du Tribunal, à décider s’il convenait de demander le contrôle judiciaire et à présenter des motifs pour lesquels notre Cour aurait pu intervenir. Plus particulièrement, compte tenu de ma conclusion selon laquelle la décision du Tribunal n’était pas déraisonnable, la conclusion était justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

 

[39]           Bien que je n’irais pas jusqu’à dire que l’obligation de fournir des motifs suffisants n’ajoute rien aux obligations du tribunal de se conformer au droit et de rendre une décision raisonnable, je dirais que, dans certains cas, ces obligations peuvent se chevaucher considérablement. De plus, lorsqu’un demandeur, comme en l’espèce, présente de longues observations sur le fond de la décision d’un tribunal et fait une analyse détaillée des motifs écrits, une contestation distincte fondée sur le fait que la décision ne serait pas suffisamment motivée risque d’être accueillie avec scepticisme par un tribunal de révision.

 

[40]           À mon avis, les motifs du Tribunal étaient suffisants. Ils ont permis d’atteindre l’objectif visé par l’obligation de fournir des motifs écrits.

 

VI.       Conclusion et décision

 

[41]           Le Tribunal a appliqué les bons principes juridiques, est arrivé à une conclusion raisonnable fondée sur la preuve dont il disposait et il a suffisamment motivé sa décision. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire, avec dépens.  


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1094-10

 

INTITULÉ :                                       LEVAN TURNER c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge O’Reilly

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 juin 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

David Yazbeck

Michael Fisher

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Graham Stark

 

POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron Ballantyne & Yazbeck LLP/ s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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