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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110623

Dossier : IMM-2706-10

Référence : 2011 CF 754

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

GOWRISHANGAR THANGARAJAH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

   MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 mars 2010 par un conseiller en immigration, M. Brian Hudson (l’agent), du Haut-commissariat du Canada (le HCC) à Colombo, au Sri Lanka, dans laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par M. C. Thangarajah parce qu’il n’était pas convaincu que M. C. Thangarajah et sa famille étaient admissibles au Canada.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande sera accueillie.

 

I.          Le contexte

 

A.        Les faits

 

[3]               Le demandeur, M. Gowrishangar Thangarajah, est un tamoul originaire du nord du Sri Lanka; il a demandé l’asile au Canada en 2001. Il a présenté en 2005 une demande visant à parrainer ses parents et sa sœur. Le demandeur principal aux fins du présent contrôle judiciaire est le père du demandeur, M. C. Thangarajah, un citoyen du Sri Lanka. Dans le cadre du processus de demande, il a présenté en décembre 2007 une demande de résidence permanente au Canada. Le demandeur principal a inclus son épouse et sa fille de 21 ans comme membre de la famille (collectivement, les demandeurs).

 

[4]               Le demandeur principal a aussi un fils plus jeune, Umashangar, qui avait 20 ans lorsque la demande a été présentée. Le demandeur principal n’a cependant pas inclus Umashangar dans la demande parce qu’il a affirmé qu’Umashangar ne vivait plus avec la famille depuis qu’il a huit ans, lorsqu’il a été adopté par le frère du demandeur principal qui n’avait pas d’enfant. En outre, Umashangar se serait enfui en 2004 avec une femme et aurait quitté la région de Jaffna pour se rendre dans la région de Wanni; ni le père adoptif ni le père biologique n’avaient une bonne opinion de cette femme. Les demandeurs allèguent que, depuis ce moment­là, ils n’ont eu aucun contact avec Umashangar et ils supposent que, s’il n’est pas décédé, il est soit conjoint de fait, soit marié.

 

[5]               Dans des lettres datées du 4 mars et du 20 avril 2009, le HCC a informé le demandeur principal qu’Umashangar devait faire l’objet d’un examen et être ajouté dans la demande en tant qu’enfant à charge qui n’accompagne pas le demandeur puisqu’il était âgé de moins de 22 ans, n’était pas marié et n’avait pas été adopté.

 

[6]               Le demandeur principal a répondu aux lettres et a informé le HCC que le demandeur avait décidé de ne pas inclure Umashangar parce qu’il avait été adopté par son oncle, s’était enfui au Wanni avec une femme et avait coupé tout lien avec sa famille. Pour ces motifs, les demandeurs ont essayé de l’exclure de leur demande. Le HCC a répondu et a informé le demandeur principal qu’Umashangar devait néanmoins faire l’objet d’un examen et ne pouvait pas être exclu de la demande.

 

[7]               Les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) concernant l’envoi de la lettre du 20 avril 2009 révèlent que l’agent [traduction] « a des doutes quant à la véracité de la version des faits du demandeur principal quant à l’endroit exact où se trouve son fils Umashangar [...] » (dossier certifié du Tribunal (le DCT), page 8).

 

[8]               Le demandeur principal a répondu par lettre datée du 7 mai 2009, dans laquelle il a affirmé au HCC qu’il ne savait pas où se trouvait Umashangar, mais qu’il supposait qu’Umashangar vivait encore avec la femme au Wanni. Le demandeur principal a souligné que, à ce moment­là, Umashangar avait plus de 22 ans, vivait en tant que conjoint de fait, n’était pas aux études et n’était donc pas un enfant à charge. Les notes du STIDI portant sur cette lettre mentionnent ce qui suit :

[traduction]

 

[...] doit faire preuve de bon sens dans le présent dossier. Si Umashangar est conjoint de fait ou marié, il n’est certainement plus un enfant à charge. Donnerai suite au dossier sans examiner Umashangar puisqu’il n’est plus un enfant à charge. (DCT pages 8 et 9)

 

[9]               Le demandeur principal affirme que, entre-temps, il est devenu de plus en plus inquiet quant au bien­être d’Umashangar parce que le gouvernement avait commencé une campagne de bombardement soutenue au Wanni, soit la dernière région où l’on sait qu’Umashangar aurait vécu. Le demandeur principal affirme avoir lu dans un article de presse qu’une personne ayant le même prénom qu’Umashangar avait été emmenée dans un camp de détention. Afin de trouver Umashangar, le demandeur principal a écrit au Comité international de la Croix­Rouge (le CICR) pour obtenir de l’aide. Le CICR a répondu qu’il ne pouvait pas offrir son aide pour trouver des personnes détenues dans les camps. Le demandeur a présenté cette lettre datée du 14 juillet 2009 au HCC.

 

[10]           Le 17 février 2010, l’analyste de cas Sharon Mark a interviewé les demandeurs au HCC. Elle a pris des notes pendant l’entrevue, et a mentionné ce qui suit en conclusion : « Le demandeur principal était disposé à donner des renseignements dans ses réponses. Il a répondu à la majorité des questions, même celles concernant son épouse. Il a précisé ses antécédents personnels [...] » (DCT, page 21). Mme Mark a renvoyé la demande à un agent pour décision.

 

B.         La décision contestée

 

[11]           Le 8 mars 2010, l’agent a rédigé la lettre de refus, dans laquelle il a conclu qu’Umashangar était un enfant à charge et que les demandeurs et Umashangar étaient interdits de territoire. La lettre exposait notamment ce qui suit :

[traduction]

Après examen de l’ensemble des faits du présent dossier, j’ai encore des doutes quant à votre admissibilité. D’importantes incohérences ressortent de la demande, de l’entrevue et des lettres que vous avez présentées en lien avec la détention de votre fils Umashangar et l’endroit où ce dernier se trouve. Vu vos antécédents familiaux, je ne peux pas conclure sans hésitation que votre fils Umashangar n’est pas interdit de territoire ni que les membres de votre famille sont interdits de territoire. Par conséquent, je conclus que je n’ai pas un tableau complet de votre situation et de celle de votre famille, et je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire au Canada.

 

[12]           La lettre a été envoyée aux demandeurs le 17 mars 2010.

 

II.         Les questions en litige

 

[13]           La présente demande soulève les questions en litige suivantes :

a)         Le demandeur a-t-il qualité pour agir en l’espèce?

b)         L’agent a­t­il commis une erreur en concluant qu’Umashangar était un enfant à charge?

c)         L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur principal?

d)         Quelle réparation convient-il d’accorder?

 

III.       La norme de contrôle applicable

 

[14]           La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent est la raisonnabilité. Il convient de faire preuve de retenue judiciaire à l’égard d’une décision justifiée, dont le processus décisionnel est transparent et intelligible et qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). La question de savoir si Umashangar était un enfant à charge au sens de la loi est également une question mixte de fait et de droit et elle doit être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité (Skobodzinska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 887, 331 FTR 295, au paragraphe 8).

 

[15]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c. Ontario, [2003] 1 R.C.S. 539, 2003 CSC 29, au paragraphe 100).

 

IV.       Arguments et analyse

 

Le demandeur a-t-il qualité pour agir?

 

[16]           Le demandeur soutient que, en tant que parrain, il ne fait nul doute qu’il a un intérêt dans le litige et, dans de nombreux dossiers dont est saisie la Section d’appel de l’immigration (la SAI), le parrain est le demandeur.

 

[17]           Le défendeur allègue que la présente affaire n’est pas une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la SAI; dans une telle situation, le parrain aurait eu le droit d’interjeter appel d’une décision auprès de la SAI et il aurait ensuite pu présenter à la Cour une demande de contrôle de la décision de la SAI. Cependant, en l’espèce, les demandeurs n’avaient aucun droit d’appel devant la SAI, et le demandeur n’a pas qualité pour contester le rejet de la demande puisqu’il n’est pas « directement touché » par la décision. La jurisprudence de la Cour étaye cette position. Le défendeur invoque la décision Carson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 95 FTR 137, 55 ACWS (3d) 389, paragraphe 4 :

[4]        Bien que Mme Carson ait un intérêt dans la présente procédure, étant donné qu’elle a parrainé la demande de droit d’établissement de M. Carson au Canada et qu’elle a été interrogée dans le cadre de l’entrevue concernant le mariage afin de déterminer si des raisons d’ordre humanitaire pouvaient s’appliquer, ces faits ne sont pas suffisants pour lui donner la qualité pour agir dans la présente procédure de contrôle judiciaire. Mme Carson est citoyenne canadienne et elle n’a besoin d’aucune dispense d’application de la Loi sur l’immigration ou de ses règlements. En outre, qu’elle ait ou non qualité pour agir dans la présente action n’a aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Par conséquent, le nom de la requérante Tonya Carson est radié comme partie à la présente procédure.

 

(Voir aussi la décision Wu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000),183 FTR 309, 4 Imm LR (3d) 145, au paragraphe 15).

 

[18]           Par conséquent, le demandeur est radié comme partie. Cependant, à la demande des deux parties, la Cour ajoute en qualité de demandeurs les personnes à charge parrainées par le demandeur.

 

b)         L’agent a­t­il commis une erreur en concluant qu’Umashangar était un enfant à charge?

 

[19]           Le demandeur principal soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’Umashangar pouvait être traité comme un enfant à charge. L’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), définit le terme « enfant à charge » :

« enfant à charge » L’enfant qui :

 

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

 

 

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

 

 

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

 

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

 

(i) il est âgé de moins de vingt-deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

 

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

 

 

 

 

 

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui-ci,

 

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

 

(iii) il est âgé de vingt-deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt-deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

“dependent child”, in respect of a parent, means a child who

 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

 

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common-law partner of the parent, or

 

(ii) is the adopted child of the parent; and

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common-law partner,

 

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common-law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common-law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common-law partner, as the case may be, has been a student

 

(A) continuously enrolled in and attending a post-secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

 

 

 

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full-time basis, or

 

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self-supporting due to a physical or mental condition.

 

 

[20]           Le demandeur principal soutient qu’en aucun cas l’agent n’aurait dû, de façon raisonnable, en venir à la conclusion qu’Umashangar était un enfant à charge puisque :

-           Umashangar a été donné en adoption à l’âge de 8 ans;

-           Il ne dépendait pas financièrement de ses parents avant ses 22 ans, et il n’est pas devenu dépendant financièrement de ses parents après ses 22 ans;

-           Il s’est marié ou vivait comme conjoint de fait avant ses 22 ans, et il a commencé cette relation un an avant que la demande soit même présentée;

-           Il n’était pas un enfant à charge qui étudiait à temps plein avant ses 22 ans, et il n’était pas un enfant à charge inscrit à un établissement d’enseignement post­secondaire après ses 22 ans.

 

[21]           Le demandeur principal a aussi avancé que les motifs de l’agent ne révélaient aucun fondement raisonnable pour sa décision de considérer Umashangar comme un enfant à charge.

 

[22]           Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu qu’Umashangar était un enfant à charge au motif qu’il avait 20 ans lorsque la demande a été présentée, qu’il n’avait pas été officiellement adopté et qu’il n’était pas marié.

 

[23]           Si les observations du demandeur principal sont crédibles, il est clair qu’Umashangar ne pouvait pas être considéré comme un enfant à charge parce qu’il ne répondait à aucun des critères. En fait, comme le fait valoir le demandeur principal, un agent du HCC a d’abord conclu qu’Umashangar n’était pas un enfant à charge. La question que je dois donc trancher est de savoir s’il était raisonnable que l’agent ne croie pas les observations du demandeur principal.

 

[24]           Le défendeur soutient qu’il y avait des incohérences entre les renseignements dans la demande, les lettres présentées auparavant et les réponses données à l’entrevue. Par exemple, le défendeur renvoie aux observations de l’agent, selon lesquelles les récits ne concordaient pas quant à savoir qui avait rempli la demande et pourquoi Umashangar n’y avait pas été inclus. En outre, bien que le demandeur principal ait allégué que son fils était conjoint de fait et n’était pas aux études, il a aussi affirmé qu’il n’avait pas eu de contacts avec lui pendant une période de temps indéterminée. L’agent a donc eu des doutes relativement à la crédibilité.

 

[25]           La Cour doit faire preuve de retenue envers les conclusions relatives à la crédibilité tirées par les agents. Cependant, après examen du dossier et des prétentions, je ne suis pas d’accord avec le défendeur pour affirmer que le [traduction] « récit ne se tient pas ». Dans ses motifs, l’agent a soulevé deux réserves quant au dossier, la première concernant les détentions du demandeur principal et la seconde concernant Umashangar.

 

[26]           Dans le formulaire de demande, le demandeur principal n’avait pas fait état de détention. Cependant, lors de l’entrevue, le demandeur principal a révélé qu’il avait été détenu à de nombreuses reprises par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) lorsqu’il avait refusé de laisser ses enfants travailler pour eux. Cela est conforme au Formulaire de renseignements personnels (le FRP) fourni par le demandeur (le parrain) dans sa demande d’asile au Canada. Le demandeur principal affirme qu’il n’a pas mentionné ces détentions dans son formulaire de demande parce qu’il pensait que la question visait les détentions par le gouvernement. L’agent a conclu que [traduction] « cette réponse est douteuse parce que la question sur notre formulaire de demande est très claire et elle ne fait aucunement mention de "détention par le gouvernement". Une détention, c’est une détention, quelle qu’elle soit » (DCT, page 22).

 

[27]           À mon humble avis, je ne pense pas qu’il serait raisonnable qu’un simple malentendu raisonnable réduise à néant la crédibilité du demandeur principal. Comme ce dernier l’a souligné, il a fourni le FRP de son fils au HCC. Il n’a pas essayé de cacher ou d’omettre ce renseignement. En outre, l’affirmation de l’agent, selon laquelle le demandeur principal a décrit ses détentions [traduction] « lorsqu’on a insisté sur ce point lors de l’entrevue » ne concorde avec les notes de l’intervieweuse qui a affirmé que le demandeur principal était [traduction] « disposé à donner des renseignements » dans ses réponses (DCT pages 21 et 22). À mon avis, l’analyse relative à la crédibilité effectuée par l’agent, qui était en grande partie fondée sur les déclarations [traduction] « incohérentes » du demandeur quant à ses détentions, n’était pas raisonnable.

 

[28]           En ce qui concerne Umashangar, l’agent a fait part des réserves suivantes relativement à la crédibilité :

[traduction]

 

En particulier, le demandeur principal a dit que le fils né en 1985 n’avait pas été inclus comme enfant à charge dans la demande parce que son (autre) fils en avait décidé ainsi. Le demandeur principal nous a dit ensuite que la demande n’avait pas été remplie par son fils, mais plutôt par un agent de la paix au Sri Lanka.

 

Le demandeur principal nous a d’abord dit que le fils né en 1985 vivait avec une jeune femme au Wanni (lettre du 7 mai 2009), mais, lorsque l’on a insisté par la suite, il a révélé qu’il avait cherché son fils dans onze camps de détention et il a fourni une lettre rédigée par la Croix­Rouge datée de juillet 2009. Cette lettre est peu crédible et semble n’être rien de plus qu’un document écrit après que l’on a insisté pour savoir où se trouvait le fils du demandeur principal.

 

Aucune preuve n’a été fournie concernant les recherches dans les camps, et, si le fils vivait avec une femme au Wanni, je ne peux pas comprendre pourquoi les recherches ont même été lancées.

 

Je note aussi que le demandeur principal en est arrivé à la conclusion que son fils n’était plus un enfant à charge parce qu’il était conjoint de fait et n’était pas aux études. Je n’arrive pas à comprendre comment le demandeur principal obtenir ces renseignements. Quoi qu’il en soit, comment pouvons­nous tirer la même conclusion sans avoir entendu le témoignage direct de son fils?

 

[29]           J’ai des réserves quant à la logique derrière un certain nombre de conclusions défavorables relatives à la crédibilité tirées par l’agent. Par exemple, le demandeur principal a d’abord écrit au HCC pour expliquer qu’Umashangar n’avait pas été inclus parce que le demandeur en avait décidé ainsi. Le sens exact de cette phrase est au mieux ambigu et, lorsqu’on l’interprète à la lumière de la deuxième lettre envoyée au HCC, cette phrase pourrait tout aussi bien dire que le demandeur avait décidé de ne pas inclure Umashangar parce qu’il pensait qu’Umashangar n’était pas un enfant à charge au sens du Règlement.

 

[30]           Le demandeur principal soutient que l’agent a manifesté une totale incompréhension du processus de demande lorsqu’il affirmé qu’il était suspect que ce soit un agent de la paix du Sri Lanka qui aurait aidé le demandeur principal à remplir le formulaire de demande. Comme le fait valoir le demandeur principal, il est illogique d’estimer qu’il s’agit d’une incohérence. Le demandeur a rempli la demande de parrainage, puis il a rempli, avec l’aide d’un agent de la paix, le formulaire de demande que lui avait envoyé le HCC.

 

[31]           Le fondement des réserves formulées quant à savoir où se trouvait Umashangar est aussi faible. Umashangar aurait coupé tout contact avec sa famille pour s’en aller au Wanni avec une femme dont personne n’avait une bonne opinion. C’est la dernière fois que la famille aurait entendu parler d’Umashangar. Après que le demandeur eut envoyé au HCC les lettres faisant état de la situation concernant Umashangar, le demandeur principal a expliqué que le gouvernement du Sri Lanka avait commencé une campagne de bombardement soutenue au Wanni. Il n’est pas impossible de croire que le demandeur principal s’intéressait encore au bien­être de son fils; cet intérêt a même peut­être été exacerbé par l’affirmation du HCC selon laquelle Umashangar, malgré son adoption, devrait faire l’objet d’un examen. Les autres conclusions tirées par l’agent révèlent aussi de telles conjectures.

 

[32]           La personne la mieux placée pour apprécier la franchise du demandeur principal lors de l’entrevue était l’intervieweuse. Cette dernière a tiré une conclusion qui semble favorable relativement à la crédibilité du demandeur principal. En l’absence de contradiction et d’incohérence, il n’était pas raisonnable que l’agent tire une conclusion contraire. Les conjectures ne suffisent pas. Les conclusions tirées par l’agent ne résistent pas un examen assez poussé, et je ne peux donc pas affirmer que sa conclusion portant que le demandeur principal n’était pas crédible et qu’Umashangar était donc un enfant à charge, est raisonnable. Le contrôle judiciaire peut être tranché pour ce seul motif.

 

c)         L’agent a-t-il manqué à quelque obligation d’équité que ce soit envers le demandeur principal?

 

[33]           Le demandeur principal soutient que l’agent a commis un manquement à la justice naturelle en se fondant sur des réserves qui ne lui avaient pas été communiquées lors de l’entrevue et en écartant la décision préliminaire selon laquelle Umashangar ne devait pas être considéré comme étant un enfant à charge. Le demandeur principal soutient qu’il avait une attente légitime, à savoir que, une fois que l’entrevue avait été menée sur le fondement de la décision qu’Umashangar ne devrait pas être considéré comme étant un enfant à charge et une fois que le demandeur principal avait été estimé crédible, la décision de renverser l’une ou l’autre de ces décisions préliminaires ne pouvait pas être prise sans avertissement.

 

[34]           Le défendeur souligne que l’extrait des notes du STIDI rédigées le 2 juillet 2009, où l’on peut lire [traduction] « Donnerai suite au dossier sans examiner Umashangar puisqu’il n’est plus un enfant à charge » (DCT page 9), constituait une conclusion initiale ou préliminaire et que l’agent des visas a le pouvoir de modifier ou d’écarter une telle décision (Vimalenthirakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1181). Le demandeur, par ailleurs, réplique que la décision était assimilable à une décision provisoire qui ne pouvait pas être écartée sans que la justice naturelle soit violée (Velauthar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (C.A.F.) le 8 mai 1992, dossier de la C.A.F. no A­350­90).

 

[35]           Aux paragraphes 20 et 21 de la décision Vimalenthirakumar, précitée, le juge Michel Shore a conclu que la jurisprudence de la Cour étaye la prétention selon laquelle un second agent des visas peut écarter une conclusion préliminaire :

[20]      Suivant la jurisprudence, l’agent des visas est habilité à infirmer ou modifier une conclusion initiale ou préliminaire d’admissibilité apparente. Même si l’agent avait déterminé en l’espèce que le demandeur était admissible – ce qu’il nie énergiquement – il aurait en fait été habilité (lui et/ou un autre agent) à modifier cette décision avant la délivrance du visa.

 

[21]      Dans l’affaire Brysenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 193 F.T.R. 129, 99 A.C.W.S. (3d) 1035, par exemple, l’agent des visas avait rencontré la demanderesse de résidence permanente et avait pris une décision de sélection positive. Le dossier de demande était complet, et il ne restait qu’à délivrer le visa. Environ deux mois plus tard, le dossier a été réexaminé par une autre agente, qui n’a pas été à l’aise avec la décision prise. Elle a prié la demanderesse de lui fournir de plus amples renseignements. Cette dernière n’a pas fourni les renseignements, elle a plutôt déposé une demande de contrôle judiciaire en faisant valoir que la deuxième agente ne pouvait rouvrir le dossier parce que le premier agent était dessaisi. Sous la plume de la juge Barbara Reed, la Cour a statué que la deuxième agente (qui était chargée de délivrer le visa) était habilitée à infirmer la première évaluation et à refuser la demande. La juge Reed a conclu que le principe du dessaisissement ne s’appliquait pas à la première décision puisqu’il n’intervient qu’à l’égard de décisions finales et que la décision finale est la délivrance du visa.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[36]           En l’espèce, l’agent a noté dans sa décision que la conclusion précédente portant que Umashangar n’était pas un enfant à charge n’était qu’une conclusion préliminaire et que l’examen approfondi et l’entrevue ont révélé d’autres incohérences. Je dois convenir avec le défendeur que l’agent avait le pouvoir d’écarter la conclusion préliminaire (malgré que le défendeur conteste que l’on puisse même considérer qu’il s’agissait d’une telle conclusion). Cependant, comme je l’ai mentionné ci­dessus, je ne suis pas d’accord pour affirmer que l’entrevue a fait la lumière sur d’importantes incohérences qui justifiaient une conclusion défavorable relativement à la crédibilité. Il n’y a toutefois pas eu de manquement à la justice naturelle.

 

[37]           Le demandeur principal allègue aussi que les réserves de l’agent auraient dû lui être communiquées lors de l’entrevue, mais, encore une fois, je suis du même avis que le défendeur. Une décision a été rendue sur le fondement de l’ensemble des renseignements accessibles à ce moment­là. L’intervieweuse a fait part de toutes ses réserves au demandeur principal lors de l’entrevue.

 

D.        Quelle réparation convient-il d’accorder?

 

[38]           Le mémoire supplémentaire du demandeur principal portait uniquement sur la réparation demandée. Le demandeur principal prie la Cour de rendre une ordonnance annulant la décision de l’agent et exigeant que l’admissibilité des demandeurs soit réexaminée par l’administration centrale de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) dans les trente jours de l’ordonnance de la Cour. Le demandeur principal demande aussi que, si les demandeurs sont admis au Canada, le traitement de leur demande de résidence permanente soit effectué dans les 60 jours suivant cette décision favorable. Subsidiairement, le demandeur principal demande que la décision de l’agent soit annulée et qu’un autre agent rende une nouvelle décision dans les 30 jours de l’ordonnance de la Cour.

 

[39]           Le demandeur principal présente cette demande parce qu’il croit qu’il serait impossible de garantir que le dossier serait traité de façon équitable et impartiale s’il était renvoyé au HCC parce que l’agent qui a rendu la décision est le responsable de la section de l’immigration. Le demandeur principal invoque les décisions Sivapatham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 314, Bageerathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 513, et Gnanaguru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), ordonnance de la Cour rendue le 12 juillet 2010, IMM-4267-08 et IMM-987-09.

 

[40]           À l’appui de l’allégation de crainte raisonnable de partialité, le demandeur principal a déposé un affidavit complémentaire auquel étaient joints deux articles de presse. Les articles faisaient état de commentaires supposément discriminatoires qu’aurait adressés l’agent, M. Brian Hudson, à une délégation canadienne alors qu’il était conseiller en immigration au Punjab, en Inde.

 

[41]           Comme le fait valoir le défendeur, les allégations de partialité ne sont tout simplement pas fondées. Le défendeur affirme que les articles de presse produits sont complètement inappropriés et n’ont pour seul objectif la formulation d’allégations à peine voilées de partialité. À mon avis, les articles de presse ne sont absolument pas pertinents en l’espèce.

 

[42]           Le défendeur soutient que l’on peut établir une distinction entre les faits des affaires invoquées par le demandeur principal et ceux en l’espèce. Je suis d’accord. En outre, comme le juge Yves de Montigny l’a écrit dans la décision Gnanaguru, précitée, dans laquelle l’avocat du demandeur avait demandé la même réparation :

Malgré les efforts admirables déployés par l’avocat du demandeur pour prouver le contraire, est dépourvue de fondement l’allégation selon laquelle un autre agent subirait l’influence de ses supérieurs ou subirait de la pression pour rendre la même décision, et est également dépourvu de fondement la présomption que le bureau, dans l’ensemble, a des préjugés contre les Tamouls.

 

Bien que la juge Judith Snider ait ordonné que le réexamen du dossier des demandeurs soit effectué à l’administration centrale dans le cadre de la nouvelle instruction de la même affaire, elle a pris le soin de préciser ce qui suit au paragraphe 39 de la décision Gnanaguru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 536 :

[39]      […] ma décision selon laquelle cette affaire devrait être examinée à l’administration centrale ne doit en aucune façon être vue comme une critique adressée à l’agent. À mon avis, les attaques formulées par les demandeurs contre cet agent dans leurs observations n’étaient pas justifiées, ni fondées sur la preuve hormis le fait que la demande a été, pour une deuxième fois, refusée. L’administration de la justice n’est pas aidée par de telles attaques contre la réputation et l’intégrité de l’un des fonctionnaires du Canada.

 

Les autres demandes d’ordonnance présentées par le demandeur principal en ce qui a trait au processus de réexamen ne sont pas plus appropriées.

 

V.        Conclusion

 

[43]           Vu les conclusions tirées ci­dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent au HCC à Colombo pour nouvel examen.

 

[44]           À la fin de l’audience, il y a eu des discussions quant à la possibilité de certifier une question. J’ai formulé une directive orale accordant aux parties deux semaines pour déposer leurs observations sur une telle question. Après examen des diverses lettres présentées par les demandeurs et le défendeur, et vu l’issue de l’affaire, il est clair que l’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2706-10

 

INTITULÉ :                                       THANGARAJAH c. MCI ET AL.

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 FÉVRIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 JUIN 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raoul Boulakia

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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