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Date : 20110622

Dossier : T‑2085‑10

Référence : 2011 CF 750

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

ENTRE :

 

ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE,

CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE, CINDY DANIELS et WANDA RIDER

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

Première Nation Stoney, représentée par son chef et ses conseillers et Première Nation de Bearspaw, représentée par son chef et ses conseillers, le chef David Bearspaw fils, Trevor Wesley, Patrick Twoyoungmen, Roderick Lefthand et GordoN Wildman

 

 

 

défendeurs

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., ch. F‑7, d’une demande de contrôle judiciaire des décisions et des mesures prises par la Première Nation de Bearspaw, représentée par son chef et par ses conseillers, et par la Première Nation Stoney, représentée par son chef et par ses conseillers, à la suite desquelles l’élection du chef et des conseillers de la Première Nation de Bearspaw n’a pas eu lieu comme prévu le ou avant le 10 décembre 2010.

 

[2]               Les demandeurs contestent les décisions et les mesures par lesquelles le chef et les conseillers de la Première Nation de Bearspaw ont prorogé le mandat de deux ans qui était prévu par la coutume ainsi que par la résolution du conseil de bande adoptée le 30 septembre 2008. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie et les décisions et les mesures par lesquelles le chef et les conseillers ont prorogé leur mandat sont déclarées contraires à la coutume de la bande Bearspaw et par conséquent invalides. La Cour déclare que le mandat du chef et des conseillers a pris fin le 9 décembre 2010 et ordonne que des élections aient lieu dans un délai de 60 jours pour choisir un nouveau chef et de nouveaux conseillers pour la Première Nation de Bearspaw.

 

FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

 

[3]               Voici les faits qui se dégagent de la preuve présentée par les parties.

 

[4]               Les demandeurs Robert Shotclose, Harvey Baptiste, Corrine Wesley, Myrna Powderface, Cindy Daniels et Wanda Rider sont des membres de la Première Nation de Bearspaw, une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, qui, avec les Premières Nations Chiniki et Wesley, constituent la Première Nation Stoney Nakoda (la Première Nation Stoney). M. Baptiste est un aîné et un ancien chef de la bande. M. Shotclose est un ancien administrateur de la bande.

 

[5]               La Première Nation de Bearspaw (PNB) compte environ 1 700 membres, dont la plupart vivent dans la réserve de Morley, à l’est de Canmore, en Alberta, ainsi que dans la collectivité d’Eden Valley, près de Longview. En 2010, 127 membres vivaient hors réserve et environ 795 membres adultes avaient le droit de voter aux élections de la PNB.

 

[6]               Les affaires de la PNB sont gérées par un conseil composé d’un chef et de quatre conseillers : deux provenant d’Eden Valley et deux de Morley. Avec le chef et les conseillers des Premières Nations Chiniki et Wesley, ils constituent le conseil tribal Stoney, qui prend des décisions collectives notamment en ce qui concerne les ressources pétrolières et gazières, l’aménagement du territoire, l’éducation, les services aux familles et les travaux publics. Outre l’administration tribale de Stoney, chacune des trois premières nations en question a son propre administrateur de bande et ses propres bureaux administratifs.

 

[7]               Le chef David Bearspaw fils et les conseillers Trevor Wesley, Patrick Twoyoungmen, Roderick Lefthand et Gordon Wildman sont les principaux défendeurs dans la présente instance. Ils ont tous été élus à des postes de dirigeants de la PNB en décembre 2008. La Première Nation Wesley participe également à la présente instance en tant que défenderesse pour faire valoir son point de vue au sujet du mandat du chef et des conseillers. La Première Nation Chiniki n’a joué aucun rôle actif dans la présente demande.

 

[8]               Avant le milieu des années cinquante, le chef de la Première Nation Stoney était nommé à vie, c’est‑à‑dire tant et aussi longtemps qu’il répondait aux besoins de la communauté. Il revenait aux aînés de remplacer le chef s’il ne s’acquittait pas de ses fonctions de façon satisfaisante. Au cours des années cinquante, conformément à l’avis donné par l’agent des Indiens, qui était un employé du ministère à cette époque appelé le Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, les trois bandes ont commencé à tenir périodiquement des élections aux postes de chef et de conseillers. Le Ministère qui était auparavant connu sous les acronymes de MAINC et d’AINC porte maintenant le nom d’Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC).

 

[9]               Suivant les registres de la bande de la PNB, à la suite du décès du chef qui était en poste en 1956, des chefs et des conseillers, élus pour un an ou aux deux ans, se sont succédés. Bien que les documents relatifs à la durée des mandats avant 1975 ne soient pas tout à fait clairs, il n’en demeure pas moins que des élections ont de façon constante eu lieu aux deux ans depuis. Certains chefs et certains conseillers ont cumulé plusieurs mandats.

 

[10]           La procédure à suivre pour la tenue des élections au sein de la PNB est précisée dans des résolutions écrites du conseil de bande (les RCB) depuis au moins les années quatre-vingt. Les résolutions relatives aux élections au sein de la PNB qui ont été versées au dossier énoncent les conditions d’éligibilité ainsi que la procédure à suivre pour le scrutin, les appels et le remplacement des membres du conseil. Les résolutions relatives aux élections prévoient, par exemple, que toute vacance occasionnée par un décès, une démission ou une inaptitude peut être comblée au moyen d’une élection ou d’une nomination par le conseil de la PNB.

 

[11]           Suivant les affidavits versés au dossier, dans les années soixante‑dix, une délégation d’aînés a invité un chef à démissionner en raison d’une apparence d’irrégularités. Un autre chef a pris un congé de maladie en 1996 pour cause d’alcoolisme. Il a été remplacé par un chef intérimaire pour les six mois qui restait à courir dans son mandat. Bien que des aînés de la PNB soient intervenus pour persuader les chefs en question de remettre leur démission, la preuve ne permet pas de conclure que la durée du mandat du chef et des conseillers était fixée par les aînés, si ce n’est dans ces circonstances exceptionnelles. Il ressort à l’évidence de l’ensemble de la preuve que les chefs et les conseillers ont géré le processus d’élection pendant plusieurs décennies par l’adoption de RCB.

 

[12]           Au cours des dernières années, des discussions ont eu lieu au sein de la nation Stoney en ce qui concerne l’adoption d’une nouvelle procédure et de nouvelles règles par chacune des trois bandes, de manière notamment à proroger le mandat des élus. Il ressort de la preuve versée au dossier au sujet de ces discussions que certains membres étaient d’avis que les mandats de deux ans avaient pour effet de diviser les collectivités. Ils estimaient en outre que la règle du mandat de deux ans était issue d’un modèle électoral imposé par les fonctionnaires du gouvernement fédéral, contraire aux usages et coutumes des Stoney. D’autres considéraient que le cycle électoral de deux ans offrait une occasion importante d’exercer leur droit de remplacer le chef et les conseillers s’ils ne répondent pas aux besoins de la collectivité. Ce débat a également eu lieu au sein de plusieurs autres premières nations ainsi qu’au niveau national, comme nous le verrons plus loin.

 

[13]           Par suite de consultations et du large consensus qui s’est dégagé parmi leurs membres, les Premières Nations de Chiniki et de Wesley se sont employées à modifier leurs pratiques coutumières en matière d’élections, notamment la durée du mandat du chef et des conseillers, dans le cas de Chiniki, de deux à trois ans et, dans le cas de Wesley, de deux à quatre ans. La Première Nation Wesley a mené en 2002 un sondage en vue de connaître l’opinion de ses membres au sujet des changements proposés au mode électoral. La Première Nation Chiniki a consulté ses membres en 2003. Dans les deux cas, les changements proposés ont fait l’objet d’une vaste publicité et ne sont entrés en vigueur que lors des élections suivantes. En d’autres termes, ce n’est qu’à partir des élections suivantes que le mandat des chefs et des conseillers a été prolongé.

 

[14]           Bien que des discussions aient également eu lieu parmi les membres de la PNB en 2002 au sujet de la possibilité de procéder à des modifications analogues, aucun consensus n’a été dégagé et aucune mesure n’a été prise. D’après l’aîné Carl Lefthand, cela était dû au fait que certains craignaient que les électeurs subissent le contrecoup d’une telle mesure si un mauvais chef et de mauvais conseillers avaient la possibilité de demeurer en poste plus de deux ans.

 

[15]           Le chef et les conseillers défendeurs de la Première Nation de Bearspaw ont été élus le 9 décembre 2008 suivant une RCB adoptée par le conseil précédent le 30 septembre 2008. Dans cette RCB, il était précisé que leur mandat était d’une durée de deux ans. Aux termes de cette RCB, les élections suivantes devaient avoir lieu au plus tard le 10 décembre 2010.

 

[16]           L’aîné William (Bill) McLean est le membre le plus âgé de la PNB, dont il a été le chef pendant plusieurs mandats. Il est aussi le grand‑père du chef David Bearspaw. Il soutient qu’il a expliqué à son petit‑fils peu de temps après son élection qu’il aurait besoin des conseils des aînés étant donné qu’il était [traduction] « trop jeune pour être chef ». Il explique qu’en conséquence, un comité consultatif des aînés a été formé et que ce comité était constitué de membres de la Première Nation de Bearspaw et d’autres clans de la PNB. Les membres de ce comité se rencontraient en moyenne deux fois par mois. Il ressort à l’évidence de la preuve que les membres de la famille du chef ont joué un rôle majeur au sein de ce comité. Ainsi, lors de l’importante rencontre du 14 octobre tenue avec le chef et les conseillers, quatre des cinq aînés présents étaient les grands‑parents du chef.

 

[17]           Avec les autres membres du conseil tribal de Stoney et leurs collectivités, le conseil de la PNB qui avait été élu en décembre 2008 a été aux prises avec une crise financière majeure. Les revenus provenant de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières ont subi une baisse considérable, et, en plus, d’autres manques à gagner ont été enregistrés et des dépenses imprévues ont été engagées par suite de décisions prises antérieurement. La Première Nation Stoney a dû restructurer ses finances et demander que l’on débloque des fonds de réserve se trouvant dans un compte détenu en fiducie pour leur compte par AADNC. Greg Varricchio a été engagé en octobre 2009 à titre de premier dirigeant pour mettre au point un plan visant à assurer la stabilité financière future de la Première Nation Stoney. Le plan a été approuvé par le conseil tribal en janvier 2010, et le conseil tribal, le conseil de bande et l’administration tribale de Stoney se sont employés à le mettre en œuvre. En juillet 2010, AADNC a effectué un premier versement de dix millions de dollars provenant du fonds du patrimoine pour compenser le manque à gagner.

 

[18]           À compter de 2009 et surtout de 2010, le chef et les conseillers de la PNB ont tenu des rencontres pour discuter de questions de gouvernance. Des réunions publiques ont eu lieu pour entendre les préoccupations des membres au sujet de l’administration de la bande et la gestion des ressources. Toutefois, les réunions portant sur la gestion des affaires de la bande et sur les décisions à prendre à ce sujet ont eu lieu hors réserve, sans préavis public et en présence de seulement quelques membres de la bande, outre le chef et les conseillers. Cette façon de procéder visait, selon un des auteurs des affidavits, à éviter que des membres de la bande n’interrompent les débats avec leurs doléances et à faciliter l’examen des questions à l’étude.

 

[19]           En mars 2010, Dan Pelletier a été engagé comme consultant pour proposer des façons de stimuler l’activité économique. À la fin de mars, le chef Bearspaw a présenté M. Pelletier aux membres du Comité consultatif des aînés. M. Pelletier a rencontré les membres du Comité en avril et en mai pour discuter de questions de gouvernance. Suivant son témoignage, le procès‑verbal de ces rencontres a été dressé par Valerie Bearspaw, la sœur du chef. Le procès‑verbal, qui aurait servi de compte rendu simultané de ces événements, n’a pas été déposé en preuve par les défendeurs. Comme les défendeurs contrôlent ces renseignements, on peut en tirer une inférence négative et conclure que ce document n’appuie pas entièrement leur position.

 

[20]           M. Pelletier affirme que les aînés étaient avant tout préoccupés par les qualités de dirigeant dont on pouvait s’attendre de la part des candidats aux postes de chef et de conseiller, en particulier en ce qui concerne des aspects comme la sobriété, le comportement et le respect des traditions. Lorsqu’on a demandé à M. Pelletier, en contre‑interrogatoire, qui était présent lors des rencontres en question, les premiers noms qui lui sont venus à l’esprit étaient ceux des membres de la famille du chef.

 

[21]           Les défendeurs expliquent que les aînés avaient conclu qu’il y avait lieu d’apporter des modifications aux conditions d’éligibilité des candidats aux postes de chef et de conseiller de la bande et à la durée de leur mandat. Des discussions ont eu lieu sur la meilleure façon de sonder les personnes ayant le droit de voter au sujet des changements proposés. Parmi les solutions envisagées, on a évoqué la tenue d’un référendum lors du scrutin suivant et d’un sondage semblable à ceux que les Premières Nations Wesley et Chiniki avaient menés.

 

[22]           Tina Fox, qui est une aînée et qui a coordonné le sondage mené par la Première Nation Wesley, a déclaré qu’à sa connaissance, suivant sa coutume la Première Nation Stoney n’était pas tenue de procéder par référendum pour modifier le code électoral d’une bande. Elle précise qu’il suffit [traduction] « d’aviser les membres de la collectivité des changements proposés de manière à ce qu’ils les comprennent bien, de mener de vastes consultations et de recueillir l’assentiment général en ce qui concerne les changements proposés ». Mme Fox a expliqué aux aînées de la Première Nation de Bearspaw, Philomena Stevens (la grand‑mère du chef), Una Wesley et Valerie Bearspaw (la sœur du chef), que si l’on tenait un sondage au sujet des mandats, les changements ne prendraient effet que lors du prochain scrutin. Elle ne connaissait aucun cas où les aînés auraient décidé de renoncer à la tenue d’une élection au sein de la Première Nation Stoney.

 

[23]           Il ressort des propos que le chef Bearspaw aurait tenus en 2010 et qui ont été publiés dans un journal local qu’à l’époque, son intention était de faire approuver par l’électorat les modifications proposées, notamment la prolongation des mandats, dans le cadre d’un référendum devant avoir lieu lors des élections suivantes, prévues pour décembre 2010.

 

[24]           À la suite des discussions qu’il avait eues avec le Comité consultatif et le conseil de la PNB, M. Pelletier a été invité à soumettre un projet de questionnaire et à organiser le sondage. Bien qu’il ait déjà travaillé comme membre du personnel électoral pour des premières nations en Saskatchewan ainsi que pour le ministère fédéral, M. Pelletier n’avait pas d’expérience directe en matière de sondages. On a consulté le cabinet d’avocats de la bande. C’est ce même cabinet qui avait donné des conseils au sujet du sondage mené par la Première Nation Wesley. Il n’y a toutefois aucun élément de preuve quant à l’expertise, s’il en est, que ce cabinet d’avocats pouvait posséder en matière de sondages. Son rôle semble avoir consisté principalement à recevoir les questionnaires de sondages une fois remplis, à compiler les résultats et à les présenter au chef et aux conseillers.

 

[25]           M. Pelletier a rencontré le chef et les conseillers à plusieurs reprises pour discuter du processus de sondage. Leurs rencontres ont eu lieu sans préavis aux membres de la bande et elles se sont déroulées à huis clos hors réserve. M. Pelletier explique qu’il a soumis un projet de sondage à l’approbation du chef et des conseillers réunis dans un hôtel de Calgary en avril ou en mai 2010. Cette rencontre n’a jamais été annoncée et, hormis le chef et les conseillers, seulement trois membres de la bande étaient présents dont aucun des aînés. M. Pelletier, qui se rapportait à l’administrateur de la bande, Trent Blind, s’est par la suite occupé du sondage. Certains des membres du Comité consultatif des aînés ont agi comme sondeurs et traducteurs.

 

[26]           Dans les affidavits soumis par les demandeurs, on allègue que certains membres auraient subi de l’intimidation en vue de les forcer à répondre au sondage et que d’autres se seraient vu offrir des bons d’échange de vêtements et d’essence s’ils donnaient les réponses attendues. Ces prétentions sont niées dans les affidavits souscrits pour le compte des défendeurs. Dans un courriel adressé à M. Shotclose le 14 juin 2010, M. Blind déclare que les bons remis aux membres n’avaient rien à voir avec le sondage, et qu’ils étaient remis aux membres ayant besoin de soutien.

 

[27]           Les défendeurs affirment que les formulaires de sondage ont été livrés aux domiciles des chefs de clan et remis aux autres personnes qui souhaitaient les remplir. On pouvait également se les procurer aux bureaux de la bande. Les défendeurs affirment que certains membres qui s’opposaient à ce processus ont refusé de répondre au sondage et qu’ils ont essayé d’empêcher d’autres personnes de le faire. Les demandeurs nient cette allégation et soutiennent que les membres qui s’opposaient aux modifications ont été empêchés d’exprimer leur opinion au cours de ce processus.

 

[28]           Bien que les éléments de preuve relatifs au sondage soient contradictoires, il semble que l’on pouvait se procurer les questionnaires au bureau de la bande de Morley trois jours par semaine et au bureau de la bande d’Eden Valley deux jours par semaine, et que les sondeurs se soient rendus au domicile de certaines personnes. Ces derniers choisissaient les domiciles à visiter. Les demandeurs affirment que ce choix était fait de façon sélective et que plusieurs familles de la PNB n’ont jamais reçu la visite des sondeurs. Les défendeurs répondent que le choix des foyers à visiter avait été fait après consultation avec les chefs de clan. M. Baptiste, un aîné et ancien chef, affirme qu’on ne lui a pas offert de répondre au sondage et que c’est suite à des rumeurs selon lesquelles le chef tenait des rencontres secrètes en vue de faire prolonger son mandat qu’il a su qu’un sondage était réalisé. Il ajoute qu’il a essayé d’obtenir des explications, mais que le chef ne l’a jamais rappelé.

 

[29]           Le texte même du sondage, y compris ces questions, n’a été rendu public qu’une fois le processus terminé. À l’exception de quelques membres, à qui M. Pelletier avait permis de le faire, les membres n’étaient pas autorisés à ramener le questionnaire de sondage chez eux pour réfléchir avant d’y répondre ou pour consulter d’autres personnes avant de le remplir. Selon M. Pelletier, on avait procédé de cette façon pour assurer la confidentialité. Il importe toutefois de souligner que les sondages étaient remplis en présence des sondeurs et en présence d’interprètes au besoin et de membres du personnel de la bande, y compris M. Pelletier. Une fois remplis et signés, les sondages étaient scellés, et ils étaient ensuite transmis au cabinet d’avocats qui s’occupait d’en compiler les résultats.

 

[30]           Les organisateurs souhaitaient atteindre au moins 51 % des électeurs admissibles. La preuve est contradictoire sur la question de savoir si toutes les familles de la PNB ont été mises au courant du sondage et si on leur a offert la possibilité d’y participer. Une chose est sûre : une controverse a été déclenchée au sujet de la procédure suivie pendant que le sondage était en cours et des personnes ont commencé à manifester leur opposition aux mesures prises par le chef et par les conseillers.

 

[31]           Aucune des RCB se rapportant au sondage n’a été publiée par la bande. Toutefois, des bulletins d’information annonçant le processus de sondage ont été affichés dans les bureaux de la bande à Morley et à Eden Valley en mai et en juin 2010. Chaque bulletin d’information précisait que le sondage serait effectué par le Comité consultatif des aînés de Bearspaw et par son équipe de sondeurs. On trouvait la mise en garde suivante dans les bulletins d’information : le chef et les conseillers examineront le rapport final et [traduction] « ils pourront décider de mettre en œuvre ou non les modifications souhaitées par la majorité de la population ».

 

[32]           On voulait terminer le processus avant la fin de juin, mais le chef et les conseillers ont accepté qu’il soit prolongé jusqu’à la fin de juillet de façon à ce que plus de 50 % de l’électorat remplissent les formulaires. Le sondage a coûté 320 000 $, soit environ 762 $ par questionnaire dûment rempli. En comparaison, le sondage Wesley avait coûté 60  000 $. M. Pelletier a été engagé comme directeur de bureau une fois le sondage terminé.

 

[33]           Suivant la preuve des défendeurs, la somme susmentionnée a servi à couvrir les communications, les frais juridiques et les honoraires des interprètes, des membres du Comité consultatif des aînés, et à rémunérer les sondeurs, ainsi que M. Pelletier, en tant que coordonnateur. Les défendeurs n’ont soumis aucune ventilation de ces dépenses malgré le fait qu’ils possèdent vraisemblablement ces renseignements. Rien ne permet de penser que des dépenses appréciables ont été engagées pour publiciser le sondage. Comme nous l’avons déjà signalé, il a fait l’objet de peu de publicité. Par ailleurs, les frais juridiques ne pouvaient être très élevés. La majeure partie du montant de 320 000 $ doit donc avoir été versée aux gens qui ont élaboré et mis en œuvre le sondage pour le compte du chef et des conseillers.

 

[34]           Le document du sondage intitulé [traduction] « Questionnaire de consultation des membres de la Première Nation de Bearspaw 2010 », a été déposé en preuve comme pièce jointe à l’affidavit souscrit le 4 janvier 2011 par M. Pelletier. Il contient treize questions. Les questions un et deux visent à savoir si les membres sondés sont d’accord pour que les candidats aux postes de chef et de conseillers soient tenus de se soumettre à une enquête de sécurité et de fournir une attestation certifiant qu’ils ne souffrent d’aucune dépendance aux drogues ou à l’alcool. La question trois vise à savoir si les personnes consultées sont d’accord pour prolonger de deux à quatre ans le mandat du chef. La question quatre pose la même question en ce qui concerne le mandat des conseillers. La question cinq porte sur une condition préalable prévoyant que tout candidat doit être membre de la bande depuis au moins cinq ans. Les questions six et sept visent à savoir si les personnes consultées sont d’accord pour que les membres du Comité consultatif des aînés fassent subir une épreuve théorique aux candidats pour vérifier s’ils connaissent bien les coutumes de la bande de Stoney et les divers services administratifs de l’administration tribale de Stoney et s’ils parlent couramment l’anglais et le stoney.

 

[35]           Les questions huit et neuf portent sur le lieu de résidence des électeurs de la collectivité d’Eden Valley et d’ailleurs, et sur l’obligation pour le chef d’être un résident de Morley immédiatement après son élection. Voici le texte des questions 10 et 11 :

            [traduction] 

Si les résultats de l’enquête démontrent que la majorité des membres de Bearspaw souhaitent la prorogation du mandat du chef prévu par le Règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw ainsi qu’il est envisagé dans le sondage, êtes‑vous d’accord pour que ces modifications soient approuvées et mises en œuvre par le chef et les conseillers avant les prochaines élections prévues pour décembre 2010? Dans l’affirmative, il n’y aurait pas d’élection au poste de chef en décembre 2010 et le chef demeurerait en poste jusqu’en décembre 2011 ou 2012 à la condition de fournir des copies écrites du rapport de vérification de ses antécédents criminels et une attestation certifiant qu’il ne souffre d’aucune dépendance aux drogues ou à l’alcool au Comité consultatif des aînés de Bearspaw pour qu’il les examine et les approuve s’ils sont tenus de le faire par suite du sondage communautaire de 2010.

 

Si les résultats de l’enquête démontrent que la majorité des membres de Bearspaw souhaitent la prorogation du mandat des conseillers prévu par le Règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw ainsi qu’il est envisagé dans le sondage, êtes‑vous d’accord pour que ces modifications soient approuvées et mises en œuvre par le chef et les conseillers avant les prochaines élections prévues pour décembre 2010? Dans l’affirmative, il n’y aurait pas d’élection aux postes de conseillers en décembre 2010 et les conseillers demeureraient en poste jusqu’en décembre 2011 ou 2012 à la condition de fournir des copies écrites du rapport de vérification de leurs antécédents criminels et une attestation certifiant qu’ils ne souffrent d’aucune dépendance aux drogues ou à l’alcool de au Comité consultatif des aînés de Bearspaw pour qu’il les examine et les approuve s’ils sont tenus de le faire par suite du sondage communautaire de 2010. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           Les deux dernières questions invitaient les personnes sondées à soumettre leurs suggestions ou leurs idées afin d’améliorer la gouvernance de la PNB et à faire connaître leurs principales préoccupations. Le paragraphe suivant figurait à la fin du questionnaire :

            [traduction] 

Nous vous demandons de faire parvenir toutes les réponses signées et documentées au présent sondage au Comité consultatif des aînés de Bearspaw et aux conseillers juridiques de Bearspaw au plus tard le 30 juin 2010 à la suite de quoi le chef et les conseillers exerceront leur pouvoir discrétionnaire de mettre en œuvre ces modifications immédiatement ou de les soumettre au vote au cours des élections de décembre 2010. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           Comme nous l’avons déjà signalé, il a été mis fin au sondage seulement lorsque le chef et les conseillers ont estimé qu’ils avaient obtenu un nombre suffisant de réponses. Il a fallu attendre un mois de plus que prévu. Les résultats du sondage ont ensuite été compilés par les avocats de la bande pour être ensuite présentés au chef et aux conseillers le 9 août 2010. Le cabinet d’avocats a également résumé les observations reçues en réponse aux questions invitant les personnes sondées à faire connaître leurs idées et leurs préoccupations. La plupart portaient sur la santé, l’emploi et le logement. Les membres ont également indiqué qu’ils souhaitaient que le chef et les conseillers soient davantage présents dans la collectivité de manière à pouvoir leur formuler leurs préoccupations.

 

[38]           Plus de 80 % des 420 personnes qui ont répondu au sondage ont exprimé leur appui aux propositions portant sur la vérification des antécédents criminels, les attestations relatives à la dépendance envers l’alcool et les drogues, les tests permettant de vérifier les connaissances des candidats au sujet des coutumes et des services administratifs de la bande ainsi que leurs connaissances linguistiques en anglais et en stoney. Les personnes sondées ont appuyé avec une nette majorité les changements proposés aux conditions d’éligibilité relatives à la qualité de membre et à la résidence.

 

[39]           En ce qui concerne la prorogation du mandat du chef, 16 %, ou 67 répondants, ont appuyé l’idée d’un mandat de trois ans, 41 %, ou 172 membres, étaient en faveur d’un mandat de quatre ans, et 40 %, ou 168 membres, souhaitaient le statu quo. En réponse à la question 10, 65,2 % des répondants ont indiqué qu’ils étaient d’accord pour que les modifications apportées au mandat du chef soient approuvées et mises en œuvre par le chef et les conseillers avant la prochaine élection si la majorité des membres étaient d’accord. Si l’on interprète les résultats littéralement, la majorité des répondants au questionnaire ont approuvé la prorogation du mandat, mais seulement une pluralité d’entre eux était en faveur d’un mandat de quatre ans.

 

[40]           De même, à la réponse à la question 11, 56 % des répondants ont indiqué être d’accord pour qu’il soit immédiatement donné effet à la prorogation du mandat des conseillers si la majorité appuyait ce changement. Toutefois, alors que 14,3 % des membres approuvaient un mandat de trois ans et que 29 % d’entre eux étaient d’accord avec un mandat de quatre ans dans le cas des conseillers, 53 % souhaitaient que le mandat de deux ans des conseillers ne soit pas prolongé.

 

[41]           Le chef et deux des quatre conseillers ont adopté les résultats du sondage lors de l’assemblée du 9 août 2010. Ils ont signé une RCB qui prévoyait d’une part la prorogation du mandat du chef de deux à quatre ans, et fixait la date de leur élection au 9 décembre 2012, et d’autre part le maintien de la durée actuelle du mandat des conseillers, soit deux ans, et fixait la date de leur élection au 9 décembre 2010. La RCB prévoyait que l’on adopterait un règlement électoral officiel pour l’élection des conseillers qui tiendrait compte des résultats du sondage. Seulement une poignée de membres étaient présents lors de cette assemblée. Un communiqué de presse annonçant les résultats et déclarant que le règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw serait modifié a été publié et distribué le 10 septembre 2010.

 

[42]           Le 14 octobre 2010, trois des conseillers ont signé une résolution prorogeant leur mandat ainsi que celui du chef de deux à quatre ans. Le chef était présent, mais il n’a pas signé la résolution. Dans son affidavit, il affirme qu’il appuyait la décision de proroger la durée du mandat des conseillers et que le fait qu’il n’a pas signé est sans importance. Il déclare qu’il a interprété les résultats du sondage comme constituant une majorité en faveur de la prorogation du mandat du chef et des conseillers. M. Baptiste, ancien chef et conseiller, et Gilbert Francis, ancien conseiller, ont tous les deux témoigné que suivant la coutume de Stoney, pour être valide, une RCB nécessitait la signature du chef et de deux conseillers.

 

[43]           Le 14 octobre 2010, une RCB a modifié le règlement électoral coutumier en fixant à décembre 2012 la date de la tenue des prochaines élections, incorporant ainsi la prorogation des mandats du chef et des conseillers, et de façon à donner effet aux autres modifications proposées dans le questionnaire de sondage. La RCB prévoyait que les nouvelles exigences en matière de compétences linguistiques et de connaissances culturelles devaient être vérifiées au moyen de tests administrés par le directeur général des élections et par des aînés nommés par ce dernier. Le directeur général des élections devait être désigné par le chef et les conseillers. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, au moment de la signature de la RCB le 14 octobre 2010, quatre des cinq aînés présents étaient les grands‑parents du chef.

 

[44]           Il n’y a pas eu de communication directe entre le chef et les conseillers et les membres de la PNB et aucune assemblée publique n’a été tenue pour informer l’électorat que les élections de 2010 étaient annulées et que le chef et les conseillers avaient prorogé leur mandat de deux ans. Des copies du communiqué de presse ont été mises à la disposition des intéressés dans les bureaux de la bande mais elles n’ont pas été distribuées dans chaque foyer. Il semble qu’aucune autre mesure n’a été prise pour informer les membres. Quoi qu’il en soit, la population a été mise au courant des mesures adoptées par le chef et les conseillers, ce qui a conduit à des manifestations et à des blocages de routes à Eden Valley et à Morley. Une partie importante de l’électorat de la PNB (297 personnes, soit plus du tiers) a signé une pétition s’opposant à la procédure qui avait été suivie.

 

[45]           Aucune élection n’a eu lieu le 9 décembre 2010. Un avis de demande de contrôle judiciaire a été déposé le 16 décembre 2011. Un avis modifié a été déposé le 9 février 2011 conformément à l’ordonnance du protonotaire chargé de la gestion de l’instance.

 

[46]           Lors de l’examen de la présente demande à Calgary, plus d’une centaine de membres adultes de la collectivité étaient présents pour manifester leur intérêt en ce qui concerne les questions soumises à la Cour.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[47]           Il ne fait pas de doute, selon la jurisprudence, que la Cour fédérale a compétence pour procéder au contrôle des décisions et des actes du chef et des conseillers, étant donné qu’ils constituent un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Ces décisions relèvent également de la compétence de la Cour suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73, [1993] 3 C.F. 142 (QL), 13 Admin. L.R. (2d) 266, au paragraphe 13; Angus c. Première nation des Chipewyan des Prairies, 2008 CF 932, 334 F.T.R. 187 au paragraphe  29; Vollant c.  Sioui, 2006 CF 487, 295 F.T.R. 48 au paragraphe 25; Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124 au paragraphe 10; conf. par Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.F.)).

 

[48]           Les parties ne s’entendent pas sur ce qui constitue l’objet de la présente demande. Les défendeurs ont soulevé à titre préliminaire la question de savoir si la demande respectait les exigences du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales et de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Les défendeurs affirment qu’il existe plusieurs décisions du chef et des conseillers susceptibles de faire l’objet d’un contrôle de la part de notre Cour, y compris l’approbation du sondage en date du 12 mai 2010, l’adoption de la RCB du 9 août 2010 prorogeant le mandat du chef et de la RCB du 14 octobre 2010 prorogeant le mandat du chef et des conseillers et modifiant le règlement électoral coutumier de 2008. Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n’ont pas demandé le contrôle judiciaire de l’une ou l’autre de ces décisions dans les délais prescrits. Ils signalent que les demandeurs n’ont jamais demandé de prorogation de délai et qu’ils n’ont pas demandé l’autorisation que leur demande de contrôle judiciaire porte sur plusieurs décisions, comme l’exige l’article 302 des Règles.

 

[49]           Les demandeurs affirment qu’il n’y a pas de décision unique en l’espèce. Ils soutiennent que la demande de contrôle judiciaire porte sur les actes du chef et des conseillers qui ont conduit à l’annulation du scrutin de 2010 et à la prorogation de leur mandat jusqu’en 2012. À titre subsidiaire, les demandeurs affirment que, si une décision particulière a été prise, elle n’a jamais été communiquée par le chef et les conseillers aux membres vivant dans la réserve ou hors réserve, que ce soit avant ou après la date d’élection de décembre. La Cour ne peut donc pas déclarer que la demande a été présentée après l’expiration des délais prescrits.

 

[50]           Les parties ont répondu à l’argument des demandeurs concernant l’atteinte aux droits que leur reconnaît la Charte. Il est de jurisprudence constante que la Cour doit éviter, en matière constitutionnelle, toute déclaration inutile et qu’elle n’est pas obligée de répondre aux questions constitutionnelles si elle peut disposer de l’affaire sans le faire (Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, à la page 571; R. c. Smoke‑Graham, [1985] 1 R.C.S. 106, à la page 121). J’en suis venu à la conclusion que la présente affaire pouvait être jugée à la lumière des principes de droit administratif et du droit coutumier, de sorte que j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les questions relatives à la Charte soulevées par les demandeurs, et j’ai informé les avocats en conséquence à l’audience.

 

[51]           À mon avis, les principales questions de fond sont les suivantes :

1.         Le défaut de tenir des élections en 2010 et la prorogation du mandat du chef et des conseillers contrevenaient‑ils à la coutume de la PNB?

2.         La prorogation du mandat du chef et des conseillers a‑t‑elle eu pour effet de nier aux demandeurs leur droit à l’équité procédurale?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[52]           Aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale connaît de toute demande de contrôle judiciaire. Voici les dispositions pertinentes de cet article :

 

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

 

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou

de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment

de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney

General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

 

[53]           Le paragraphe 18.1(1) dispose :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du  Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of

Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

[54]           Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales fixe le délai dans lequel la demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un office fédéral doit être présentée :

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la

première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

 

[55]           Les paragraphes 18.1(3) et (4) définissent les pouvoirs de la Cour fédérale lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire ainsi que les motifs justifiant l’exercice de ces pouvoirs :

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre

toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

[56]           L’article 302 des Règles des Cours fédérales prévoit que les demandes de contrôle judiciaire ne peuvent porter que sur une seule ordonnance ou décision pour laquelle une réparation est demandée, sauf ordonnance contraire de la Cour :

 

302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

 

ANALYSE

 

 

            Norme de contrôle

 

[57]           Aux termes de l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale peut intervenir lorsqu’elle est convaincue que l’office fédéral n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

 

[58]           Notre Cour a reconnu que le chef et les conseillers jouissent d’une expertise sur des questions comme la connaissance des coutumes de la bande et la détermination des faits (Martselos c. Première Nation no 195 de Salt River, 2008 CAF 221, 411 N.R. 1, au paragraphe 30, citant la décision Vollant, précitée, au paragraphe 31; Giroux c. Première nation de Salt River, 2006 CF 285, au paragraphe 54, modifié pour d’autres motifs à 2007 CAF 108). Ainsi donc, comme l’a fait observer le juge William McKeown au paragraphe 20 de la décision News c. Wahta Mohawks (2000), 189 F.T.R. 218, 97 A.C.W.S. (3d) 585 : « […] il faudrait faire preuve d’une retenue considérable à l’égard d’une décision prise par un conseil de bande ». Ce principe ne vaut toutefois que si les principes d’équité procédurale et de justice naturelle ont été respectés (Ermineskin c. Conseil de bande d’Ermineskin, (1995), 96 F.T.R. 181, 55 A.C.W.S. (3d) 888, au paragraphe 11).

 

[59]           Il s’ensuit que les décisions des conseils de bande doivent être confirmées, à moins qu’elles ne soient déraisonnables. Cela dit, c’est la bande et non le chef et le conseil qui définit la coutume (Bone c. Bande indienne no 290 de Sioux Valley, (1996), 107 F.T.R. 133, [1996] 3 C.N.L.R. 54).

 

[60]           Lorsque l’équité procédurale est en cause, il ne s’agit pas de savoir si les décisions prises par le chef et les conseillers ou leurs actes sont « corrects », mais si la procédure suivie était équitable (voir Ontario (Commissioner Provincial Police) c. MacDonald, 2009 ONCA 805, 3 Admin L.R. (5th) 278, au paragraphe 37 et Bowater Mersey Paper Co. c. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 141, 2010 NSCA 19, 3 Admin L.R. (5th) 261, aux paragraphes 30 à 32).

 

            Question préliminaire : la demande a‑t‑elle été déposée dans les délais impartis – article 302 des Règles

 

[61]           Les demandeurs cherchent à obtenir des brefs de certiorari, de mandamus et de prohibition ainsi qu’un jugement déclaratoire, le tout en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Ces réparations, pour lesquelles la Cour fédérale s’est vue conférer une compétence exclusive en ce qui concerne les actes des offices fédéraux, ne sont pas assujetties au délai de prescription prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi (Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (QL), au paragraphe 23).

 

[62]           Les réparations demandées sont discrétionnaires et la Cour peut refuser de les accorder si on a laissé s’écouler un délai déraisonnable. Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce, l’affaire Friends of Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, [1992] A.C.S. no 1 (QL), dans laquelle les demandeurs avaient laissé s’écouler une période de temps excessive avant de contester les mesures prises. En l’espèce, la demande a été introduite à peine quelques jours après que la date prévue pour les élections soit passée, sans que des élections aient eu lieu.

 

[63]           Ce n’est pas une décision précise parmi celles que le chef et les conseillers ont prises que les demandeurs contestent dans la présente instance, mais l’ensemble des décisions et des mesures prises, y compris la procédure suivie pour réaliser le sondage à la suite duquel le scrutin de 2010 a été annulé. La suite des événements constitue « l’objet de la demande ». Les motifs de contestation prévus au paragraphe 18.1(3) demeurent, étant donné que les titulaires de ces postes sont toujours en fonction sans avoir été élus pour un autre mandat. Leur droit d’exercer leur charge peut être contesté par voie de prohibition ou de quo warranto (Première nation Salt River no 195 c. Marie, 2003 CAF 385, 312 N.R. 385).

 

[64]           L’article 302 des Règles prévoit que, sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance ou décision pour laquelle une réparation est demandée. Il a été jugé que ce principe ne s’appliquait pas lorsqu’il s’agit d’une même série d’actes (Servier Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CF 196, au paragraphe 17; Balfour c. Nation des Cris de Norway House, 2006 CF 213, [2006] 4 R.C.F. 404, au paragraphe 16). À mon avis, la présente demande porte sur une même série d’actes. Les décisions en question sont si étroitement liées qu’elles peuvent légitimement être considérées comme formant un tout. S’il devait être jugé que ma conclusion à cet égard est erronée, j’exempterais les parties de l’obligation de présenter des demandes distinctes en vertu de l’article 55 des Règles.

 

[65]           Il ressort clairement de la preuve que le chef et les conseillers n’ont pas fait preuve de transparence. Aucun avis n’a été donné aux membres de la bande vivant hors réserve et aucune assemblée publique n’a été convoquée pour informer l’électorat que le scrutin de 2010 était annulé et que le mandat des élus était prorogé de deux ans. Les demandeurs m’ont soumis suffisamment d’éléments de preuve pour me convaincre que, en tant que membres de la communauté visés par ces décisions, ils n’ont pas été raisonnablement informés de la situation. Il ne suffit pas qu’ils aient été au courant des rumeurs qui circulaient dans la communauté au sujet du projet du chef de prolonger son mandat. En tant que membres de la bande, ils avaient le droit d’être dûment avisés des modifications proposées.

 

[66]           Tout au plus a‑t‑on distribué des bulletins d’information en les affichant dans les bureaux de la PNB à Eden Valley et à Morley, au bureau de poste et au restaurant. Il y avait de la confusion sur la question de savoir si un référendum serait organisé au sujet des changements proposés au mode de scrutin, compte tenu des déclarations attribuées au chef, et relayées par les médias. Compte tenu de l’importance que ces questions revêtaient pour la communauté, les mesures prises pour en informer les membres de la bande étaient insuffisantes. Cette façon de procéder contraste avec les efforts considérables, décrits par Tina Fox, déployés pour informer les membres de la Première Nation Wesley des changements proposés à son mode de scrutin.

 

[67]           Par conséquent, si j’avais estimé qu’il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la RCB du 14 octobre 2010 ou de l’une des décisions antérieures prises par le chef et les conseillers, je conclurais que les demandeurs n’ont pas été raisonnablement avisés de ces décisions avant la date des élections du 9 décembre 2010 et je conclurais que le délai de prescription prévu par la Loi n’avait commencé à courir qu’à cette date.

 

Le défaut de tenir des élections en décembre 2010 et la prorogation du mandat du chef et des conseillers contrevenaient‑ils à la coutume de la PNB?

 

[68]           Les élections au sein de la Première Nation Stoney sont organisées conformément à la coutume et non en vertu des dispositions du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens. Le chef et les conseillers sont chargés de veiller à ce que les coutumes de la bande soient suivies (Sparvier, précitée). Le droit coutumier des bandes est considéré comme une loi fédérale dont l’application est assujettie au pouvoir de surveillance de la Cour fédérale (Frank c. Bottle (1993), 65 F.T.R. 89, [1994] 2 C.N.L.R. 45, au paragraphe 19).

 

[69]           La coutume comprend les pratiques qui sont généralement acceptables pour les membres de la bande et qui font l’objet d’un large consensus. Lorsque les membres d’une bande ne s’entendent pas au sujet de pratiques électorales et qu’ils s’adressent à la Cour pour résoudre le litige, il incombe à la partie qui invoque la coutume d’établir en quoi elle consiste et de démontrer que les modifications fondées sur la coutume font l’objet d’un large consensus de la part des membres de la bande (Francis c. Conseil Mohawk de Kanesatake (C.F. 1re inst.), [2003] 4 C.F. 1133, 227 F.T.R. 161, aux paragraphes 23 et 24).

 

[70]           En l’espèce, les parties ont présenté des éléments de preuve contradictoires au sujet de la coutume de la PNB. À cet égard, les demandeurs ont soumis le témoignage des aînés Harvey Baptiste (un des demandeurs), Carl Lefthand, Grace Daniels (la mère de la demanderesse Cindy Daniels) et Gilbert Francis. Le témoignage de l’aînée Tina Fox portait également en partie sur ce qu’elle croyait être la coutume de la Première Nation Stoney. Les défendeurs se sont surtout fondés sur l’affidavit souscrit par le chef Bearspaw et par les aînés Bill McLean et Philomena Stephen, qui sont tous les deux les grands‑parents du chef et qui sont eux‑mêmes d’anciens chefs.

 

[71]           À mon avis, la preuve documentaire étaye les déclarations contenues dans les affidavits soumis par les demandeurs. J’estime qu’il convient de souligner que le contre‑interrogatoire des déposants ayant souscrit des affidavits au soutien de la défense a été marqué par des interventions constantes et des objections aux questions pertinentes de la part de leur avocat. La lecture de la transcription me donne l’impression que les témoins des défendeurs, y compris le chef Bearspaw, sont demeurés évasifs dans leurs réponses aux questions qui leur étaient posées au sujet de leurs actes et de leurs décisions. En revanche, les déposants ayant souscrit des affidavits à l’appui de la demande de contrôle étaient plus ouverts et directs.

 

[72]           Lors du réinterrogatoire, l’avocat des défendeurs a posé des questions suggestives dans le but avoué de réhabiliter le témoignage de ses témoins et d’étoffer le dossier. J’accorde peu ou point de valeur à ces réponses. Le contre‑interrogatoire que l’avocat a fait subir aux témoins des demandeurs était par ailleurs inutilement argumentatif. Des commentaires sarcastiques ont été formulés au sujet des demandeurs et de l’avocat de la partie adverse et de tels commentaires n’ont pas leur place dans un contre‑interrogatoire.

 

[73]           Les demandeurs soutiennent que la coutume de la bande est de tenir des élections aux deux ans et que cette pratique est fermement établie et qu’elle a été constamment suivie pendant de nombreuses années. Suivant le témoignage de l’aîné Carl Lefthand, modifier cette coutume nécessiterait davantage que de simples consultations avec les aînés. Il serait nécessaire d’organiser des assemblées publiques pour donner aux membres de la bande l’occasion de débattre des changements proposés et de voter en faveur ou à l’encontre de ces changements. Voici ce qu’il dit au paragraphe 11 de son affidavit :

[traduction]

Le vote majoritaire de tous les membres de la bande de Bearspaw ayant le droit de vote est nécessaire pour modifier la coutume. Ce vote se tient par voie de référendum lors d’une assemblée de la bande où tous les membres ayant le droit de vote ont la possibilité d’être présents, ou en votant lors de l’élection du chef et des conseillers. Le résultat du vote visant à modifier la coutume sur la façon de tenir les élections au sein de la bande de Bearspaw a une incidence sur le prochain chef et les prochains conseillers élus et non sur ceux qui sont présentement en poste.

 

 

[74]           Les défendeurs affirment que la décision d’annuler les élections de 2010 et de proroger le mandat du chef et des conseillers a été prise conformément à la coutume de la bande telle que déterminée par le Comité consultatif des aînés et avec l’appui de la majorité des personnes qui ont rempli le questionnaire de sondage. Les défendeurs n’ont fait, disent‑ils, que mettre en œuvre les décisions prises par les aînés.

 

[75]           Les défendeurs affirment que le cycle d’élection de deux ans a été imposé à la bande par l’agent des Indiens dans les années cinquante et qu’il ne correspond pas à leur méthode traditionnelle de sélection des dirigeants. Pour eux, il s’agit d’élections organisées en vertu de la Loi sur les Indiens, et ce, bien que les élections au sein de la PNB soient régies par la coutume et non par la Loi. La preuve documentaire appuie jusqu’à un certain point ce point de vue, en particulier le procès‑verbal d’une rencontre tenue en 1963 à Morley au cours de laquelle l’agent des Indiens expliquait aux membres qu’ils devaient tenir des élections pour les postes de chef et de conseillers tous les deux ans. La preuve démontre toutefois que les membres de la PNB ont accepté cette recommandation et ont adopté le cycle de deux ans. Je conclus donc que ce mode de scrutin fait partie de la coutume de la PNB depuis plus de 50 ans.

 

[76]           Dans les affidavits qu’ils ont déposés, les défendeurs expriment leurs préoccupations au sujet des conséquences du cycle électoral de deux ans. Ces préoccupations sont également exposées dans le rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones que les défendeurs ont déposé en preuve. Ce rapport, intitulé Élections chez les premières Nations : Une question de choix fondamental a été publié en mai 2010. Le Comité sénatorial s’est concentré sur les élections régies par la Loi sur les Indiens lors de ses audiences et dans son rapport. Il n’en demeure pas moins que ses propos sont pertinents en l’espèce.

 

[77]           À la page 8 de son rapport, le Comité sénatorial énonce ce qui suit au sujet des élections coutumières :

[L]e pouvoir des bandes de se doter de leurs processus coutumiers de sélection des dirigeants est reconnu depuis toujours dans la Loi sur les Indiens, puisqu’il constitue même le processus de choix « par défaut ». L’emploi du terme « coutumier » porte quelque peu à confusion. Ce mot, tel qu’il est employé dans la Loi sur les Indiens et par le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada ne qualifie pas les méthodes traditionnelles de choix des dirigeants. Il sert plutôt à faire la distinction entre les conseils de bande élus selon le régime de la Loi sur les Indiens et ceux qui sont élus d’après les règles établies par la bande. Toutefois, ces règles ne sont pas forcément fondées sur des méthodes traditionnelles de choix des dirigeants. Sauf précision contraire, le mot « coutumier », au sens où nous l’employons dans ce rapport, concerne des codes électoraux fixés par la communauté plutôt que des systèmes de choix des dirigeants fondés sur l’hérédité, les clans ou le consensus.

 

 

[78]           Le Comité formule les observations suivantes au sujet de la nature des élections coutumières :

$    Les coutumes ne sont pas figées dans le temps, puisqu’elles peuvent se transformer en règles qui sont très différentes des méthodes traditionnelles de choix des dirigeants.

 

$    Pour que son adoption soit valide, le choix coutumier des dirigeants n’a pas à être adopté par une majorité d’électeurs de la bande aux termes du paragraphe 2(3) de la Loi.

 

$    Un consensus important des membres de la bande est cependant nécessaire.

 

$    En l’absence de règles précisant ce consensus, les tribunaux seront appelés à trancher la question d’après les faits en cause.

 

$    Aucun code d’élection coutumière ne se ressemble. Certains n’apportent que quelques modifications au système électoral de la Loi sur les Indiens, par exemple en allongeant les mandats, tandis que d’autres apportent des changements plus importants. Il peut aussi être question de marier les formes traditionnelles de gouvernance (conseils coutumiers) avec les structures de gouvernance contemporaines (chef et conseiller élus).

 

[79]           Le Comité a examiné l’origine et l’historique du cycle de deux ans et a fait observer qu’il complique la tâche des dirigeants des premières nations lorsqu’ils souhaitent donner des orientations stratégiques à plus long terme ou qu’ils cherchent à planifier et à mettre en œuvre des processus durables avant de devoir faire face à l’électorat lors d’une autre élection.

 

[80]           Les témoins que le Comité a entendus s’entendaient pour dire que le mandat de deux ans était trop court pour permettre aux intéressés d’élaborer et de planifier des mesures et de rendre compte des résultats. Il faisait également en sorte qu’il était difficile pour les dirigeants de différentes premières nations de travailler de concert ou de collaborer à des initiatives régionales et tribales plus larges. Le Comité a toutefois estimé que, même si le simple fait de prolonger le mandat des dirigeants pouvait avoir à court terme des effets avantageux, en assurant par exemple une plus grande stabilité politique, cette mesure serait peu utile pour régler les principaux problèmes, en l’occurrence la légitimité et la responsabilité en matière de gouvernance autochtone et que, dans le cas de certaines communautés, il risquait de creuser encore plus le fossé qui existait entre les citoyens des premières nations et leurs dirigeants élus.

 

[81]           Le Comité a fait observer que, lorsqu’ils sont bien rédigés, les codes coutumiers favorisent davantage un régime de gouvernance qui est bien adapté sur le plan culturel et qui assure la responsabilisation sur le plan politique, en plus d’être transparent et d’augmenter la responsabilité. Le Comité a recommandé qu’un plus grand nombre de premières nations reviennent à la coutume. Il a toutefois formulé une mise en garde en précisant que les codes coutumiers risquaient de ne pas respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale. Les témoins des premières nations qui ont comparu devant le Comité se sont dits préoccupés par la question de la neutralité des fonctionnaires électoraux et par d’autres irrégularités qui entachaient le processus électoral.

 

[82]           Il n’appartient pas à la Cour de déterminer comment les dirigeants de la Première Nation de Bearspaw devraient être choisis ni de se prononcer sur la durée de leur mandat. La bande a le droit de définir ses pratiques à cet égard, mais ce droit collectif doit être tempéré en respectant le droit de ses membres de participer à l’exercice. Suivant la preuve, la coutume de la PNB au cours des 50 dernières années a été de tenir des élections tous les deux ans. Le chef et les conseillers actuels ont été élus pour un mandat de deux ans le 9 décembre 2008. Ils n’ont pas reçu un mandat de quatre ans.

 

[83]           La coutume de la Première Nation Stoney se reflète dans les méthodes utilisées par les Premières Nations Wesley et Chiniki pour modifier leurs pratiques électorales. Dans les deux cas, les membres ont reçu un préavis suffisant et se sont vu accorder la possibilité d’approuver les modifications proposées en votant lors des élections suivantes. Le chef Bearspaw, les membres du conseil et les personnes qui les conseillaient ont choisi de ne pas s’en remettre à la sagesse de leurs électeurs, contrairement à ce qui était vraisemblablement leur intention au départ, et ils ont choisi de contourner la coutume de la PNB en utilisant un sondage critiquable et en engageant des dépenses extraordinaires.

 

[84]           Le questionnaire portait à confusion et contredisait les renseignements peu nombreux qui avaient été communiqués à la collectivité au sujet du sondage dans les bulletins d’information de mai et de juin. Les bulletins d’information indiquaient que le processus pouvait, à la discrétion du chef et des conseillers, se solder par des modifications, ce qui laissait entendre qu’il avait uniquement valeur de consultation. Les questionnaires contenaient eux‑mêmes des énoncés contradictoires en ce qu’ils suggéraient que les résultats seraient adoptés dès lors qu’une majorité claire se prononcerait, mais également que le chef et les conseillers examineraient les résultats et prendraient ensuite une décision. Il semble acquis que l’intention de ceux qui ont rédigé le sondage était de laisser entre les mains du chef et des conseillers le soin de se prononcer sur l’issue de la question.

 

[85]           Suivant la preuve non contredite, il ne fait pas partie des coutumes de la PNB de recourir à des sondages pour procéder à des changements au processus électoral. Les sondages réalisés par les Premières Nations Wesley et Chiniki constituent une dérogation à la coutume de la Première Nation Stoney. Ils ont cependant été menés de manière transparente et consultative, et les membres de leurs collectivités en ont confirmé les résultats au cours des élections ultérieures. L’équipe de sondeurs de la Première Nation Wesley comprenait des représentants des deux principaux adversaires politiques du chef. Les modifications apportées à la procédure ont pris effet à la suite d’un vote. Si l’ont tient pour acquis que le sondage constitue un mécanisme approprié pour connaître l’opinion des membres d’une bande indienne sur un sujet important, force est de constater que le chef et les conseillers de la PNB ont ignoré les conseils qu’ils avaient reçus de leurs homologues des Premières Nations Wesley et Chiniki au sujet de la façon d’adopter des changements au mode électoral, et ils ont interprété à leur manière les résultats des sondages.

 

[86]           Compte tenu du degré de participation au sondage, moins de 29,5 % des électeurs de la PNB ont appuyé l’idée de prolonger le mandat du chef. Une nette majorité de ceux qui ont rempli le questionnaire de sondage n’appuyait pas la proposition de prolonger le mandat des conseillers. La décision d’ignorer ces résultats n’était pas conforme à la coutume de la PNB et constituait plutôt un mépris flagrant des valeurs traditionnelles et une façon de justifier artificiellement le maintien au pouvoir des dirigeants.

 

[87]           Les défendeurs soutiennent que, conformément à la coutume, ils ne faisaient que suivre les directives des aînés de la PNB, représentés par le Comité consultatif des aînés. Ce comité était constitué d’un petit groupe choisi de personnes dont plusieurs avaient des liens de parenté avec le chef Bearspaw, et il ne représentait pas l’ensemble des clans de la PNB. D’autres aînés n’en faisaient pas partie et n’ont pas été consultés. Ceux qui ont effectivement participé ont été grassement payés pour leur participation : ils ont reçu 560 $ par rencontre ou 1 100 $ par mois par aîné. Certains, comme la grand‑mère du chef, Philomena Stephen, ont reçu davantage pour le rôle qu’ils ont joué en rapport avec la réalisation du sondage.

 

[88]           Le code révisé adopté aux termes de la RCB du 14 octobre 2010 prévoyait que le directeur général des élections devait être nommé par le chef et les conseillers et qu’il devait à son tour choisir les membres d’un comité d’aînés pour l’aider à administrer les nouveaux tests de connaissances linguistiques et culturelles. Le code révisé n’exigeait pas l’impartialité du directeur général des élections. Suivant son libellé, le chef et les conseillers actuels pouvaient nommer un de leurs partisans à ce poste et cette personne pouvait à son tour désigner des personnes qui étaient du même avis qu’elle pour siéger au Comité des aînés. Le chef et les conseillers se sont donc effectivement autorisés à contrôler le processus visant à déterminer l’éligibilité de tout candidat s’opposant à eux. Cette façon de procéder va à l’encontre des principes fondamentaux d’objectivité, d’impartialité et d’équité qui devraient régir tout processus électoral régi par la coutume ou par d’autres règles.

 

Les demandeurs ont‑ils été privés de leur droit à l’équité procédurale?

 

[89]           Je n’accepte pas l’argument des défendeurs voulant qu’ils n’aient fait que suivre les directives des aînés. Le chef et les conseillers ont mis au point le processus de sondage, engagé le coordinateur, approuvé le questionnaire, interprété les résultats à leur avantage et pris la décision d’annuler l’élection de 2010. Ils cherchent maintenant à justifier leurs actes en prétendant que les décisions ont été prises par les aînés conformément à la coutume de la bande. Cette prétention est, à mon avis, entièrement fallacieuse. La preuve ne permet de tirer qu’une seule conclusion, en l’occurrence que le chef et les conseillers ont, avec l’aide de leur personnel, réalisé le sondage par l’entremise d’un groupe soigneusement sélectionné d’aînés dominés par des membres de la famille du chef.

 

[90]           Ce comportement va à l’encontre des principes fondamentaux de la démocratie. Le juge Pierre Blais, maintenant Juge en chef à la Cour d’appel fédérale, aborde cette question dans décision Balfour, précitée, au paragraphe 55 :  

Les résolutions ne peuvent être le produit de décisions prises à l’avance. Elles doivent être débattues et adoptées conformément aux règles et lignes directrices de la bande ainsi qu’aux principes de la démocratie.

 

[91]           Dans le même ordre d’idée, le juge Rothstein, plus tard juge à la Cour suprême du Canada, écrit ce qui suit dans la décision Long Lake c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] A.C.F. no 1020 (QL), au paragraphe 31 :

Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l’anarchie régnerait. Le peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. La règle fondamentale veut que les conseils de bande fonctionnent en conformité avec la primauté du droit.

 

 

[92]           En l’espèce, les défendeurs avaient l’obligation d’agir avec équité envers les demandeurs en tant que membres de la PNB dont les droits, privilèges et intérêts établis en matière de vote seraient touchés par toute décision visant à modifier les coutumes électorales de la bande (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 20; Conseil coutumier de la Première nation Anishinabe de Roseau River c. Première Nation Anishanabe de Roseau River, (2003), 228 F.T.R. 167, [2003] 2 C.N.L.R. 345, aux paragraphes 30 et 42).

 

[93]           Les membres de la PNB avaient raison de s’attendre à ce que tout changement à leurs pratiques électorales soit subordonné à un préavis équitable, à la possibilité de se faire entendre et à celle de voter au sujet des changements. Un préavis raisonnable dans ce contexte exigeait une communication intégrale des propositions. La possibilité de se faire entendre exigeait la tenue d’assemblées ouvertes à tous les membres ainsi que la tenue d’un processus de consultation raisonnable. Or, aucune de ces mesures n’a été prise en l’espèce. Les pratiques de la bande exigeaient la tenue d’un vote pour l’élection du chef et des conseillers. Le sondage, tel qu’il a été mis en œuvre, ne constituait pas un mécanisme de consultation adéquat ou une mesure de rechange à un vote portant sur les changements proposés. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que le chef et les conseillers ne leur ont pas donné un préavis suffisant au sujet de leur intention d’annuler l’élection de décembre 2010 et qu’on leur a nié le droit de se faire réellement entendre.

 

[94]           Les défendeurs ne peuvent rétorquer que les demandeurs auraient pu utiliser le processus de sondage pour exprimer leur avis au sujet des changements proposés. Le sondage a été organisé et exécuté de façon à ce que soient livrés les résultats recherchés par le chef et les conseillers. Si les demandeurs avaient choisi de participer au sondage, on aurait pu dire qu’ils avaient renoncé à leur droit de voter lors d’une élection tenue à la date prévue. Les défendeurs ne peuvent non plus faire valoir que les demandeurs auraient pu présenter une demande ce contrôle judiciaire attaquant l’une ou l’autre des mesures prises par le chef et les conseillers en vue de mettre en application ce système. Tant que la date d’élection prévue n’était pas passée, le droit de vote des demandeurs n’avait pas encore été bafoué.

 

[95]           Compte tenu de la procédure qui a été suivie et de l’intérêt direct que le chef et les conseillers avaient en ce qui concerne le résultat, les faits suscitent une crainte raisonnable de partialité. La crainte de partialité doit être raisonnable et être le fait d’une personne sensée et bien renseignée « qui étudi[e] la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, au paragraphe 40; Canadien Pacifique Limitée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 81).

 

[96]           En l’espèce, les changements proposés au Code électoral étaient des questions litigieuses au sein de la communauté. Il existait de fortes dissensions au sujet de la méthode retenue pour mettre les changements en œuvre comme en font foi les manifestations qui ont été organisées au sein de la communauté. Une personne bien renseignée qui examinerait la question de façon réaliste et pratique conclurait que le chef et les conseillers étaient partie à cette controverse et qu’ils avaient des intérêts directs, y compris des intérêts financiers, en ce qui concerne le résultat. Il ne leur était pas loisible de décider de la durée de leur propre mandat, si ce n’est en démissionnant.

 

[97]           Bien que j’aie conclu que les actes du chef et des conseillers n’étaient pas conformes à la coutume, si j’avais tiré une autre conclusion, j’aurais néanmoins jugé qu’ils constituaient un manquement à l’équité procédurale et qu’ils ne pouvaient en conséquence se justifier (Prince c. Première nation no 150A de Sucker Creek, 2008 CF 1268, 303 D.L.R. (4th) 438, conf. par 2009 CAF 40; Nation Crie Long Lake, précitée; Balfour c. Nation des Cris de Norway House, 2006 CF 213). Dans la décision Prince, au paragraphe 39, la Cour a déclaré ce qui suit :

Les conseils de bande doivent exercer leurs activités conformément à la primauté du droit. Ce principe oblige les conseillers de la bande à respecter l’obligation d’équité procédurale dans l’exercice de leur pouvoir et dans la prise de décisions dans le meilleur intérêt de ceux qui les ont élus pour les représenter.

 

 

[98]           En 2010, les demandeurs avaient le droit de voter aux deux ans conformément à la coutume de la PNB. Les agissements du chef et du conseil, lorsqu’ils ont mis au point le processus de sondage, mettaient en cause ces droits fondamentaux. Ils ont permis à certains, mais pas à la totalité, des membres de la PNB d’exprimer leur point de vue sur la question de savoir s’il y avait lieu de changer leurs droits. Comme aucune RCB n’a été adoptée pour tenir l’élection de 2010 et qu’aucune élection n’a en fait eu lieu, les demandeurs n’avaient aucun droit d’appel en vertu de la pratique coutumière du conseil tribal de Stoney. Les actes du chef et des conseillers ont scellé le sort des droits démocratiques des demandeurs sous réserve uniquement du pouvoir de contrôle de notre Cour.

 

[99]           Les déclarations attribuées au chef Bearspaw qui ont été publiées dans les journaux locaux en mars 2010 indiquent qu’il envisageait la tenue d’un référendum pour faire approuver par la communauté les changements de gouvernance proposés. Je conclus donc que les demandeurs pouvaient légitimement s’attendre à être consultés au sujet des changements proposés et à se voir accorder la possibilité de voter sur ces changements lors d’un référendum (Association des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, au paragraphe 74; Baker, précité, au paragraphe 26).

 

RÉPARATIONS SOLLICITÉES

 

[100]       Les demandeurs sollicitent une ordonnance :

a.       de la nature d’un bref de certiorari, annulant la décision;

b.      de la nature d’un bref de mandamus, enjoignant aux défendeurs de se conformer à leur obligation coutumière et de droit public d’organiser sans délai l’élection du chef et des conseillers de Bearspaw;

c.       de la nature d’un bref de quo warranto déclarant que, depuis le 9 décembre 2010, le chef et les conseillers n’occupent plus leurs charges respectives;

d.      interdisant aux défendeurs de retarder davantage la tenue de l’élection;

e.       déclarant que la décision est nulle ab initio;

f.        déclarant que la décision a été prise illégalement : les défendeurs n’avaient pas le pouvoir d’annuler l’élection, de refuser de l’organiser ou d’en retarder la tenue au‑delà du délai prévu par la coutume;

g.       déclarant que la décision était inconstitutionnelle aux motifs qu’elle a privé les demandeurs de leur liberté fondamentale ainsi que leurs droits démocratiques et ancestraux consacrés par l’alinéa 2b) et les articles 3, 7 et 35 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11;

h.       déclarant que les défendeurs ont manqué à leur obligation d’agir avec équité envers les demandeurs en ne motivant pas leurs décisions ou en ne fournissant pas des motifs suffisants à l’appui de celles‑ci et en privant les demandeurs de leurs droits de se faire entendre et de savoir ce qu’ils devaient réfuter en ce qui concerne la décision;

i.         déclarant que la décision était motivée par une crainte raisonnable de partialité du fait que le chef avait discuté publiquement de la décision ou l’avait prise avant que les demandeurs et d’autres membres de la Première Nation de Bearspaw aient eu l’occasion de se faire entendre;

j.        déclarant que la décision était motivée par des considérations non pertinentes, en l’occurrence :

                                                               i.      que le chef souhaitait mettre en place adopter une forme de gouvernance qui débordait le cadre de son mandat;

                                                             ii.      que la décision mettait, totalement ou en partie, en jeu les intérêts personnels ou pécuniaires du chef ou des conseillers;

k.      déclarant que les conseillers ont, de façon inacceptable ou déraisonnable, entravé leur pouvoir discrétionnaire en se conformant aveuglément au résultat souhaité et exigé par le chef;

l.         toute autre réparation que la Cour estimera appropriée;

m.     les dépens procureur‑client afférents à la présente demande.

 

DISPOSITIF

 

[101]       Les défendeurs affirment qu’une décision favorable aux demandeurs compromettrait la durée actuelle du mandat du chef et des conseillers de la Première Nation Chiniki, fixée à trois ans, et la durée actuelle du mandat du chef et des conseilleurs de la Première Nation Wesley, fixée à quatre ans, ainsi que toutes les décisions prises par le conseil tribal de la Première Nation Stoney depuis le 10 décembre 2010, voire même depuis décembre 2004, date à laquelle le mandat de deux ans précédent du chef et des conseillers des Premières Nations Chiniki et Wesley, d’une durée de deux ans, a expiré.

 

[102]       Je n’accepte pas l’argument des défendeurs. Tout d’abord, je n’ai pas à me prononcer sur la question de la légalité des élections tenues au sein des Premières Nations Wesley et Chiniki, et la présente décision ne tranchera pas cette question. Mais surtout, les modifications apportées au mandat du chef et des conseillers des deux premières nations en question n’ont pris effet qu’aux élections suivantes. En d’autres termes, lors du scrutin relatif au chef et aux conseillers, l’électorat des deux premières nations en question était au courant du fait que les candidats élus le seraient pour un mandat plus long. Ajouté à l’absence d’opposition concertée à ces modifications, ce fait indique qu’à la différence de la présente affaire ces changements faisaient l’objet d’un large consensus au sein de ces communautés.

 

[103]       J’estime également que les décisions prises par le Conseil tribal de Stoney depuis décembre 2010 demeurent valables, à moins que leur légalité soit contestée en justice à la suite de la présente décision. La présomption de régularité s’applique à ces décisions, sous réserve de preuves contraires (Martselos c. Première nation de Salt River no 195, 2008 CF 8, au paragraphe 27, conf. par 2008 CAF 221). Ces décisions ne sont pas nulles ab initio. Je relève que le chef et les conseillers de la Première Nation de Bearspaw ne représentent que le tiers de l’organe directeur de Stoney. En conséquence, il se peut qu’il n’existe pas de motifs permettant de contester ces décisions, à moins que les membres du Conseil tribal aient été divisés quant à certaines décisions, de sorte que le résultat du vote n’aurait peut‑être pas été le même si les membres du Conseil de la PNB n’y avaient pas participé.

 

[104]       Compte tenu du fait que les défendeurs n’ont pas respecté la coutume de la Première Nation de Bearspaw et qu’ils ont privé les demandeurs de leur doit à l’équité procédurale, il y a lieu de conclure qu’une erreur justifiant notre intervention a été commise et de prononcer un bref de certiorari annulant la décision en date du 14 octobre 2010 par laquelle le chef et les conseillers ont modifié le règlement électoral coutumier de la bande et ont prorogé leur mandat jusqu’en décembre 2012.

 

[105]       Il s’agit par ailleurs d’une de ces situations exceptionnelles dans lesquelles il y a lieu d’accorder une ordonnance de la nature d’un bref de quo warranto pour destituer le chef et les conseillers (Bigstone c. Big Eagle, [1992] A.C.F. no 16; Jock c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1991] A.C.F. no 204). Contrairement à l’affaire Jock, en l’espèce les demandeurs n’ont pas tardé à agir et n’ont pas fait défaut d’épuiser tous les mécanismes d’appel internes dont ils disposaient. Les demandeurs ne disposaient en effet d’aucune voie de recours claire étant donné qu’aucune élection n’avait eu lieu. En outre, rien ne permet de penser qu’ils ont acquiescé aux mesures prises par le chef et les conseillers.

 

[106]       Il sera interdit au chef et aux conseillers de la Première Nation de Bearspaw défenderesse de demeurer en poste jusqu’à la tenue de la prochaine élection et il leur sera interdit d’exercer leurs fonctions d’élus. Je vais également prononcer en faveur des demandeurs une ordonnance déclaratoire et accorder un bref de mandamus énonçant les conditions auxquelles la Première Nation de Bearspaw doit tenir les élections en question. À mon avis, il convient d’accorder un bref de mandamus, étant donné que les demandeurs ont satisfait aux exigences à respecter : les défendeurs étaient obligés envers les demandeurs d’organiser des élections dans un certain délai et ils ont refusé de s’acquitter de cette obligation après avoir été invités à le faire (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) (C.A.), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 (QL)).

 

[107]       Bien que la Cour reconnaisse qu’il revient à la Première Nation de Bearspaw de déterminer comment elle souhaite sélectionner ses dirigeants, le mode que la bande choisira doit respecter le droit à l’équité procédurale de ses membres. À mon avis, les modifications proposées au Règlement électoral risquent de donner lieu à des abus, en particulier en ce qui concerne la sélection du directeur général des élections et les épreuves, auxquelles seront soumis les candidats par l’entremise d’aînés choisis par le directeur général des élections, en vue de déterminer si les candidats satisfont aux conditions d’éligibilité. La bande doit réexaminer les propositions en question et trouver une façon de s’assurer que la procédure adoptée soit juste et que les épreuves imposées aux candidats éventuels seront objectives et impartiales.

 

DÉPENS

 

[108]       Comme ils ont obtenu gain de cause, les demandeurs ont droit aux dépens de la présente demande. À l’audience, les avocats ont demandé que je leur accorde la possibilité de formuler d’autres observations sur la question des dépens à la suite de ma décision sur le fond.

 

[109]       Les demandeurs devront déposer et signifier des observations écrites au sujet des dépens au plus tard le 8 juillet 2011. Les défendeurs devront déposer et signifier leurs observations écrites en réponse au plus tard le 15 juillet 2011 et les demandeurs devront déposer et signifier leur réplique, le cas échéant, au plus tard le 22 juillet 2011. Les observations ne doivent pas dépasser cinq pages de texte à double interligne.


JUGEMENT

 

LA COUR :

1.      ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

2.      PRONONCE une ordonnance de la nature d’un bref de certiorari et ANNULE la décision par laquelle le chef et les conseillers de la Première Nation de Bearspaw ont procédé à des modifications au Règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw aux termes de la résolution du Conseil de bande du 14 octobre 2010;

3.      DÉCLARE que la résolution du Conseil de bande du 30 septembre 2008 exigeant la tenue d’élections au plus tard le 9 décembre 2010 avait toujours effet et que l’omission de tenir ces élections était contraire à la coutume de la bande;

4.      PRONONCE une ordonnance de la nature d’un bref de quo warranto et DESTITUE le chef et les conseillers de la Première Nation de Bearspaw;

5.      INTERDIT au chef et aux conseillers défendeurs de la Première Nation de Bearspaw de continuer à occuper leurs fonctions et à exercer les pouvoirs afférents à leurs fonctions jusqu’à ce que la prochaine élection soit tenue conformément à la présente ordonnance;

6.      DÉCLARE que les demandeurs et tous les membres adultes de la Première Nation de Bearspaw ont le droit d’être consultés et de voter au sujet des changements proposés au Règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw;

7.      PRONONCE une ordonnance de la nature d’un bref de mandamus et ORDONNE à la Première Nation de Bearspaw d’organiser des élections pour choisir un chef et des conseillers dans les 60 jours suivant la réception, par les parties, par l’intermédiaire de leur avocat, d’un avis émanant du greffe de la Cour les informant de la présente décision;

8.      ORDONNE au Conseil tribal de la Première Nation Stoney de désigner un directeur général des élections pour diriger l’élection du chef et des conseillers de la Première Nation de Bearspaw conformément au Règlement électoral de la Première Nation de Bearspaw adopté aux termes d’une résolution du Conseil de bande le 30 septembre 2008;

9.      DÉCLARE que le directeur général des élections doit être une personne qui est généralement considérée par les membres de la Première Nation de Bearspaw comme une personne indépendante et impartiale sans lien avec le chef et les conseillers défendeurs;

10.  DÉCLARE que les conditions d’éligibilité proposées des candidats aux postes de chef et de conseillers de la Première Nation de Bearspaw dans le questionnaire de consultation de la communauté de la Première Nation de Bearspaw de 2010 n’auront pas d’incidence sur l’éligibilité des candidats lors des élections devant avoir lieu dans un délai de 60 jours, et que ces conditions ne prendront effet qu’après avoir été approuvées par un vote majoritaire des électeurs de la Première Nation de Bearspaw en ce qui concerne l’élection suivante ou une élection ultérieure;

11.  AUTORISE les parties à formuler des observations au sujet des dépens comme il est prévu dans les motifs du présent jugement.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2085‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT SHOTCLOSE, HARVEY BAPTISTE,

                                                                        CORRINE WESLEY, MYRNA POWDERFACE,

                                                                        CINDY DANIELS et WANDA RIDER

 

                                                                        et

 

                                                                        Première Nation Stoney, représentée par son chef et ses conseillers et Première Nation de Bearspaw, représentée par son chef et ses conseillers, le chef David Bearspaw fils, Trevor Wesley, Patrick Twoyoungmen, Roderick Lefthand et Gordon Wildman

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 12 et 13 avril 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 juin 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Heather Treacy

Josh Jantzi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jeffery Rath

Nathalie Whyte

 

POUR LES DÉFENDEURS

Première Nation de Bearspaw

 

Ken Staroszik

 

POUR LES DÉFENDEURS

Première Nation Wesley

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heather Treacy

Josh Jantzi

Fraser Milner Casgrain LLP

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

Jeffery Rath

Nathalie Whyte

Rath & Company

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

Ken Staroszik

Wilson Laycraft

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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